LE MERCENAIRE
Chapitre 23 : La Sphère des Possibles (partie 1)
3412 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 29/11/2025 11:27
Polack s'astreignit à assister aux courses, bien que son vœu le plus cher fût de rentrer à l'Académie. Il souhaitait vérifier que Jo et Léopold étaient sains et saufs, même s'il reconnaissait l'illogisme de son inquiétude - la prémonition apocalyptique concernait, après tout, des événements qui ne devaient se produire que dans une dizaine de jours.
Et puis, il devait absolument s'assurer que Éclair de Mai remporte véritablement la victoire, écartant ainsi de façon définitive cette terrible probabilité d'incendie meurtrière qu'il avait entrevue dans sa vision. L'image de flammes dévorant tout sur leur passage le hantait encore, renforçant sa détermination à rester jusqu'à la fin.
Par ailleurs, il lui semblait particulièrement malaisé, voire franchement dangereux, de tenter d'arracher Mass Hippolyte des mains puissantes d'Albertine. Celle-ci minaudait sans cesse en tenant fermement le coude de ce dernier, ses doigts s'enfonçant légèrement dans le tissu de sa veste, et ne manifestait visiblement aucune intention de relâcher son emprise.
Mass, dont les yeux lançaient des SOS désespérés dès qu'il parvenait à se tourner vers Polack, continuait néanmoins comme un gentleman accompli à maintenir la conversation galante avec la belle et littéralement très grande dame. Ils parlaient avec animation des chevaux, de leurs chances respectives, des cotes fluctuantes depuis l'ouverture des paris, de l'Académie et ses récentes controverses, et même du temps, positivement glacial ces jours-ci, qui faisait frissonner les spectateurs les moins chaudement vêtus.
Quand la course débuta, Albertine dut les quitter, s'éloignant d'un pas pressé vers les tribunes officielles. Polack et Hippolyte soupirèrent ensemble avec soulagement et s'empressèrent de se fondre dans la foule dense des badauds qui s'agglutinaient le long des barrières, pensant qu'ils percevraient aussi bien les résultats de là.
En effet, ils entendirent clairement la victoire d'Éclair de Mai, même sans la voir directement, l'assistance compacte leur bloquant la vue des dernières foulées. Une clameur de joie envahit le stade pour célébrer le gagnant, son nom répété par des milliers de voix pleines d'allégresse. Dans cette effervescence générale, on distinguait à peine les plaintes amères des perdants qui déchiraient leurs tickets de paris d'un geste rageur.
Nos deux protagonistes, désormais rassurés, se dégagèrent difficilement de l'étreinte étouffante de la foule et prirent le chemin du retour.
— Un verre nous ferait du bien, annonça Hippolyte en s'arrêtant soudainement à une centaine de mètres de l'entrée de l'Académie, face à une modeste auberge dont l'enseigne suggestive Chez l'estudiantin joyeux oscillait avec un grincement dans le vent.
— Ce n'est pas très pédagogique, marmonna Polack dans le dos de Mass qui s'engouffrait déjà par les portes de l'établissement accueillant.
— Vous avez dit quelque chose, Cadet ? demanda-t-il en se retournant.
— Non, rien, absolument rien ! répondit Polack avant de le suivre à l'intérieur.
Effectivement, un verre leur avait fait du bien, puis deux, puis trois... dix, et finalement, qui pourrait ou voudrait encore les compter ?
***
Le lendemain, Polack souffrait, selon la formule consacrée de son ancien monde, d'un mal aux cheveux. Non, il n'avait pas simplement mal, mais très mal, horriblement, féeriquement, mythiquement mal aux cheveux. Et si seulement la douleur se limitait à ces pousses ataviques sur son crâne ! Il avait le sentiment que les sables du désert avaient élu domicile sous ses paupières, et tous les chats de la ville lui avaient uriné dans la bouche, laissant un goût âcre et métallique sur sa langue pâteuse, même si dans son nouvel univers ces boules de poils ronronnantes n'existaient pas.
Visiblement, Clotaire ne tenait pas bien l'alcool, et Polack, ayant hérité de son corps, subissait maintenant les conséquences de cette faiblesse physiologique. La gueule de bois s'accrochait à lui comme une seconde peau, transformant chaque mouvement en supplice et chaque pensée en un effort surhumain.
Les yeux toujours clos, il pressa ses tempes entre ses paumes et tenta de reconstituer les événements de la veille qui lui valaient aujourd'hui cette veisalgie exceptionnelle, surpassant toutes celles qu'il avait connues jusqu'alors.
Il se rappela clairement comment la journée avait commencé : sa prédiction, la ruée frénétique en compagnie de Mass vers l'Hippodrome, Mistresse Albertine, Éclair de Mai, le bistrot Chez l'estudiantin joyeux, puis le néant.
En s'efforçant à nouveau de récupérer ses souvenirs, il ressentit comme l'explosion d'une grenade à fragmentation dans sa pauvre tête. Péniblement, telles des images isolées d'un film absurde, les événements commencèrent à refaire surface. Des flashs aveuglants illuminaient le chaos de sa mémoire — des bribes de conversations, des éclats de rire, le tintement des verres, puis cette sensation vertigineuse de chute libre.
...Voilà qu'il trinque avec Mass Hippolyte — À la santé du Roi, de Custenia, puis de l'Académie, des enseignants, des Mass, de Mistresse Albertine et son célèbre canasson, des prémonitions qui ne se concrétisent pas, des clous et des fers à cheval.
...Polack lève son verre : « Aux femmes, aux chevaux et à ceux qui les montent ! », accompagné du rire tonitruant d'Hippolyte, qui ne connaissait pas ce toast.
...Mass Hippolyte verse des larmes en déplorant l'inconstance féminine, la froideur masculine et la dure réalité quotidienne d'un Mass rattaché à l'Académie, lui qui aspirait à devenir un scientifique, un chercheur dévoué exclusivement à ses travaux et études.
...Polack, accroché à l'épaule de son comparse, lui décrit les atrocités de son monde d'origine : les blindés, les explosifs, le napalm, l'arme nucléaire. Son interlocuteur le réconforte en répondant : « les oracles, après avoir bu un verre ou deux, ont des visions bien plus bizarres encore. »
...Mass lui confie qu'il déteste Chef Elvis, ce cœur de pierre.
...Polack évoque sa peur de perdre son unique ami Joseph, fidèle et brave, et le merveilleux Léopold si gentil, fort, solide comme un roc derrière lequel il est si bon de s'abriter. Ses bras puissants qui semblent pouvoir repousser tous les dangers, son visage taillé à la serpe qui inspire confiance, son nez mutin et ses beaux yeux qui adoucissent cette rudesse apparente...
« Nez mutin et beaux yeux ! gémit intérieurement Polack, d'où est-ce que je sors une mièvrerie pareille, et surtout en parlant de Léopold… »
En rassemblant toute sa volonté et son courage, il fit un effort surhumain pour repousser le souvenir gênant, en espérant que Mass n'en conserverait aucune trace également. Puis il souleva ses paupières, révélant au monde ses yeux injectés de sang par des vaisseaux rompus.
Il eut le sentiment qu'une créature monstrueuse lui plantait des lames dans le crâne, avant de comprendre qu'il s'agissait simplement de la lumière diaphane du matin qui le suppliciait, et non quelque être fantastique malfaisant. Les rayons impitoyables s'infiltraient par les interstices des rideaux mal fermés, transformant chaque parcelle de clarté en instrument de torture pour ses pupilles hypersensibles.
Il contempla le dortoir complètement désert, les lits vides témoignant que ses camarades avaient depuis longtemps commencé leur journée, puis consulta le chronodril dont il ne maîtrisait toujours pas toutes les fonctions en dehors de celle d'une montre.
En voyant l'heure, il sauta littéralement du lit, oubliant presque les conséquences de ses libations de la veille. Il était en retard, atrocement en retard ! Mistresse Linx l'attendait à son bureau pour onze heures et il était déjà dix heures et demie ! Cette même Mistresse qui ouvrait spécialement son étude les dimanches pour que Polack puisse y travailler ! Connaissant le tempérament de feu de Diana, il savait que s'il arrivait en retard, ou pire ne venait pas du tout, les sanctions risquaient d'être terribles ! Il la voyait presque pincer les lèvres en le foudroyant d’un regard !
D'ailleurs, sa collaboration avec Mistresse Linx se révéla profitable pour les deux parties. Polack l'aidait, conformément à leur contrat soigneusement négocié, à orienter les recherches de personnes disparues et parfois même à en retrouver certaines, grâce à ses méthodes peu conventionnelles mais efficaces. De son côté, Diana, dotée d'un véritable sens des affaires, créa une annexe à son étude spécialisée dans la recherche de personnes perdues de vue ainsi que d'objets égarés ou volés, le tout à un tarif raisonnable mais suffisamment lucratif. Cette nouvelle branche attirait une clientèle diverse, des familles désespérées aux collectionneurs en quête de pièces rares. Les revenus générés par cette activité, comparable à celle d'une agence de détectives privés, étaient répartis entre eux selon une formule presque équitable : un tiers pour lui, deux tiers pour elle.
De plus, Diana possédait un tempérament et un franc-parler qui plaisaient énormément à Polack. Par bien des côtés, elle évoquait pour lui le titi parisien, bien que son âge la plaçât plutôt dans le camp des mères desdits titis.
Leur entente était remarquable et seul le Diable — il devait bien exister un Adversaire des dieux des Cimes dans ce monde — pouvait savoir quand et comment cette coopération verticale s'était enrichie d'une dimension horizontale ! Pourtant, jamais, oh grand jamais, cette évolution n'affecta leur travail commun.
Exigeante et stricte au bureau, Diana se transformait en une amante passionnée au lit, sur la table, sur le comptoir ou ailleurs où leur imagination les entraînait. Le contraste entre ces deux facettes de sa personnalité était saisissant, presque vertigineux. Le sexe avec elle était joyeux, inventif et surtout totalement dépourvu d'engagements ou de sensibleries excessives.
Son aînée de quinze ans, elle avait un frère cadet de l'âge de Polack, trois mariages soldés par des divorces de commun accord — chacun négocié avec la même efficacité qu'elle appliquait à ses dossiers professionnels — cinq enfants confiés à leurs pères respectifs, et strictement aucun désir d'une relation sérieuse et durable avec qui que ce soit. Ce qui arrangeait également Polack, les galipettes amicales et sans obligations lui convenant parfaitement.
En revanche, Diana délimitait clairement sa vie privée, avec ses ébats passionnés et ses folies, de son univers professionnel, où elle faisait preuve de discipline et d'exactitude. Cette frontière, invisible, mais infranchissable, était la clé de son équilibre. En l'espace de quelques battements de cils, elle passait de folâtre Diana à Mistresse Linx, conseillère juridique de son état, avec une aisance déconcertante qui forçait l'admiration. Et malheur à Polack s'il ne s'adaptait pas rapidement à cette transformation, car la tolérance et la patience ne figuraient pas parmi les qualités de la version juriste de son amante.
***
Après le petit-déjeuner composé d'un grand bol de potage et un peu de pain, que Polack s'astreignit à avaler malgré la nausée qui le taraudait, il retrouva un peu d'énergie, suffisamment en tout cas pour oser affronter le regard scrutateur de sa patronne.
Le vent frais qui soufflait dans la rue finit de le revigorer et il franchit le seuil de l'étude où exerçait la juriste d'un pas alerte, pour ne pas dire martial.
— Cadet Runs, vous accusez une demi-heure de retard ! déclara Avocate d'une voix monotone et désapprobatrice.
En entendant le vouvoiement et l'usage de son patronyme, Polack comprit immédiatement qu'en ce moment il avait affaire à la Juriste, Mistresse Linx. Il adopta la posture militaire du garde-à-vous, comme s'il se présentait devant un officier supérieur :
— Cadet Runs demande respectueusement l'autorisation de formuler ses excuses et d'exposer ses justifications !
Diana se redressa de son fauteuil pour éviter toute impression de subordination physique et plaqua fermement ses poings sur la surface de la table. Polack observa avec fascination ses yeux lancer des éclairs et ses cheveux s'élever légèrement, enveloppant sa tête d'un halo crépitant.
— Je sacrifie mon unique jour de repos hebdomadaire pour m'adapter à ton emploi du temps, espèce de malfaisant ! vociféra-t-elle. Et tu as l'audace d'arriver en retard ! En plus, tu empestes la gnole ! Est-ce ainsi que se déroulent vos séances d'entraînement avec ce vieux huron d’Hippolyte ? Quel événement avez-vous célébré hier, je peux savoir ?
Polack relâcha sa posture rigide. L'expérience lui avait appris que lorsque Mistresse Linx glissait vers le tutoiement familier et le traitait de malfaisant avec cette intonation particulière, son alter ego Diana, considérablement plus affable, n'était jamais loin de faire surface.
— Avec Mass Hippolyte, nous avons plutôt célébré ce qu'on pourrait qualifier de « non-événement » !
Il réprima difficilement un rire inapproprié car dans les méandres de son esprit, par association d'idées avec « non-événement » , résonnait l'air entêtant de la chanson de dessin animé Alice au pays des merveilles — « Un joyeux non-anniversaire, À qui ? À moi ! » — et dirigea vers la juriste un regard empreint d'une admiration presque authentique.
— Un non-événement ? Eh bien raconte, je suis tout ouïe et vraiment intriguée...
— Oui, ma sévère Toutouille ! plaisanta Polack.
— Et une claque entre tes mirettes candides, espèce de nigaud ?
— Désolé, je n'ai pas pu résister, prononça Sergent tout en envoyant une petite excuse dans les limbes : « Encore une fois grand-père, j'ai pas pu ».
Puis il ajouta en se rengorgeant :
— Donc pour être plus précis, nous avons fêté la non-réalisation d'une précognition catastrophique. Cet événement a été évité grâce à notre judicieuse et rapide intervention !
— Tu n'as rien trouvé de mieux ? À d'autres ! Tout le monde sait qu'une véritable prédiction énoncée devant témoins va se réaliser, quoi qu'on fasse ! Ou ce n'est pas une vraie prophétie !
— Tu dois avoir raison, prononça-t-il d'un ton conciliant. Nous nous sommes peut-être trompés. Mais sur le coup, c'était bien l'impression qu'on avait eue !
Polack médita sur les paroles de Diana. Cette caractéristique des présages authentiques lui était inconnue. Pour dissiper ses doutes, il tenta, sans succès d'ailleurs, d'explorer l'avenir grâce à son don. Non, rien d'alarmant ne se profilait dans les jours à venir. En revanche, un frémissement d'excitation le traversa à l'idée d'une aventure imminente. Il en était certain : Diana, à cet instant précis, s'apprêtait à lui révéler quelque chose qui les entraînerait dans une spirale d'événements captivants et inattendus.
— J'aime mieux ça, grommela Mistresse Linx. Bon, passons aux choses sérieuses ! Tiens, lis donc ceci !
Elle poussa vers Polack un mince dossier contenant seulement deux pages et un dessin aux crayons de couleur.
Le premier feuillet présentait le contrat avec Le Bureau des Recherches - c'est ainsi que Diana nomma leur activité secondaire -, le second étant une lettre manuscrite aux caractères serrés et nerveux. Polack s'installa sur la chaise face au bureau et s'absorba dans sa lecture.
Un certain Maître Dariel, forgeron de son état, travaillant au sein de l'établissement Mirotier et fils, était en quête d'un artefact familial, dont l'unique représentation était jointe au dossier.
« Tiens, se fit silencieusement la remarque ironique Polack, comme le monde est petit ! Encore ce Mirotier ! Je me demande vraiment quelle est sa spécialité, hormis la fabrication de clous défectueux ? »
Le Sergent examina ensuite attentivement le croquis. L'objet présentait une troublante ressemblance avec une toupie pour enfant, à ceci près que ses teintes étaient beaucoup trop sombres et délavées pour un jouet, lui conférant un aspect inquiétant. Plus étrange encore, en lieu et place de la traditionnelle poignée servant à mettre la toupie en mouvement, se dressait la serre d'un rapace gigantesque, comme si quelque créature fantastique avait saisi l'objet dans ses griffes.
— Intéressant, marmonna Polack en faisant tourner l'image entre ses doigts.
— Très, et presque dans le mille avec ton récit farfelu de ce matin ! Tu sais comment se nomme cet artefact ?
Polack fit un signe discret de négation.
— La Sphère des Possibles ! annonça triomphalement Mistresse Linx. D'après les informations que l'honorable Maître nous a transmises, qu'il avait lui-même découvert dans les archives familiales, cette chose permettrait d'entrevoir non seulement le futur, mais tout l'éventail des possibilités avec les tenants et les aboutissants. Grâce à elle, la fortune de la famille de notre client s'était accrue exponentiellement, avant de sombrer avec sa perte ! Évidemment, il peut s'agir simplement d'une légende familiale, embellie au fil des générations. L'artefact avait disparu depuis au moins un siècle et personne de vivant aujourd'hui ne l'a jamais vu. Alors, qu'en penses-tu, l'associé ? Maître paye très généreusement, comme tu peux le constater.
Diana indiqua du bout de l'ongle une ligne spécifique du contrat.
— ...pour toute information et surtout pour sa découverte !
Polack se concentra. Curieusement, il ne voyait rien de particulier ; le dessin paraissait inerte, comme s'il représentait non une chose réelle mais une pure création jaillie de l'imagination fertile du peintre. Néanmoins, il ressentit une étrange attraction vers un point indéfini - juste une impression de direction et un appel flou, tel un chatouillement aux confins de sa conscience. Cette perception était trop nébuleuse, trop imprécise pour être saisie pleinement. Il écarta donc cette sensation éphémère de son esprit avant de rediriger toute son attention sur l'image devant lui. Puis il ferma les yeux, se frotta les paupières et annonça :
— C'est peut-être à cause des excès, de la veille ou parce qu'un oracle ne peut percevoir un autre, mais je ne vois strictement rien, ma Colombe ! Ou bien l'image est une pure invention, une œuvre sans lien avec la réalité...
— Des balivernes ! s'exclama avec véhémence Diana. Tu ne ressens vraiment rien ? Allez, juste un petit effort, tu ne veux vraiment pas explorer les Possibles ?
Diana se pencha vers lui. Son expression avide et fiévreuse révéla immédiatement à Polack que sa patronne était captivée par la promesse d'avenirs prévisibles et modifiables. Elle convoitait l'artefact pour elle-même. Même s'il parvenait à le localiser, l'objet ne serait probablement pas remis directement au commanditaire.
Le contrat, signé sur formulaire officiel et traité par un Mass, restait inviolable. Mais l'absence de délai précis entre la découverte et la restitution ouvrait de nombreuses possibilités. Face à cette convoitise, Polack se réjouit de n'avoir pas révélé son propre don - celui d'entrevoir les multiples chemins que pourrait emprunter le futur. D'une certaine façon, il ressemblait lui-même à cet artefact. Cette similitude expliquait peut-être pourquoi il ne parvenait pas à le percevoir.
Polack tapota d'un geste rassurant la petite main crispée en poing de son amante. Il résista à l'envie de la prendre dans ses bras pour la consoler. En cet instant, ce n'était plus sa supérieure hiérarchique, brillante juriste, qu'il voyait, mais une jeune fille rêveuse à qui l'on avait fait miroiter un monde enchanteur avant de la priver, par pure cruauté, de ce précieux présent.
— Diana, prononça-t-il d'un ton qu'il voulait apaisant, je ressens simplement un léger chatouillement, comme si quelqu'un essayait de me contacter, mais cette impression n'est peut-être pas liée à cela...
Il effleura doucement l'image du bout des doigts.
— Je précise que ça pourrait aussi être mon Inugamis qui m'appelle. Tu te souviens, je t'en avais parlé. Il cherche peut-être juste à attirer mon attention, je l'ai un peu délaissé ces derniers jours...
Diana sauta de son siège, aussi brusquement que si un ressort s'était déplié sous ses fesses et s'exclama, comme si elle n'avait pas écouté la fin de ses propos :
— Et qu'est-ce qu'on attend ? Que les poules se mettent à avoir des dents ? Ou que l'écrevisse siffle sur la montagne ? En route, mon brave Cadet ! Allons découvrir qui ose te chatouiller, hormis moi, évidemment !