La prophétie du roi déchu: Le seigneur oublié
Chapitre 27 : L'Espoir renaît
Déambulant dans les couloirs, ce dernier avait encore la sensation du fouet sur son corps, mais la douleur était supportable. Il transportait une coupe de fruits, ainsi qu'un livre. Nardel monta les marches de la tour en colimaçon, et arriva devant la vieille porte en chêne. Personne ne l'avait suivi... Il entra les clés dans la serrure, et entra dans la chambre. Le mobilier était renversé, les livres déchirés, les tableaux détruits. Ilada était assise en boule dans un coin, nue, la tête sur les genoux, se balançant nerveusement. Nardel referma vite derrière lui, déposa les fruits sur la table basse encore intact. Il aperçut le médaillon au sol.
_ Que fais-tu là ? Demanda l'elfe noire. Je pourrais te tuer si la malédiction refait surface.
Le jeune homme ne répondit pas, il saisit le talisman et s'approcha de celle dont il avait la charge de protéger. Il lui sourit, mais ses yeux étaient chargés de tristesse.
_ Vous devriez le reprendre, le stress n'est pas bon pour le bébé.
Hésitante, le femme elfe finit par attraper le médaillon et le remettre autour du cou. Elle resta silencieuse, un silence que respecta le jeune serviteur en ne l'interrompant pas. Finalement, ce fut Ilada qui engagea la conversation :
_ J'ai été stupide de l'enlever... Je me sens si bête.
_ Ce n'est pas de votre faute, répondit Nardel en prenant place à ses côtés. C'est de la mienne... jamais je n'aurais dû dire ces horreurs. Je vous ai blessé malgré la mission qui m'a été donnée. Si quelqu'un est à blâmer, c'est uniquement moi.
Le rouquin regarda en face, un portrait qu'avait commencé à peindre Ilada représentait sous des traits grossiers Galro. Elle avait encore beaucoup à apprendre, mais elle progressait vite.
_ Je te demande pardon Ilada. Galro m'a parlé avant son départ, il tient à toi, plus que tout au monde. Il désire cet enfant, il désire l'élever avec toi. Mais... il reste un noble, une figure religieuse, un dirigeant. Il a des devoirs, tout comme moi, et il doit s'en acquitter. S' il avait le choix, il t'aurait épousé sur le champ. C'est moi qui lui ai suggéré d'épouser la princesse Mélénia.
Sur ces révélations chocs, le regard de son interlocutrice se durcit. Elle avait la gorge serrée. Elle demanda :
_ Pourquoi ? Pourquoi tu lui as dit de faire ça ?
Les yeux de Nardel s'humidifièrent, il contempla la lune à travers la grille du plafond. Intérieurement, il pria pour le pardon.
_ Je l'ai fait... car j'avais mal... J'avais mal qu'il ait jeté son dévolu sur toi. Je suis jaloux, pour un tel serviteur de Dieu que moi cela est une honte, mais je ne contrôle pas mes émotions. Je suis jaloux parce que tu as tout ce que je désire...
Il tourna sa tête vers la femme de Galro. Il poussa un rictus de chagrin, tout en tentant de préserver le sourire.
_ Tu as son attention. Tu attises ses désirs. Tu as son enfant dans ton ventre. Tu as son amour. Toutes ces choses que je n'aurais jamais.
Il tendit une main vers la joue d'Ilada, et frotta du bout de ses doigts sa peau douce. Ses lèvres tremblaient.
_ Sois heureuse Ilada, je te souhaite tout le bonheur du monde.
Le jeune garçon commença à se relever, mais la main puissante mais délicate de la jeune femme le retint. Elle lui fit face, et le força à s'asseoir avant de se jeter dans ses bras. Impuissant, Nardel répondit à cet élan de tendresse. Tous les deux pleurèrent.
Au sein du temple de Daös, le grand garde dragon se réveilla en sursaut. Malgré sa carrure massive, il marcha parmi ses fidèles sans émettre le moindre son.
_ Où allez-vous ? Demanda une voix dans les ténèbres.
Faiblement éclairé par la lueur lointaine des bougies, Dranoss distingua néanmoins Taläsna adossé au mur. Il tenait des béquilles, de nombreux bandages étaient visibles sous sa couverture qui lui couvrait ses épaules.
_ Vous devriez vous reposer, sire Taläsna, votre corps a encore besoin de récupérer.
_ Je ne peux...
Taläsna détourna le regard, sans sa grande natte, ses cheveux lui couvraient en partie son visage maigre. Ils étaient si longs qu'ils tombaient jusqu'au sol. Il avait une piètre allure, lui qui avait l'habitude d'épater de par simple prestance. L'élu de Daös lui dit :
_ Je connais très bien le visage que vous voyez dans vos rêves.
_ Vous voyez mes rêves ? Demanda Taläsna avant de réaliser l'évidence. C'est vrai, vous êtes un Marqué.
_ Ce n'est pas de l'espionnage de vos songes, rassura le grand guerrier en se dirigeant lentement vers lui, faisant attention où il mettait ses pieds. Daös me montre ce que je dois voir, et il m'a montré une merveilleuse vision ce soir.
Le son de la guerre traversait faiblement les épais murs de la cathédrale. Le siège continuait son cours.
_ J'espère que c'est une assez bonne nouvelle, dit l'elfe. Assez bonne pour oublier que dehors nos hommes meurent, sans aucun appuie, sans aucun support.
_ Nous avons remporté une victoire, proclama à voix basse le chevalier dragon. Un nouveau Marqué à vaincu Kaös, il est à la tête d'une immense armée.
_ Un nouveau Marqué ?! S'exclama le roi sylvain qui baissa ensuite le ton après avoir constaté qu'il avait poussé trop fort le volume. Un Marqué ? Qui est-il ?
_ Celui qui saigne pour les autres. Il est avec une légion scintillante arborant le Phénix.
Les yeux de Taläsna s'illuminèrent instantanément. Une expression de joie se figea sur son visage la première fois depuis le début du conflit.
_ Galro ? Il doit être à la tête des croisés de l'Ordre. Il a tenu son serment !
_ Néanmoins, reprit Dranoss, ils doivent faire face à de nombreux défis. Kaös le pernicieux a été déjoué en ce jour, mais il réserve encore de nombreux pièges. Mais je sens de nouveau la flamme vacillante de mon dieu en moi.
Le grand dragon rouge se pencha vers Taläsna pour lui faire face. Il le plongeait dans l'ombre de par sa taille, mais ses yeux brillaient dans les ténèbres.
_ Le nouveau Marqué est toutefois fragile. Daös doit partager sa place en lui avec Fëalian, ceci est inédit. Deux dieux pour un seul individu peut se révéler être trop lourd comme fardeau. Il risque de perdre pied avec le monde des mortels, un tel lien avec la spiritualité peut le faire sombrer dans la folie. Le Grand Démon peut profiter de cette faiblesse pour en prendre possession.
_ Quelle ironie, songea Taläsna, Galro qui n'a jamais vénéré ni Daös ni Fëalian est devenu sans le savoir un hérétique. Cela pourrait s'avérer problématique si son culte venait à savoir qu'il a été choisi par des entités païennes.
_ Pourtant il devra se convertir, reprit le dragon. Il devra apprendre et être éduqué selon nos dogmes. Être choisi sans travailler ses dons peut s'avérer fatal, surtout dans ce cas précis. Imaginez un seul instant un être doté de pareils pouvoirs sous la coupe de notre ennemi, nous devons déjà affronter les cinq spectres, un sixième pourrait sceller notre tombe.
Taläsna médita aux paroles du capitaine reptilien. Comment convaincre un Étalen à abandonner sa foi en sa divinité pour une autre jugée païenne. D’autant plus que Galro devait être le Prophète d’après ses derniers rapports, cela bousculerait les mœurs de sa nation toute entière. Connaissant son ancien apprenti, le convaincre sera tout sauf facile. Mais si Dranoss avait raison, si Galro était affublé non par une, mais deux Marques, il courait un grave danger. Un être aussi malveillant que Kaös n’hésiterait pas une seconde à tenter de prendre possession de son âme. L’idée d’affronter un sixième général des Enfërs le terrifiait. Galro ne devait pas tomber entre les serres du maître de la guerre. Il leva les yeux vers le colosse d’écailles, il déclara:
_ Je formerai Galro à la foi de Fëalian, il m’a déjà eu en tant que professeur de magie, il m’écoutera.
_ Je crains que ce ne sera pas aussi facile que ça, décréta le dragon. J’ai vu en partie son futur, il sera chamboulé. Le temps jouera contre lui, il joue d’ailleurs déjà contre nous.
_ Comment ça ? demanda Taläsna surpris de la réponse de son gardien.
_ J’ai vu un nouvel adversaire. Ou plutôt devrais-je dire: un ancien adversaire. Kaös est redoutable, mais peut être vaincu. Dans la vision que j’ai eu, un quatrième dieu naîtra, le dieu de la mort.
Cette nouvelle bouleversa Taläsna. Un quatrième dieu ? Cela était inconcevable, un nouvel être divin était à naître ? Cela n’était plus arrivé depuis la chute de l’ancien monde. De surcroît, un dieu de la mort. Kaös est déjà un formidable adversaire, un ennemi de plus mettrait le monde à genoux. Alors que Taläsna contourna le grand dragon, le reptile déclara ceci au seigneur sylvain:
_ Vous savez, vous avez raison.
_ Raison de quoi ? demanda le roi des bois.
_ De garder espoir. C’est bien l’Espoir qui nous sauvera, il est la clé de tout. L’Espoir nous sauvera.
Bien loin au sud, dans les contrées montagneuses et indomptées de Sintraë, à la ville de Shalis, l’armée de Galro sonna l’heure du réveil. Beaucoup avaient noyé la peine des pertes dans l’alcool, d’autres avaient festoyé la victoire avec une bonne bouteille, tous avaient leurs raisons. Beaucoup étaient encore courbaturés de la veille. Galro admira ses armées depuis la pagode purifiée. Il fut rejoint par Warda.
_ Nous reprenons la route, déclara le commandant. Malgré cette victoire, le travail est loin d’être fini. Nous avons encore plus d’engeances à occire, ce combat n’était l’équivalent que d’un apéritif.
_ J’ignore ce qu’est un apéritif, avoua l’elfe noir, mais j’ai conscience du chemin qui nous reste à parcourir. J’étais venu pour te remercier.
Le chevalier blanc se retourna, levant la tête pour croiser le regard du guerrier sombre. Il était heureux que son ancien rival soit son allié dorénavant, un elfe noir pouvait être un atout considérable. De plus, un élu de Dieu lui-même.
_ De quoi souhaites-tu me remercier ? Demanda l’homme accoudé à la terrasse.
_ De m’avoir exorcisé. J’ai vu de mes propres yeux ce Kaös, en même temps que toi. Il me terrifie.
_ Il nous terrifie tous, dit Galro. Veux-tu renoncer ? Je comprendrais.
_ Absolument pas. Cette bataille m’a ouvert les yeux, une pareille abomination ne doit surtout pas atteindre Lindilla, elle incarne tout ce que je déteste.
_ Attend … ? Tu as dit… Lindilla ? Tu la connais ?
L’elfe noir entra dans un profond mutisme, comprennant qu’il en avait trop révélé. Il se retourna mais Galro l’obligea à lui faire face.
_ Tu connais Lindilla ? Réponds !
Hésitant, Warda finalement regarda en face le seigneur des paladins, plongeant ses yeux rouges dans les yeux bruns.
_ Je l’aime. C’est la raison de pourquoi j’ai rejoint la bataille d’Alès. Je voulais sauver son frère, Taläsna.
Le choc fut immense pour Galro, il revit le visage flamboyant de la jeune elfe sylvaine. L’imaginer dans les bras de cette brute de Warda était inenvisageable. Mais d’un autre côté, ce jour-là, sur la montagne de Léondia, aucune autre raison que l’amour l’aurait poussé au combat, il n’avait rien à faire là.
_ Je la connais aussi, avoua Galro. Je l’ai connu étant enfant. Je dois avouer que son choix me paraît surprenant. Mais tu dois bien le savoir… elle est promise au fils de Zuanlanor.
_ Je le sais déjà. Mais l’amour que je lui porte va au-delà de ces principes. Peu m’importe si je l’épouse ou pas, je lui serais fidèle, dans son ombre, je combattrai même le Grand Ennemi en personne pour elle.
_ Tu sais… le Phénix est un animal puissant qu’il faut domestiquer… Domine ton cœur, il vaut mieux savoir ce qui est bon pour toi. Suis cette voie et seule la déception t’attendra.
Warda lâcha un hoquet de rire, toisant l’ancien paladin avec amusement.
_ Pas étonnant que tu me tiennes ce discours. Toi, qui prétend être adepte du cœur, tu as renoncé à ce dernier pour avoir une armée.
Il quitta la terrasse, laissant seul Galro ruminer sa colère. Mais au fond, il le savait, il avait pénétré l’âme de Warda, il avait ressentit toutes ses émotions durant son voyage dans la Marque. C’était certes un rustre inculte, mais lui n’avait pas renoncé à son amour. Galro, lui…
Tilbar contourna le guerrier massif, il se dirigea vers Galro. Il était paniqué.
_ Votre Flamboy… Votre Altesse… Non… Commandant suprême ?... Je ne sais plus, nous sommes attaqués !
_ Encore ?! S’enquit Galro. Par qui ?
_ Plutôt par quoi, ce sont des vouivres. Tout un essaim, ils viennent de l’ouest, en grande bande.
Encore un subterfuge de Kaös ? Le Grand Ennemi était réactif, mais en s’engageant dans la croisade, le chevalier de Dieu savait qu’il ferait face à un puissant adversaire. D’un pas décidé et preste, il rejoignit ses troupes et organisa la défense de la ville. Des ombres menaçantes s’approchaient. Des ombres… ailées. Est-ce que le grand Dément pouvait manipuler la volonté des bêtes sauvages ? Il était bien capable d’influencer les Gnolls, nul ne connaissait les limites d’un pareil dieu. Les croisés prirent position sur les murailles, arcs encochés, ils tremblaient de terreur face au nombre de vouivres dominant la cité. Dorénavant elles survolaient la ville en formant des cercles concentriques. Les rugissements des volatiles géants firent trembler même le plus vaillant des orques. Leurs écailles étaient noires pétrole, les épines dorsales rouges vif, d’autres latérales étaient noires, contrastant avec la bande blanche séparant le dos du ventre des bêtes. Galro invoqua le pouvoir de sa lame, s’attendant à user de la punition divine contre les agents de la corruption. Deux créatures majestueuses plongèrent droit vers le Commandant suprême, au pied du temple, et atterrirent avec fracas. Aveuglé par la poussière, les paladins restants se masquèrent le visage pour ne pas inhaler la poussière. Lorsqu’ils rouvrirent les yeux, la vouivre énorme hurla de rage sur la bande de chevaliers blancs, des filets de bave coulait de sa gueule garnie de crocs luisants. S’attendant à devoir faire face au monstre, les paladins se mirent en posture, prêt à réceptionner la charge de la bête. Le démon à écailles baissa la tête, et par-dessus ses omoplates… Un samouraï masqué brandit son arc en direction de Galro.
_ Un seul envahisseur est suffisant, dit la voix étonnamment fluette du guerrier. Partez sur le champ, ou nous réduirons votre bande de barbares, pillards et autres monstruosités en cendre !
Galro regarda le chevalier céleste Sintraënnien, il analysa la situation. Il était clair qu’ils n’étaient clairement pas en situation favorable. Il ordonna à ses guerriers de baisser les armes et jeta sa dyaladuil au sol.
_ Nous nous rendons !
La vouivre approcha sa gueule du visage de Galro, son haleine fétide témoignait de la viande crue fraîchement ingérée. Le guerrier des montagnes ordonna au second cavalier céleste, un samouraï massif armé d’un kanabo de descendre de sa monture. Le soldat Sintraënnien était aussi grand que Warda, et possédait un ventre rond, son armure donnait la sensation d’un boulet de démolition. Son masque possédait un long nez moustachu et des crocs blancs.
_ Qui est votre Tokaï ? Demanda l’inconnu.
_ Toquoi ? Demanda Tilbar à son supérieur.
_ Chef ! Répondit Galro à son acolyte. Si tu suivais mieux les cours d’histoire ça te serait utile ! Je suis le Tokaï de cette armée.
L’archer tenait toujours en joue Galro alors que le samouraï obèse s’approcha de lui, portant sa masse d’arme sur son épaule droite. Ce dernier ria et déclara:
_ Vous les Étalens n’avaient aucune gêne. Nous affrontons déjà les adeptes de l’arbre noir, et comme des rapaces sur un carcasse, réclamez déjà votre part de nos terres.
_ C’est faux ! Répondit haut et fort Galro. Nous ne venons pas réclamer vos villes.
Celui toujours sur sa monture baissa son arc, et scruta judicieusement chaque membre de cette assemblée. Derrière les paladins, les dominant de leurs statures, Garak et sa bande ainsi que Warda regardaient attentivement la vouivre vorace.
_ Pourquoi combattez-vous sur nos terres alors ? Demanda le guerrier à la voix aiguë, toujours sur ses gardes. Vous êtes accompagnés d’orques et d’un yokaï, je vous pensais du côté du grand Maléfique.
_ Nous servons Dieu tout puissant, reprit Galro. Nous haïssons Kaös tout autant que vous, nous sommes en croisade.
_ Nous vous avons vu capturer cette ville aux griffes des Gnolls, dit le samouraï obèse. Nous tenons des embuscades aux adeptes des ténèbres, mais ils les déjouent une à une, ils ne nous laissent aucun répit. Pourquoi êtes-vous en terre de Sintraë ? Êtes-vous ennemi ?
_ Nous sommes des alliés, proclama Warda en s’avançant.
Le gros guerrier arma sa masse, et intima au “Yokaï” de reculer.
_ Il vaut mieux que tu laisses les grands discuter, décréta Tilbar en saisissant l’épaule de l’elfe noir. Il n’y a pas que les paladins qui te détestent.
Le cavalier céleste encore à dos de créature descendit prestement de sa monture, et enleva son casque. Une longue chevelure d’ébène soyeuse, une peau pâle comme la neige, des yeux en amande d’un noir profond, des lèvres teintes en violet, une femme d’une beauté incroyable se révéla au grand jour. Elle s’avança jusqu’à Galro, elle lui arrivait à peine au niveau du cou, mais grâce à son autorité elle lui fit poser genoux à terre, elle lorsqu’elle tendit la main, l’ancien Prophète embrassa son sceau de l’Ours sur ses doigts.
_ Je suis Uthana du clan de l’Ours, femme de l’ancien Tokaï de Shalis, maîtresse du mont Cuivre.
Tilbar resta raide quelques instants, il ouvrit et ferma la bouche sans que mots n’en sorte. Warda ne comprit pas la réaction du Septième, il montra son désarroi à Nurtag, qui lui répondit amusé à voix basse:
_ C’est un truc de grands. Il est en train de tomber amoureux.
La gardienne de la montagne ne fit pas cas de Tilbar, elle ordonna à Galro de se relever. Le Commandeur de la croisade prit parole.
_ Ravi de vous rencontrer. Je suis Galro, Commandant suprême des osts d’Étale.
_ Je connais votre réputation, avoua la guerrière.
_ J’en suis flatté…
_ Vous êtes arrivé au pouvoir après avoir assassiné votre prédécesseur et cédé votre cité aux nains sans résistance.
La honte monta à la figure de Galro. C’est ainsi que le monde le voyait ? Comme un traître ? Il ne montra pas sa colère, il préféra contourner le problème.
_ Je préfères dire que j’ai sauvé l’Étale d’une destruction totale. C’était soit ça, soit la fin de l’Ordre.
_ Ne vous inquiétez pas. Vous n’auriez manqué à personne.
Warda pouffa de rire, Galro ne le calcula pas, même s' il s’imagina corriger ce vaurient ingrat plus tard. Galro desserra son col et reprit:
_ Nous avons été appelés par la Guiogne, j’ai fait le serment en devenant Prophète d’un jour rembourser mes dettes, c’est ce que je fais. En témoignage de notre bonne volonté, la ville est à vous.
La noble regarda la ville en ruines, tandis que le le gros guerrier ôta lui-même son casque, révélant un crâne nu, un visage joufflu et un homme plein de vie. Sa peau luisait, certainement la sueur.
_ Quelles sont vos ordres ? votre Tokaï. Demanda le colosse affichant un grand sourire. Nous les écrasons ?
_ Non. Ils peuvent nous servir. J’avoue que la prise de cette ville est un beau cadeau, messire Galro. Mais notre nation est assiégée, et vous n'avez vaincu qu’une avant-garde. La Colère dirige les troupes du Démon sur notre territoire, les orques noirs sont bien plus forts que de vulgaires canailles charognardes. Où sont passés vos fameux paladins phénix ?
Galro resta silencieux, la mine s’assombrit. Tilbar resta planté, ce fut finalement Warda qui prit la parole:
_ Tués par le démoniste. Leur sacrifice a été héroïque.
Uthana ria, la moquerie blessa profondément les paladins, Galro encaissa le coup. La Sintraënnienne regarda Galro en essuyant une larme, s’adressant au chevalier.
_ Pour tuer un misérable mendiant, vous avez sacrifié tous vos généraux ? Et vous comptiez sauver la Guiogne des armées des Enfërs ? Sans vouloir vous blesser, quoique je m’en moque, regardez vos exploits et le coût de ces derniers ! Vous n’êtes pas capables d’affronter Kaös, aucun de vous !
L’ego de Galro fut drastiquement affecté, il est vrai qu’il espérait une victoire facile contre les Gnolls, et finalement il a plus perdu que gagné. Si de simples adeptes du maître des ténèbres leurs tenaient tête, serait-il ne serait-ce que capable d’affronter ses véritables osts ? Alors que Galro se sentait misérable, Warda prit parole sans demander l’autorisation.
_ Nous avons remporté une victoire. Êtes-vous capables d’en dire autant ?
Le regard de la jeune femme se durcit, elle s’adressa à Galro avec colère.
_ Dites à votre toutou de se la fermer. Ses postillons me sont une insulte !
_ Tokaï… reprit l’obèse. Je n’ai pas envie de vous contredire, ce yokaï est une offense, mais… il n’a pas tord.
Galro retourna son regard vers la guerrière, elle était nerveuse. Timidement, il demanda délicatement:
_ Vous avez remporté des victoires ?
La reine du mont Cuivre hésita, elle garda le silence, la tension grimpait. Mais acculée, elle avoua:
_ Non… Nous avons toujours été vaincus. Nous vivons comme des nomades, obligés de fuir nos forteresses, une à une. C’est la première fois que nous pouvons poser pied à terre depuis des semaines.
Galro regarda Warda d’un air satisfait, pour la première fois il était fier de son acolyte elfe noir. Le guerrier sombre croisa les bras triomphalement. Le chevalier à la cape d’or prit un ton rassurant, il s’adressa à Uthuna.
_ Rejoignez-nous ! Avec l’aide de vos hommes, nous pouvons faire vaciller l’Arbre Noir.
La femme, hésitante, vit que Galro lui tendait une main. Elle ne put retenir une larme, le chevalier comprit alors qu’elle avait vu des atrocités innommables.
_ Je les ai tous perdus, dit-elle d’un ton mélancolique. Mon mari, mes fils, mes filles, mes hommes… Ils ont tous sacrifié leur vie, parce qu’ils croyaient qu’il y avait de l’espoir. Ne soyez pas fou, retournez vos talons, il vaut mieux pour vous.
_ Et pourquoi faire ? Demanda Galro. Pour vivre un jour de plus ? Attendre la mort sans rien faire ? Abandonner tout ce qui est beau ? À quoi beau survivre sur une terre aride sans âme ? Kaös ne nous épargnera pas même si nous nous rendons. Il y a des combats qu’il faut mener, car si nous les refusons, seule la ruine nous attend.
_ J’ai vu le grand Dragon Noir de mes propres yeux, commença Warda en s’avançant vers la Tokaï.
Le samouraï en surpoid le barra la route, mais sa cheffe l’appela par son nom, Tubë, et le garde le laissa passer. Le guerrier sombre s’approcha lentement de la noble, il était imposant, mais émanait d’une aura délicate.
_ Je l’ai affronté, avec Galro, au sein de ma propre âme. Alors qu’il me possédait, j’ai ressentis toutes les souffrances de mon existence en même temps. Je pensais succomber à la folie, mais je l’ai affronté, Galro m’a délivré de son emprise. Kaös peut être vaincu. Si un vulgaire elfe noir comme moi a pu lui résister, vous en êtes aussi capables.
Il tendit à son tour la main, une étrange émotion se lut sur le visage blanc de Uthuma. De l’admiration, de la surprise, de… la foi. Elle tremblait, mais d’un élan sincère, il approcha ses doigts du gant de métal, et finit par saisir sa main timidement. Elle se mit à pleurer, et finalement se blottit contre le démon.
Galro regarda stupéfait la scène, l’elfe noir avait réussi là où il avait échoué. La femme regarda droit dans les yeux Warda, suppliante.
_ Je vous en prie yokaï… délivrez-nous du Mal !
Le guerrier sombre resta silencieux, mais cela ne fut que plus révélateur quand il saisit la tête de la pauvre guerrière et qu’il la plaqua contre son torse. Voyant sa cheffe faire confiance au géant d’ébène, Tubë sonna dans son cor et les autres vouivres atterrirent, les cavaliers posèrent le pied pour la première fois sur un sol meuble depuis longtemps. Galro se tourna vers Tilbar et ordonna de se reposer une nuit de plus.
_ Nous devons continuer de marcher ! S’écria Tilbar.
_ Nos nouveaux alliés sont exténués, laissez-les se reposer. Nous veillerons sur eux.