La dernière âme
Springtrap avançait mécaniquement vers la grand route où les écrans géants affichaient les dernières informations. Comme les jours précédents, il était en tête d'affiche. Non seulement on l'avait filmé en train de tuer une femme, mais Golden Freddy était lui aussi une cible désormais. Ses esprits étaient encore confus et même s'il s'était plus ou moins calmé, il ne se rappelait pas la moitié des choses qu'il avait fait la nuit précédente. Cela arrivait, de plus en plus souvent. Quand il perdait le contrôle, quelque chose prenait sa place. Un autre lui. Ou peut-être avait-il simplement perdu l'esprit ? Après cent ans à discuter avec des fantômes et avec lui-même, tout était possible.
Les écrans montraient cependant quelque chose de nouveau aujourd'hui. Non seulement les rapaces aux caméras avaient donné l'adresse qu'il cherchait depuis si longtemps, mais ils avaient filmé les occupants de la maison en train de faire descendre des robots d'un gros camion. Il avait assez traîné avec ces saloperies mécaniques pour reconnaître la forme emblématique de Freddy au loin. Ainsi, la Marionnette s'était trouvé de nouveaux alliés. Pire encore, Elisabeth l'avait de toute évidence trahi pour rejoindre la rébellion, comme il le voyait sur les images. Ce qu'il redoutait le plus se produisait sous ses yeux : on lui volait sa fille et il ne pouvait rien y faire. En colère, il donna un grand coup de pied dans une poubelle qui se trouvait sur son chemin. L'acte ne lui ramena pas sa fille, mais le calma temporairement. Il examina les environs, puis se dirigea vers un arrêt de bus sur le trottoir d'en face, dans l'espoir de trouver une carte.
Comme partout, l'interface était numérique et, pire, digitale. Il eut beau grogner, arracher des câbles, frapper sur la machine, elle refusa de le reconnaître comme humain et d'accéder à sa demande. Il réfléchit un instant, avant de débrancher sa carte mère. Il décrocha le panneau de bord et connecta les fils au mécanisme qui grésilla sous la surcharge. En un clignement de paupières, il avait toutes les données nécessaires à son voyage. Il acheva la machine en la jetant sur la route, avant de se mettre en marche vers sa destination. Ironie du sort, la maison qu'il cherchait se trouvait à seulement huit cents mètres de sa position. Depuis tout ce temps, il se dirigeait du mauvais côté.
Sur le chemin, il commença à réfléchir à un plan. Il était évident que ses fantômes adorés allaient le piéger dans la maison, pour faire dieu seul sait quoi. Il pouvait essayer de forcer le passage, mais avec de nouveaux robots hystériques ou Elizabeth qui faisait trois fois son poids, la mission se révélerait vite suicidaire. Il devait aussi se méfier des pouvoirs de la Marionnette et de sa fille, capables toutes deux de le maintenir dans les airs ou le bloquer. Golden Freddy s'ajoutait à l'équation également. Il ne se rappelait pas s'être disputé avec lui, mais les caméras l'avaient montré en train de le jeter sur la route, ce qui avait l'air de tout sauf d'un comportement positif. Il avait beau retourner le problème dans sa tête, il était de toute évidence mort s'il mettait un pied là bas.
La manipulation pourrait néanmoins lui sauver la peau. Il connaissait l'impulsivité de Bonnie, le tempérament colérique de Freddy, la persistance de Chica et la rapidité de Foxy. Il savait aussi où frapper la Marionnette pour la briser psychologiquement et physiquement. Mais s'il pouvait les gérer un par un, en groupe, l'affaire s'avérait plus complexe. Le problème restait le même : pour un à terre, tous les autres l'attaqueraient.
La maison était visible au loin, encerclée de camions de télé. La solution s'offrit alors à lui, comme sur un plateau. Un otage. Il lui fallait un otage. S'il menaçait de s'en prendre à un gosse, on lui foutrait la paix pour au moins quelques minutes et il pourrait tenir la Marionnette en respect. La solution la plus évidente était la gamine survivante qui lui pourrissait la vie depuis qu'elle avait décidé de lui résister. C'était la cible idéale. La Marionnette la défendait, elle deviendrait folle s'il lui arrivait quelque chose. Mais pour ça, il fallait pénétrer dans la maison. Il sourit quand le plan lui sauta aux yeux. Tout ce dont il avait besoin, c'était une diversion. Et il se trouvait qu'il en avait une devant les yeux.
Il s'avança à grands pas vers la maison. Très vite, les caméras se braquèrent dans sa direction. Les murmures des journalistes se transformèrent en cris d'excitation : enfin de l'action ! Enfin des morts ! Ils ne s'attendaient cependant pas à devenir des cibles faciles et dont on peut se débarrasser. Une femme courut vers lui avec un micro et lui colla sous le nez en posant des tas de questions qu'il n'écouta pas. Il poussa un grognement avant de lui briser brutalement le tibia d'un coup de pied. La femme tomba à terre dans un cri de surprise et il écrasa son crâne sous son pied avec toute la force dont il était capable avant qu'elle ne puisse émettre la moindre plainte. Incrédules, les autres journalistes hésitèrent. Certains reculèrent, d'autres au contraire voulurent jouer avec le loup pour avoir de meilleures images du cadavre à ses pieds. Springtrap resta un moment immobile, savourant la peur et l'appréhension dans leurs yeux, puis les chargea. Certains s'écartèrent par instinct de survie, d'autres se prirent le robot de plein fouet. Il réussit à briser la colonne vertébrale d'un caméraman contre un camion, avant de se retourner pour donner un grand coup de poing dans un homme qui tentait de lui venir en aide. Très vite, des cris de panique s'élevèrent partout autour de lui alors que les journalistes fuyaient le plus loin possible.
Springtrap, un peu désorienté, marcha sur un sac. Une bouteille d'alcool roula entre ses jambes, pleine. Son regard s'illumina de folie lorsqu'une nouvelle idée germa immédiatement dans sa tête. Il se tourna vers la maison : la Marionnette était à la fenêtre avec ses chiens de garde et des humains. Même si son visage restait froid et inexpressif, il n'eut aucun mal à lire ce qu'elle pensait. Yeux dans les yeux avec elle, il saisit le caméraman paralysé à la gorge et lui arracha la trachée sans un regard pour sa victime qu'il relaissa tomber au sol et s'étouffer dans son sang. Un rire malsain sortit de sa gorge lorsqu'il la vit sursauter d'effroi.
"Amène-toi ! lui cria t-il. Je n'ai pas peur de toi. J'ai peur d'aucun de vous !"
Elle recula. De toute évidence, son plan fonctionnait. Avec force, il secoua les cadavres autour de lui, jusqu'à ce que de la poche de l'un d'eux tombe dramatiquement un briquet. Il le saisit, son unique bras tremblant d'excitation, puis s'empara de la bouteille d'alcool à ses pieds. Il arracha un morceau de tissu du pantalon de sa dernière victime et le rentra dans la bouteille. La porte ne tarda pas à s'ouvrir sur la Marionnette avec hésitation. Le robot passa d'abord sa tête, puis sortit totalement, lentement. Elle sentait la peur et la colère. Et cela lui plaisait beaucoup. Il sentait l'autre lui s'exciter dans sa tête, comme l'assouvissement de cent ans de calvaire. Le robot s'arrêta à quelques mètres de lui, à une distance raisonnable.
Qu'est-ce que tu veux ? Te montrer en spectacle ? Attirer mon attention ? Tu as gagné, je suis là.
"Charlie, Charlie, Charlie... Depuis combien de temps nous connaissons-nous maintenant ? Tu me connais, tu sais très bien ce que je veux alors ne perdons pas de temps en bavassages. Rends-moi Elizabeth."
Non.
"Je te demande pardon ?"
J'ai dit non. Ce n'est pas un objet dont tu peux te servir à ta guise et tu lui as fait du mal. Elle n'a pas besoin de toi. D'ailleurs, personne ici n'a besoin de toi. Tu nous empoisonnes la vie, tu gâches la chance qu'on t'a donné de te rattraper en te comportant comme un idiot. Ce n'était pas censé se passer comme ça.
"Oh oui. J'aurais dû rester bien sagement enfermé entre quatre murs jusqu'à la fin des temps à me parler à moi-même ? Rester dans la gentille petite prison mentale de Georges jusqu'à ce qu'il finisse par me briser et me faire détester ce que j'ai fait ? Tu veux savoir, Charlie ? Regarde-moi bien en face et imprime ces mots dans ton crâne : ce que j'ai fait, ce que je vous ai fait, je le referais sans hésiter si j'en avais l'occasion. Pas par plaisir, mais parce que si je n'étais pas tombé ce jour-là par accident, on sait tous les deux que Elizabeth serait libre aujourd'hui. Peut-être même que vous le seriez tous. Mais non. Non, tu ne penses qu'à toi et à ta petite vengeance, et voilà où nous en sommes !"
Il attrapa une caméra et la jeta violemment dans sa direction. Elle l'évita d'un bond en arrière mal assuré. Il la provoquait, il voulait qu'elle montre son vrai visage, celui d'un monstre sanguinaire, juste comme lui, qui se cache derrière une soi-disant volonté de protéger pour s'en sortir. Mais elle ne semblait pas d'humeur à entrer dans son jeu.
Ne m'oblige pas à intervenir, William. Nous savons tous les deux que je vais te battre et que ça va mal finir pour toi. Tu n'es pas dans ton état normal et tu fais peur à voir. L'homme à qui j'ai confié cette deuxième chance était prêt à tout pour se faire pardonner. Et regarde-toi aujourd'hui ! Tu marches dans les pas de Henry sans même t'en rendre compte. J'ai mal pour toi, pas parce que tu es devenu pire que lui, mais parce que nous pensions vraiment que tu pouvais devenir quelqu'un de meilleur.
Spingtrap ne parut nullement impressionné et écarta les bras pour la défier. La Marionnette resta neutre, mais un grondement sourd et mécanique s'échappait de sa gorge. Elle l'avertissait.
"Tu dis que je ressemble à Henry, mais tu t'es regardée dans un miroir récemment ? Tu n'aides pas ces gosses, tu les transformes en soldat pour servir ta vengeance et tu les retiens en otage ici. Ils sont totalement abrutis par tes paroles salvatrices, ils ne remettent jamais rien en question. On en vient presque à se demander ce que tu cherches vraiment : les libérer, te faire plaindre ? Devenir une espèce de déesse ? T'es rien de tout ça. T'es une gamine de huit ans qui se prend pour un général de guerre. T'es exactement comme ton père : posséssive, violente et malheureuse dans ta condition. M'arrêter te donnera peut-être bonne conscience, mais ensuite ? Qu'est-ce que tu vas faire ? Porter ta colère sur eux ? Les abandonner parce que tu auras eu ce que tu veux ? Tu as raison, je suis pitoyable, je veux pas le pardon, je veux pas non plus que tu me plaignes. J'ai peut-être gâché ma vie, mais tu m'as donné l'immortalité, tu savais que ça aurait des conséquences. Et tu savais très bien que j'étais trop brisé pour écouter tes sornettes. Mais je ne suis plus faible, je ne fuis plus depuis bien longtemps. J'ai plus rien à perdre, et c'est ça qui te fait peur. Parce que peu importe ce que je fais, j'ai compris depuis bien longtemps que ça n'avait aucune conséquence. Je continuerais à tuer, encore et encore, pour que tu admettes que ce que tu m'as fait n'était pas un cadeau, mais une erreur. Parce que tu as raison. Je n'étais pas un monstre. C'est toi, c'est vous tous qui m'avez fait perdre l'esprit. Et je vais vous le faire regretter jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un tas de ferraille tordue de tous tes copains robots."
Elle ferma les poings, elle se mit à trembler de colère. Oh oui, il avait visé juste. Elle ne répondit pas mais fit un pas vers lui, puis un deuxième. Elle s'éleva légèrement du sol et continua d'avancer. Son aura devenait menaçante à chaque foulée dans sa direction. Springtrap fronça les sourcils. Il connaissait bien cette posture pour l'avoir vu sur de très nombreux enregistrements de gardes nocturnes : il venait d'arrêter la musique de sa boîte et elle allait le massacrer. Derrière la fenêtre, Freddy était agité, de plus en plus nerveux. Avait-il compris ce qu'il s'apprêtait à faire ? Il en doutait. Les enfants ne connaissaient pas grand chose en explosifs, contrairement à lui. Difficilement à cause de sa main manquante, il alluma le briquet, et embrasa le tissu dans la bouteille à ses pieds.
La Marionnette cessa tout mouvement, subitement inquiète et nerveuse. Springtrap se mit à rire.
"Ah, c'est vrai que tu n'as jamais pu vraiment voir comment j'avais crâmé l'attraction d'horreur, il y a vingt ans. La gaz a beaucoup aidé, c'est vrai. Mais on n'en oublie les essentiels : cocktail molotov !"
Il alluma sa bouteille et la jeta sur le robot de toutes ses forces. La Marionnette s'embrasa sous ses yeux dans un hurlement mécanique. Alors que Freddy, Chica et Bonnie se précipitaient dehors pour l'aider, Springtrap traça vers la porte d'entrée. Freddy s'aperçut de l'effraction et se jeta à cœur perdu après lui, bien trop tard. Springtrap lui claqua la porte au nez. Il était entré.