Ce qui reste après

Ce matin, Adeline fut réveillée une heure plus tôt par Marianne. La vieille femme lui indiqua de se dépêcher de rejoindre Luc aux cuisines.

La jeune femme s'executa, et trouva un Luc aux cheveux en désordre et aux vêtements légèrement froissés. Il tentait de s'atteler à une dizaine de préparations à la fois et accueillit la servante avec soulagement.

_ Apporte son café à Monsieur, je suis déjà en retard.

_ Mais il est seulement sept heures…

_ Marianne ne t'as pas expliquée? Madame est là aujourd'hui.

Comme si cette explication suffisait, il fit signe à Adeline de se dépêcher.

Celle-ci arriva rapidement aux appartements de Shinner. Elle entra après avoir toqué, et au lieu de trouver le jeune homme à son bureau, elle le trouva en peignoir, sortant de la douche.

Adeline détourna le regard, gênée.

_ Pourquoi es-tu là si tôt?

_ Madame vous rend visite, d'après Luc.

_ Pardon?! Il se précipita vers son dressing, laissant Adeline en plan. Quelques minutes plus tard, il revint dans un costume parfaitement ajusté, mettant en valeur sa silhouette.

_ Donne-moi ça! Il prit le café et le but en une gorgée.

À ce moment-là, des coups rapides retentirent à la porte de ses appartements.

_ C'est elle! Elle ne me laissera jamais tranquille. Va dans un coin, garde la tête baissée.

Adeline hocha la tête et alla s'installer. La porte s'ouvrit brusquement sur une femme d'une cinquantaine d'années environ, qui aurait certainement été magnifique si son visage n'était pas figé dans une expression dédaigneuse.

Elle adressa un faux sourire dégoulinant d'hypocrisie à Shinner, qui donna instantanément à Adeline l'envie de la baffer.

_ Adrian, mon cher fils! Tu m'as tellement manqué. Tu as bien reçu mes roses ?

Sinner serra les dents, un orage dans ses yeux.

_ Oui, mère. Je vous remercie.

_ Magnifique, magnifique… Tiens? Qui est cette jeune personne? Demanda-t-elle en remarquant Adeline, qui s'empressa de baisser la tête.

_ On m'avait caché cette… nouveauté. Où sont Lucas et Marie ?

_ Luc et Marianne… marmonna Shinner.

_ Peu importe, lui répondit sa mère avant de s'avancer vers Adeline.

Mais c'est qu'elle serait plutôt mignonne celle-ci! Sûrement plus à ton goût que Marianne! Elle ricana à cette idée. Enfin, fais quand même attention, il ne faudrait pas compromettre ta relation avec Amélie. Imagine son malheur si elle apprenait que tu avais une histoire avec… ça.

Elle adressa un sourire obséqieux à la jeune servante, avant de se retourner vers Shinner.

_ Pourquoi êtes-vous là, mère ?

_ Une mère a-t-elle besoin d'une raison pour rendre une visite à son unique fils? Enfin, unique fils mort. J'espère bien que ton frère saura profiter de la fortune familiale que je lui ai légué en ne mourrant pas trop tôt. Et qu'il sera digne de notre famille, contrairement à certains… Mais bon, tu n'es évidemment pas responsable de ta mort, chéri. Après tout tu n'as pas fait exprès de tomber de cette tour, il y a de ça trois cents ans.

Shinner ne répondit pas et baissa la tête.

Sa mère se dirigea vers la porte.

_ Il y a effectivement une raison à ma présence. Je te l'expliquerai une fois à table. Je ne veux pas d'oreilles indiscrètes.

Elle sortit, et Shinner prit une profonde inspiration.

_ Monsieur? Tout va bien?

_ Sort.

_ Mais…

_ Sort!

Adeline sortit donc et retourna aux cuisines, ou Marianne et Luc l'attendaient. Elle leur raconta ce qui s'était passé, et la jeune servante crut voir un éclat de colère passer sans le regard de Marianne.

_ Il vaut mieux que tu ne te montres plus à Madame. Tu resteras dans les cuisines pour aider Luc, et une fois que tu auras fini tu retourneras dans ta chambre d'accord ?

_ Oui.

_Bien. À plus tard.

Marianne sortit et les deux servants se remirent au boulot. Quelques heures plus tard, Luc lui donna son plateau et la congédia.

_ Mange dans tes appartements. Je m'occuperai de venir récupérer ton plateau. Ne sors plus de ta chambre.

La jeune femme hocha la tête, et il la laissa sortir.

Elle allait rejoindre sa chambre le plus vite possible, mais une voix l'arrêta.

_ Arrête-toi. Viens.

Adeline se figea, puis se retourna lentement vers Madame.

Celle-ci lui fit signe d'avancer. Une fois à son niveau, elle posa sa main sur son épaule, dans un geste paraissant anodin. Mais au premier contact avec sa main, une terrible sensation de brûlure s'empara d'Adeline, qui se retint de crier. Les souvenirs l'assaillirent. Elle revit l'immeuble en flammes, ressentit avec une précision plus vraie que nature l'odeur des flammes, le goût de la fumée dans sa bouche…

Puis la sensation dans son épaule s'atténua. La jeune femme ouvrit les yeux, et se rendit compte qu'elle était a genoux sur le sol, les larmes aux yeux. Son épaule la faisait souffrir, et elle leva ses yeux vers l'affreuse mère de Shinner, qui la fixait d'un air arrogant.

_ Ne crois pas que je n'ai pas remarqué comme tu écoutais notre conversation ce matin. Tu ferais mieux de te rappeler ton rang, et ta place… si tu ne veux pas d'ennuis.

Sur ces mots, elle s'éloigna, faisant tourbillonner sa magnifique robe aux tons pèches.

Adeline se releva et contempla les dégâts. Son plateau s'était renversé.

Elle vérifia l'état de son épaule et constata avec horreur que sa peau était écarlate, et avait noirci par endroits sur une zone de dix centimètres. Elle remit ses aliments sur son plateau, et le souleva avec peine, le moindre mouvement rendu douloureux par la douleur. Elle ne parvenait pas à empêcher ses larmes de couler, et semblait en état de choc. Elle laissa échapper le plateau une seconde fois avec un cri de douleur et s'effondra. Elle se tint prostrée au sol, les larmes dévalant ses joues, beaucoup trop nombreuses.

Au bout de quelques minutes, des pas retentirent dans le couloir et une silhouette la rejoint.

Adeline ferma les yeux, se sentant sombrer peu à peu.

_ Adeline! Que s'est-il passé?! Mon dieu ton bras… Tout va bien se passer, je te le promets.

Des bras la soulèverent pour la porter, et la jeune femme s'évanouit.