Le Pouvoir des Arcanes
Arrivés devant la porte du château, Lucas frappa le lourd fermoir. Aucun bruit ne provenait de l’intérieur, jusqu’à ce que la porte s’ouvre sur un homme :
-Qui êtes-vous ? fit-il d’une voix méfiante.
-Lucas Del’Sayen, je suis mage, et voici William, mon apprenti. Nous sommes déjà venus hier après-midi. Je voudrais voir sire Prontios à propos d’une affaire urgente.
-Veuillez me suivre … fit l’homme en ouvrant suffisamment la porte pour nous laisser passer. La porte claqua dans mon dos et un frisson me parcourut de la tête aux pieds. Nous traversâmes de nombreux couloirs, et je fus surpris de la pénombre qui y régnait. D’épais rideaux bouchaient toutes les fenêtres.
-Où allons-nous ? demanda Lucas.
J’étais moi aussi parcourut de doutes, le tableau qui me faisait fasse était complètement inconnu, alors que nous avions rencontré le seigneur hier à peine.
Nous ne prenions pas le même couloir…
-Dans le bureau de sire Prontios, fit l’homme d’une voix beaucoup plus rauque.
Cette voix me fit sursauter, et je sus immédiatement où je l’avais déjà entendue. C’était exactement le même timbre que celui du vampire que nous avions combattu tout à l’heure.
Lucas devait avoir suivi le même raisonnement, car il propulsa le vampire en arrière. La créature percuta le mur dans un craquement d’os et ne bougea plus.
Lucas me regarda dans les yeux avant de dire de sa voix calme :
-Je crois que le seigneur Prontios est également au courant de la présence de vampires sur ses terres. Il nous faut le trouver le plus rapidement possible !
Aussitôt je le suivais dans le dédale de couloirs. Il semblait savoir où il allait, car nous débouchâmes rapidement dans une vaste salle qui m’était familière. C’était la salle d’attente qui menait au bureau de seigneur Prontios.
Guettant le moindre signe suspect, Lucas s’approcha de la porte du bureau. Elle était fermée d’un verrou à l’extérieur. Des grognements derrière me rassurèrent. Le seigneur avait dû être enfermé dans son bureau.
Lucas fixa le verrou quelques secondes, et ce dernier se mit à fondre, libérant la porte de son entrave. Le seigneur était assis sur sa chaise, le visage marqué de sang et de plaies.
-Seigneur Prontios, allez-vous bien ? fit mon maître en s’approchant de lui.
-Cela pourrait aller mieux. Ils ont tué tous mes gardes, et m’ont emprisonné dans mon bureau.
Il leva les yeux vers Lucas, le visage horrifié par les tourments qu’il avait vécu ces dernières heures :
-Ils sont alliés aux nains ! Ils construisent un tunnel sous les montagnes pour nous envahir ! Il faut que vous alliez prévenir le roi et les magiciens tout de suite !
Un bruit dans mon dos me fit frémir tandis que je me retournais. Des vampires, je les reconnaissais à leurs yeux, se trouvaient sur le pas de la porte.
Mon maître envoya voler ceux qui nous bloquaient le passage et nous sortirent du bureau. Ils étaient sept face à nous, prêts à bondir sur nous en un instant. Je retenais ma respiration de peur, puis voyant mon maître immobile prêt à combattre, je me ressaisis aussitôt.
-Lucas Del’Sayen, le mage qui a tué le seigneur Darkull ! rugit celui qui semblait être leur chef. C’était le plus grand et le plus impressionnant. J’attendais ma vengeance depuis trop longtemps !
Deux vampires sautèrent sur mon maître, qui matérialisa un bouclier juste à temps pour se protéger.
J’étais en retrait avec le seigneur Prontios, tellement paralysé par la peur que je n’arrivais plus à me concentrer.
-Vois-tu mage, tu t’affaiblis un peu plus à chaque fois que tu uses de magie. Bientôt, tu seras inoffensif, et je me ferais un plaisir de te tuer.
Une boule de feu naquit devant mon maître et fut propulsée sur le chef vampire. D’un bond, il l’esquiva habilement et approcha davantage, prêt à porter le coup fatal.
Après une certaine maîtrise, un mage a un contrôle sur son pouvoir suffisamment important pour ne plus avoir à fermer les yeux. À partir de cet instant, il peut donc user de magie instantanément. Néanmoins, il doit avoir conscience que chaque utilisation de magie l’épuise également physiquement. Il arrive même des fois qu’un mage se consume sur place après avoir dépassé ses limites. Il est donc primordial de connaître les limites de son pouvoir, et d’éviter à tout prix de les dépasser.
Il fallait que j’arrive à le faire… Combattre des vampires se révélerait déjà assez compliqué comme ça, alors le faire les yeux fermés rendrait cela impossible.
Je me concentrai, tentant de faire reculer le vampire qui menaçait mon maître. Et presque immédiatement, je sentis mon pouvoir fonctionner. Le chef vampire recula de plusieurs pas, sous l’impulsion que j’avais envoyée.
Aussitôt, tous les vampires se tournèrent vers moi et m’attaquèrent simultanément. Le seigneur Prontios s’empara d’une épée qui servait de décoration et se prépara à se battre.
Mais d’une pensée, je les envoyai tous s’écraser contre les murs de la pièce. Le chef vampire me fixait les yeux enflammés par la rage et ordonna d’une voix forte :
-Tuez-le immédiatement !
Ma colère n’en fut qu’accrue, et d’une injonction, je formais un tourbillon qui se mit à m’entourer. Les deux vampires qui m’attaquèrent à cet instant se prirent de plein fouet une onde d’air, et tombèrent tous les deux au sol, morts…
Le seigneur se défendait contre deux vampires, il avait combattu dans sa jeunesse, mais le manque de pratique lui avait fait perdre une grande partie de sa vigueur et il peinait à les repousser.
D’un regard, je décrochais une épée du mur et transperçait de sa pointe le corps de l’un des deux adversaires. Le seigneur devrait s’occuper des deux autres, car deux autres vampires tentaient de passer le tourbillon que j’avais créé et qui gagnait en puissance.
D’un revers de main, j’en bloquais un sur place et accentuait la pression. Il grogna de rage, qui se transformèrent en cris de douleur quand ses os se brisèrent. Il finit au sol, sans vie.
L’autre me sauta dessus. Le tourbillon ne le ralentit qu’à peine et il se trouva devant moi. Je me baissais pour éviter un coup qui m’aurait probablement décapité, avant de former un bouclier devant moi et de le repousser. Déséquilibré, il recula d’un pas et tomba dans mon tourbillon qui l’emporta et l’envoya se fracasser au plafond.
Mais je ressentais maintenant le contrecoup, le retour de force. Toute l’énergie que j’avais utilisée pour combattre m’avait fatigué. Je tombais à genou, et regardais autour de moi. Le seigneur avait réussi d’un coup d’arme habile à blesser le vampire à la jambe. Il en profita pour porter un second coup, cette fois-ci qui transperça le crâne de la créature.
-Impressionnant, fit alors une voix dans mon dos.
Je me retournais et levais la tête. Le chef vampire se trouvait face à moi. J’avais utilisé toute mon énergie à combattre ses sbires, oubliant ainsi le chef. Ce dernier était maintenant devant moi tandis que j’étais impuissant et il tenait dans sa main un poignard noir.
-Un si grand pouvoir… fit-il, quel gâchis.
Il attaqua tandis que je me recroquevillais sur moi-même, résigné à ce qui allait se passer, fermant les yeux en l’attente de la douleur.
Mais cette dernière n’arriva pas, et quand j’ouvris les yeux, j’aperçus un tas de cendres devant moi.
En regardant autour de moi, à la recherche de l’aide providentielle qui venait de me sauver la vie, je vis mon maître tomber sur le côté. Aussitôt, je compris qu’il venait de donner le reste de son énergie à me protéger, et par cette utilisation de la magie, s’était sacrifié.
Je courus dans l’espoir que ce que je venais de penser soit faux. J’avais sûrement commis une erreur, peut-être qu’il était juste inconscient ou endormi.
Mais quand j’arrivai à son chevet, je sus que j’avais raison. Ses yeux étaient vides de toute vie, et plus aucun mouvement ne parcourait son corps.
Lucas Del’Sayen venait de se sacrifier pour me sauver la vie.
***
Des jours suivants, je ne garde bien peu de souvenirs. J’errais dans le château comme une âme en peine, tentant désespérément de fuir cette réalité. Je logeais dans une aile du château qui donnait sur le petit village et la forêt.
Alors que j’entrais dans le bureau du seigneur, je le trouvais en train de regarder depuis son balcon les montagnes. Il avait dû m’entendre entrer, car il se retourna. Après m’avoir posé des questions sur ma santé, il finit par arriver au vrai sujet de conversation, ce pour quoi il m’avait fait venir :
-Grace à ton maître et toi, le royaume est protégé. J’ai demandé des renforts au roi, et fait sceller de l’extérieur les portes des nains. Néanmoins, je ne pense pas qu’ils attaqueront. Nous leur avons fait perdre l’effet de surprise, et avons déjoué leurs plans.
Je ne savais quoi dire, entre la mort de mon maître et les remerciements du seigneur, ce que nous avions fait ne me paraissait peut-être pas aussi merveilleux qui semblaient l’être.
-Puis-je me retirer, seigneur. Je voudrais partir dans la matinée…
-Je t’en prie William, mais n’oublie pas que notre porte te sera toujours ouverte si un jour l’envie te disait de passer dans le coin.
Je partis tranquillement du château, heureux de retrouver une certaine liberté. On m’avait donné les affaires de Lucas, me disant qu’elles m’appartenaient désormais. Quand je l’avais ouverte, j’avais trouvé à côté d’un grimoire un petit morceau de parchemin plié :
Cher William
Si tu lis ce message, c’est que je ne suis plus. Sèche tes larmes et continue de vivre, car ce sera la seule façon pour toi de t’en sortir. N’oublie jamais qui tu es et continue ton apprentissage comme tu le peux. Car on n’a pas tout le temps le choix, et il faut parfois s’adapter à ce que la vie nous réserve.
Ton ami et ton maître
Lucas Del’Sayen