Ce qui reste après
Le lendemain, on vint la chercher à l'aube pour la fourguer dans un camion.
_ Est ce que je suis morte? demanda-t-elle au garde.
Celui-ci l'ignora, avant de la pousser dans le camion.
Quelques minutes, plus tard, il démarra, et Adeline fit de son mieux pour trouver une position confortable, sans succès cependant, car chaque virage la faisait tomber.
Au bout de sa cinquième chute, elle remarqua une petite ouverture d'une quinzaine de centimètres dans une des parois du camion.
Elle se positionna de façon à pouvoir observer le paysage.
Dehors, le ciel était gris et empli de nuages. Le soleil se cachait, et une écharpe de brume donnait un sentiment de froid, qui atteint Adeline avec force. Elle frissonna, et regarda les rues défiler tandis que le camion sortait de la ville.
Au bout de quelques kilomètres, il s'arrêta enfin devant un grand manoir d'apparence assez sombre et morne, bordé d'hauts et épais grillages.
Le garde ouvrit à Adeline, lui permettant de sortir.
_ Allez-vous enfin m'expliquer ce qui se passe?
_ M. Shinner saura tout vous expliquer.
_ Qui?
L'homme l'ignora et la conduisit jusqu'à la porte d'entrée, terriblement imposante.
Il sonna, et la porte s'ouvrit lentement, sans un bruit. Ils entrèrent, et parcourèrent plusieurs couloirs, sans apercevoir la moindre trace de vie. Enfin, ils pénetrerent dans une salle dans laquelle se tenaient un jeune homme et une femme semblant assez âgée.
Le jeune homme leva la tête vers eux, l'air excédé.
_ C'est elle? Demanda-t-il avec un signe de tête dédaigneux à l'égard d'Adeline.
Celle-ci sentit son énervement monter, mais elle n'en laissa rien paraître. Pour qui se prenait-il avec ses airs suffisants ?
_ J'ai dit au Sénateur que je ne voulais pas de servants en plus! Marianne et Luc suffisent à combler mes besoins, et je ne vois pas à quoi me servirait une idiote de plus ici!
Une lueur d'étonnement passa dans les yeux d'Adeline, qui s'empressa de la cacher. Cet homme, tout aussi agaçant qu'il soit, était le premier à montrer des signes d'émotion depuis au moins trois jours.
Elle supposa que Marianne devait être la vieille femme debout non loin derrière l'homme, la tête baissée.
Le garde répondit d'un ton blasé;
_ Le Sénateur à demandé à vous attribuer une personne en plus. Après tout, il est normal qu'un homme de votre rang ait plus de… main d'œuvre. Tous les autres membres de la haute société possèdent une centaine de servants. Vous n'en avez que deux. Trois, à présent.
_ Sortez! Immédiatement.
Le garde acquiesça, puis sortit de la pièce, laissant Adeline avec le jeune homme et la supposée Marianne.
Celui-ci s'avança vers elle, la dépassant d'au moins deux bonnes têtes.
_ Écoute moi bien, je ne le répéterai pas. Fais-toi discrète, obéis à Marianne et Luc, et ne te mets pas entre mes pattes!
La jeune femme soutint son regard, avant de comprendre qu'elle devait réagir. Elle hocha la tête, et il sortit de la pièce.
La vieille femme s'approcha d'Adeline avec un air neutre.
_ Je suis Marianne. Suis moi, je vais te montrer tes appartements. Est ce que quelqu'un t'as expliqué ce que tu faisais ici?
_ Non, je… je ne comprends rien. Je me suis réveillée à l'hôpital il y a deux jours, et depuis j'ai été traînée de part et autre jusqu'ici.
_ Je vais tout t'expliquer, ne t'en fais pas. Il y a deux jours, tu es morte. Tu t'es donc Réveillée, et les gardes t'ont conduite à un camp, je me trompe?
_ Non, mais je… comment pourrais-je être morte?
_ Il y a une vie après la mort. Mais pas comme tu l'entends. Je ne parle pas de paradis ou d'enfer. C'est la même vie qu'avant ton décès. Les seules différence sont que ton cœur ne bat plus, que tu es désormais invisible aux yeux des vivants, et que ton âge est figé.
_ Mais pourquoi ai-je été emmenée ici? Si la vie est la même ici, ne devrais-je pas démarrer cette nouvelle existence de manière plus… normale?
_ Je ne sais pas dans quel pays tu habitais avant, et donc quel régime politique tu avais, mais ici, nous sommes dans un régime autoritaire. Enfin, je devrais dire maintenant plutôt qu'ici. Tous les pays sont reliés par le même gouvernement.
_ Ça ne pose pas de problème pour la langue?
_ Nous parlons tous la langue des morts. Elle nous vient instinctivement.
_ Pardon? Je n'avais pas remarquée que je parlais une langue différente…
Marianne lui sourit d'un air compréhensif. Les deux femmes tournèrent à un angle et arrivèrent devant une porte d'une taille étrangement ordinaire par rapport à ce qu'Adeline avait pu constater depuis son arrivée.
_ Je vais devoir te laisser, mais je dois te donner les informations les plus importantes. Tu es maintenant au service du Maître de cette maison, M. Shinner. C'est l'homme que tu as vu. Le manoir te paraîtra sans doute très vide, nous ne sommes que trois à y vivre. Quatre lorsque Madame vient nous rendre visite. Tu rencontreras Luc plus tard. Tu n'auras sans doute pas beaucoup de contacts avec M.Shinner, tu prendras donc tes consignes de moi-même ou de Luc. Je viendrais te chercher demain à huit heures, d'accord? Je te laisse te reposer pour ce soir. Les affaires essentielles dont tu as besoin sont déjà dans tes appartements.
Adeline sourit, d'un sourire poli, dans lequel elle transmit le moins d'émotions possible.
_ Merci beaucoup madame.
_ Appelle moi Marianne. Comment t'appelles tu ?
_ Adeline.
_ Bonne nuit, Adeline.
Sur ces mots, les deux femmes se séparèrent.
La jeune servante rentra dans sa chambre et se figea. Elle avait beau avoir un rang minable, ses appartements désignaient en réalité une chambre immense, faisant au moins deux fois son ancienne chambre. Le mobilier était assez sobre, mais ne détonnait pas du reste de la demeure. Adeline repéra deux portes, et alla vérifier ce qui s'y trouvait. Derrière l'une d'elle, une spacieuse salle de bain, avec baignoire et lavabo, et tout le nécessaire afin de se laver. Les toilettes se trouvaient derrière un paravent. Dans cette pièce, les tons étaient plus chauds, créant une atmosphère plus chaleureuse, au grand soulagement d'Adeline.
Derrière la seconde porte, un dressing immense, avec des tenues de tout genre et toutes sortes. Évidemment, la plupart étaient pensées de manière à rester pratique, mais la jeune fille était tout de même rassurée de savoir qu'elle n'allait pas porter un uniforme.
Tout cela était bien joli, se dit Adeline en revenant dans la pièce principale, mais restait le fait que la jeune femme était maintenant une servante! Dire qu'elle avait presque dix-huit ans. Dans deux semaines, elle était censée prendre son indépendance officiellement, et commencer ses études. À la place, elle se retrouvait à ce poste peu glorieux, même s'il semblait qu'elle ne vivrait pas dans d'horribles conditions de vie.
Elle s'assit sur le lit, immense et moelleux, et sentit aussitôt ses yeux la piquer. Avec un soupir, elle se pelotonna dans ses draps, oubliant le temps d'une nuit sa nouvelle réalité.