La prophétie du roi déchu: Le seigneur oublié

Chapitre 18 : Attaque sournoise

5706 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 20/06/2025 14:17

Chapitre 18: Attaque sournoise





Alors que Zuanlanor observait les guerriers réinvestir le premier niveau, la pluie semblait avoir cessé. Est-ce que le seigneur du mal perdait son emprise sur la réalité ? Le doute était permis, mais le répit accordé était le bienvenu. Alors que le roi des elfes fixait le contrebas, Taläsna vint à ses côtés, il avait une piètre mine. Les soldats de Kaös s’étaient repliés de l’autre côté des murailles, par chance il n’y avait ni brèche ni portes détruites, et la plupart des tours de sièges furent anéanties. C’était trop beau pour être vrai.

_ Je n’aime pas ça, dit le noble elfe sylvain à son camarade. Ce n’est pas dans leur habitude de reculer.

_ Je sais ce que vous en pensez, répondit Zuanlanor attentif. Mais sourions, aujourd’hui nous avons remporté une victoire, aussi maigre soit elle. 

_ Vous appelez ça une victoire ? S’offusqua le guerrier d’argent. Vous devriez aller voir l’état de nos braves revenus aux casernes, nous en avons payé chèrement le prix.

_ Vous croyez que je l’ignore ? répondit fermement mais avec calme son interlocuteur. Je suis tout autant affligé que vous, ce qui nous différencie sont le nombre de camarades que nous avons vu tomber. 

Il se retourna lentement, dévoilant son visage, impassible, mais ses mots furent d’autant plus un choc pour Taläsna après.

_ J’ai vu vos parents mourir. Je sais ce que c’est de voir mon peuple saigner. Mais nous, nous sommes des souverains, la faiblesse est un luxe qui ne nous est pas accordé. Malgré toute la peine que nous endurons, nous devons être un exemple. Vous avez encore la chance de la jeunesse, sire Taläsna, vous ignorez encore ce qu’est de perdre toutes les personnes de votre enfance. J’ai vu mes parents, mes camarades, mes enfants mourir. J’ai sept siècles d'existence sur cette terre, c’est bien plus que n’importe qui. J’ai déjà affronté maintes fois les légions noires, je sais ce qu’est le désespoir. Mais je suis toujours là, debout, à dresser mes armes face à l’Archi-ennemi. 



Taläsna tourna la tête vers le contrebas des murailles, les fortifications étaient de nouveau dressées pour se préparer à affronter la nouvelle vague. Qui sait quelles engeance allait encore sortir le diabolique dieu des Enfërs ? 

_ Nous connaissons notre adversaire, reprit Taläsna sur la défensive. Il a dû préparer un piège vicieux. 

_ C’est là sa force, répondit l’haut-elfe. Il lit en nous comme dans un livre ouvert, il sait frapper là où ça fait le plus mal. Je suis d’accord avec vous, seigneur Taläsna, il a dû préparer un piège, mais dur de connaître sa nature avant de tomber dedans. 

_ Je comprend mieux…

Taläsna n’aboutit pas sa phrase, il était dorénavant les deux mains posées sur les créneaux du fort. Circonspect, le roi des haut-elfes tourna sa tête d’un air interrogateur vers son frère d’arme. 

_ Vous comprenez mieux quoi ? finit-il par demander.

_ Comment un enfant à pût vous battre au jeu du Tëmsnen. Ce n’était pas de la chance.

Sur ce, Taläsna remit son casque, il se dirigea vers la porte du second niveau, il avait la ferme intention de retrouver ses hommes du premier niveau. Face à l’insulte, Zuanlanor ne réagit pas, mais sa colère devait être grande. 



Parmis les rangs des osts noires, les quatre Spectres encapuchonnées toisaient la cité bénie par Daös avec appétit. Celui au masque de loup prit la parole.

_ Ils ont repris le premier niveau. Nos soldats ont été repoussés.

_ Oui, répondit simplement la Mort. Ils ont réinvestit les lieux. Comme prévu.

Le Spectre au masque d’homme en pleur reprit d’une voix larmoyante.

_ Ils ont envoyé le gros de leurs troupes protéger les premières murailles. Ils sont affaiblis, épuisés, apeurés. 

_ Ils sont mûrs, reprit leur chef. La récolte sera bonne, peu nous importe la pierre, l’Arbre noir réclame le sang. Maintenant, fauchons !

Les meneurs des armées des ténèbres écartèrent les bras, et entamèrent une longue incantation en langue ancienne. 



Alors que Taläsna longeait les quartiers résidentielles du premier étage, un violent mal de crâne l’envahit. La vision d’un masque de fer lui jaillit devant les yeux. Le froid le saisit tel une main griffue. C’était LUI, le fantôme de ses cauchemars. Il tourna son regard vers la rue voisine, un tas de cadavres jonchait sur le sol. Les corps des vaillants guerriers mêlés aux cadavres des démons occis. Une pensée lui vint à l’esprit. Une terrible pensée. Les blessés, les morts… Le sang noir. Il se releva et hurla son ordre à tous les soldats alentours:

_ Repliez-vous au bastion !

Les soldats se retournèrent, surpris, alors que Taläsna faisait signe à tous ses guerriers.

_ Repliez-vous au bastion ! Maintenant !



Dans les couloirs de la forteresse du second niveau, les morts avaient été entassés dans la cave. Un duo de garde déposèrent une fraîche victime dont il avait fallut abréger les souffrances. Ils déposèrent le corps au milieu de la multitude. Le premier tenait une torche, et fit signe à son camarade de le suivre, mais au moment de repartir, quelque chose le coinçait. Sa cheville était retenue. Il brandit la torche dans sa direction, il y vit une main accrochée. 

_ Qu’est-ce que tu fabrique ? demanda le second garde. 

Alors qu’il leva la flamme vers le cadavre à qui il appartenait le corps, le crâne du mort se dressa et lui affichait un horrible rictus orné de crocs noirs luisant. Il poussa un cri.



Sous le regard stupéfait des soldats Guiogniens, Taläsna accourait dans les rues pour retrouver le second niveau, il hurlait toujours l’ordre de repli. Mais la vérité finit par frapper. Dans l'embranchement d’une ruelle, on entendait des pas, par centaines. Les soldats en armure dorée pensaient à des renforts, mais ils se décomposèrent au fur à mesure que les silhouettes se dessinaient à la lueur des torches. Une marée vaguement humaine, les corps de Guiogniens et de démons mutés et titubants accouraient dans leur direction, poussant des cris bestiaux. Les os protubérants avaient percé la chair et les armures, donnant une apparence grotesque à la horde. Rapidement, des escarmouches éclatèrent dans les quartiers, ces nouveaux ennemis faisant irruption prirent par surprise les défenseurs qui s’en retrouvèrent démunis. Les rares combattants qui résistèrent se retrouvèrent face à des adversaires insensibles, peu importait les blessures mortelles, la progression des mort-vivants était incoercible. Les canons des osts démoniaques se remirent à ouvrir le feu, et cette fois-ci des béliers titanesques furent déployés. Les portes s’écroulèrent en moins d’une demi-heure, les murailles furent réduites à l’état de ruines, le feu dévorait la cité. Taläsna guidait le reste de la troupe vers le second niveau, mais la rue fut barrée par une marée de cadavres ambulants, d’anciens camarades et ennemis boursouflés de corruption grognaient à leur vue. Ils étaient affamés de chair fraîche. Face à l’horreur, un rescapé demanda au roi sylvain:

_ Que faisons-nous messire ?

Taläsna dégaina Jindaïlyu, et mit le masque de son casque. D’un air déterminé, il répondit:

_ On fonce à travers ! CHARGEZ !!

Les deux blocs se percutèrent avec violence, des membres volèrent dans tous les sens. L’elfe découpa aisément en pièces les revenants, mais il avait l’impression d’affronter une force irrépressible. Malgré ses esquives, il finit acculé, et une griffe affûtée finit par l’atteindre. Dans son épaule l’un des cadavres parvint à traverser son armure comme si ce n’était rien. En plus d’être affublée d’une affreuse résistance, la force de ces défunts était décuplée. L'elfe trancha le bras de son adversaire, ainsi que la tête, mais la colonne vertébrale de cet opposant se mit à jaillir du cou tel un scolopendre et fouetta dans la direction de Taläsna. Heureusement, le noble su l’esquiver, mais il savait que face à la horde il ne tiendrait pas longtemps. La porte du second niveau se refermait. Il ne pouvait s’attarder. Il regarda une dernière fois les Guiogniens derrière lui, ils étaient submergés. Pas le choix, ce fut une question de survie, il bondit par-dessus les rangs des possédés, prenant appuie sur les épaules et les têtes des monstres affamés. Incapables de le saisir, les créatures poursuivirent le seigneur sylvain, la porte fut presque refermée. Le noble n’eut que le temps de faire une roulade pour se retrouver de l’autre côté, alors que la grille déchira sa cape.


Esleneus était attablé, un domestique lui apportait un repas. Le roi lança un bref coup d’œil à son plat, un poulet rôti. Face à lui, Zuanlanor lisait le rapport des pertes. La présence de brûlures sur son visage témoignait de son courage sur le front, lui-même avait vaillamment combattu les osts des ténèbres. Le roi Guiognien se saisit de son couteau et de sa fourchette et entama son repas en dégustant une pomme de terre.

_ Alors ? Demanda le seigneur humain à son confrère elfique.

_ Nous avons pu repousser la première vague, et nous avons repris le premier niveau, répondit assuré Zuanlanor. Mais nous sommes toujours à un coefficient de un pour dix mille, il est difficile d'imaginer la victoire. Heureusement que nous avons des guerriers comme Taläsna, et un brave peuple pour repousser l'assaillant, mais nos pertes sont nombreuses.

La mine du vieillard s'assombrit, en silence il découpa une cuisse de sa volaille. Il réfléchit à une solution, mais il devait admettre qu'il était dans une impasse.

_ Même si l'Étale volait à notre secours, reprit l'haut elfe, nous serions toujours dans un rapport de force défavorable. Trois royaumes ont été rasés depuis les débuts des hostilités, il nous faudrait tous les autres pour avoir ne serait-ce que le début d'un espoir. Nous sommes chanceux, les spectres ne se sont pas encore manifestés, mais qui sait quelle est leur prochaine fourberie ?


Un soldat apparut, ouvrant grand la porte, haletant, il s'adressa à Esleneus.

_ Messires, le premier niveau est de nouveau tombé !

_ Comment ? S'interloqua le seigneur d'Ilurina. Nous venons à peine de le capturer !

_ Les morts, les morts se relèvent !


Alors que Esleneus saisit sa cuisse de poulet et s'apprêtait à croquer dedans, instinctivement l'elfe lui arracha des mains et le jeta au loin. Dans le château, du bruit résonnait à travers les couloirs. Des cris, le fracas des armes, des hurlements bestiaux. Esleneus se tourna vers Zuanlanor et demanda :

_ Qu'est-ce qui se passe ?

Le poulet siégeant dans l'assiette se mit à remuer. Du pus et un liquide noir se mit à s'échapper de ses orifices.

_ Leur prochaine fourberie, répondit Zuanlanor se saisissant de sa lance.


Le pilon de poulet au loin se dota de cinq pattes arachnéennes ainsi que de yeux vitreux poussant tels des tumeurs. Le cadavre du gallinacé aux premiers abords appétissant se contracta, ses os craquèrent sinistrement, des cornes et des griffes poussèrent sur son corps. Le croupion de l'animale se changea en gueule dotée de crocs et de multiples tentacules visqueux. La cage thoracique se fractura en deux et devint une mâchoire. Le vieux roi se retint de vomir, à l'idée d'avoir faillit manger une telle abomination. Zuanlanor s'adressa au soldat :

_ Garde ! Amenez le roi en sécurité ! Loin des réserves de nourriture, loin des combats ! Vite !

Sans réfléchir, le soldat obéis et saisit Esleneus par le bras. Alors que les deux hommes quittaient la pièce, le poulet mutant sauta au visage de l'elfe qui en une fraction de seconde le coupa en deux. Zuanlanor se crut victorieux un instant, mais la chose se métamorphosa une nouvelle fois et de nouveaux appendices apparurent, le cadavre se faufila sous les nappes de la table. Voulant éviter de se faire prendre par surprise, le haut elfe quitta à son tour la pièce. La cuisse, quand à elle, était toujours hors de vue.


Dans les couloirs, les soldats en paniques faisaient face à leurs anciens camarades couverts de plaies béantes en pleine mutation. Les morts revenaient sous une forme de vie souillée, une non-mort pour être plus exacte. Les gardes devaient lutter de toutes leurs forces face à des créatures grossières, dont les appendices transperçaient la peau et les armures. Zuanlanor esquiva les combats, tentant de retrouver la piste du roi de Guiogne. Les rugissements gutturaux des mort-vivants assourdissaient le souverain elfique, le fracas des armes retentissait tel une cacophonie. Alors que le roi elfique s'engagea dans un escalier en colimaçon, une abomination lui barra la route depuis l'amont, elle tenait une épée qui avait littéralement fusionnée avec sa propre chair. Ses protubérances osseuses l'avaient rendu méconnaissable, sa tête était enfoncée dans des épaules massives aux furoncles jaunes, prêts à éclater. Une langue semblable à un fouet hérissée de crocs jaillissait de sa gueule grotesquement distordue. Le monstre brandit son arme et frappa maladroitement en direction de Zuanlanor qui le para sans difficulté, malgré sa force bien supérieure. Grâce à son agilité et ses compétences martiales, l'haut elfe l'attira dans le couloir où il put prendre avantage grâce à son allonge. Il plongea Juzalial dans son épaule, le pus s'échappa par la blessure, un épais liquide corrosif , et les dalles à ses pieds se mirent à fondre.

« De l'acide ! » Réalisa Zuanlanor alors que son opposant saisit sa lance d'un bras tandis que sa langue se projeta en direction du visage de l'elfe. Une fois de plus, ses réflexes surhumains lui permirent d'esquiver de justesse, mais il sentit une pointe de douleur sur sa joue. L'une des dents l'avait éraflé.


Luttant de toutes ses forces, le noble fit tomber son adversaire contre le mur, puis le transperça de nouveau dans le dos. La pointe lui traversa la cage thoracique, un sang souillé s'échappa de plus belle, mais la chose elle, se débattait toujours. Son dos gonfla et les tumeurs fracturèrent son armure, dévoilant sa chair viciée, l'abomination était sur le point d'éclater. De justesse, Zuanlanor retira son arme et, par la pensée, exécuta un sortilège. Les dalles de pierre à ses pieds se mirent à mouvoir et se dressèrent tel un mur devant le souverain au moment de l'explosion. Viscères, tripes et humeur immondes aspergèrent sa défense. Il n'attendit pas de constater la mort de son adversaire pour monter à l'étage, alors que le mur magique était en train de fondre.


Avec horreur, il comprit que chacun de ces non-morts étaient aussi redoutables que celui qu'il venait d'occire, il était clair que la bataille venait de prendre un nouveau tournant. Le but de l'ennemi n'était pas de capturer le second niveau, juste d'attirer dans un piège les défenseurs pour mieux faire tomber la cité d'un coup. Ces horreurs étaient même bien plus robustes que les orques noirs jusqu'ici affrontés. En arrivant à l'étage, les gardes aperçurent Zuanlanor et l'invitèrent à les rejoindre dans une armurerie. Sans autre solution, le seigneur d'Ilurina pénétra dans l'abri et la porte fut barricadée derrière lui. Une dizaine de soldats et Esléneus s'étaient entassés ici. Hagard, le maître du château demanda à son partenaire :

_ Qu'est-ce que c'était que ça ?

_ De la nécromancie, répondit simplement Zuanlanor qui profita pour s'étaler le long d'un mur. Pour réussir à nous atteindre, le sorcier devait être extrêmement puissant. J'en ai affronté pendant l’avènement des nécromanciens durant la guerre civile Cintrïllienne. Ils ne peuvent mourir, et leur force est décuplée. Seules des lames d'argents peuvent définitivement les tuer.

_ Nous en avons ? S'enquit le suzerain.

La mine du roi haut elfe s’assombrit d'avantage, son silence était bien plus révélateur que n'importe quel discours. Après une minute de silence, Esleneus accepta la dure réalité.

_ Les guildes de Chasseurs d'ombres, nous les avons démantelé.

_ Ils étaient les plus compétents face au surnaturel, dorénavant nous devons faire face, seuls.


Alors que des beuglement inhumains résonnaient dans le couloir, le désespoir s'empara des derniers survivants du château. Mais au moins ils étaient toujours en vie.


Quand Taläsna arriva au second niveau, il aperçu un incendie dans la caserne, ainsi que des soldats en train de la fuir. « Endellën ! » Pensa Taläsna instinctivement. Il y accouru, alors que le tonnerre des canons reprenait sa symphonie de mort. Les créatures cauchemardesques envahirent le second niveau, des revenants horriblement mutés au-delà du reconnaissable. La vision d'êtres aussi immonde aurait fait renoncé n'importe qui d'autre, mais pas Taläsna. Le roi sylvain esquiva les abominations et les mutila atrocement, mais à chaque blessure infligée, cette dernière régénérait avant de se métamorphoser. C'était comme affronter un cancer, jamais il ne meurt vraiment. Malgré tout l'elfe parvint à se tailler un chemin, affrontant la marée à lui seul.


Il aperçu la porte de la caserne, grande ouverte, voir défoncée serait un terme plus exacte. Des traces de sang et de griffes recouvraient les murs. Le noble se saisit d'une torche abandonnée et entra précipitamment dans le bâtiment. Il faisait sombre, il semblait que les monstres ne l'avaient pas poursuivi. Plutôt une bonne chose, songea-t-il. Du plafond tombait des perles d'humidité, une odeur de charogne avait envahit la demeure. Les murs étaient recouvert d'un mucus visqueux, translucide, parsemée de veines noires. La corruption de Kaös avait déjà infesté les lieux. Ses pas faisaient un bruit humide, ses pieds collaient au sol. Plus il avançait, plus le bâtiment lui-même semblait prendre vie. Des visages humains torturés défiguraient les parois, poussant des râles d'agonie infinie. Des ossements zigzaguaient entre les pieds du souverain elfique, émettant régulièrement des craquements. Taläsna se rendait bien compte qu'il avait commis une terrible erreur en venant seul ici. Mais il ne pouvait se résoudre à abandonner Endellën. Il leva sa torche et aperçu une masse immense ramper mollement dans sa direction. Plusieurs voix s'en échappaient, poussant des gémissement de douleur perpétuels. Le bruit humide qui s'en échappait à chacun de ses pas laissait deviner l'horreur de cette chose. Par instinct, Taläsna se cacha derrière une porte, même s'il savait que les monstres de Kaös étaient omniscients. Une voix familière résonna parmi la multitude. Celle de Shu-Ukite :

_ Taläsna ! Aide moi !

Le maître sylvain se retint de hurler d'une main, il sentait les larmes monter à ses yeux. Le prince de Sintraë.

_ Maître Taläsna ! Je vous en supplie ! Sauveeeeez moi !

Les autres voix suppliaient également de l'aide, un cri de douleur continu, une cacophonie de folie. La santé mentale de Taläsna était sur le point de s'effondrer. Il savait qu'il avait lui-même achevé le prince de sa propre dague. C'était certainement une machination de ce perfide dieu noir, mais une partie de son cœur voulait sauver une dernière fois le jeune homme prisonnier d'un éternel tourment. Non ! Ce n'était plus Shu Ukite, c'était un monstre ayant emprunté son visage ! Taläsna s'éloigna de la porte, et la barricada en renversant un meuble dessus. Il était dans une armurerie. Une porte se dérobait au fond de la pièce, peut être une issue. Alors qu'il s'y dirigea, la voix du Sintraënnien résonna une dernière fois, avec colère :

_ Sauvez moi !

Le fracas résonna, la force de cette créature devait être colossale. Sans plus tarder il s'éloigna et entra dans un nouveau couloir, alors que la chose immonde se défoulait sur la porte en l'appelant par son nom.


Ce passage ressemblait d'avantage à un œsophage de géant qu'à un réelle couloir, les parois de chair palpitaient sous l'impulsion impie des énergies démoniaques. Taläsna craignait d'aller droit vers un estomac acide, mais il ne pouvait plus rebrousser chemin. Il s'engouffra dans le tunnel, mais au milieu de son parcours, des tentacules translucides jaillirent des murs, l'attaquant de toutes parts. Ils étaient venimeux, le contact avec ces derniers était extrêmement douloureux, Taläsna se débattit, les tranchant de sa Dyaladuil ou en les repoussant de sa torche. Soudainement, la porte de l'armurerie explosa. L'horrible mutant approchait lentement, mais la progression de Taläsna était aussi terriblement ralentie.

_ TALÄSNA !!! Cria la multitude de voix.

Le roi sylvain se retourna, et aperçu le colosse de chair. Un amalgame de cadavres, entremêlés et horriblement distordus. La vision d'épouvante qu'il eut lui retourna l'estomac, cette chose était aussi laide que grotesque, les viscères étaient mêlées à des tumeurs, les visages mouvaient horriblement sur le corps de cette créature. Chaque personne qui constituait cette abjecte chose suppliait, les cris de douleurs finissaient en sanglots. Le roi elfe sylvain sentit, au-delà de la douleur infligée par le poison des tentacules, un profond dégoût, juste envie de fuir le plus loin possible. Puis là, à la lumière de la torche, il reconnut, le visage défoncé du prince de Sintraë, des tentacules s'échappaient de sa plaie béante, qui s'était changé en mâchoire monstrueuse.

_ Taläsna ! Je vous en supplie, aidez-moi !

Le monstre progressait lentement, traînant sa masse et ses boyaux sur le sol. Pris de panique, l'elfe frappa les tentacules avec son épée, mais cela était vain, il était entravé dans ses mouvements. Alors il décida de se séparer du plan matériel, il vida son esprit de la douleur, de la peur et des choses matérielles. Il se concentra sur la foi en Fëalian, il rechercha sa lumière purificatrice. La flamme blanche divine. La gueule de Shu Ukite n'était plus qu'à quelques centimètres de sa tête.

_ DRAZIELDIR !

Une orbe de flammes aveuglante embrasa les appendices meurtriers, qui tombèrent instantanément en cendre. Le démon mort-vivant fut projeté en arrière, et se cabra de douleur.

_ IMPIE !!!! Hurlèrent les visages distordus sur le dos de la créature à l'unisson.

Le pouvoir divin ayant investi le sortilège était un anathème à la souillure de Kaös. Les parois atteintes par les flammes se liquéfièrent et laissèrent de nouveau apparaître la pierre des murs. Taläsna ne prit pas le temps de contempler les effets de son sort, il continua de traverser le couloir incendié. Il renversa une armure de chevalier sur son passage, ainsi qu'une étagère chargée de documents. Le monstre se tordait toujours de douleur, la fureur de Fëalian réduisait l'influence de Kaös dans le secteur. Cela n'allait pas le tuer, mais néanmoins Taläsna gagna suffisamment de temps pour s'enfuir.



Plus Taläsna rentrait dans les profondeurs de la garnison, plus les visions d'horreur étaient manifestes. Les murs étaient couverts de chair, des dents humaines avaient poussées sur le mobilier, d'énormes globes oculaires le fixaient à travers le couloir. Taläsna arriva dans la salle aménagée pour les blessés, elle était méconnaissable. Les corps des malheureux avaient fusionné en un seul stalagmite grimpant au plafond. Les membres des victimes gesticulaient mollement, les gémissements s'échappant de cette tour vivante faisait ressentir l'effroi dans toute sa superbe. Tellement de souffrance s'échappait de ce monument dédié à la douleur que Taläsna crut perdre la raison. Parmi les corps, il reconnut un visage, celui d'une femme elfe. Endëllen.

_ Endëllen tenez bon ! Cria Taläsna qui se jeta sur elle, il lâcha la torche et commença à saisir le corps de la jeune femme.

Elle était mêlée à la structure poisseuse, un sang purulent s'échappait à chaque accoue du roi elfe. L'Arc d'argent semblait reprendre connaissance, la demoiselle regarda Taläsna et sourit.

_ Vous êtes venu me sauver ?

_ Ne bougez pas, lui ordonna le valeureux guerrier des bois. Je vais vous sortir de là.

Enfonçant ses mains dans la structure répugnante, Taläsna ne prêta pas attention au bruit humide que faisait ses doigts s'enfonçant dans la matière visqueuse. Une odeur de décomposition monta à ses narines, les cris de douleur des autres occupants du pilier l'assourdissaient. Grâce à un éclair de lucidité, Endëllen prit parole.

_ J'ai échoué, messire. Je me suis laissée aveugler par la vengeance.

_ Vous avez l'occasion de vous racheter, voulut rassurer Taläsna qui passe une main sur sa joue. Vous allez sortir d'ici.

_ C'est trop tard pour moi, répondit la jeune femme. Je me suis laissé influencé par Kaös, vous ne pouvez plus rien pour moi.

Taläsna força de plus belle, des craquements d'os retentirent. Une humeur coula sur lui, mais il n'y prêta pas attention. Une émotion bien plus forte que le dégoût le poussait de l'avant. Un sentiment qui lui aurait fait pousser des montagnes.

_ Tu vas vivre Endëllen ! Je vais te sortir de là dedans, laisse-moi juste le temps !

Un craquement retentit, le bruit de la chaire qui se déchire, du sang s'échappait de la bouche de la femme elfe.

_ Laisse-moi Taläsna. Je sais ce que tu ressens pour moi, mais ne te laisse pas succomber.

Après un dernier effort, Taläsna fut soudainement projeté en arrière avec Endëllen dans ses bras. Il roula au sol, et après un bref instant il releva la tête. La lueur de la torche éclairait le corps de l'Arc d'argent. Du moins... ce qu'il en restait. Une cage thoracique et sa tête. Ne comprenant pas ce qu'il voyait, Taläsna monta au-dessus de la jeune femme elfe, qui lui renvoyait un regard plein de tendresse.

_ Nos vies ont plus de valeur que leur mort, dit avec douceur celle qui avait envoûté le cœur du roi. C'est la plus belle leçon que vous m'avez enseignée.

_ Non... non... Noooooooon....

Taläsna attrapa le visage d'Endëllen dans le creux de ses mains, en larmes, il posa son front sur le sien.

_ Je vais te sortir d'ici, reprit le souverain sylvestre. Je vais te sortir d'ici !

_ Regarde moi, je ne suis plus vivante. La seule chose qui m'anime est la volonté de Kaös, il veut me torturer, et toi aussi. Tu ne peux plus rien pour moi, va-t-en !

Refusant de voir la vérité en face, Taläsna serra fort le corps meurtrie de sa camarade, elle était froide. Il pleurait, il caressa les cheveux de Endëllen.

_ Je vais te sauver ! Murmura Taläsna remplit de chagrin.

_ Alors fait le, chuchota-t-elle à son tour.

Par réflexe, Taläsna approcha sa bouche de celle d'Endëllen, et l'embrassa, longuement. Toute sa souffrance, tout son chagrin, mais aussi tout son amour, en un seul baiser. Des bruits de pas retentirent dans le couloir.

_ TALÄSNAAAAA ! Hurlait la voix monstrueuse de Shu Ukite.

_ Je t'aime, avoua Taläsna à Endëllen.

_ Je t'aime, répondit la jeune femme en lâchant une larme.

Taläsna se releva, saisit sa torche et s'éloigna de quelque pas. Il leva une main en direction de sa bien aimée, puis incanta.

_ Drazieldir, drazar Endëllen en yrthil !*

La flamme purificatrice de Fëalian enveloppa le corps des restes de la jeune femme, qui par force, resta silencieuse et se laissa consumer par le dernier acte d'amour de Taläsna.



*Flammes blanches, brûlez Endellën avec amour.





Alors que Taläsna essuyait ses larmes, le colosse de chair apparut, il était horriblement brûlé, mais toujours vivant. Le visage de Shu Ukite ne se résumait plus qu'à un crâne à moitié brûlé. Après avoir achevé son amour, Taläsna devait en finir avec son protégé. Ce dernier sortilège avait épuisé sa magilith. Il ne pouvait espérer faire usage du Dyala contre l'horrible mutant. Il leva son sabre, et se mit en garde.

_ Pourquoi tu me fais mal ? Demanda Shu Ukite. Pourquoi tu es méchant ?!!

Le bras difforme de la créature était composé de plusieurs corps enroulés ensemble. Il se balança en direction de Taläsna qui se baissa pour l'esquiver, un pilier à côté de lui s'effondra. Sans hésitation, Taläsna le transperça, et profita de son élan pour lui sectionner un grand morceau de chair. Un sang vicié coula sur le sol, un miasme fétide s'en échappa. Le monstre se saisit sa blessure et beugla furieusement :

_ Pourquoi tu m'attaques ? Je croyais que nous étions alliés !

Le colosse cracha un liquide noir en direction de l'elfe qui s'abrita derrière la colonne de chair. Les malheureux ayant fusionné avec le monolith hurlèrent quand leurs visages se liquéfièrent.

_ Tu as juré de protéger mon père, et tu as échoué !

Le colosse chargea à travers le pilier, et le réduisit en charpie, mais le roi sylvestre avait déjà profité pour le contourner et lui sauter dessus. Il lui planta son épée dans la masse de corps mouvants, puis la retira avant de bondir pour esquiver un appendice monstrueux.

_ Tu as juré de me protéger, et tu as aussi échoué ! Vociféra Shu Ukite d'une voix discordante.

Taläsna esquiva une nouvelle attaque, une frappe massive vers le sol qui le fissura. Après une roulade, l'elfe sautilla et chercha un angle d'attaque. Il réalisa qu'en plus d'être potentiellement immortel, Shu Ukite était un formidable adversaire qui ne laissait aucun angle mort. Chacune des parties de son anatomie était conçue pour tuer, et contrairement à ce que laisse penser sa masse pesante, ses réflexes dépassaient celui des simples mortels.

_ Et maintenant tu cherches à me tuer ! Honte à toi, Taläsna !

Ne se laissant pas déstabiliser, le roi chargea, sauta en prenant appuie sur son bras monstrueux et le sectionna à l’atterrissage. Par chance, il détenait une Dyaladuil, son arme hors du commun pouvait blesser ce genre d'abomination. Le monstre saisit son moignon et hurla de douleur de ses multiples têtes. Le guerrier en armure d'argent s'éloigna, prenant des distances de sécurité.

_ Je suis désolé, dit finalement Taläsna en contemplant la forme grossière lui faire face. Je voulais te protéger, et j'ai tout fait pour. Mais dorénavant tu n'es plus qu'une abomination du Grand Ennemi, et c'est avec chagrin que je vais mettre à terme à tes souffrances.

Le colosse grogna, saisit son bras et se le regreffa, il se rattacha en un éclair. Shu Ukite s'avança, et ses viscères se changèrent en armes vivantes, des fouets tranchants claquant dans les airs. Le roi sylvain tourna sur lui-même, esquivant la multitude d'attaques, et para avec son épée les fouets mortels. Il en trancha plusieurs au passage, contourna la bête et lui infligea une nouvelle blessure sur le flanc. Son sang poisseux coula sur le sol, mais la plaie se referma instantanément.



Cette fois-ci, malgré sa réactivité légendaire, Taläsna ne put pas esquiver le nouveau coup qui le projeta contre un mur. Il sentit ses os craquer, une douleur atroce envahit son dos. Il tenta de se relever alors que le monstre s'approchait de lui, mais ses efforts étaient vains. Il se rendit compte que son omoplate avait été disloqué. La terreur l'envahit quand l'amalgame de chair le dominait, ouvrant la gueule béante de Shu Ukite d'où s'échappaient une dizaine de tentacules.

_ Tu as échoué ! Hurla Shu Ukite en plongeant vers Taläsna.



Taläsna ferma les yeux. Il était aveuglé par un éclat blanc majestueux. Le mur derrière lui s'effondra et un géant d'écailles apparut devant ses yeux. Il était bien plus grand et massif que le mort-vivant. Son souffle de flammes blanches purifia la chose grotesque, réduisant sa forme immonde en cendres. Les hurlements des corps tourmentés furent emportés dans le torrent de feu, la créature royale déploya ses ailes et hurla :

_ Par la volonté de Daös, soit bannis, immonde rejeton de l'Enfër !

Il souffla une nouvelle fois, plus intensément, et l'abomination fut anéantie en un rien de temps. Encore aveuglé par son aura divine, Taläsna se masque les yeux, et le vit. Dranoss, le capitaine de la garde draconique, était victorieux. Sa marque divine de Daös brillait son sur épaule, la chaleur du gardien de la vie l'auréolait de gloire. Le dragon tendit une patte vers l'elfe et lui dit :


_ Messire Taläsna, venez, nous avons des vies à sauver !

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