La prophétie du roi déchu: Le seigneur oublié

Chapitre 30 : Frapper fort

5743 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 08/12/2025 12:12

Chapitre 30: Frapper fort







Lindilla était en train de se brosser les cheveux alors qu’un serviteur vint à elle. Elle posa le peigne de Taläsna et demanda à son valet:

_ Qui me demande audience ?

_ Le prince d’Ilurina, le fils de Zuanlanor,  Elandir. 

Son sang ne fit qu’un tour un bref instant, elle eut une pression énorme dans la poitrine. Elle saisit à deux mains le peigne délicat et le déposa sur le rebord de son bureau, face au miroir. 

_ J’arrive. Faites-le patienter dans la salle du trône, je n’en ai que pour un bref instant. 

_ Bien, votre Majesté. 

L’elfe valet quitta la pièce, laissant seule la princesse à ses tourments. Elle lui avait semblé avoir ressenti un profond trouble en elle. Warda… Il était en danger ! Non ! Idiote ! Il était mort ! C’est elle-même qui avait demandé son exécution. Mais… Elle pouvait sentir une lame brûlante traverser son ventre. S’il avait survécu, et elle le savait capable de telles prouesses, quelles épreuves était-il en train d’affronter ? “Pas étonnant ! Il est Galaran, il m’a empoisonné et dupé pour me blesser encore plus profondément !”. Le prétendu amour qu’il lui portait n’était qu’un vile mensonge, ses rapports étaient clairs. Depuis la disparition de son amant, les elfes noirs avaient fui les forêts, le calme était revenu. “Aucun doute, Warda EST le prince noir !”. Ou du moins, l’était si les guerriers de Taläsna avaient accompli la mission assignée. Puis lui vont un flash, l’odeur de sa sueur, son corps aux muscles saillants, l’ébène de sa peau tatouée, ses yeux rouges d’une infinie tendresse… Elle sortit de sa léthargie, se leva et rejoignit la salle du trône. 


Là, dos à elle, un elfe mâle discutait avec ses gardes. Il avait une longue chevelure aux couleurs du soleil, finement lissée, un diadème d’argent posé dessus. Il était grand, élancé, élégant, les broderies de son costume bleu impeccable étaient tissées d’or et d’argent fin, une longue corde rouge l’encerclait, nouée délicatement, retenant le fourreau de sa longue épée courbée. Le prince avait par-dessus son épaule une demi-cape rouge, l’insigne de la lignée royale brodée dessus. L’homme élégant se retourna, un visage fin, des yeux d’un bleu océan, les courbes de ses pommettes sculptées par la divinité Faëlian elle-même… Le choc fut immense, sa majesté d’Ilurina rivalisa aisément avec les anges en termes de beauté. Même Lindilla ne fut pas totalement insensible aux charmes du prince. “Ressaisis toi ma grande !...” 

_ Ah ! Bonjour… princesse Lindilla.

Là !... Sur ces paroles, son cœur cessa de battre. Une vive émotion la transperça. Elle fut immobile quelques instants… Ces quelques mots faillirent la faire chavirer. Elle se reprit, et répondit avec hésitation:

_ Bonjours… Prince Elandir…

Il était un rayon de soleil perçant les ténèbres, sa grâce aurait rendu jaloux même les plus belles princesses. De par sa simple présence, il aurait fait chavirer n’importe quel cœur. Warda… Elle avait bien fait, elle avait troqué un fourbe pour un homme de bien. Elandir reprit la discussion, s’adressant directement à Lindilla. 

_ Ainsi je rencontre la fameuse sœur de Taläsna, la réputation de votre famille n’est plus à démontrer, votre lignée possède les plus belles femmes de votre race. Venons sur le balcon, nous avons beaucoup à discuter. 

_ Oui… Bien sûr…

Les deux elfes marchèrent côte à côte, rejoignant le balcon ouest. Lorsqu’ils sortirent, la vue était superbe. L’arbre de la lignée de Taläsna était non seulement le plus vieux, mais aussi le plus grand. Un chêne datant des débuts des elfes sylvains. Il surplombait tous les autres, nulle ombre pouvait le cacher du soleil. Sauf une… celle du nord…

_ Nos pairs combattent en ce moment-même, songea le prince. Soyons forts pour eux.

_ Taläsna… se surprise Lindilla à dire à voix haute, inquiète pour son grand frère. 

_ Avec lui et mon père aux commandes, Kaös ne peut gagner. Zuanlanor a repoussé trois invasions durant sa vie, nul ne peut se vanter d’un pareil palmarès. Stratégie, tactique, diplomatie… il m’a tout enseigné…

Lindilla se retourna vers son promis, Elandir reflétait de sa chevelure les rayons du soleil. Il était majestueux. Il était un rayon de lumière bienvenu dans ces temps sombres. Elle avait du mal à admettre… mais c’était un excellent prétendant. Peut-être même le meilleur. Le jeune prince l’invita à saisir sa main délicatement, ce qu’elle fit. De cet homme ne transpirait qu’une immense confiance, une rare délicatesse, une sagesse peu commune. “Taläsna a raison, songea Lindilla. Je dois l’épouser”. 


_ Unissons nos forces, dit Elandir. Unis, nous régnerons sur Natal. Nous, le peuple des elfes unis, soumettrons ces races inférieures, puis nous bâtirons un monde meilleur !

_ Soumettre ? Demanda brusquement Lindilla en écartant sa main. Vous voulez soumettre qui ?

_ Les autres royaumes ! Les hommes, les dragons, et ces pathétiques nains sans magie. Notre règne sera glorieux !

Jusque là, le jeune homme semblait prometteur. Mais sur ces paroles, Lindilla douta. Elle se rappela de Galro, elle refusait de le voir enchaîné. Elle ne répondit que par son agacement, elle repartit vers sa chambre. Au loin, Elandir lui dit d’une voix puissante:

_ Ma reine, vous comprendrez bientôt les bienfaits d’une telle alliance !



Au milieu du carnage, Garak frappait de toutes ses forces sur les engeances malveillantes. Il n'avait jamais rencontré d 'adversaires aussi forts. Il faillit à de multiples reprises perdre la vie.  Du sang noir visqueux lui sauta au visage, le goût était terriblement amer. C’était le goût de la Guerre. Après avoir décapité un soldat des ténèbres, il se tourna vers Dourgen.

_ As-tu vu Nurtag ? Demanda le seigneur orque qui reprit le combat immédiatement.

_ Non Garak ! Il doit être au cœur de la mêlée le connaissant !

_ Et toi Brentark ? Où est passé ce fichu bourrin ?! 

Brentark venait d’exécuter une de ces pâles copies d’orques en lui tranchant la tête, il vit son chef par-dessus la cohue et hurla:

_ Non messire ! Je suis bien trop occupé à tenter de ne pas mourir ici !

Nurtag n’aurait jamais osé abandonner aussi longtemps son meilleur ami, Garak était inquiet. Aucune montagne, aucune armée n’était assez puissante pour l’empêcher de le retrouver. Malheureusement pour lui, le roi des orques n’eut guère de temps à philosopher sur la disparition de son bras droit, il plongea encore et encore son épée dans la horde impie. “Combien sont-ils ?” Peu importe les pertes, les rangs ennemis ne semblèrent pas diminuer. Au contraire, la marée d’orques noirs sembla les submerger. De rage et de désespoir, Garak hurla, menant un combat terrible contre les cohortes du Malin. 

_ Nous avons vaincu leur général, dit Warda qui s’appuya sur un muret. Pourquoi n’abandonnent-ils pas ?

_ C’est mal connaître l’Archi Némésis, répondit le seigneur des croisés. Ses soldats ne sont pas que de la simple piétaille, d’après nos récits, le dieu noir prend possession de chacun d’entre-eux. Les orques noirs n’ont aucune volonté propre, aucun de ses serviteurs d’ailleurs. Ils reçoivent les ordres directement du seigneur du Mal, ils ne battent jamais en retraite, sauf pour frapper plus fort ailleurs. 

_ Frapper plus fort ailleurs…

Warda regarda la vallée, elle se resserra en goulot d’étranglement. De chaque côté de celle-ci, les falaises dominaient les armées au cœur des ruines. Frapper plus fort ailleurs… Voilà une idée plaisante ! Warda se retourna vers Galro, pointant du regard son arme.

_ Tu peux encore l’utiliser ?

_ J’ai utilisé le plus gros de mes forces pour te sauver la vie, ce ne serait pas raisonnable que j’emploie encore Grandal. 

_ Mais peux-tu le faire ?

Hésitant, Galro fixa son rival. Il ignorait son plan, mais il savait Warda assez créatif. Il saisit une fiole de magilith à sa ceinture et la bu. Infecte ! Il essuya du revers de son gantelet ses lèvres, il sentit la chaleur du pouvoir investir ses veines. 

_ Généralement, il nous faut éviter de boire plus d’une fois de la magilith par jour. Grâce à toi j’en suis à ma deuxième, j’espère que ton plan en vaut la chandelle !

_ Ces falaises ! Désigna Warda de son doigt. Tu peux les faire tomber sur l’armée ennemie ? 

_ Peut-être, je n’ai jamais employé Grandal au maximum de son potentiel. Mais je ne sais pas si avec une telle distance je serai suffisamment puissant. 

_ Il nous faut alors une vouivre, pour te rapprocher !

Galro grimaça, il n’aimait guère ce plan. Surpris par sa réaction, Warda lui demanda.

_ Qu’est-ce qu’il y a ? C’est notre meilleure option !

_ C’est que… Je ne suis pas à l’aise avec le vide…

_ Attends ! Tu es en train de me dire que toi, Galro le grand Commandant Suprême des croisés de l’Ordre, a le vertige ?

Le chevalier en armure regarda le ciel, les nuées de dragons noirs et de vouivres le tétanisèrent. Devait-il vraiment rejoindre un pareil chaos ? Il finit par avouer:

_ Je n’ai jamais volé à dos de vouivre ! Et là-haut nous allons juste nous faire becter par le premier dragon noir venu ! Dis-moi que t’as un autre plan, je refuse de monter sur une de ces hérésies ailées !

Warda donna une tape sur l’épaule de Galro, avant de lui-même tomber genoux au sol, se tenant sa blessure.

_ J’aimerai bien faire, mais je ne suis ni en état ni capable d’employer une pareille arme. Tu es le seul apte à sauver tes hommes !

Avec ses dernières forces, il siffla aussi fort qu’il pu. Un cavalier vouivre fit demi-tour, allant à leur rencontre. Il reconnut Uthuna. 

_ Vous l’avez réellement vaincu ? Demanda-t-elle surprise. Vous êtes incroyables !

_ Je ne t’ai pas appelé pour des flatteries, avoua Warda qui se posa le dos contre le muret. Tu pourrais faire monter Galro sur ta monture pour atteindre les falaises ?

La Sintraënnienne regarda fixement le chef des croisés, elle poussa un rictus désapprobateur. 

_ Je préfererai avoir toi, l’elfe noir, je me sentirais plus rassurée !

_ Tokeï Uthuna ! Répondit le guerrier sombre agacé. Je monterai avec toi autant que tu voudras après la bataille, mais là je te demande d’aider Galro à provoquer une avalanche sur les rangs ennemis ! Je ne suis pas en état de grimper !

La grande Tokeï Uthuna Uhura fixa le chevalier blanc, ce dernier hésita et se tourna une dernière fois vers l’elfe noir.

_ … Tu es certains ? Elle a peut-être raison…

_ Ta gueule ! Hurla Warda agacé. Tu ne vas pas te faire dessus alors que nous venons d’occire l’un des Spectres ! Soit un homme et monte !

Le seigneur des paladins s’approcha de la monture d’écailles sous les menaces de son acolyte. La vouivre remonta ses babines, elle-même ne semblait pas l’apprécier. “Au moins nous sommes deux à ne pas aimer ça !”. Il posa son pied sur l’étrier et grimpa sur l’encolure du reptile. 

_ Serrez-bien vos harnais ! Ordonna la Tokeï. Et évitez les nœuds ! Vous ne voulez pas tomber quand nous serons à trois cents mètres au-dessus du sol !

Obéissant malgré lui, Galro resserra bien chaque sangle autour de sa taille et ses jambes, il saisit la cavalière par la taille en fermant les yeux et dit:

_ Allons-y Tokeï !

_ Vous me serrez trop fort !

Elle claqua de ses rênes et la vouivre décolla subitement, déployant ses immenses ailes. Alors que Galro hurla de terreur, à bout de forces, Warda ferma les yeux et perdit connaissance.


Galro se souvint pas d’avoir autant hurlé durant toute sa vie, il était tétanisé de terreur. La Tokeï se moqua de lui alors qu’elle évita de justesse une créature de l’Obscur.

_ Une vraie fillette ! Tous les Étalens sont aussi trouillards ?

_ Oh la ferme ! S’écria Galro profondément blessé dans son orgueil. Amène-moi là-haut ! 

_ À vos ordres… Princesse !

Agacé, Galro dégaina son arme. 

_ Naërden neral der ter Aridanmar, Grandal !*


Crépitant d’un pouvoir antique, Grandal se mit à briller, la foudre divine prête à frapper. À la vue de l’arme magique, les dragons noirs tournèrent leurs regards avides vers le seigneur de l’Ordre. 

_ Impie ! Murmurèrent les dragons de concert avant de hurler. IMPIE !

Kaös comprit le plan de Galro, il devait l’en empêcher. Les démons ailés partirent à la poursuite de la vouivre d’Uthuna. Elle esquiva les assauts des monstres inferniens, les crocs claquèrent à quelques centimètres de leur visage. La Tokeï se retourna vers Galro, lui demandant au milieu des charges draconniques:

_ Qu’attendez-vous ?! Repoussez-les avec votre arme enchantée !

_ Je ne peux pas ! Hurla le maître des paladins. Je dois préserver mes forces, je n’ai droit qu’à deux coups !

Uthuna esquiva les crocs des bêtes monstrueuses, mais l’une d’elle, une énorme monstruosité lui fondit dessus. Son ombre engloutit les deux cavaliers… Mais de nulle part, une vouivre téméraire la percuta de plein fouet, on pouvait entendre les cris terrorisés de Tilbar sur le dos de l’héroïque créature. Galro n’eut pas le temps de réaliser ce qui s’était passé qu’Uthuna claqua de ses rênes, ils prirent de l’altitude. La falaise, elle était proche, mais Galro devait être sûr de son coup. Il éveilla son pouvoir miraculeux, les éclairs crépitèrent, il déchaîna le pouvoir de Grandal sur la pierre… Mais un dragon s’interposa à la dernière seconde, ce dernier éclata sous la puissance de la foudre. 

_ MERDE ! S’exclama Galro, il sentit soudainement son propre sang chauffer, il atteignait ses limites. 

Les reptiles du Mal encerclèrent les deux preux héros, ils s’apprêtèrent à fondre en nuée sur la monture de la Tokeï, mais une bande de cavaliers célestes vint à leur secours, Tilbar souffla dans le cor à s’arracher les poumons. 

_ Repoussez les dragons noirs ! Protégez la Tokeï !

Les monteurs de vouivres se ruèrent sur les créatures démoniaques, plusieurs bêtes à écailles tombèrent au milieu de la mêlée en contrebas après avoir perdu la vie. Shuy, la vouivre de la Tokeï, cracha son torrent de feu contre un adversaire volant, la fumée aveugla momentanément Galro. Il se masqua le visage de son avant bras, il se sentit plus vulnérable que jamais. 

_ Nous devons recommencer la manœuvre ! Retournez à la falaise !

_ Ils sont trop nombreux ! Hurla Uthuna pour se faire entendre par dessus le vacarme du combat. Il faut créer une diversion !

Une diversion ?! Laquelle ? Galro lui-même ignorait ce que le dieu noir pourrait désirer plus que leur mort. Il eut une idée, mais elle était ridicule. Mais il fut à court d’options. Le Grand Dément voulait détruire Grandal, et Galro portait aussi l’anneau d’argent du Chasseur d’ombres, il rengaina Grandal et défit son anneau de son doigt. 

_ Portez la !

Il posa sa bague dans le creux de la main de la Tokeï, elle tourna son regard inquiet vers Galro qui défit ses sangles.

_ Qu’est-ce que vous faites ? Vous allez tomber crétin !

_ Justement, faites-moi confiance ! 

La samouraï esquiva une gerbe de feu, Galro pencha sa tête vers le vide sous leurs pieds. Les soldats semblèrent minuscules d’ici. Si son plan ratait, il s’écraserait comme une crêpe.  Mais… Il avait la Foi. Il savait que Dieu l’avait béni, tout comme Warda, il pouvait le faire. Il bondit de la selle, la Sintraënienne hurla son nom alors que Galro plongea d’entre les nuages. Une grande peur l’envahit, il savait qu’il venait de commettre une énorme erreur. Les hordes de dragons noirs poursuivirent Uthuna, son plan marcha, la bague dû émettre un pouvoir divin qui les attira. Mais à ce moment-là, il tomba, il se dirigeait droit vers le sol, mais… Une patte le rattrapa, Galro leva les yeux et aperçut une monture de Sintraë. Le samouraï dessus se pencha, voyant surpris le seigneur de l’Ordre. 

_ Messire ?! Qu’est-ce que vous trafiquez ? 

_ Emmenez moi à la falaise, si les dragons noirs vous poursuivent, lâchez-moi !

_ Quoi ?! Mais vous êtes devenus fous ! 

_ Obéissez !



D’abord, d’infinies ténèbres, puis la lueur des flammes du champ de bataille l’éclaira. Warda se mit à marcher au milieu des ruines, il voyait des silhouettes blanches enflammées affrontant des ombres aux yeux rouges. Il entendit les échos du combat, les râles d’agonie, les cris de rage. Ce monde surnaturel, il savait ce que cela signifiait, il était au sein de la Marque. Il constata sa propre enveloppe charnelle étalée sur le muret, c’était lui-même dans un profond sommeil. 

_ Le voilà dans un sacré pétrin ! Proclama haut et fort la voix de Raon. 

Warda se retourna et aperçut le forgeron fixant le ciel. À ses côtés, Hélène le fixa d'un regard dur.

_ Ton combat n’est pas fini, champion. 

_ Je n’ai plus de forces, répondit Warda. Je suis inconscient, comment suis-je supposé me battre ?!

_ La force, reprit la femme aux allures mystiques, tu en possèdes davantage que tu ne le crois. 

_ Tous les combats ne se mènent pas au fil de l’épée, reprit Raon qui tourna la tête vers son fils. Ton ami est en danger, tu dois l’aider.

Une lueur, au milieu du ciel, brillait plus fort que les autres. Une présence colossale, un pouvoir antique. L’elfe noir plissa les yeux, il reconnut l’homme.

_ Galro ? Pourquoi brille-t-il autant ?

_ Il a acquis une partie de tes dons, répondit Hélène en s’avançant vers Warda. Tu lui as donné ces dons, car vos destins sont intimement liés. 

_ Moi je lui ai donné mes dons ? Pourquoi aurais-je fait ça ?! 

_ Tu connais la réponse, reprit Raon.

Warda repensa au mont de Léondia, à la mine d’Aleyss, il est vrai qu’ils étaient ennemis à cette époque. Mais depuis, cet homme qu’il haïssait tant n’était plus le même. Ce même paladin qui avait juré vengeance l’avait sauvé face à Kaös lui-même. Le contact sur la colline, quand Galro lui toucha l’épaule, la sensation électrique, est-ce que sa Marque savait à ce moment-là que Galro deviendrait son plus grand allié ? Peut-être que le Warda du futur savait des choses que lui-même ignorait ? Il regarda le ciel, des créatures immondes aux regards de feu encerclèrent le Maître de la foi. 

_ Comment puis-je l’aider ? 

_ La réponse n’est pas comment, dit la présence déguisée en Hélène. Tu es capable, avec ta Marque. Change le destin !

_ Tu dois croire, reprit Raon. Croire en nous, mais plus important, croire en toi. Rattache-toi à ta flamme.

Toutes ces flammèches, toutes ces ombres, Warda se sentit comme lié à chacune d’elles. Il remarqua Garak dans la mêlée, un orque noir était dans son dos. Il ne l’avait pas remarqué. Mais sur le flanc de cet adversaire, un rescapé tenait une lance. Alors… Warda guida cette lance et transperça le rejeton de l’Arbre Noir au dernier moment. Le seigneur orque se retourna et remarqua le frêle guerrier tenant sa pique, il le remercia. Un autre soldat, isolé, allait se faire tuer par un coup de bardiche, alors Warda saisit cette flamme et para le coup à sa place. 

_ Tu commences à comprendre, dit satisfaite Hélène. Tu es lié à chacun d’eux, car nous sommes liés à eux. Sauve les ! Sauve les tous !

Warda retourna son regard vers le ciel, il s’avança au milieu de ses parents. Chacun d’eux posa sa main sur son dos, il sentit leurs présences en lui, dans sa Marque. Il sentit leur force, leurs espoirs, leur Foi. 

_ Tiens bon Galro !

Un ombre ailée fondit sur la vouivre qui tenait le chevalier, alors Warda tendit sa main vers l’une des créatures de Sintraë et la lança à pleine vitesse contre le serviteur du Mal. Instinctivement, il fit lâcher les serres de la vouivre en possession de l’ancien paladin, mais il en guida une autre pour le rattraper au vol. Au cœur du maelstrom céleste, deux yeux de flammes le fixèrent, un défi lancé par le souverain des ténèbres. Il aperçut ses immenses griffes saisir un dragon noir et l’orienter vers Galro. Mais l’élu divin orienta cinq vouivres, au plus grand étonnement de leurs cavaliers, intercepter la bête maudite.

_ Tu commences à être à l’aise, dit Hélène toujours concentrée, mais reste sur tes gardes, le Grand Ennemi a plus d’un tour dans son sac. Soit prêt à tout !

Le souverain maléfique étendit son obscurité jusqu’aux canons en arrière ligne, il fit pilonner les rangs des croisés. Warda, en réponse, balaya son bras devant lui, il fit esquiver autant de soldats qu’il put. Certains furent fauchés, mais un grand nombre se ressortirent indemnes, toujours abasourdis du miracle. En riposte, Warda guida les archers, il fit voler leurs flèches sur les orques maudits qui tentèrent de les contourner. Bien qu’il n’eut jamais assisté à de spectacle, il ressemblait à un chef d’orchestre menant une symphonie. Mais pas le temps de se reposer, le maître des ténèbres guida cinq ombres volantes en direction de l’escadron détenant Galro. Alors, Warda tendit ses doigts, chacun d’eux prit contrôle d’une vouivre qui prit en prit en tenaille les vils dragons de l’Obscur. Puis il les dispersa lors de la riposte de Kaös.



Galro hurla à plein poumon alors que sa vouivre le lâcha de nouveau, mais un reptile sintraënnien le rattrapa sur son dos, de toutes ses forces il s’accrocha à l’épine dorsale rouge. Lui-même ignorait comment son plan stupide pouvait marcher, il semblait que les Sintraënnien travaillaient de concert pour le sauver in extremis à chaque fois. “Qu’est-ce qui m’a pris ?”  songea Galro en panique. Alors qu’il glissa, une autre vouivre le saisit délicatement dans sa gueule, le menant jusqu’aux rebords de la falaise. À son plus grand étonnement, les cavaliers célestes, pourtant en sous-nombre, prirent l’ascendant sur les serviteurs maléfiques. C’était sans nul doute l’intervention de Dieu en personne. Alors qu’un dragon noir fondit sur le reptile, il le balança en arrière, mais le Commandant Suprême fut immédiatement récupéré au vol par la queue d’une nouvelle vouivre. Comment ces bêtes étaient capables d’une telle coordination ? C’était surnaturel ! Un orage rouge illumina le champ de bataille, Galro était proche du but. 


L’objectif, il était à portée, Warda focalisa toute son attention sur ce moment précis. Il réveilla le pouvoir de la Dyaladuil et saisit le bras de Galro. Prenant possession de son corps, il fusionna avec sa conscience.


Grandal manifesta son énergie bien avant que Galro n’incante les mots magiques, et contre toutes attentes son bras agit de lui-même, empoignant son épée. Il sentit une présence dominante en lui. Un bras puissant le guida. “Dieu, Coeur, donne moi la force !”. Galro dégaina son arme, il fut jeté en l’air, il prit de l’élan. Deux dragons noirs tentèrent de l’intercepter une nouvelle fois, mais les vouivres les plaquèrent violemment. Alors qu’il n’était plus qu’à quelques mètres de la falaise rocheuse, Galro récita la formule divine, et un nouveau monstre de Kaös s’interposa. Plus le temps ! Le chevalier plongea sa lame dans le cœur de la vile créature, et au moment de percuter la dite falaise, il relâcha complètement le pouvoir de Grandal. Un éclair gigantesque aveugla tous les belligérants, la détonation fut assourdissante, Galro fut projeté en arrière, tombant dans le vide inconscient. 


Un avalanche gargantuesque commença à couler vers les rangs de la légion maudite. Alors que Galro plongea à vive allure vers le sol, un reptile noir l’attrapa. 


À ce moment précis, comme guidés par un instinct collectif, toute l’armée de Galro recula, les soldats de l’Obscur furent engloutis par un mélange de neige, de boue, de glace et de roche. Les canons, les orques noirs, les ignobles mutants, tous furent écrasés par l'éboulis. Les occupants du Mont Fer sortirent de la forteresse et prirent en étaux les derniers combattants restants, l’effort combiné des Croisés et des Sintraënniens vint à bout des reliquats de l’armée noire. Le souverain du sud contempla une dernière fois le champ de bataille, son grondement résonna une dernière fois avant que les nuages ne se dispersent. 


Warda était à bout de souffle, il vit le dieu noir quitter la vallée, vosciférant menaces et promesses de mort. Ses parents enlevèrent la paume de leurs mains de leur enfant, ils sourirent quand ce dernier se retourna. 

_ Bien joué mon enfant ! Déclara Raon. 

_ Ton pouvoir peut être grandiose, reprit Hélène. Fais en bon usage. 

_ Merci à tous les deux ! Vous nous avez sauvés !

_ Non… dit Raon en s’approchant de Warda en même temps qu’Hélène.

Ils se serrèrent dans leur étreinte, la chaleur rassurante de leur feu emplit Warda de joie. 

_ Tu les as sauvé. Ceci est ton miracle, nous n’avons fait que te donner un petit coup de pouce, mais ce pouvoir est le tiens. Soit leur guide, chasse mon frère de cette terre. 

Les parents s’éloignèrent dans d’infinies ténèbres sur ces paroles, puis Warda fut rappelé à son corps. 


Lorsque Warda se réveilla, il aperçut un colossale reptile se poser à ses pieds, le monstre approcha sa gueule de son visage… et le lécha. Couvert de bave, Warda eut juste le temps de repoussa la vouivre d’une main. Lorsque la bête baissa son encolure, Tilbar descendit accompagné d’un samouraï tenant Galro dans ses bras. Le Septième constata le fourreau vide de son maître. 

_ Il a encore perdu son épée …

Non loin, Uthuna se posa avec Shuy, elle retira son casque et descendit avec précipitation. Elle se jeta sur Warda et le serra fort dans ses bras. 

_ Nous avons réussi ! Nous avons vaincu l’Archi Némésis !

_ Doucement…


Après quelques gifles, Galro ouvrit les yeux, son corps entier fut endolori. Il sentit Tilbar le saisir dans ses bras, tout en le traitant de tous les noms d’oiseaux. 

_ Pourquoi t’as fait ça idiot ! Tu as pris des risques inconsidérés !

_ Dieu est avec moi…

_ Quoi ?! C’est quoi le rapport ?

Galro sourit, et toussa quelques instants avant de reprendre.

_ Dieu ! Je l’ai vu à l'œuvre, il a contrôlé les vouivres ! Sa main guide mes pas !

_ Et c’est moi qui dois arrêter la boisson ! Viens avec moi, nous devons prendre soin de toi maintenant, nos hommes recherchent ton arme. 

Galro fut emmené en brancard, de nombreux blessés étaient à déplorer. Au milieu d’eux, Warda se faisait inspecter par les médecins du camp. Sur bien des aspects, Galro lui avait sauvé la vie, mais cette blessure lui laissera  une profonde cicatrice. Un Sintraënnien en armure s’approcha, il était richement orné d’argent et portait sur ses flancs deux katanas dans des étuis blancs. Uthuna, aux côtés de l’elfe noir, se leva et s’inclina face à l’homme imposant. Le guerrier sombre se tourna vers lui et pencha la tête en signe de respect.

_ Un elfe noir… dit l’homme portant un masque de félin. Cela fait longtemps que je n’en ai plus vu.

Il enleva son casque, il découvrit un visage marqué de nombreuses cicatrices, il avait des cheveux gris et une barbe naissante, témoins de ses nombreux jours de combats. Il avait les yeux clairs, fait étonnant pour son peuple, et un regard sévère. 

_ A qui ai-je l’honneur ? demanda Warda en s’adressant à Uthuna.

_ Le dernier Chasseur d’ombres actif. Ikimito, le gardien du sanctuaire. 

Le guerrier des montagnes s’agenouilla devant Warda, posa ses sabres à ses pieds et s’inclina respectueusement. 

_ Merci de nous avoir sauvés ! S’exprima-t-il. De la part de tout le Mont Fer, merci ! Pour exprimer notre immense gratitude, veuillez accepter de dormir au sein de nos murailles, des héros tels que vous méritent toute l’hospitalité de notre peuple. 

Surpris d’être vénéré comme héros d’un peuple entier, Warda ne sut comment répondre à une telle offre. Face à sa confusion, Uthuna répondit à sa place.

_ Ils acceptent votre offre. Le clan de l’ours offre ses épées aux vôtres. 

Ikimito se releva, Uthuna se pencha et offrit ses lames au dernier chasseur d’ombres. L’homme accepta le cadeau et sourit à la Tokeï du clan de l’Ours. 

_ Je ferai bon usage de votre présent. 

Il se retourna et les offrit à Warda. 

_ Nous vous rejoignons dans la guerre ultime. J’ai eu un camarade comme vous, il était excentrique mais fut un compagnon exceptionnel !

_ Vous avez eu un ami elfe noir ? demanda Warda surpris. 

_ Lui et ses amis furent une famille pour moi. Nous avons voyagé et vaincu grand nombre de cultistes de Kaös dans ma jeunesse, mais ce fut avant d’être dissous. Dans la nature les membres de votre espèce peuvent être de redoutables menaces, mais faites-en des alliés et ils ne vous lâcheront jamais. 


Ces paroles rassurèrent Warda, ce fameux Ikimito sembla sage à ses yeux, il n’avait rien à craindre de lui. Escortés par les gardiens du Mont Fer, les croisés rejoignirent le fort du Sanctuaire. 




Du haut de la verte colline, Datral admira la capitale d’Étale. Il y était arrivé, il était arrivé au Temple. Il se retourna vers son nouvel allié, il pointa du doigt la direction de la cathédrale.

_ Voilà messire ! J’ai tenu mon serment ! Ai-je regagné ma liberté ?

Le prince des ténèbres s’avança, se masqua les yeux des rayons solaires, la cité l’aveugla de sa radiance. Des murailles blanches, une ville immense, une garde renforcée. Sa prise serait difficile. Mais cela ne fit pas reculer le souverain du peuple déchu, il eut un rictus de satisfaction. 

_ Oui, tu l’as regagné. Rejoins tes semblables !

Le misérable quitta son sauveur, il s’élança vers la cité de Dieu, un assassin s’approcha de son maître et lui tendit une arbalète. Le fils de l’Ombre saisit l’arme et y installa un carreau. Alors que l’ancien paladin phénix accourait, il entendit un sifflement, un projectile transperça une branche à côté de lui. Il tourna son regard stupéfait vers le prince noir.

_ Que faites-vous ? Vous m’avez rendu ma liberté !

_ Effectivement, tu es libre. Fuis nous et va rejoindre tes semblables… dans la tombe.

Comprenant la trahison de Galaran, le pauvre fuyard courut plus vite, mais s'emmêla les pieds dans une racine et trébucha. À ce moment-là, un second carreau vola au-dessus de lui. Un trentaine de mètres les séparaient, une sensation d’horreur l’envahit. Il se releva et s’élança de nouveau, tandis que Galaran réarma son arbalète. Datral n’était qu’un jouet à ses yeux, le vieillard tituba encore et encore, guidé par son instinct de survie. Il était à portée de vue d’une tour de guet. Il appela à l’aide, mais aucune réaction, il continua de courir. Un carreau le frôla, lui déchirant l’épaule. 

_ Sauvez-moi ! Je suis Datral, paladin phénix de l’Ordre, sauvez-moi !

Il tendit une main vers la tour, elle fut transpercé par un projectile. Il jeta un regard en arrière, il n’y vit que la végétation, mais le regard de l’elfe noir ne le quitta pas, terré dans l’ombre. Un garde sortit de la tour, avec espoir d’être secouru, Datral hurla une dernière fois, s’élança une dernière fois, puis… Il fut transpercé par l’arrière de la gorge jusqu’à la bouche, il s’écroula dans les hautes herbes. Il disparu de la vue des gardes, ces derniers furent convaincus de n’avoir entendu qu’un oiseau. Datral, proche du but, finit par se noyer dans son propre sang. 


Galaran rendit l’arme à son acolyte, il tira une immense satisfaction à cette partie de chasse. Mais son œuvre ne faisait que commencer, il comptait bien s’emparer de la cité, pour tout y brûler.



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