TOME 1 - Un bout de chemin ensemble

Chapitre 9

7973 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 07/08/2020 22:11

Chapitre 9

Ils quittèrent la forêt pour rejoindre les vastes plaines qui séparaient le Conflans des Eyrié. La chaleur accueillante du Sud devenait lointaine mais restait tout de même confortable au fur et à mesure qu’ils se dirigeaient vers le Nord.

Sandor sifflotait pour lui-même une vieille chanson qu’il avait une fois entendue dans une taverne à Port-Réal, chantée par des prostituées, lorsqu’il était accompagné par d’autres Gardes Royaux des Lannister. Il ne l’aimait pas particulièrement, mais il commençait peu à peu à s’ennuyer avec les deux filles boudeuses en guise de compagnie pour ce long voyage dans la nature. L’une se refusait à lui parler à cause de leur confrontation en pleine nuit, et l’autre pour la simple et bonne raison qu’elle le détestait depuis leur tout premier échange. Rien d’étonnant, au final.

«Arrêtez ça.» Ordonna Arya devant lui sans le regarder, le vent soufflant quelques-unes de ses mèches courtes sur son front.

«Tu sais ce que c’est ?» Sandor pencha sa tête vers elle pour voir que son visage était tout aussi pâle que ce matin. Sauf que cette dernière détourna aussitôt les yeux de lui sous prétexte qu’elle refusait de le regarder pour n’importe quelle raison.

«Non et je m’en fiche ! Arrêtez ça. Et éloignez-vous, votre haleine risquerait de me tuer.» Dit-elle plus durement en enfonçant ses ongles dans le bras du Limier même s’il ne pouvait rien ressentir avec son armure. L’homme se redressa sur la selle puis récupéra une noix qu’il avait cueillit plus tôt pour en croquer un morceau. Il la tendit ensuite à la Stark qui ne se priva pas de frapper sa main loin d’elle, exaspérée par son comportement nonchalant.

«C’est un hymne à la gloire, très connu à Port-Réal.» Poursuivit-il en reprenant ses sifflements qui énervaient Arya au plus haut point.

Emerys, de son côté, ne parlait toujours pas parce qu’elle était concentrée sur ses mains qui tenaient les rênes de son cheval dans une poigne serrée. Le tourment était gravé sur son visage. La pauvre bête boitait terriblement, et tout ce qu’elle voulait faire c’était de la libérer de son poids pour la laisser se reposer à l’arrêt après tant d’efforts. Mais le Chien ne la laissera jamais faire une chose pareille. Le Chien … Maintenant qu’elle y pensait, elle comprenait pourquoi il se faisait appeler comme tel par le peuple. C’était devenu clair comme de l’eau de roche pour elle après les aléas de la nuit dernière. Un homme sournois, brutal et aguerri qui aimait vivre en solitaire.

Ce nom lui collait si bien à la peau tout compte fait.

Soudainement, la jument d’Emerys émit un couinement de douleur puis tomba brusquement à la renverse sur le flanc gauche, ne laissant pas à sa cavalière l’opportunité de sauter hors de la selle avant qu’elle n’étende son poids sur sa jambe. La jeune femme se retrouva donc coincée entre l’animal et le sol, le pied dans l’étrier sous la demi-tonne de chair et de muscles. Cela lui arracha un hurlement de douleur mais elle serra les dents pour ne faire plus que des gémissements, les yeux plissés et quelques perles de sueur se formant sur son front. A l’aide de ses deux mains, elle tenta de pousser la selle pour faire relever la bête étendue sur une partie de son corps. Cependant morte de fatigue, la jument refusa de coopérer.

«Allez ! Lève-toi !» S’écria Emerys de colère, frappant désespérément la selle avec ses mains.

«Putain.» Grommela le Limier une fois à terre avec Arya à ses côtés en étudiant la situation compliquée.

Une fois évaluée, il récupéra les rênes du cheval à terre puis le tira de toutes ses forces vers lui pour l’obliger à basculer et ainsi à retourner sur ses pattes. Arya s’écarta vite d’Emerys tandis que la jument souffrante se redressa difficilement sur ses sabots, hennissant d’inconfort, libérant enfin sa cavalière gémissante sur le sol dans un rebond lourd. Une fois entièrement debout, Sandor tapota gentiment l’encolure de l’animal pour le féliciter de son effort avant de s’approcher d’Emerys pour la soulever à ses pieds. Ses sourcils se froncèrent lorsque cette dernière grinça des dents à la vive douleur qui traversa sa jambe au contact de sa botte sur l’herbe.

«Est-ce que ça ira ?» Demanda-t-il en levant ses yeux dans ceux de la femme en difficulté. Tout en gardant une prise ferme sur son bras, il l’inspecta de la tête aux pieds pour toutes éventuelles blessures.

Dorénavant très inquiète, Arya avala avec nervosité lorsqu’Emerys prit de profondes inspirations par le nez et qu’elle se contenta de simplement hocher la tête en réponse à la question complètement stupide du Chien. De toute évidence, elle n’allait pas bien du tout ! Son visage s’était considérablement pâli, de petits tremblements secouaient spasmodiquement ses membres alors qu’elle essayait de mettre son pied à terre. Une tâche qui aboutissait toujours à un échec …

«Bien.» Le Limier lâcha Emerys quand elle reprit son équilibre. Ensuite il récupéra son poignard à sa ceinture, se retourna vers la jument et d’un geste brusque, lui trancha la gorge. Le cheval eut juste le temps de faire un dernier cri de douleur avant de s’effondrer sur le sol pour étaler la totalité de son sang sur l’herbe.

«Pourquoi vous avez fait ça ?!» Hurla Arya offusquée, la bouche grande ouverte.

Toutefois le mercenaire ne lui répondit pas. Il rangea sa lame dans son fourreau puis s’agenouilla à côté de l’animal en train de mourir pour l’aider à s’allonger tout en lui caressant doucement l’encolure, chuchotant des mots rassurant à son oreille. La louve fronça les sourcils pendant qu’Emerys s’approchait d’elle en boitant jusqu’à se tenir à sa gauche pour regarder le spectacle attristant, les regrets au fond de ses yeux sombres. Elle posa une main rassurante sur l’épaule d’Arya indignée par l’acte de cruauté du Limier qui n’en était pas vraiment une mais plutôt une libération après des heures et des heures de supplice.

«Elle était blessée. Sa plaie était devenue putride avec le temps. C’était à moi de le faire, mais je n’avais tout simplement pas le courage…» Emerys laissa sa phrase en suspens. Elle préféra lâchement détourner le regard de la bête agonisante et de tout ce sang, l’odeur du cuivre empestant à plein nez.

Tout ce sang …

Déglutissant au poids de la tristesse dans son cœur, la jeune femme laissa Arya pour venir s’accroupir auprès de la jument afin de lui caresser le ventre tout en lui murmurant une petite prière. Sandor,  également accroupit à ses côtés, la regarda faire dans le plus grand des silences. Ce dernier retira brusquement sa main lorsque leurs doigts se frôlèrent malencontreusement sur la fourrure brune du cheval haletant. La sensation avait été électrisante, comme s’il venait de toucher un feu incandescent, une source de puissance sans pareil ... Etrangement perturbé par cela, il détourna rapidement le regard de la femme quand celle-ci lui offrit un petit sourire timide.

Une fois le cheval mort, le Limier reprit son poignard à sa ceinture pour découper sa carcasse. Il devait faire vite car les charognards tel que les loups ou les ours rôdaient dans les parages et ne mettront que très peu de temps à rappliquer ici pour s’accaparer de la bonne viande juteuse. N’étant d’ailleurs pas très loin d’habitations, il n’avait pas vraiment envie d’attirer l’attention des paysans en s’attardant ici dans leurs champs. Du coin de l’œil, il vit qu’Arya venait d’ouvrir la bouche pour lancer un autre argument sauf qu’il la devança avant même qu’elle ne puisse faire un commentaire cinglant sur sa prise de décision.

«Tu ne te plaindras pas quand tu auras un steak de cheval pour ton repas !» Dit-il d’un bras sur son genou, la lame sanglante du poignard pointée dans sa direction. Il haussa les sourcils alors qu’elle refermait la bouche puis d’un petit reniflement dédaigneux, il poursuivit son dur labeur.

Emerys était littéralement éprise par tout ce sang déversé sur l’herbe, créant ainsi un magnifique contraste avec la couleur verte naturelle. C’était de toute beauté ... Tout à coup noyée dans ses sombres pensées autour de la mort et de ses mystères, elle avait beaucoup du mal à décrocher son regard de la couleur rubis sous forme d’un liquide épais né de la souffrance. C’était comme un charme ensorcelant, ses yeux perdus dans cet immensité de rouge cramoisie qui tâchait le décor. Il lui fallut toute la volonté du monde pour reprendre ses esprits et se diriger vers Stranger à la recherche de sacs vides pour les remplir de bonne nourriture.

Emerys était très peinée pour cette pauvre jument mais sa mort ne sera pas vaine.

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Quand ils reprirent la route plus tard, Sandor fût contraint de prendre Emerys derrière lui car n’ayant plus de monture et étant blessée à la cheville, ils n’avaient d’autre choix que de procéder de cette manière pour poursuivre leur chemin avant la tombée de la nuit.

Une obligation qui ne ravivait ni l’un, ni l’autre. Et avec cette toute nouvelle blessure cela laissait supposer qu’elle ne pourra pas bien marcher et encore moins courir en cas de danger dans les prochains temps. De quoi agacer le Limier qui ne trouvait en elle qu’une tire au flanc inutile. Mais qu’est-ce qui lui avait pris d’épargner cette maudite femme ?! Il se posait souvent la question, aujourd’hui plus que jamais. Cependant il ne pouvait s’empêcher d’avoir un goût amer en bouche à chaque fois qu’il pensait à ce genre de critique, une sensation d’incommodité qui rampait dans ses tripes et qui finissait par lui donner un semblant de remord.

Emerys le tenait fermement avec ses bras encerclés autour de son estomac blindé, sa joue droite pressée dans son dos comme si qu’elle craignait de basculer de la croupe de Stranger à tout moment. Et pourtant, le rythme du cheval étant constant et régulier, elle ne risquait pas grand-chose mise à part se faire une énorme crampe à force d’être tendue. Cela amusait beaucoup le Chien à vrai dire. Mais pas autant qu’Arya qui ne cessait de se retourner pour regarder la position compromettante de sa prisonnière avec un large sourire malicieux aux lèvres. C’était une image très ironique, en effet. La louve se retint de glousser en posant une main sur sa bouche au moment où elle vit le visage d’Emerys se crisper en dessous du bras du Chien quand ils passèrent au-dessus d’une branche en travers du chemin.

«Vous n’avez pas l’air d’aller bien. Pourtant, vous étiez déjà assise là !» Commenta comiquement Arya en levant un sourcil à la femme vraisemblablement anxieuse. Emerys souffla d’une grimace puis observa la fille Stark de là où elle s’accrochait.

«Peut-être mais à ce moment-là, je n’étais pas consciente ! Ce cheval est beaucoup plus grand que je ne l’imaginais. Je dois m’agripper si je ne veux pas atterrir sur le sol !» S’époumona-t-elle alors qu’elle se sentait lentement glisser de la croupe de l’étalon à la robe noire luisante. Par tous les Dieux ! En voilà une situation embarrassante.

Mais en réalité, elle admirait beaucoup Stranger pour sa force et sa vigueur. Un cheval de guerre pouvant porter de grandes charges sur de longues distances, de quoi s’émerveiller devant cet animal gracieux à la musculature saillante. Malgré qu’il soit quelque peu agressif et qu’il ne supportait visiblement pas les caresses de quelqu’un d’autre que son Maître, Emerys l’appréciait pour son caractère féroce semblable à celui de son cavalier. Un petit sourire se forma sur ses lèvres à cette dernière pensée, sourire qui s’évanoui pour être remplacé par un sifflement de peur quand la monture accéléra le pas pour sortir d’un ruisseau. Involontairement, elle resserra sa prise sur le Limier.

«Mhm, c’est pas dérangeant. Accroche-toi bien surtout.» Roucoula Sandor d’un sourire cocasse quand il sentit les doigts d’Emerys s’enfoncer dans les parties molles de son armure abdominale. C’était plutôt agréable de sentir une forme féminine contre lui.

Arya esquissa à son tour un petit sourire à la tentative désespérée du Limier pour détourner la situation à son avantage. Il trouvait toujours quelque chose à dire pour rendre l’atmosphère dérangeante … Se trouvait-il drôle ? Intriguée, elle leva la tête pour regarder son visage constamment tiré dans un petit rictus sévère. Elle fronça les sourcils tandis qu’elle s’intéressait plus particulièrement à sa cicatrice hideuse, sans la moindre discrétion, cherchant à le déstabiliser d’une certaine manière. Elle le toisa longuement tout en se remémorant ses nombreux méfaits et à quel point elle avait envie de se venger pour avoir fait du mal à Emerys pendant qu’elle avait le dos tourné.

Gros lâche.

«Qu’est-ce que tu regardes ?» S’exaspéra le Limier en regardant la gamine de haut, imitant son froncement de sourcils exagéré. Elle le fixait comme s’il était devenu Joffrey en personne !

«Rien, je réfléchissais.» Arya plissa méchamment les yeux avant de revenir au sentier ennuyeux qui traversait la forêt. A chaque fois qu’elle posait les yeux sur lui, elle avait envie de vomir et de lui griffer le visage pour le rendre encore plus laid qu’il ne l’était déjà.

«Ça doit être difficile avec une aussi petite tête que la tienne ! Réfléchis pas trop, tu risques de griller le peu d’intelligence qui te reste.» Ironisa le mercenaire dans son dos. Il sourit encore plus lorsque la fillette, en réponse, lui frappa la jambe avec la paume de sa main gauche. Elle avait été piquée dans son amour propre.

La jeune Stark était facilement irritable aujourd’hui, néanmoins une pause s’imposait après six heures à cheval depuis les premières aurores du matin. Leurs muscles criaient pour obtenir un peu de repos, de plus que la viande qu’ils avaient amassée sur la carcasse de la jument devait être consommée dans les plus brefs délais avant qu’elle ne devienne avariée ou infestée d’asticots. Ils ne pouvaient absolument pas se permettre de faire du gaspillage avec une denrée aussi rare ! Laissant le cheval brouter l’herbe dans son coin, ils s’installèrent tous les trois près d’un amas de rochers entre des champs puis allumèrent un petit feu pour faire cuire leur précieuse nourriture dans le plus grand des silences. Comme à l’accoutumé.

Une fois son estomac plein, Sandor s’éloigna des deux filles pour aller vider sa vessie douloureuse. Et bien-sûr le plus loin du feu, car il lui fallait toujours un espace de sécurité entre lui et son ennemi juré pour son propre confort. Dans son dos, Arya et Emerys lui jetèrent de drôles de regards mais il se moquait bien de ce qu’elles pouvaient penser de son comportement ridicule à l’égard d’une chose qui ne pouvait pas lui sauter au visage. C’était cependant complètement incontrôlable, il s’agissait d’un réflexe vital bien plus fort que lui. Arya profita donc de cet instant de répit pour s’approcher furtivement d’Emerys et lui poser une question qui lui brûlait les lèvres depuis hier soir.

«Vous a-t-il fait du mal ? Le Limier. Est-ce qu’il vous a vraiment touché ?» Lui demanda-t-elle à voix basse sans détourner les yeux de la forme du Chien urinant contre un arbre. A sa question directe, Emerys avala de travers son morceau de viande avant de tousser dans son poing pour libérer ses voies respiratoires obstruées.

«Rassure-toi, je suis plus forte que tu ne le penses. Il ne m’a rien fait du tout hier soir dans la forêt.» Dévoila-t-elle tout en se raclant plusieurs fois la gorge. Elle tapota son torse avec son poing tandis que la tête de la Stark se tourna si vite vers elle qu’elle pensait qu’elle venait de se faire un coup du lapin.

«Mais le Limier avait dit-» Emerys leva une main devant le visage d’Arya pour la faire taire d’un sourire bienveillant. Et une fois qu’elle referma la bouche avec un petit claquement audible, elle poursuivit.

«Il dit et veux faire croire beaucoup de choses. Mais il n’est pas si mauvais, au fond.» Certifia-t-elle en haussant les épaules avant de récupérer son morceau entamé pour en mâcher le reste.

«Il a tué l’un de mes amis, je veux le voir mort. Peu importe ce qu’il fait ou ne fait pas, il reste un homme terrible qui doit payer de ses actes épouvantables. Personne ne change jamais …» Rétorqua Arya d’un soupir apathique. Elle alla ensuite se rasseoir à sa position initiale quand le Limier revint vers elles tout en rebouclant sa ceinture à sa taille, l’un de ses gants en bouche.

En revanche il devint un peu perplexe quand il remarqua les regards insistants que les deux filles lui lançaient, sentant comme un malaise dans l’air depuis son retour. Quelque chose s’était passé durant sa courte absence entre ces deux-là avec leur air faussement innocent. Mais à quoi bon s’inquiéter ? Ce n’était une fois encore rien de nouveau pour lui, donc il n’en avait clairement rien à cirer de leur petit jeu de bonne femme. Alors, après les avoir dévisagé à tour de rôle et s’être réinstallé pour faire une petite sieste, Emerys et Arya repartirent sur une conversation un peu plus calme tournant autour des styles de combats et des rencontres qu’elles avaient faites pendant leur vie.

Il fallait dire que la plus jeune des Stark en avait vu des choses horribles pour son âge … Elle avait de quoi raconter à ses futurs enfants, si un jour elle en avait. La mort de son père, l’assassinat de sa mère et de son frère aux Jumeaux, sans parler de son jeune ami boucher Micah dont Emerys venait d’apprendre sa fameuse mort par la main de Sandor Clegane en personne. A cela, la femme se décala nerveusement sur l’herbe puis ferma un instant les yeux pour se concentrer sur le bruit du vent, la voix d’Arya la berçant en arrière-plan. Une sérénité qui ne dura que quelques minutes malheureusement car sa cheville enflée décida de la sortir de sa rêverie passagère d’une douleur sourde dans sa jambe.

Mais durant ce court lapsus de temps où elle écoutait les bruits environnants des plaines, Emerys avait ressenti un changement radical dans l’air.

«Qu’est-ce que c’était ?» Interrogea Arya qui arrêta subitement de parler de Tywin Lannister. Incrédule devant l’attitude de la femme alerte, elle tendit l’oreille au vent tout en observant les environs en mettant une main au-dessus de ses yeux pour les couvrir du rayonnement du soleil.

Emerys devint plus attentive à son environnement. Calmement, elle posa ses deux mains paumes face au sol pour sentir toutes les vibrations de la terre, allant jusqu’à bloquer sa respiration pour mieux percevoir les sons. Effectivement le sol vibrait et ses yeux s’écarquillèrent à cette révélation. C’était subtil mais bien présent et suffisant pour faire sortir le Limier de sa petite sieste d’après-midi. Quelque chose de grand ou gros s’approchait dangereusement de leur position. Désormais terrifiée par cette découverte, elle leva les yeux vers le mercenaire qui venait tout juste de se redresser pour regarder par-dessus son épaule, à la recherche de l’auteur de ce raffut de plus en plus fort au fur et à mesure qu’il approchait.

Pas un, mais plusieurs.

Puis aux bruits de galops tambourinant au loin, les trois personnages se jetèrent à leurs pieds. Il s’agissait d’une troupe de cavaliers Lannister sur des chevaux qui traversaient un immense champ de blé en contre bas de leur petit campement, en direction des habitations. Hors ils étaient suffisamment éloignés pour qu’ils ne puissent pas les voir. Toutefois, la fumée du feu qu’ils avaient allumé pourrait leur être fatale dans une situation comme celle-ci, car n’ayant pas de grande forêt pour se protéger ou pour tenter de fuir, ils risquaient de se retrouver confrontés à ce genre d’homme qui pouvait se montrer très agressif. Surtout en groupe aussi important.

«Il faudrait peut-être éteindre le feu ?» Arya désigna le feu devant elle, incertaine sur ce qu’il fallait faire.

«Pas la peine, c’est déjà trop tard.» S’agaça Sandor en attrapant hâtivement les sacs au sol. Les cavaliers avaient brusquement changé de direction et galopaient maintenant vers eux d’une vitesse affolante.

«Merde !» Jura Emerys.

Elle s’empressa d’étouffer le feu avec son pied pour ne pas risquer un incendie puis boita précipitamment jusque Stranger, un sentiment de malaise dans le creux de son estomac. Hors de question qu’elle se retrouve face à ce genre d’individus ! Arya et Sandor montèrent en quatrième vitesse sur le cheval noir devenu nerveux à l’approche des cavaliers qui couvraient rapidement la courte distance les séparant. Hurlant aussitôt à Stranger de courir, le Limier tendit son bras vers Emerys pour l’aider à s’installer derrière lui tandis que son cheval dévalait le chemin dans le sens inverse qui menait à une grande forêt de pins. Une aubaine pour trouver une cachette.

Heureusement qu’il avait réagi assez vite sinon ils auraient été pris en embuscade par ces hommes qui, pour une raison obscure, voulaient s’en prendre à eux. De nouveaux ordres avaient dût être lancés à la capitale concernant les primes ... Sandor n’eut aucun mal à semer les soldats avant même que ces derniers ne pénètrent dans la forêt sombre, l’avantage de connaître ces bois mieux que quiconque pour trouver un recoin parfait en attendant que la menace ne disparaisse. Lorsque les voix s’éloignèrent, il se détendit enfin sur la selle de son cheval tout en laissant sortir un faible souffle de sa bouche, content de ne pas avoir eu affaire avec eux.

Arya allait bien, elle était juste un peu chamboulée par tout ce remue-ménage. Sa respiration était rapide, le Chien pouvait presque sentir les battements frénétiques de son cœur contre sa cuirasse alors qu’elle agrippait fermement le crin du cheval dans ses poings. Dans son dos, Emerys l’étreignait si fort qu’il pensait véritablement qu’elle essayait de le tuer en le privant d’air. Irrité et dans une position inconfortable, il roula ses épaules puis se décala mal à l’aise sur sa selle en tournant la tête dans un angle droit pour tenter de la voir et ainsi lui sommer de le lâcher sur le champ. Mais son visage était caché entre ses omoplates.

«Arrête de vouloir me tuer, femme ! Ces couillons sont partis, alors ne m’oblige pas à te jeter de Stranger !» S’impatienta le Limier, la mâchoire serrée. Néanmoins Emerys ne desserra toujours pas son emprise, alors il libéra Arya pour lui prendre le bras qui était enroulé autour de son ventre pour la faire lâcher prise de force.

«Elle va tomber !» Remarqua la petite louve, sauf qu’il était déjà trop tard.

Dès l’instant où la jeune femme en équilibre sur la croupe lâcha prise sur le Chien agité, elle glissa hors de la monture pour s’étaler de tout son long sur le sol boueux de la forêt. Elle gémit à plat ventre, ne comptant plus toutes les fois où elle était tombée de ce cheval trop grand. Par chance, elle ne s’était pas fait mal en tombant, en revanche sa cheville lui donnait envie de pleurer de douleur à chaque fois qu’elle osait ne serait-ce faire qu’un mouvement avec cette dernière. Les deux mains autour de sa jambe lancinante repliée contre son ventre, elle serra les dents alors que des points  blancs dansaient dans sa vision.

«Par les Sept Enfers ! A quoi tu joues, bon sang !» Fulmina le mercenaire en descendant de son cheval pour prendre l’épaule d’Emerys dans une poigne de fer. Il obtint un glapissement de douleur d’elle lorsqu’il la remit debout face à lui, sur le point de la sermonner violemment pour son inefficacité.

«Shhhh, taisez-vous ! J’entends quelque chose !» Arya posa rapidement son index contre ses lèvres, l’ouïe tendue aux voix qui se rapprochaient dangereusement d’eux.

«Les putains de cavaliers … Il faut qu’on se tire de là.» Sollicita Sandor en tirant Emerys avec lui sur le cheval mais au lieu de la mettre à l’arrière, il la positionna entre lui et Arya. Il n’avait pas le choix s’ils voulaient fuir de là en vie !

Sans même attendre que les deux filles ne s’installent correctement sur la selle, il lança Stranger au galop à travers la forêt pour tenter de semer sa piste aux hommes obstinés qui les avait pris en chasse. C’était devenu une certitude maintenant, ils avaient été reconnus tout à l’heure. Après quelques tours et croisements, Sandor calma son cheval puis le positionna dans une épaisse broussaille où il espérait qu’ils seraient invisibles le temps que cette chasse à l’homme ne cesse.

Les cavaliers à leur recherche passèrent près d’eux mais ne les remarquèrent même pas alors qu’ils se trouvaient à peine à quelques mètres de distance. Le suspense était à son comble. L’un criant des ordres à tue-tête aux autres, un petit groupe de quatre s’arrêta un instant sur place au milieu des arbres. Ils regardèrent tout autour d’eux, avant que celui au heaume en forme d’ours n’ordonne furieusement à son escouade de poursuivre dans une autre direction qui lui paraissait plus judicieuse pour une fuite. Il fit un mouvement de rotation avec son bras pendant que les cavaliers se ruèrent vers la sortie de la forêt à la recherche de leur gibier bipède.

Tandis qu’ils s’éloignaient enfin après ce qui semblerait être des heures d’attente insoutenables, Emerys, Sandor et Arya poussèrent à l’unisson un soupir de soulagement. Les deux filles en question étaient littéralement écrasées sous le poids conséquent du Limier, car celui-ci s’était abaissé sur elles pour essayer de se faire un peu plus petit dans la verdure. Ils attendirent dans cette position contraignante jusqu’à ce que les bruits de galops ne s’éloignent définitivement. Une fois que le danger était écarté, Emerys bougea inconfortablement sous l’épaisse armure argent qui lui rentrait dans le dos, cherchant à se dégager de l’homme lourd qui sentait atrocement le bouc. Son nez se plissa  de dégoût, voulant se libérer de ce poids et de cette odeur au plus vite.

Elle finit par gémir avant de mettre toute la force dans ses bras pour pousser son corps vers le haut et ainsi libérer Arya sous elle, également aplatie contre l’encolure du cheval. Par reflexe, Sandor entoura son bras autour de son estomac puis la tira brusquement contre lui en pensant qu’elle essayait de faire quelque chose de malintentionné. Comme piquer son poignard … Il siffla entre ses dents, mais ne voyant rien d’inquiétant et s’assurant que ses armes étaient toujours bien en place à sa ceinture d’un coup de main, il relâcha un peu la pression qu’il exerçait sur elle pour la libérer de son étreinte.

«Reste calme.» Chuchota-t-il à l’oreille d’Emerys alors qu’il retirait lentement son bras pour prendre les rênes en main. La femme frissonna involontairement à sa voix grave puis ferma les yeux, Arya devant elle le fusillant du regard.

«Ils voulaient nous tendre un guet-apens. C’était moins une. Pendant un instant, j’ai vraiment pensé qu’ils allaient nous trouver.» Emerys passa sa main sur son front humide à cause de toute cette intensité et ce stress. Elle lissa ses longs cheveux sur une épaule puis se positionna mieux sur la selle du cheval, collée contre l’homme derrière elle avec Arya entre ses bras.

«S’ils nous avaient trouvés, ils seraient tous morts à l’heure qu’il est ! Je leur aurait crevé les yeux, à ces enculés de Lannister.» Se loua Sandor. Il serra les dents quand Emerys remua encore et encore devant lui à la recherche d’une position un peu plus confortable entre ses jambes.

Maudite femme qui jouait avec lui !

Arya tombait presque de Stranger car la place sur l’animal se faisait de plus en plus rare. Elle claqua sa langue d’exaspération, reculant un peu contre Emerys pour ne pas tomber à son tour de la monture. Ses mains s’appuyaient sur le garrot du cheval alors qu’il avançait à nouveau dans la forêt, n’offrant d’autres choix à Emerys que de se plaquer entièrement contre la poitrine du Limier. Cette dernière soupira discrètement, les lèvres pincées et une envie irrésistible de revenir sur la croupe plutôt qu’à cette place embarrassante. Maintenant elle comprenait pourquoi la Stark haïssait autant voyager avec le Chien avec si peu de distance, parce qu’il sentait toujours comme le vieux bouc mélangé à l’alcool fort de sa boisson !

Le mercenaire quant à lui, ne pouvait vraiment pas se plaindre d’avoir une femme entre les jambes, littéralement. Ce n’était pas désagréable du tout ! Seulement à force de gigoter dans tous les sens pour trouver une meilleure position sur la selle, cela devenait très gênant pour lui qui devait garder le contrôle. Il pouvait sentir son odeur et son corps pressé contre sa poitrine, ses jambes frotter contre les siennes au gré du mouvement du cheval … Il grommela dans sa barbe pour que les Dieux ne lui viennent en aide pour une fois dans sa vie.

«Pas de mauvaises pensées …» S’encouragea intérieurement le Limier en guidant lentement son cheval sur un nouveau sentier.

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«Quand est-ce que j’aurais un cheval à moi ?»

Emerys baissa les yeux sur la masse de cheveux sombres sous son menton suite à la question inattendue d’Arya Stark qui était silencieuse depuis un certain temps. Après des heures dans un silence insoutenable à traverser les prairies et les forêts sans fin, voici la toute première chose qui vint à l’esprit de la petite louve … Alors qu’ils venaient tout juste de passer à côté d’un massacre de paysans où les cadavres étaient d’ores et déjà attaqués par les mouches et autres charognards. Sans le vouloir, un petit sourire triste joua à ses lèvres tandis que l’homme robuste dans son dos décida de prendre la parole.

«La demoiselle veut son poney ?» Railla ce dernier.

«La demoiselle veut être à bonne distance de votre puanteur.» Répondit hâtivement Arya, souriante jusque derrière les oreilles pour sa réplique rabaissante.

«On s’habitue avec le temps.» Soupira Emerys derrière elle en connaissance de cause après avoir voyagé aussi longtemps dans les vêtements du Limier. Evidemment, tous les trois ne sentaient pas bon, mais un peu de distance ne ferait pas de mal non plus …

«C’est pas facile à trouver, les chevaux.» Sandor regarda au loin comme s’il s’attendait à voir apparaître un cheval par magie au bord de la route. Puis il renifla avec désinvolture avant de baisser les yeux sur Arya nichée dans les bras d’Emerys ; «même s’il y en avait, tu crois que je te mettrais toute seule sur un cheval ? Pour voir partir au grand galop le seul bien précieux que je possède.»

«Il vous resterait Emerys.» Protesta la jeune fille pour sa défense.

«Tu parles d’un bien précieux ...» Se moqua allègrement le Chien d’un claquement de sa langue suivit d’une petite secousse de sa tête. En réponse à cela, il reçût un coup de coude dans les côtes de la part de la femme entre ses jambes, ce qui rendit la situation d’autant plus amusante.

«Ce n’est pas vrai. Je suis sûre qu’elle a bien plus de valeur que moi. D’ailleurs, pourquoi êtes-vous pauvre ? N’avez-vous rien volé à Joffrey avant de vous enfuir ?» Arya se retourna pour voir que le Chien faisait non de la tête, ce qui l’incita à reprendre avec beaucoup plus de confiance ; «alors vous n’êtes pas très malin.»

«A qui le dis-tu.» Marmonna Emerys sous son souffle, faisant rire la louve mais pas l’homme concerné par cette insulte.

«Hey ! Je ne suis pas un voleur.» Se défendit vainement ce dernier entre ses dents, agacé par les deux filles et leur soudaine complicité.

«Vous assassinez des petits garçons, mais voler n’est pas digne de vous ...» Arya grimaça amèrement à son résumé qui ne correspondait pas au terrible Limier dont tout le monde parlait dans Westeros. Cet homme froid et cruel sans aucuns regrets sur ses actes passés, massacrant des innocents à coups de lame et défiant le Roi en personne.

«Faut avoir quelques principes.» Accorda-t-il d’une touche de légèreté dans sa voix bourrue. Ce qui entraîna un sourire chez Emerys car il n’avait pas tort sur ce point-là.

Le silence retomba par la suite sur le trio qui déambulait tranquillement entre les arbres et la petite brume blanchâtre. Il ne devait pas être très loin de midi d’après la hauteur du soleil dans le ciel et n’ayant plus de nourriture, ils allaient devoir se priver de manger le restant de la journée s’ils ne trouvaient pas quelque chose à se mettre sous la dent. Somnolente à cause de la faim, la tête d’Arya se penchait toujours plus sur le côté droit, les paupières tombantes. Toutefois elle se redressa subitement lorsqu’elle sentit la main d’Emerys se poser sur son épaule pour la maintenir droite sur le cheval et la protéger d’une éventuelle chute.

Ils étaient vraiment à l’étroit sur la selle … Regrettèrent les deux filles fermement collées ensemble. Mais un arrangement qui ne déplaisait toujours pas au Chien qui pouvait garder un œil sur ses biens tout en profitant de la proximité avec Emerys. Encore une fois, il repensa à son corps plaqué contre le sien qui se balançait aux rythmes du pas lent de son cheval, à la chaleur qui s’infiltrait dans son armure ainsi qu’à son parfum de terre mélangé à une odeur de pluie fraîchement tombée. Son nez à seulement quelques centimètres de la couronne de sa tête, il pouvait prendre des inspirations sans se faire remarquer. Tous ces éléments réunis n’arrangeaient en rien la situation délicate dans laquelle il se trouvait actuellement.

«C’est effrayant quand vous souriez de la sorte.» Souligna Emerys tout en essayant de bien se positionner sur la selle pour ne pas trop toucher l’homme derrière elle.

«Si tu continues de bouger comme ça, je n’arrêterais plus de le faire !» Charia le Limier d’un sourire goguenard.

La jeune femme devant lui soupira de défaite puis s’installa finalement contre le torse blindé de Sandor, le dos de sa tête juste sous le menton du mercenaire gigantesque. N’y avait-il pas plus gênant au monde ? Elle pouvait sentir chacun de ses souffles dans ses cheveux, chacun de ses muscles se tendre entre les plaques de son armure sous le tissu visible. Puis, une pensée lui vint à l’esprit. De quand datait la dernière fois qu’ils avaient eu droit à une baignade ? Elle ne parlait pas d’un plongeons dans une rivière au passage mais d’un bon bain chaud avec des huiles et du savon. Beaucoup trop longtemps, car l’odeur était épouvantable et leurs peaux collaient de sueur, de sang et de terre.

La seule qui ne se plaignait plus du voyage c’était Arya. Maintenant qu’elle avait un barrage entre elle et le Chien, elle se sentait nettement mieux et avait le sentiment d’être enfin en sécurité. Mais elle se sentait surtout beaucoup moins irritée ! Elle préférait largement avoir Emerys contre son dos plutôt que cet homme vulgaire à la puanteur atroce. Cependant, lorsqu’elle sentit la femme se déplacer une fois de plus sur la selle, elle ne put s’empêcher de ressentir une pointe de pitié pour cette dernière dans une position compliquée. Etant plus avancée dans l’âge, peut-être dans les vingt-cinq d’après la pureté de son visage, elle était donc aussi plus sujette aux désirs d’un homme adulte.

Arya soupira pour la énième fois consécutive puis se laissa lourdement tomber en arrière contre la poitrine d’Emerys, l’air complètement éreintée et ennuyée par le trajet redevenu silencieux. Le chemin se répétait sans cesse … Il n’y avait rien d’intéressant à regarder pour occuper son esprit loin de la faim mise à part des champs, des collines ou quelques arbres à perte de vue. En début d’après-midi, ils se rapprochèrent d’une taverne où des rires masculins pouvaient être entendus depuis l’intérieur du bâtiment vétuste au milieu de la forêt à un croisement de trois sentiers. Sandor attacha son cheval contre un arbre avant de s’approcher furtivement jusqu’à se tenir aux côtés d’Emerys et d’Arya qui regardaient fixement la taverne, camouflées entre les arbustes et les buissons environnants.

«J’ai faim, vous avez faim.» S’exprima calmement l’enfant.

«Cinq chevaux, cinq cavaliers. J’ai pas envie de tuer autant de monde le ventre vide.» Lui répondit le Limier sur le même ton détendu.

«Ne pouvons-nous pas attendre qu’ils repartent ?» Emerys tourna la tête vers les deux, les sourcils froncés de nervosité. Elle revint à la taverne au moment où la porte arrière s’ouvrit pour laisser apparaître deux hommes armés discutant sur la cuisson de leur plat commandé. Les deux étant partiellement chauves, elle n’aimait pas du tout leur allure de tueurs sans scrupule avec leurs armes à la ceinture.

«Je le connais, lui. Le petit, il s’appelle Polliver. Il nous a capturés et conduits à Harrenhal. Il a tué Lommy.» Arya plissa les yeux, son regard implacable rivé sur l’homme en question qui urinait face à eux.

«C’est quoi ce putain de Lommy ?!» S’exaspéra Sandor d’un léger grognement.

«C’était mon ami.» Soupira Arya avec regrets. Puis elle pencha doucement la tête sur le côté et tout en étudiant les deux hommes vidant leurs vessies en contre-bas, elle reprit nonchalamment ; «Polliver m’a pris mon épée et lui a planté dans le cou. Il la porte encore, mon épée Aiguille.»

«Aiguille ? Tu as nommé ton épée ?» Mystifia le Limier à sa gauche d’un plissement d’œil, les lèvres recourbées dans un petit sourire ridicule. Il trouvait certes l’idée ridicule, mais il devait admettre que ce nom était bien trouvé pour une lame aussi fine que celle que Polliver portait à sa ceinture.

«Il y a pleins de gens qui leur donne un nom ! Je suis sûre que la vôtre en porte aussi un, mais vous avez juste peur de l’admettre.» Se vexa aussitôt la propriétaire d’Aiguille en dévisageant le mercenaire de la tête aux pieds.

«Qui serait assez con pour donner un nom à son épée ?» Grommela-t-il en retour, restant bien caché dans la verdure tout en guettant les environs pour tous signes d’ennemis supplémentaires. Il fit un petit ricanement sec mais fût surpris d’entendre la jeune femme s’exprimer à la place de la petite Stark. Il avait presque oublié qu’elle était là …

«Moi, par exemple.» Emerys croisa les bras sur sa poitrine d’un air de défi sur son visage qui découragea Sandor de se moquer d’avantage.

«J’y vais.» Arya décida de sortir de sa cachette une fois que Polliver et son acolyte retournèrent à l’intérieur de la taverne, rapidement suivit par la femme adulte.

«Elle a raison.» Céda finalement Emerys d’un haussement d’épaules.

Tout en dépoussiérant ses vêtements trop larges, elle se redressa de derrière les buissons pour ensuite se diriger vers l’entrée dorénavant libre. Elle jeta quelques petits coups d’œil méfiants de droite à gauche avant de presser le pas derrière l’enfant audacieuse qui n’avait pas froid aux yeux, déterminée à récupérer sa précieuse épée portant le nom d’Aiguille. Derrière elle, elle entendit le froissement des feuilles et des branches tandis que le Chien se précipita maladroitement à leur poursuite, le cliquetis de son armure retentissant à chacune de ses grandes enjambées.

«Hé hé hé ! Qu’est-ce que vous faites, revenez ici !» Sandor courut le plus discrètement possible après les deux filles imprudentes. Il avait vraiment un mauvais pressentiment à propos de cet endroit remplit de cavaliers.

«C’est mon frère qui m’a donné cette épée. Je vais la reprendre !» Résolue, Arya continua dignement son chemin vers l’entrée mais une main forte l’attrapa tout à coup par la nuque pour la faire pivoter vers un Limier hors de lui. Il s’interposa entre elle et l’entrée de la taverne.

«Ne bouge plus ! Pas un pas de plus ! Ce sont des putain de Lannister !» Cria Sandor en secouant durement la fillette écervelée qui se débattait pour sortir de sa poigne. Ne comprenait-elle pas l’ampleur de la situation ? Qu’ils étaient recherchés et ne pouvaient se permettre ce genre de rencontre ?

«Il a tué mon ami !» S’égosilla Arya d’un grognement suite à la douleur qui explosa dans son cuir chevelu lorsqu’il tira sur ses racines. Elle enroula ses doigts autour du poignet du Chien pour le faire desserrer sa prise, mais en vain. Il n’allait pas abandonner aussi facilement maintenant qu’il pouvait la gronder.

«Il l’aurait mangé que ça ne changerais rien ! Des amis, tu en verras mourir encore beaucoup dans ta vie. Nous n’allons pas entrer là-dedans ! Toi, tu restes là !» Gueula-t-il d’une autre secousse avant de pointer son index en direction d’Emerys sur le point d’atteindre la porte. Il n’avait pas peur, mais il n’avait absolument pas envie de se frotter à ce genre de salopards avec si peu d’énergie.

«Il faut que nous mangions quelque chose ! Et retirez ce doigt de mon visage, c’est grossier !» Réprimanda la femme tout en posant les mains à ses hanches, satisfaite de voir de l’hésitation chez le mercenaire qui rabaissait son doigt ganté. Un peu plus et elle aurait souri victorieusement à son audace.

«A moins que t’ai envie de vendre ton cul à ces hommes, on a pas de quoi se payer à béqueter !» Le Limier relâcha la nuque d’Arya pour la prendre par le bras pour qu’elle ne s’éloigne pas vers la porte, son visage livide tourné vers Emerys.

«Vendez le vôtre !» S’offusqua cette dernière d’une grimace écœurée en le regardant de bas en haut.

«Et la bourse de pièces que vous avez si gentiment volé à cet homme qui voulais nous acheter pour un bordel ?» Rappela ensuite la gamine qu’il tenait fermement, un petit sourire enjoué aux lèvres et le front sillonné.

Mais le Limier la toisa si sévèrement que son sourire s’estompa tout aussi rapidement qu’il apparut pour laisser place à de l’incertitude. Et aussi à une trace de peur dans ses grands yeux gris. Il finit par la libérer de son emprise pour pousser un lourd soupir, deux doigts tenant le pont de son nez pendant qu’il essayait de retrouver son tempérament plus docile. Une tâche très compliquée ... Les femmes commençaient sérieusement à lui taper sur le système, surtout quand elles lui tenaient tête de cette façon allant jusqu’à lui faire la morale publiquement sans aucune retenue. Etait-il condamné à vivre dans le tourment et l’humiliation ? Il n’était de base pas quelqu’un de diplomatique car il réglait les problèmes à coups de poings généralement.

Alors bon sang, qu’il pourrait les étrangler …

«J’ai dit, on ne rentre pas dans ce trou à rat ! Fin de la discussion.» Le Limier mit fin au débat en se redressant de toute sa hauteur d’une expression des plus redoutables.

Au même moment, la porte derrière lui s’ouvrit et un jeune homme en sorti pour retourner directement à l’intérieur du bâtiment quand il croisa le regard effrayant du Chien immense. Intimidé par sa taille et son aspect terrifiant, il trébucha en arrière où des gémissements apeurés féminins couverts par des rires résonnaient depuis la salle principale. Arya déglutit tandis qu’Emerys, devenue nerveuse, se balança doucement d’une jambe à l’autre face à ce nouveau dilemme. Allaient-ils finir par entrer ?

Sandor fût le premier à passer la porte.

A suivre …



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