Ce qui reste après

Chapitre 4 : Nouvelle vie

2809 mots, Catégorie: K+

Dernière mise à jour 07/12/2025 22:08

Le lendemain, Adeline fut réveillée par des coups portés à sa porte.

Elle se leva difficilement et se dirigea d'un pas traînant à l'entrée de sa chambre afin d'ouvrir à Marianne. Celle-ci la toisa quelques instants, avant de soupirer discrètement.

_ Votre téléphone à été détruit, mais vous pouvez tout de même vous fixer une heure de lever grâce au réveil présent sur votre table de nuit. Je vous demanderai à partir de demain d'être hors de vos appartements dès huit heures.

Puis elle constata sa tenue et lui sourit.

_ Je vous laisse vous rendre plus présentable. Je reviendrai dans vingt minutes.

Adeline se précipita pour se changer aussitôt Marianne sortie. Elle choisit un pantalon en tissu noir et une chemise blanche.

Elle se débarbouilla et repoussa sa douche au soir même, par manque de temps.

Vingt minutes plus tard, elle était fin prête.

Elle suivit Marianne le long des corridors. Les deux femmes descendirent d'un étage et arrivèrent dans une salle d'où semblait provenir de l'agitation.

Marianne toqua et entra directement.

Un jeune homme, qui devait être à peine plus âgé qu'Adeline se tourna vers elles.

Il leur offrit un sourire, et fit signe à Adeline d'avancer. Celle-ci obtempéra et en profita pour la détailler. Il avait les cheveux blonds bouclés, une silhouette assez fine et des yeux gris-bleus. Il n'était pas beaucoup plus grand qu'elle, et il dégageait une chaleur rassurante, malgré son air blasé. Adeline ne parvenait toujours pas à comprendre ça. Pourquoi les émotions semblaient-elles inexistantes en ce monde ? À part pour le Maître de maison, visiblement.

_ Bonjour. Je suis Luc, se présenta le jeune homme qui lui faisait face. Comme tu le vois, je suis aux cuisines.

La jeune femme jeta un coup d'œil autour d'elle. Focalisée sur son interlocuteur, elle n'avait pas repéré les nombreux plans de travail, frigos et plaques de cuisson les entourant.

_ Effectivement.

_ À partir de maintenant, tu m'aideras ici toute la matinée, et jusqu'à quinze heures l'après-midi. Ensuite tu rejoindras Marianne et tu seras à ses ordres pour le reste de la journée. Compris?

Adeline acquiesça, et il hocha la tête.

_ Parfait. Notre travail est simple; M. Shinner ne petit-déjeune pas, il se contente d'un café. Tu lui apporteras donc chaque matin, à neuf heures. Je viendrais avec toi aujourd'hui pour te montrer. Ensuite, on prépare son repas du midi, ainsi que celui de Marianne, le tien et le mien. Lorsque nous avons fini, il faut lui préparer son couvert dans la salle à manger. Nous trois mangeons dans une autre salle à manger à cet étage, mais pas en même temps que lui, afin d'être disponible au cas où. Ensuite, vaisselles, rangement, etc…

_ D'accord, répondit Adeline en tentant de retenir les informations.

_ Tu sais faire du café?

La jeune femme hocha la tête, et se dirigea vers la machine à café.

_ Fais en un pour moi aussi!

_ Oui.

Quelques minutes plus tard, elle apporta à Luc son café. Celui-ci le goûta, puis décréta qu'il était pas mal.

_ Les miens sont meilleurs, mais ça ira. Maintenant, direction M. Shinner. Je te laisse me suivre.

Ils sortirent de la cuisine et montèrent trois étages. Enfin, ils arrivèrent devant une grande porte en marbre.

_ Il ne se sent pas seul dans cet immense manoir ?

Luc haussa les épaules, puis toqua.

Quelques secondes s'écoulèrent avant qu'un “entre” ne leur parvienne.

Le jeune homme poussa la porte, et ils entrèrent dans les appartements du Maître de maison. Celui-ci était attelé à son bureau, vêtu d'un pantalon blanc et d'une chemise noire légèrement ouverte.

Luc se racla la gorge pour signaler leur présence, et Shinner releva la tête vers eux. Un éclair de reconnaissance passa dans son regard lorsqu'il vit Luc, mais il se teinta d'une touche d'agacement en passant sur Adeline, qui tenait la tasse.

Il la détailla quelques secondes, s'attardant sur son visage. Celle-ci en fit de même.

Il était brun, avec les cheveux mi-longs. Il avait un teint de peau assez pâle et des yeux verts perçants.

Il la fixa avec insistance, jusqu'à ce que Luc indique discrètement à la jeune femme qu'elle devait aller lui donner sa tasse. Elle sursauta et s'approcha afin de lui tendre sol café. Il le prit sans la remercier, et lui fit signe de partir.

Quelques minutes plus tard, Luc et Adeline étaient revenus dans la cuisine et s'étaient attelés à la préparation du repas.

_ Luc, j'ai une question.

_ Oui?

_ Pourquoi est ce que M. Shinner est le seul que j'ai vu exprimer des émotions depuis ma mort ?

_ Seuls les membres de la Haute Société sont autorisés à ressentir des émotions. Les membres de la classe moyenne et les servants, eux, n'en ont pas le droit.

La jeune femme acquiesça. Ça expliquait pas mal de choses… elle sentit qu'il était une mauvaise idée de dire à Luc qu'elle ressentait toujours ses émotions, et aussi fort qu'avant.

_ Pourquoi ai-je été désignée servante d'office ?

_ Quel âge as-tu?

_ Dix-huit ans dans deux semaines.

_ Tu sais que depuis que tu es ici, ton âge ne bougera plus. Tu resteras fixée à dix-sept ans éternellement.

_ Oui…

_ Tous les morts de moins de dix-huit ans et de plus de soixante dix ans sont d'office relégués au rang de servants.

_ D'accord… mais toi, tu as quel âge ?

_ J'ai dix-neuf ans, répondit le jeune homme en détournant le regard.

_ Pourquoi es-tu servant alors ?

_ Peux-tu me passer les carottes ?

Le jeune homme prit le temps de laver les carottes, avant de revenir vers Adeline.

_ Que sais-tu des capacités?

_ Rien. On m'a dit que j'étais supposée en avoir une, et on m'a donné ce badge, lui répondit la jeune servante en lui tendant son badge, qu'elle avait mis dans sa poche.

Luc l'examina quelques instants avant de lui rendre.

_ Tes perceptions sont surdéveloppées. Tu entends mieux, sent mieux, voit mieux.

_ Hein? Je n'avais pas remarqué.

Le cuisinier lui indiqua une étiquette sur une bouteille d'huile, à l'autre bout de la salle.

_ Peux tu me dire ce qu'il y a marqué?

Adeline s'exécuta sans aucunes difficultés.

_ Bien. Eh bien je suis incapable de ça. Enfin, le rapport entre les capacités et ton rang de la société est très étroit. Plus ta capacité est puissante, plus ta place est importante. Lorsque comme moi, tu te Réveilles sans capacité, tu deviens automatiquement serviteur, quel que soit ton âge. Sinon, tu passes dans la classe moyenne. Enfin, si tu fais partie de la minorité ayant une capacité plus puissante, tu fais partie de la Haute Société. Comme Adr… comme M. Shinner.

Adeline hocha la tête. Elle commençait à saisir. Ainsi, qu'elle ait un talent ou pas, la raison de sa présence ici s'expliquait uniquement par son âge. Marianne était dans le même cas qu'elle. Luc, lui, était dépourvu de capacité. Enfin, il n'en restait pas moins un excellent cuisinier au vu de l'odeur appétissante qui se dégageait à présent des casseroles.

_ Pourquoi n'irais tu pas faire un tour ? Je n'ai plus besoin de ton aide pour le moment. Assure toi de revenir dans dix minutes.

La jeune femme sortit avec soulagement, retrouvant l'air frais du Manoir. Luc s'était montré aimable, mais la chaleur des cuisines commençait à lui peser et elle avait besoin d'être seule un moment. Elle arpenta le manoir, ouvrant toutes les pièces qu'elle voyait. D'un naturel curieux, elle ne pouvait s'en empêcher, ne sachant même pas si elle en avait le droit.

La première porte qu'elle ouvrit était un simple salon, muni d'un canapé, de deux fauteuils et d'un piano. Dans la salle suivante, un unique bouquet de roses noires trônait sur une table en étain, seul meuble dans la pièce, à l'exception d'une armoire. Les fleurs dégageaient un parfum doucoureux, et Adeline sentit qu'elle n'était pas à sa place. Elle voulut sortir, mais à ce moment-là, la seconde porte de la salle s'ouvrit. Paniquée, la jeune femme se cacha dans l'armoire repérée plus tôt.

Shinner et Marianne entrèrent.

La vieille femme précédait le jeune homme.

_ Elle a laissé ça, cette fois-ci. Elle était déçue de ne pas obtenir une entrevue.

_ Je ne veux pas de ses visites! Jetez ces fleurs. Leur vue m'insuporte.

Adeline soupira. Décidément, Shinner ressemblait de plus en plus à un gamin capricieux à ses yeux, malgré son apparence de jeune homme particulièrement séduisant. Elle tenta de deviner son âge. Dix-huit ans? Dix-neuf?

_ Et Marianne, s'il vous plaît, aérez cette place.

Adeline constata alors qu'il la vouvoyait Était ce du à son âge ?

_ Bien.

_ Il faudra aussi mettre de l'ordre au jardin… la pelouse n'a pas été tondue depuis une éternité. Mais je ne peux pas vous demander ça, c'est trop…

_ J'en chargerai Adeline.

_ C'est son prénom?

Un petit silence suivit.

_ Je la trouve très aimable

_ Elle n'a pas le choix, elle est privée de ses émotions. Et puis qu'elle le soit ou pas, je ne veux pas de servants en plus ici. J'ai confiance en vous et en Luc, ce qui fait déjà deux personnes!

_ Je pense qu'on peut lui faire confiance. Elle…

_ Non. C'est le Sénateur qui a insisté pour me mettre un servant en plus. Elle est sans doute envoyée par lui. Enfin, nous avons dévié du sujet. À plus tard Marianne.

_ À plus tard.

Adeline entendit la porte s'ouvrir, puis se refermer. Puis, la porte du placard s'ouvrit sur Marianne, qui regarda Adeline avec une moue désapprobatrice.

_ Pourquoi n'es-tu pas aux cuisines?

_ Luc m'a donné une pause.

_ Profite en donc pour aérer la pièce. Et à l'avenir, évite de te cacher dans les placards. Monsieur a beau être indulgent, je te garantis des problèmes si c'est lui qui te trouve la prochaine fois.

Sans attendre sa réponse, elle quitta à son tour la salle, son avertissement résonnant encore comme une menace.

Essayant de ne pas réfléchir à la conversation qu'elle venait d'entendre, Adeline ouvrit les portes, aérant ainsi la pièce grâce aux couloirs, avant de redescendre aux cuisines, où l'attendait Luc. Celui-ci lui offrit un sourire, avant de lui indiquer ses prochaines missions.

Ils ne parlèrent pas les trente minutes suivantes, le silence comblé uniquement par les bruits des ustensiles.

_ Luc?

_ Oui?

_ Qui est Madame ?

Le jeune homme se tourna vers elle.

_ Comment as-tu entendu parler d'elle?

_ Marianne l'a évoquée hier, répondit la servante, préférant passer sous silence l'incident de la matinée.

_ Madame vient rendre visite à Monsieur régulièrement. Elle n'est pas très aimable et ne se soucie pas de nous, contrairement à lui.

Adeline retint un rire excédé. Shinner? Bienveillant?

Elle l'imagina un instant, souriant et heureux, entouré de Luc et de Marianne. Elle chassa vite cette image de son esprit. Impossible.

Shinner était un jeune homme capricieux et irascible.

_ Tu serais surprise, lui dit Luc, ayant sans doute deviné à quoi elle pensait. Monsieur a plutôt bon caractère, comparé à d'autres. Enfin, c'est vrai que depuis ton arrivée il est de mauvaise humeur, mais ça lui passera une fois qu'il se sera habituée à ta présence.

_ La seule raison de son ressentiment envers moi est le fait qu'il ne voulait pas de personnel en plus ?

Luc acquiesça.

_ Je vois…

_ Ne lui en veux pas trop. Enfin, cette phrase n'a plus trop de sens pour toi a présent. Seules les émotions vraiment forte que tu ressens peuvent t'atteindre.

_ Comment ça ?

_ Le Sérum est un moyen de contrô… de stabiliser l'état mental de la population. Il anesthésie les émotions. Elles existent toujours, mais passent en arrière plan dans ta tête. Comme si elle étaient masquées ou assourdies. La Haute Société à eut accès à l'antidote car la fonction de ses membre leur demande d'être en pleine possession de leurs capacités physiques, et mentales. Bref! Le repas est fini, merci pour ton aide. Tu viendras donc chaque matin m'aider de cette manière. Aujourd'hui nous allons manger directement, et ensuite il faudra aller servir Monsieur.

_ D'accord.

Ils s'affairerent encore une dizaine de minutes afin de préparer trois plateaux, sur lesquels de délicieux plats étaient disposés. Viande rouge, légumes cuits à la perfection, purée, salade de tomate agrémentée d'une vinaigrette…

_ Mangeons-nous de tels repas chaque jour?

_ C'est là l'avantage d'être seulement quatre dans cette demeure. Nous pouvons prendre le temps d'avoir un bon repas, et Monsieur nous laisse dormir dans des suites, au lieu des habituelles chambres auxquelles ont le droit les servants.

_ As tu déjà été dans une autre maison avant celle-ci? Lui demanda Adeline alors qu'ils se dirigeaient vers une salle à manger de taille moyenne au même étage que la cuisine.

_ Oui, dans deux autres. Je peux te dire que je n'ai jamais été aussi bien logé qu'ici. Là-bas, nous autres servants dormions dans des petites chambres insalubres, nous avions à faire les tâches les plus ingrates, et nos propriétaires nous traitaient de manière terrible. Il ne faisait pas bon vivre.

Les deux jeunes gens s'installèrent pour manger.

_ Puisque nous ne sommes que trois, ne devrions nous pas avoir beaucoup plus de travail?

_ Non, car Monsieur ne nous demande que le nécessaire. Ainsi, comme il est le seul à vivre ici, les lieux sont comme… figés.

Après quelques minutes d'attentes, Marianne entra, un sourire bienveillant sur son visage. Elle s'assit devant son plateau.

_ Merci pour le repas Luc, Adeline.

Ils commencèrent aussitôt à manger, dans un silence troublé uniquement par les bruits des couverts.

Lorsqu'elle eut fini, Marianne sortit, son sourire toujours plaqué sur son visage.

_ Adeline, tu me rejoindras dans les appartements de Monsieur.

_ D'accord.

_ À plus tard.

Le cuisinier et la jeune femme s'occuperont de la vaisselle, du rangement de la cuisine, du débarrassage. À midi trente, Luc prit le plateau qu'il avait fait pour Shinner et indiqua à Adeline de l'accompagner. Ils montèrent deux étages, jusqu'à une immense salle à manger. Luc déposa le plateau, puis se tint en retrait.

Shinner entra, les traits plus détendus que ce matin. Il se renfrogna cependant en appercevant Adeline.

_ Encore là…

La jeune femme ne réagit pas, se contentant d'attendre les consignes.

_ Sors. Luc, reste.

_ Excusez-moi, Monsieur, mais je dois m'occuper de ranger la cuisine et je crains de laisser mes précieux couteaux à notre jeune recrue.

Shinner soupira, mais contrairement à ce qu'Adeline pensait, il hocha la tête, et indiqua à Luc qu'il pouvait disposer. Adeline s'apprêta à le suivre, mais Shinner l'en empêcha.

_ Reste.

Elle soupira intérieurement, puis se tint droite comme un poteau dans son coin. Elle resta quelques minutes comme ça avant que le jeune homme ne brise le silence.

_ Vient t'asseoir, je n'aime pas manger seul.

Adeline acquiesça et s'assit en face de lui. Elle en profita pour l'observer. Ses traits s'étaient détendus, et il prenait le temps de manger, et savourait chaque bouchée de son repas.

_ Tu as aidé à la préparation de ce repas ?

_ Oui.

_ Merci. C'est très bon.

Adeline se figea, étonnée. Venait-il vraiment de la remercier ?

_ Pourquoi?

_ Excuse-moi?

_ Pourquoi vous me remerciez ? Vous êtes agaçant depuis ce matin, et là vous êtes sympa ? Je ne comprends pas.

Les yeux de Shinner s'assombrirent dangereusement tandis qu'il continuait à la fixer.

_ Je ne suis pas heureux de ta présence ici. Mais je ne suis pas le genre à me comporter comme un malpoli, même avec les servantes qui n'ont pas leur langue dans leur poche. Sors à présent.

Adeline hocha la tête, consciente qu'elle avait outrepassé son rang, et elle partit rejoindre Luc en cuisine. Elle constata une fois arrivée qu'il avait fini seul de ranger la cuisine, et ne le trouva nulle part.

Elle se dirigea donc vers les appartements de Shinner afin de rejoindre Marianne.

Celle-ci l'attendait.

Elles rangèrent et nettoyèrent ses appartements, ce qui leur prit une petite heure.

Le reste de la journée, puis de la semaine se passa ainsi. Chaque matin, Adeline allait apporter son café à Shinner. Celui-ci se contentait de la fixer, son regard sombre s'attardant sur elle alors qu'elle quittait la pièce. Il ne lui avait pas redemandé de s'asseoir avec lui pendant qu'il mangeait, et elle se contentait de rester silencieuse.

L'après-midi, elle aidait Marianne à accomplir différentes tâches.

Plusieurs semaines passèrent ainsi, sans rien de notable.


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