LE MERCENAIRE

Chapitre 8 : En route !

3706 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/08/2025 11:10

Polack ne remarqua pas précisément l'instant où la cueillette s'acheva, mais il prit soudain conscience qu'il se trouvait seul avec Jo au milieu de la clairière. La position du soleil au zénith indiquait midi, mais l'astre lui-même s'entourait désormais d'un halo de nuages – pas encore véritablement menaçants, mais annonciateurs d'un changement de temps imminent. 

Des rafales de vent, brèves mais particulièrement mordantes, s'infiltraient insidieusement sous leurs vêtements et soulevaient par endroits de fins tourbillons de neige depuis le sol gelé. Les signes ne trompaient pas : la météo, jusqu'alors clémente, se dégradait rapidement. Il était grand temps de quitter les lieux et chercher un refuge avant que les éléments ne se déchaînent véritablement.


Polack se hissa sur le dos de sa monture et, avec Jo qui le suivait de près, au lieu de prendre le chemin du retour, commença plutôt à longer la lisière de la forêt, s'éloignant progressivement du village et, par conséquent, du château des Runs. Le ciel s'assombrit rapidement et des flocons épars qui tombaient du ciel avec nonchalance furent bientôt rejoints par d'autres bien plus pressés. En peu de temps, la neige se mit à tomber abondamment, effaçant les empreintes laissées par les chevaux des voyageurs.


Jo dut élever la voix pour couvrir le hurlement du vent qui s'intensifiait inexorablement :

— Un Mass, vous êtes vraiment un Mass ! Vous avez demandé de nous planquer et Dieux des Cimes y ont pourvu ! Tout comme dit !


Bientôt la progression devint plus laborieuse, même les robustes montures éprouvaient des difficultés à se frayer un passage parmi les congères qui s'amoncelaient. Les compagnons ralentissaient et finirent par s'arrêter, cherchant un abri, qu’ils finirent par trouver sous les branches tombantes du pin le plus proche. 

Ce résineux se dressait tel un véritable colosse sylvestre, arborant un tronc massif et tortueux. L'espace abrité sous sa canopée dense formait une véritable cathédrale naturelle, si spacieuse que les deux voyageurs et leurs montures pouvaient s'y installer confortablement.

Les branches supérieures, entrelacées en un dôme protecteur, créaient une barrière efficace contre la neige, donc l'idée d'allumer un feu de camp pour se réchauffer ne semblait pas si incongrue. La fumée pourrait s'échapper entre les branches, tandis que la chaleur resterait emprisonnée sous la voûte. 

Les fugitifs ne tardèrent guère à établir leur campement. Ils conservèrent les selles sur leurs montures, espérant que l'intempérie serait de courte durée. En revanche, le feu qu'ils allumèrent et nourrirent de branchages desséchés et de pommes de pin ramassés au sol s'avéra des plus opportuns, voire salvateur. Les ramures s'imbriquaient si densément que l'espace en dessous se réchauffa très rapidement.


Polack eut bientôt assez chaud pour se défaire de son manteau. Jo à son tour se délesta de son blouson. Ils prirent place autour du modeste brasier vacillant, puis le Sergent sortit quelques victuailles ainsi que la bouteille de cervoise et engagea la conversation :

— Jo, combien de temps faudrait-il pour nous rendre jusqu'à la ville la plus proche qui n'est pas sous le contrôle des Runs ?

— Qui appartient pas aux Runs ? C’est Rosalia. Eh bien, avec nos chevaux, trois à quatre heures. En vapomobile, moins d'une heure, et en motovap... - Joseph plissa rêveusement les yeux - une demi-heure tout au plus...


« Vapomobile, cela doit être l'engin que j'ai aperçu l'autre jour dans la cour, songea Pollack, mais la motovap, ne s'agirait-il pas d'une moto ? ». « Je veux ! Je veux ! Je veux ! », geignit la petite voix intérieure du sergent, qui durant sa jeunesse vouait une passion à la vitesse et à sa Honda, laquelle n'était peut-être pas du modèle le plus récent mais demeurait rapide et impeccablement entretenue.


— Bon, poursuivit Polack, puisque nous devons nous déplacer à cheval, et je ne suis pas un cavalier hors pair, comptons environ quatre heures de trajet, plus le temps que nous passerons à l'abri de la tempête. Espérons d’y arriver avant le crépuscule. Profitons, pour l’instant, de cette pause forcée pour manger un morceau, changer un peu notre apparence - cette ville est assez proche du domaine des Runs et nous risquons d'être identifiés. Il nous faut également peaufiner notre légende...

— Nous allons conter des légendes, s'exclama Jo, visiblement enthousiaste, tout en s'installant plus confortablement et mordant dans le pain qu'il tenait à la main.

— Non, gros bêta, La légende c'est une histoire de couverture, c'est ce qu'on racontera si on nous interroge : notre identité, où nous allons, d'où nous venons… Ce genre de choses... Et il serait préférable que nos versions concordent.

Jo le fixa avec des yeux écarquillés, ce qui fit penser à une chouette à Polack qui dut se retenir de rire, et murmura presque :

— Mais vous êtes Clotaire Runs et moi Joseph le palefrenier. Vous êtes anésique mais ça, vous vous en souvenez ? Clotaire Runs et Jo...

— Plus maintenant, prononça solennellement Polack en retenant un rire inapproprié dans ces circonstances. Je serai Polack Ziemianin.(1)

En voyant le regard éberlué de Jo, il se corrigea :

— Non, c'est trop long et difficile à prononcer, je serai Polack Zemian et toi, je te nomme Sancho Zemian, mon stupide petit frère...

— Je ne suis pas Sacho, commença Jo avant de s'interrompre. 

Puis, avec un sourire et les yeux brillants de larmes, il se jeta au cou de Polack. 

— J'ai un frangin ! J’ai un frangin ! Je suis si heureux ! Tu peux même m'appeler Sancho ! Et je t'écouterai toujours, toujours, toujours... enfin, presque…

Polack n'eut pas le courage d'expliquer que tout ceci n'était pas pour de vrai, mais juste un conte pour les curieux. Cela aurait été aussi cruel que d'arracher un bonbon à un enfant. Il soupira donc et poursuivit :

— Nous sommes les fils, disons, des marchands de vins ambulants...

— Nan, intervint Jo. Les marchands de vins sont riches, ils ont des boutiques, ils n'ambulent pas... Nos parents sont plutôt les colporteurs de petites choses : aiguilles, dentelles, clous, vis...

— Bien vu, mon cher frère, bien vu. Alors les marchands de mercerie itinérants. Ils sont partis au printemps en tournée et ne sont jamais revenus dans notre village, qui est très, très loin au sud...

— Près des Montagnes Noires, ajouta Joseph.

— Près des Montagnes Noires et le village se nomme... 

Polack réfléchit un instant et ajouta prudemment :

— Il se nomme Paris et se trouve près d'un ruisseau, la Seine...

Il observa attentivement son interlocuteur et, ne voyant aucune trace d'étonnement sur son visage, poursuivit :

— Alors inquiets, nous avons pris nos chevaux et sommes partis à leur recherche...

— Nan, protesta Jo, nous allons à Gardenia pour déposer la demande de recherche chez les Aquêteurs.

— Les Enquêteurs de sa Majesté, soupira l'ex-sergent, mais tu as raison, c'est plus plausible. Donc, résumons : Je suis Polack Zemian, étudiant à l'Académie Militaire. Je retourne à Gardénia, pour rejoindre mon alma mater, et j'en profiterai pour soumettre une demande de recherche de mes parents aux Enquêteurs de Sa Majesté. J'emmène mon petit frère avec moi, ne voulant pas le laisser seul à la maison. Ce voyage lui permettra également de se renseigner sur les conditions d'admission pour la prochaine rentrée à l'école de...

— De mécanique et des communitions, je veux m'occuper des motovaps..., murmura l'adolescent, avec cette légère incrédulité de quelqu'un qui n'ose pas croire à sa chance.

— ... À l'école des Moyens de Communication, articula ostensiblement Polack. Nous avons aussi amené nos chevaux, car personne n'aurait pu s'en occuper après notre départ. Ça semble coller... Quant à notre apparence..., avec tes cheveux roux, nous ne pourrons rien y faire pour le moment, cependant...

— Mais si nous pouvons en faire, j'ai vu juste à côté...! s'exclama Jo. 


Et malgré les cris de Polack, « Où tu vas ? Reviens imbécile ! », il sortit de sous les branches protectrices. Il revint un quart d'heure plus tard, quand le sergent eut largement le temps de s'inquiéter et fut même prêt à se lancer à sa recherche, les bras chargés de fougères d'une teinte violacée assez improbable pour un végétal. Avec un grand sourire il annonça :

— J'ai trouvé !

Ensuite, il accomplit un geste que Polack jugea vraiment étrange : il froissa et humidifia les feuilles de fougères avec de la neige et les disposa autour de sa tête, veillant soigneusement à recouvrir entièrement ses cheveux, avant d'envelopper le tout avec un torchon qui avait précédemment servi à emballer les provisions. Le linge s'imprégna immédiatement de marques d'un noir violacé, attestant la présence d'un colorant d'origine naturelle.


— Bon, on a réglé la question de tes cheveux, et avec un peu de maquillage, on pourrait atténuer les taches de rousseur. Maintenant, c'est à mon tour.

Polack sortit une dague dissimulée dans sa botte, juste derrière la tige, saisit sa propre chevelure d'une main et la trancha net au niveau de la mâchoire avec l'autre, ignorant complètement le cri désespéré de Jo : « Non ! Un Die ne doit pas ! »

— Les cheveux, ce n'est pas la tête, ils repoussent ! Et puis il faudrait vraiment que tu te décides qui je suis : un Die, un Mass, ou simplement ton frère et le fils d'un marchand ambulant.


Polack rassembla toutes les mèches coupées et, ne voulant laisser aucune trace de leur passage en ce lieu, les jeta dans le feu. Les flammes s'élevèrent aussitôt, assez haut pour roussir les branches, prirent une teinte bleutée, et au cœur du brasier apparut le visage d'un vieillard — nul autre que le grand-père de sergent — qui lui adressa un clin d'œil complice avant de s'évanouir.


— J'ai vu un Dieu des Cimes, je l'ai vu ! Vous avez offert vos tifs en scarifice et il est venu ! Vous êtes vraiment un Mass, s'exclama Jo, revenant de la surprise au vouvoiement.

— Sacrifice...

— C'est ce que j'ai dit, scarifice !


Polack ne savait pas s'il devait rire ou pleurer : « Quelle ascension remarquable, grand-père ! », songea-t-il, « De simple aïeul, te voilà élevé au rang divin, c’est ce que j'appelle une sacrée promotion ! »

Il perçut comme une caresse invisible ébouriffant sa chevelure et, à l'endroit précis où reposait la délicate branche de bouleau contre sa poitrine, une sensation de brûlure, d'abord légère qui s'intensifia rapidement jusqu'à devenir intolérable. Il l'extirpa vivement et découvrit l'étonnante transformation qu'elle avait subie : au lieu du rameau vivant, Polack tenait désormais un pendentif en bronze représentant une petite branche finement ciselée, ornée de feuilles émaillées de vert et parée de gouttelettes de rosée en cristal étincelant, auquel était fixée une chaînette. Il sourit et après s’être assuré que Jo regardait ailleurs, la passa rapidement autour du cou.

***

La tempête s'apaisa presque instantanément après la métamorphose spectaculaire du bouleau, et les deux compères reprirent leur route. Polack éprouvait une sensation de légèreté, comme si des ailes lui avaient poussé dans le dos, et se félicitait particulièrement d'avoir suivi son intuition en emmenant Jo avec lui. Ce dernier, sans exagération aucune, s'avérait être un véritable trésor.


En devenant Sancho et brun, Jo ne perdit rien de sa rouerie plus propre à un voleur de chevaux qu'à un palefrenier honnête. Quand Polack affirma qu'ils devraient vendre leurs montures trop reconnaissables, il sourit malicieusement en tirant deux petits pots de sa besace et déclara :

— Pas besoin de vendre ! 

Rapidement, il recouvrit la marque sur le front de la petite Étoile avec de la peinture identique au pelage, puis traça des lignes blanches au-dessus des yeux de Fouego tout en blanchissant également les bouts de ses oreilles. Il constata avec satisfaction :

— Personne les reconnaîtra. Comme Étoile, sans la marque, huit chevaux sur dix sont comme ça. Et si un noiraud est super rare, un noiraud avec des taches on en voit…


***


Au terme de quatre bonnes heures de chevauchée ils arrivèrent enfin aux portes de la cité. La ville Rosalia était de taille modeste et à première vue rappelait un peu à Polack Sarlat de son monde natal. 

Elle semblait toutefois plus petite et davantage empreinte d'une authenticité médiévale avec ses remparts massifs, ses tours de guet et ces quartiers ouvriers qui se pressaient contre les murailles abritant vraisemblablement les classes plus fortunées de la population. De même, le quartier que l'ancien sergent qualifia d'industriel, se nichait au pied des fortifications, et si la fumée des machines à vapeur semblait être purifiée par quelque procédé, les effluves saisissaient littéralement les voyageurs : relents de charbon consumé, de cuirs en cours de tannage et d'excréments.


Les deux fuyards traversèrent rapidement le cloaque industrielle, franchirent le pont-levis et se retrouvèrent face à un portail imposant donnant sur la ville. Le passage était fermé par une barrière et surveillé par un homme en uniforme rappelant étrangement celui des gardes suisses pontificaux, dépourvu de hallebarde mais équipé d'un mousquet. Il les toisa d'un regard sévère : 

— Des estudiantins ? 


Polack acquiesça d'un signe de tête, implorant silencieusement tous les dieux que Jo se taise et laisse l'honorable gardien de la porte former ses propres conclusions. L'expérience avait appris à Polack que la nature ayant horreur du vide, l'esprit humain comblait naturellement les lacunes par des suppositions. C'était comme dans son ancien monde, où l'on présumait immédiatement qu'un homme en poncho et sombrero pendant les festivités de Noël se rendait à un bal costumé, sans envisager un instant qu'il puisse être réellement mexicain. Il suffisait souvent de laisser les gens parler, car ils finissaient toujours par trouver une explication, plus ou moins exacte, par eux-mêmes. Il fallait simplement hocher la tête aux moments opportuns.


— On se rend à Gardenia pour rejoindre l'Académie ? poursuivit le valeureux représentant de l'ordre. Et on a dépensé tout son argent dans les vêtements, les fêtes et les montures ? Et maintenant on n'a plus assez de billes pour prendre le Vapeur, alors vous cherchez à vous joindre à une caravane ?

Sergent acquiesçait d'un air contrit à chaque question-affirmation.

— Alors, quatre Petites Billes Vertes de droit d’entrée, pour vous et vos montures, plus une pour un bon conseil que je vais vous donner...


Polack sortit la bourse et compta cinq billes vertes, en ajoutant une supplémentaire - sous le sifflement indigné, mais heureusement à peine audible, de Jo : "C'est trop, c'est du vol !" - puis les tendit au garde :

— Voilà les quatre Billes pour notre passage, une pour le conseil et encore une pour que ce conseil soit le meilleur possible, capitaine...

— Sergent-chef, pas capitaine, corrigea-t-il visiblement flatté et en empochant avec satisfaction l'argent. Écoutez, mes agneaux, évitez l'auberge, c'est coûteux et parfois risqué pour des poussins tel que vous. Au bout de cette rue… 

Il désigna vaguement la rue derrière lui. 

— Derrière la clôture en briques rouges avec la porte ornée d'un heurtoir en forme d'oiseau, vous trouverez la pension de Misti Fantine. Dites que vous venez de la part du Sergent-chef Terens - c'est moi - et elle vous logera à bon prix, même pendant l'affluence du Solstice. Vous aurez besoin d'un logement pour deux à trois nuitées, car la prochaine caravane vers la capitale ne part que après les festivités. Vous pourrez rencontrer l'organisateur, Maître Caravanier Guislain, à l'Auberge du Pont, mais attendez demain après-midi pour lui demander de vous joindre à eux. Ce soir il sera ivre et ne se souviendra de rien, demain matin il va cuver, sera mal en point et d'une humeur massacrante, mais l'après-midi sera parfait. Vous pouvez aussi mentionner que je me porte garant. Alors, mon conseil vaut-il vos deux Billes Vertes, les garnements ?

— Oui, vous êtes très aimable, inclina la tête Polack.


Le garde leva la barrière et les deux compères s'engagèrent dans les ruelles tortueuses de la Rosalia.


***


Polack se demandait pourquoi il avait imaginé que la propriétaire d’une pension de famille et qui portait le doux prénom Fantine, ressemblerait à une grand-mère typique — une sorte de Mamie Nova en tablier, avec un chignon de cheveux blancs et un sourire bienveillant. Il s'était complètement fourvoyé. Face à lui et Jo se tenait une femme d'une cinquantaine d'années, que nul n'aurait jamais osé qualifier de vieille, encore moins de Mémé. 

Grande, élancée, au visage hâlé et aux yeux noirs perçants, elle portait une tenue masculine qui évoquait soit celle d'un aviateur, soit d'un pilote de Formule 1 : veste et pantalon en cuir marron épais, lunettes de vol, et une cagoule d'où s'échappaient quelques mèches brunes. Dans sa main droite elle tenait une paire de gants épais avec lesquels elle tapotait la paume de sa main gauche, tout en observant ses visiteurs avec peu d'aménité.


Le bâtiment abritant la pension de famille correspondait, également, fort peu à l'image que se faisait Polack d'une institution de ce genre. Derrière la porte ornée d'un heurtoir en forme d'oiseau se dissimulaient une vaste cour pavée, plusieurs dépendances et une demeure cossue en pierre blanche à trois étages, dont un mansardé. La propriétaire des lieux, après un silence pesant, prononça une phrase des plus énigmatiques :

— Le soleil se couchera dans une heure, je n’ai pas le temps pour vous tout de suite, même si c'est ce bon-à-rien de Terens qui vous envoie ! Installez vos montures dans l'étable…

Elle désigna le fond de la cour d'un geste.

— Et attendez-moi sur ce banc. Je serai de retour dans trois quarts d'heure.

Elle pointa du doigt une banquette en bois adossée au mur de la demeure, avant de se hâter vers une annexe située sur la gauche de l'entrée principale. Plutôt que de prendre place à l'endroit indiqué, Polack décida de lui emboîter le pas. 

La dépendance se révéla être un atelier-garage remarquablement équipé d'une multitude d'outils, mais ce ne fut pas cet arsenal qui retint immédiatement son regard. Au cœur de cet antre de la mécanique trônaient quatre véhicules qu'il identifia presque instantanément : une vapauto au profil nettement plus sportif que celle entrevue chez les Runs, et trois engins qui devaient être des motovaps. 

Ces machines étranges n’évoquaient que par leur silhouette générale les motos de son monde natal — deux roues et un guidon muni de commandes. 

Par contre, l'assise semblait considérablement plus ergonomique et, à l'arrière, juste au-dessus de la roue, on distinguait un petit réservoir cylindrique en cuivre connecté à un imposant boîtier du même matériau, surmonté d'un dispositif d'évacuation ressemblant davantage à une cheminée miniature qu'à un pot d'échappement conventionnel. 

En dépit de leur configuration inhabituelle, ces machines dégageaient une impression de puissance, comme si elles n'attendaient qu'une occasion pour s'élancer à pleine vitesse sur les routes.

Polack s'approcha de la motovap la plus proche et, comme sous l'hypnose, laissa sa main suivre les courbes harmonieuses et élancées de l'engin.


— Elles te plaisent mes Hirondelles ? questionna Fantine beaucoup plus aimablement en voyant sa fascination. Tu sais en faire ?

— Pas sur ce modèle..., répondit par la stricte vérité Polack.

— Rien de compliqué, tous les modèles se ressemblent. Ici, - elle montra un gros bouton-poussoir rouge, - tu mets en marche. Là, - elle désigna une manette, - tu envoies le charbon et mets les gaz. Ici le frein - un dernier geste vers une grosse pédale côté gauche.

Elle lui tendit une cagoule similaire à la sienne ainsi qu'une paire de lunettes d'aviateur, puis ajouta avec un sourire :

— On fait une course ? C’est plus marrant. Si tu gagnes, un repas gratuit pour toi et ton frère ! Si ça te dit, dépêche-toi, dans une heure c'est l'extinction des feux pour le Solstice, donc tous les moteurs devront être éteints, sous peine d’une lourde amende !


Polack ne put et ne voulut pas résister à cette tentation. Cela faisait une éternité qu'il n'avait pas sprinté dans les rues sur la selle d'une moto ! Avec des gestes fébriles mais précis, il s'équipa aussi rapidement que possible, enfourcha Hirondelle constatant avec plaisir que son maniement était encore plus intuitif que celui des engins qu'il avait connus autrefois.

Dès qu'il démarra, il fila comme une fusée à la poursuite de Fantine, le vent fouettant son visage et ravivant des sensations oubliées. La vitesse vertigineuse et les hurlements rauques du moteur l'enivraient progressivement, effaçant toute pensée rationnelle. Les rues et les ruelles de la ville se transformaient en un labyrinthe flou, défilant autour de lui en une sarabande folle et hypnotique. Les passants, surpris et indignés, s'écartaient précipitamment de son chemin, lui lançant des insultes colorées accompagnées de gestes grossiers.

Dans sa course effrénée, il frôla même la catastrophe en manquant de renverser un soûlard chancelant qui venait de sortir d'une auberge, probablement pour prendre l'air ou se soulager contre la muraille toute proche. Mais tout cela importait peu à Polack, lui aussi était ivre, non pas d'alcool, mais de la vitesse et de cette liberté retrouvée.


Note : 

  1. Ziemianin - Un Terrien en polonais. 



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