TOME 1 - Un bout de chemin ensemble

Chapitre 11

8939 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 07/08/2020 22:13

Chapitre 11

«Pourquoi n’aimez-vous pas être appelé Chevalier ?»

La question soudaine surpris Sandor Clegane loin de ses pensées diverses. Il ne s’attendait pas à entendre la voix d’Emerys après un si long moment maintenu dans le silence depuis qu’ils avaient quitté la taverne dans cette forêt. Dorénavant, ils s’éloignaient des bois pour rejoindre les immenses plaines des Eyrié où s’épaississait une brume qui recouvrait la majeure partie des champs, l’horizon s’annonçant pluvieux au court des prochaines heures.

«Vous devriez être élevé au titre de Chevalier. Vous êtes un combattant hors pair.» Glorifia Emerys imperturbable par le vœu de silence du mercenaire. Elle finit par rapprocher son cheval du sien jusqu’à ce que leurs rythmes ne concordent afin qu’elle puisse avoir un meilleur aperçût de son visage fidèlement tiré dans son petit rictus aigri. Elle esquissa un petit sourire timide quand il leva ses yeux bruns vers elle.

«Je ne serais jamais un putain de Chevalier. C’est rien d’autre qu’une bande d’arrogants hypocrites suceurs de couilles. Je ne fais pas de serment que je ne respecte pas ! Je préfère vivre sans rien devoir à personne.» Rétorqua sèchement le Limier, la colère lisible.

«Les serments sont avant tout faits pour ceux qui y croient vraiment. Le titre et la valeur sont bien plus importants. Vous avez choisi la voie de l’humilité, l’une des valeurs d’un Chevalier. Vous êtes brave en risquant votre vie pour sauver Arya Stark, que vous l’admettiez ou non. Alors je pense que vous méritez un minimum de reconnaissance.» Protesta la jeune femme à sa droite. Elle avait volontairement choisi de ne pas parler de la courtoisie ni de l’honneur, car ces deux valeurs ne faisaient pas partis de Sandor Clegane.

Ou pas encore, rien n’était décidé à l’avance.

«La seule reconnaissance que j’ai eu de toute ma vie c’est ça !» S’énerva le mercenaire qui désigna brusquement son visage mutilé par les flammes avec son index ganté. La haine brillait dans son regard tandis qu’il dévisageait longuement Emerys éberluée par son cri soudain, les lèvres pincées et les sourcils noués. Après un moment à l’examiner, il revint à la route puis reprit d’un ton plus doux ; «te fais pas de mourrons. Si les Dieux existent, ils finiront par me punir une bonne fois pour toute en finissant le sale boulot de mon frère. Eux ou un autre.»

Emerys, en revanche, ne pouvait décrocher ses yeux du côté brûlé de son visage alors qu’une vague de sentiments compatissants s’emparait de son cœur. Une souffrance énorme … Une vie injustement brisée. Pourquoi personne ne voyait au-delà des barrières qu’il avait si durement construites pour se forger ce caractère hargneux ? Elle en était désormais persuadée, le Limier n’était pas un homme mauvais, mais un homme complètement perdu qui tentait de trouver la raison dans ce monde où régnait la terreur et le chaos. Un terrain de jeu pour des tyrans à la recherche de gloire et de pouvoir en passant par la destruction massive pour arriver à leurs sinistres fins.

«Mon frère est un Chevalier, je ne voudrais jamais être quelqu’un comme lui.» Révéla sombrement le Chien à ses côtés, la prise sur les rênes de son cheval se resserrant.

«Vous n’êtes pas comme lui. Vous êtes quelqu’un de bien, Sandor Clegane, gardez cela à l’esprit.» Emerys se pencha vers lui pour toucher son bras et apporter une petite source de réconfort. Bien que étonnée par cet aveux parce qu’elle ignorait tout de son frère la Montagne, elle en avait néanmoins déjà entendu parler à plusieurs reprises lors de ses voyages. Des histoires horribles à son sujet.

Et cette affreuse brûlure à son visage n’en était qu’une parmi tant d’autres.

Sandor voulut lui répondre d’aller se faire foutre mais curieusement, il s’en retrouva incapable au moment où il sentit la petite pression sur son avant-bras. Perplexe, il baissa les yeux sur la main posée sur la maille lui servant de protection, souhaitant secrètement ne rien porter pour pouvoir sentir sa peau douce contre la sienne rugueuse et imparfaite. Quelque part au fond de lui il voulait croire en chacune de ses paroles consolantes, croire qu’il pourrait effectivement devenir quelqu’un de bien avec un but précis dans la vie au lieu du vieux Chien égaré au passé tragique et aux remords pesants. Quelqu’un qui avait droit au purgatoire, à une seconde chance …

Cependant, Sandor n’était pas quelqu’un de croyant et ne l’avait jamais été. Alors, d’un geste précipité, il retira son bras loin de la portée d’Emerys avant que les sentiments nouveaux s’exprimant en lui ne deviennent trop difficiles à gérer.

«Tu ne sais rien de moi. J’ai fait d’horribles choses durant ma vie que je ne suis pas fier. Il y a certains choix que j’aimerais pouvoir changer, mais c’est trop tard ! Alors arrête de t’obstiner à voir du bon chez tout le monde et plus particulièrement chez les monstres comme moi. Tu as l’air complètement folle.» Blâma le Limier en tirant sur les rênes de son cheval pour l’arrêter tout en attrapant ceux d’Emerys pour que le sien fasse de même. Le regret et l’amertume présents dans son regard triste, la réponse de la femme mystérieuse le rendit dubitatif.

«Il n’est jamais trop tard. Votre rédemption a commencé le jour où vous avez pris Arya sous votre aile et épargné ma vie.» Assura cette dernière d’un sourire mesuré. Elle tapota gentiment sa main puis s’éloigna de lui avant qu’il ne puisse protester pour rejoindre Arya à l’arrière qui mangeait un morceau de volaille dans le but d’engager une conversation avec la Stark.

Sandor n’était pas facilement impressionnable, mais cette femme avait véritablement un pouvoir de persuasion sur lui, ou du moins, un semblant de persuasion. Et si c’était possible ? S’il pouvait vraiment changer comme elle semblait le penser si fort ? Probablement que non. La nature d’un homme ne pouvait être malheureusement modifiée, toutefois, elle pouvait être façonnée avec les bonnes actions afin de recevoir la clairvoyance. Mais était-il apte à l’obtenir ? Se sentant comme fourvoyé, il soupira par le nez tandis que les voix enthousiastes de deux filles à l’arrière s’élevèrent autour des combats à l’épée et de la magnificence de Winterfell.

Malgré cet argument, un infime sourire joua sur ses lèvres pendant qu’une chaleur accueillante se propageait lentement dans sa poitrine. Une pression inconnue serrait son cœur à l’image du visage souriant de cette femme dans son esprit. Elle était spéciale ... Il aimait la façon qu’elle avait de le regarder, loin du dégoût habituel et loin des préjugés auxquels il était régulièrement confronté aussi bien chez les femmes que chez les hommes. Elle était belle dans cette nouvelle tenue qui s’accrochait à ses courbes élancées sans pour autant en dévoiler de trop sur sa féminité, ses longs cheveux argents liquides descendant en cascade sur ses épaules et sur ses seins.

Mais ce qu’il préférait chez elle, c’était son regard pénétrant. Ses yeux noirs ensorcelants, les sourcils sombres encadrant son visage pointu, la pâleur de sa peau …

Le Limier attrapa rapidement la gourde à sa ceinture pour en boire une gorgée de vin avant qu’il ne commence à fantasmer sur elle, la chaleur dans sa poitrine de plus en plus importante au fil de ses pensées échauffées. Ce n’était pas désagréable du tout comme sensation, mais il ne supportait pas de se sentir aussi désorienté pour quelque chose d’aussi simple et naturel que l’imagination. Ou était-ce quelque chose de plus qu’un simple fantasme ? En réalité il l’ignorait, toutefois la désillusion ne tarda pas. N’étant absolument pas expérimenté dans le domaine des émotions, il n’était pas prêt à explorer ce nouveau chemin innovant donc il se contenta de s’en moquer.

Par simple peur de se retrouver vulnérable.

La plupart du temps, le trio resta éloigné des grandes routes pour ne pas avoir à faire de mauvaises rencontres, notamment les soldats Lannister envoyés en patrouille un peu partout sur les terres de Westeros. Lorsqu’ils s’arrêtèrent pour la nuit, le soleil descendait à peine derrière les grands champs de blés entourant la vallée. Ils laissèrent leurs chevaux proches d’un petit cours d’eau afin qu’ils puissent boire et se reposer pendant que leurs cavaliers respectifs vaquaient à leurs propres occupations.

Emerys en sortit de la sacoche de son cheval les fameux vêtements que le Limier lui avait si gentiment prêtés autrefois pour couvrir sa pudeur. Tout en se mordant la lèvre inférieure dans la réflexion, elle passa délicatement ses doigts sur le tissu de la tunique qu’elle tenait contre sa poitrine, se sentant redevable pour tout ce qu’il avait fait pour elle de gré ou de force. Elle lui devait beaucoup. La charité n’était pas quelque chose de très courant chez les gens ces temps-ci, et elle doutait même qu’elle serait encore en vie aujourd’hui sans son intervention. Ou plutôt, sans l’intervention d’Arya Stark dans son destin se présageant dramatique.

Les deux filles descendirent plus bas pour rejoindre le cours d’eau tandis que le mercenaire, se voulant silencieux, était assis sur un rocher surplombant la petite rivière sinueuse. Elles se penchèrent au-dessus de l’eau agitée pour récupérer un peu de liquide clair dans leurs mains et ainsi asperger leurs visages crasseux après des journées entières sans la possibilité de se nettoyer un minimum. Le sang et la boue tachèrent rapidement l’eau translucide peu profonde. En amont les trois animaux, une fois leur soif étanchée, se déplacèrent dans l’herbe pour manger de grandes quantités de brins arrosées par la rosée du soir.

Emerys attendit qu’Arya s’éloigne d’elle pour commencer à nettoyer les vêtements sales du Limier en espérant pouvoir les lui rendre au petit matin. Elle frotta énergiquement les traces de sang séché tout comme la crasse incrustée dans le matériau en veillant à ne pas agrandir la déchirure sur le côté droit. Elle souhaitait pouvoir réparer sa tunique. Hors, elle ne disposait pas de fil ni d’aiguille pour subvenir à cette tâche qui de plus demandait de la patience, du coup de main et énormément de concentration. Choses qu’elle ne disposait malheureusement pas et qui étaient plutôt vues comme un chancre pour une femme étant dans l’obligation de connaître les bases de la couture.

Plus tard après avoir fini son nettoyage dans le cours d’eau, Emerys rejoignit le Limier et Arya plus haut tous deux assis sur des rochers et se tournant volontairement le dos. Ni l’un ni l’autre ne s’adressait la parole, préférant s’occuper de leurs épées fétiches en les polissant à l’aide d’une pierre trouvée sur l’herbe bien verte et humide. La plus jeune entretenait sa fine lame avec beaucoup d’amour, la tenant précieusement entre ses mains pendant qu’elle faisait glisser la pierre le long de la surface brillante comme s’il s’agissait du plus grand trésor jamais découvert à ce jour.

«Elle est jolie. Qui te l’a faite ?» Questionna Emerys en prenant siège à côté de cette dernière.

«Mon frère Jon me l’a donnée avant son départ. C’était un cadeau.» Répondit Arya sans regarder la femme intriguée sur sa gauche, les sourcils froissés de concentration.

«Ton frère t’aime énormément. Il sera très heureux d’apprendre que tu es saine et sauve.» Emerys sourit doucement à la fille Stark lorsqu’elle leva ses yeux gris vers elle, importunée.

«Beaucoup de gens disent du mal de lui parce qu’il est un bâtard, mais il reste mon frère, et je l’aime. Peu importe ce qu’il est ou n’est pas.» Poursuivit-elle suivit d’un soupir en replaçant son épée dans son étui posé sur le flanc du rocher. Elle croisa ensuite ses bras sur ses genoux, mais fût toutefois surprise d’entendre la réplique de la femme.

«Ce n’est pas parce que l’on est un bâtard que nous ne pouvons accomplir de grandes choses en ce monde. J’ai eu vent de ses prouesses au combat à l’au-delà du Mur. Il est quelqu’un d’exceptionnel voué à un destin surprenant.» Expliqua-t-elle d’un haussement d’épaules bénin, un sourire admiratif ornant ses lèvres. Cependant quand elle vit Sandor tourner la tête vers elle, son attitude changea et son expression devint indolente.

«Et qui t’as dit ça ? Le vent ? Je ne savais pas que tu parlais la langue du vent.» Railla-t-il d’un petit ricanement abject. Mais le regard qu’il reçut en retour lui coupa nette l’envie de rire.

Le Roi est mort empoisonné …

«Il suffit de s’ouvrir un peu plus au monde extérieur, et vous seriez surpris d’entendre beaucoup de choses ! Comme par exemple que le Roi a été assassiné durant la fête de ses fiançailles.» S’écria d’agacement Emerys, en revanche la dernière partie de sa phrase sortit plutôt comme un grommellement. Les bras croisés sur sa poitrine et le nez levé de dédain aux moqueries de Sandor, elle faillit ne pas entendre les prochaines paroles d’Arya.

«Comment faites-vous cela ?» Demanda-t-elle avec curiosité, ignorant intentionnellement ou non ce qu’elle venait de dévoiler.

«Tu ne dois ressentir aucune haine en toi, mais seulement la paix intérieure. Cherche les ondes autour de toi, les vibrations des êtres vivants qui t’entourent. Celles de la rivière, des arbres … Concentre-toi sur les battements de ton cœur. Prends de profondes inspirations et laisse le poids du monde t’envahir.» Révéla Emerys réellement concernée par son apprentissage.

«C’est déjà raté. Cette gamine est remplie de haine !» Reprocha le Chien qui venait de quitter son rocher pour chercher la selle de son cheval et s’installer sur l’herbe. D’un sourire narquois, il se coucha avec les bras croisés sur sa poitrine avant de fermer les yeux.

A ce moment précis, un corbeau passa au-dessus de leurs têtes tout en laissant sortir un croassement familier. Il battit des ailes puis passa son chemin en direction des nuages baignés dans la lumière orangée du coucher de soleil à l’horizon, laissant dans son sillage une petite louve en pleine introspection. Etait-ce un message important pour Winterfell ? Pour sa sœur Sansa ? Pour Jon ? Peut-être n’étaient-ils même pas encore au courant de la mort de leur mère et de leur frère … Elle espérait de tout cœur que comme Emerys venait de le dire, Joffrey avait péri dans d’atroces souffrances pour permettre à sa grande sœur d’avoir un peu de répit chez les Lannister.

Mais son espoir fût de courte durée car les monstres ne mourraient jamais … Sandor en était la preuve vivante.

«Il vaudrait mieux dormir maintenant, la nuit ne sera pas très longue.» Encouragea Emerys en prenant une bonne position contre la selle de son cheval, fermant le manteau noir autour d’elle pour recueillir un peu plus de chaleur.

Arya ne lui répondit pas. Elle était occupée à observer les traits de la jeune femme qu’elle appréciait de plus en plus.

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Le paysage qu’ils traversaient désormais n’avait plus rien à voir avec ce qu’ils avaient vu au cours des derniers jours. La nature avait ternis en beauté, les feuilles des arbres frémissantes au vent avaient perdu en couleur dans cette région entourée de montagnes noires pointues. C’était un spectacle désolant, d’autant plus que le soleil restait caché derrière de gros nuages de pluies prêts à céder à tout instant.

Mais ce qui restait le plus énervant fût cette faim inconsolable qu’ils ressentaient depuis maintenant un jour et demi. Même l’eau et les plantes consommables ne suffisaient plus pour apaiser leurs pauvres estomacs criant famine. La dernière fois qu’ils avaient eu un repas copieux datait de leur altercation avec Polliver et ses hommes dans cette petite taverne cachée au fin fond de la forêt séparant le Conflans des Eyrié. Dans cette partie aride de Westeros, les plaines sèches avaient remplacé les grandes forêts verdoyantes et donc les potentiels animaux à chasser comme les petits gibiers, les oiseaux ou encore les biches.

«Il va bientôt pleuvoir. Où sommes-nous ?» Remarqua Arya qui dépeçait une plante pour en récolter des radis sous la terre.

A l’arrière, Sandor urinait tranquillement contre un petit muret en pierre pendant qu’Emerys fouillait elle aussi dans le sol à la recherche d’aliments pas très appétissant certes, mais toutefois comestibles. Des fougères, des radis, de la mousse, des insectes … Absolument tout pouvait finir dans l’estomac pour calmer cette faim insoutenable malgré le goût épouvantable que certains coléoptères ou autres vers possédaient une fois croqués. Ils n’avaient cependant pas le choix car bientôt, ils seront même trop faibles pour tenir correctement sur leurs montures.

«Pas loin de Beaumarché, je crois. Qu’est-ce que tu as trouvé ?» Demanda sans trop d’intérêt le Limier en rebouclant sa ceinture à sa taille puis en se tournant vers Arya. Il passa à côté d’elle alors qu’elle retirait la terre de ses précieux radis.

«Des radis ! Vous n’en êtes pas sûr ? Vous n’avez pas de carte ?» S’exclama-t-elle fièrement avant de retrouver son froncement de sourcils atypique. Il ne savait même pas où ils se trouvaient dans la région ?

«Nan, j’ai pas de carte.» Rectifia le Chien d’un soupir contrarié tout en se dirigeant vers Stranger attaché à un poteau en bois sous un petit pont de pierre.

«Alors il faudrait en trouver une !» Commenta plus fortement la fille Stark, ses radis tenus contre elle. Elle toisa sévèrement l’homme qui venait de lui répondre avec sarcasme de lui indiquer la boutique de carte la plus proche, puis se tourna ensuite vers Emerys qui descendait de la butte pour les rejoindre, des criquets en main et une laitue dans l’autre.

Comment avait-elle fait ?

Sandor reprit les rênes de son cheval avant de récupérer un sac noir étanche pour le remplir de l’eau de la maigre rivière qui passait sous ce pont détérioré par le temps. La pluie avait finalement commencé à tomber en de fines petites gouttelettes, permettant à la nature asséchée par le soleil d’enfin pouvoir se régénérer après des mois sans eau. Emerys grimaça en s’abritant prestement sous le pont si petit qu’il l’obligeait à s’accroupir si elle ne voulait pas se cogner la tête contre l’arc. Tout en attendant patiemment les nouvelles directives, elle entreprit de nettoyer sa laitue pour en manger quelques feuilles les plus vertes.

«Est-ce que nous sommes encore loin des Eyrié ?» Arya s’assit sur un gros rocher en croquant son radis à pleine dent. Le Limier décida cependant de ne pas lui répondre, alors elle reprit avec plus d’insistance cette fois-ci ; «est-ce que vous êtes sûr que nous allons dans la bonne direction ?»

«Crois-moi fillette, je veux vous voir là-bas aussi tôt que possible. Prendre mon or et me remettre en route.» Dit-il en offrant l’eau de son sac à son cheval.

«En route pour aller où ?» Interrogèrent Emerys et Arya simultanément. Les deux filles se jetèrent brièvement un regard complice avant de lever la tête vers l’homme perplexe par leur question similaire.

«Qu’est-ce que ça peut vous faire !» S’exaspéra-t-il en regardant par-dessus son épaule à la louve qui se contenta d’hausser les épaules, la lèvre inférieure ressortie. Elle s’en fichait royalement et ne savait sans doute même pas pourquoi elle le demandait en premier lieu. L’orage gronda au moment où il rouvrit la bouche pour préciser son choix.

«Peut-être que j’embarquerais pour traverser le Détroit. Je me ferais embaucher comme mercenaire, chez les Puînés. Il me semble qu’on s’entendrait bien.» Sandor hocha vaguement la tête en accord avec ce qu’il venait d’expliquer.

Emerys leva les yeux loin de sa salade à ces mots incertains, un pincement inexplicable au cœur. Elle aussi cherchait à rejoindre l’autre côté du Détroit alors peut-être qu’éventuellement, ils pourraient voyager ensemble ? Aussitôt que l’espoir l’envahi, il fût anéanti par le rappel cruel que cet homme ne désirait aucune compagnie et certainement pas la sienne après avoir vécu toutes ces péripéties. C’était étonnamment assez douloureux pour elle de savoir que le Chien ne les aimait pas, en aucune façon. Il restait un mercenaire solitaire errant dans Westeros à la recherche d’argent et d’une autre ambition que l’obéissance dans une famille royale. La gorge serrée et le sentiment d’être méprisée, la jeune femme secoua la tête avant de tendre l’oreille à ce qu’Arya avait à dire.

«J’aimerais voir Braavos un jour.» Dévoila cette dernière.

«Braavos ?» Emerys fronça les sourcils, curieuse de connaître la raison de cet étrange choix en terme de destination. Le froid hivernal qu’apportaient la pluie et l’orage se faufilait sous son manteau noir pour lui prendre un petit sifflement d’incommodité.

«Qu’est-ce que tu veux faire à Braavos ?» S’intéressa Sandor tout en caressant la tête de son cheval.

«J’ai des amis là-bas.» Renifla la Stark avec désinvolture. Elle faillit recracher son morceau de radis lorsque le Limier, homme dégoûtant qu’il était, ferma sa narine droite pour se déboucher la gauche d’un reniflement écœurant.

«T’as des amis, toi ?» S’étonna-t-il une fois débarrassé de sa gêne, s’essuyant le nez avec le dos de sa main sous les regards répugnés des deux filles.

«J’en ai bien plus que vous, en tout cas.» Arya leva effrontément les sourcils puis admira son dernier radis entre ses doigts.

Heureuse de voir de l’ennui se former sur le visage du mercenaire suite à cette réplique cinglante, elle jeta ensuite un coup d’œil à Emerys recroquevillée sous le pont qui frottait ses mains le long de ses bras pour se maintenir au chaud. D’un sourire odieux, elle se redressa sur son rocher puis après avoir bruyamment dévoré le dernier morceau de sa nourriture elle s’essuya les mains sur son pantalon. Arya se tourna entièrement vers le Chien s’occupant de son noble destrier. En réalité, elle n’avait pas vraiment d’amis ... Juste quelqu’un qui s’avérait être un Sans-Visage et celui qui lui avait donné la fameuse pièce de Braavos pour lui permettre d’entrer dans le sanctuaire du Dieu multiface.

Lui, et maintenant Emerys.

«Les Sept Bénédictions à vous !»

Emerys sentit ses yeux s’élargir d’incrédulité à la nouvelle voix masculine qui venait de s’exclamer au-dessus d’elle sur le pont. En équilibre sur son rocher, elle remarqua que Sandor paraissait d’abord confus, avant qu’il ne lève la tête et ne louche à la luminosité excessive pour voir qu’il s’agissait d’un paysan et d’une enfant dans une charrette de foin tirée par une mule. Les deux inconnus les observaient du haut de leur perchoir d’une certaine touche de curiosité mélangée à de la méfiance, surtout chez l’homme plus âgé.

«Qu’est-ce que tu veux ?» S’impatienta le Limier. A sa droite, Emerys sortit timidement de sous sa cachette pour venir se mettre à ses côtés.

«Par tous les Dieux …» Souffla le paysan en manque d’éloquence lorsqu’il vit la jeune femme en question. Il leva les sourcils puis regarda entre Sandor et cette personne aux particularités physiques étonnantes, se demandant ce que faisait une si jolie femme dans les champs.

«Qu’est-ce que je veux ? Cette terre est à moi.» Clarifia-t-il tout en dévisageant le Chien en contre-bas. Il n’apprécia guère quand ce dernier lui rétorqua que tant qu’il était dessus, ces terres-là étaient à lui. Il le provoquait volontairement. Cet homme arrogant était un Chevalier ?

«On ne s’est arrêté que pour faire boire les chevaux. On s’en va tout de suite.» Arya s’en mêla avant que la situation ne dégénère dramatiquement pour un rien. Tout en jouant avec les restes de ses radis, elle plissa les yeux à la fillette à côté du paysan qui ne cessait de la regarder d’un petit sourire discret. Mal à l’aise sous son regard inquisiteur, elle se releva du rocher.

«Connard …» Marmonna le Limier tout en s’essuyant grossièrement la bouche avec le dos de sa main. La réaction de l’homme ci-dessus n’en fût pas des moindres car l’instant d’après, il le foudroya du regard, sur le point de riposter.

«Veuillez pardonner mon mari et son langage grossier, i-il ne le pensait pas ! Il a du mal à contrôler ses pulsions, à mon grand regret ...» Bafouilla Emerys qui prit rapidement un pas en avant, son cœur battant à toute allure après cette réplique instinctive. Qu’est-ce qui lui passait par la tête à la fin ?! Malgré l’embarras qu’elle ressentait et le regard ahuri que lui offrait le Chien, elle l’implora du regard pour qu’il ne l’ouvre plus.

Mais heureusement que la petite Stark était plus maligne qu’elle pour les mensonges …

«Veuillez excuser mon père, il a été blessé à la guerre. Notre chaumière à prit feu et s’il n’avait pas été là pour sauver ma mère ce jour-là, je n’aurais pas pu la connaître. Il n’a plus jamais été le même depuis.» Arya déglutit tout en baissant misérablement la tête vers le sol, pinçant les lèvres pour masquer son sourire malicieux qui menaçait la fiabilité de son mensonge.

Elle pouvait voir du coin de l’œil qu’Emerys et Sandor étaient visiblement époustouflés par son jeu d’actrice, mais ils ne tardèrent pas à imiter son expression malheureuse pour mieux faire passer l’escroquerie. Même pas quelques secondes plus tard, après la réalisation, le visage du paysan s’adoucit. Lorgnant au mercenaire et à son expression de chien battu, il finit par hocher la tête tandis que ses yeux s’égarèrent sur la femme intimidée arborant une expression similaire à celle de son mari. Cependant, il gardait tout de même quelques petits doutes sur la véracité des paroles de la fillette et il avait besoin d’en avoir le cœur net.

«Il se battait pour quelle maison ?» Interrogea-t-il ensuite d’un air suspect, le front se sillonnant.

«Pour les Tully de Vivesaigue.» S’empressa de dire Arya après un petit temps d’hésitation et quelques regards échangés avec le Chien et Emerys. Apparemment rassuré d’entendre cela, le paysan se mit à sourire.

«Il va y avoir de l’orage. Ce soir, il va vous falloir un toit. Il y a du foin frais dans notre grange et Sally fait aussi bien le ragoût de lapin que sa mère dans le temps.» Dit-il, ravi de voir le visage de la jeune enfant ici-bas s’illuminer à ses paroles. Il se tourna ensuite vers le Limier près de son cheval puis opta pour un ton plus franc ; «nous n’avons pas grand-chose, mais celui qui verse son sang pour les Tully est le bienvenu chez nous.»

«Merci.» Acquiesça Emerys avec gratitude, la main sur le cœur.

Et Arya ne pouvait plus se retenir de sourire victorieusement.

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La nuit tomba en même temps qu’une pluie diluvienne, le ciel nocturne déchiré par des éclairs aux grondements terrifiants. Le paysan et sa fille conduisirent le trio jusqu’à leur petite chaumière aux abords d’une forêt, à l’abri des regards et surtout loin des routes principales. Une fois sur place, le propriétaire des lieux indiqua un endroit couvert où ils pouvaient installer leurs chevaux pour le restant de la soirée afin qu’ils se reposent tout en se délectant du fourrage mis à disposition.

Emerys tapota gentiment l’encolure de sa monture en lui chuchotant des mots doux à l’oreille pendant que leur hôte disparu à l’intérieur de sa chaumière avec sa fille pour préparer ce fameux ragoût si délicieux. Arya ne tarda pas à suivre le paysan pour éventuellement prêter main forte à leur besogne pour pouvoir manger plus vite, son estomac devenu trop douloureux pour simplement patienter sur le côté. Bien qu’elle n’ait pas particulièrement envie de se mettre à la tâche, elle préférait de loin avoir une corvée culinaire plutôt que de devoir rester avec le mercenaire repoussant …

Pauvre Emerys.

La jeune femme en question s’intéressait au bien-être des chevaux jusqu’au moment où elle sentit une présence intrusive dans son dos, l’obligeant ainsi à se raidir d’inconfort. Entrelaçant ses doigts devant elle d’un déglutissement nerveux, elle se tourna pour se rendre compte que le Limier se tenait juste derrière son dos. Il la surplombait de sa taille impressionnante et couvrait le peu de luminosité qui restait. Un petit sourire espiègle à peine perceptible se dessina sur ses lèvres après qu’il croisa les bras sur sa large poitrine, les mèches de ses cheveux chassées de son visage amoché par le vent. Il portait un regard qui pourrait être considéré comme effrayant, si l’on ignorait l’origine de son amusement.

«Je sais ce que vous pensez. Mais sachez que je n’avais pas l’intention de dire ça ! C’était une erreur, d’accord ? J’ai simplement dis ce qui me passait par la tête pour nous sortir de cette impasse !» Se défendit Emerys d’un haussement d’épaules, les joues futilement teintées par l’embarras. Elle ne savait même pas pourquoi elle tentait de se justifier auprès de lui !

Sandor ne lui répondit pas tout de suite. Il préféra d’abord la scruter de haut en bas d’un air réfléchis, appréciant le fait qu’il l’embrouille aussi aisément d’un simple regard. C’était plutôt plaisant de voir cette réaction chez elle. Il avait l’impression qu’il lui faisait de l’effet en quelque sorte, en dehors de l’intimidation et du dégoût classique. Ne perdant pas son petit sourire railleur, il renifla dédaigneusement lorsque la femme décontenancée leva les yeux au ciel puis qu’elle le dépassa pour rejoindre la porte d’entrée de la petite maison à sa gauche, clairement agacée par son comportement énigmatique. Elle fit de son mieux pour éviter la pluie torrentielle jusqu’au porche.

«Le souper sera bientôt prêt. Le paysan et sa fille nous attendent, ma femme.» Lui indiqua-t-il juste avant qu’elle ne franchisse l’encadrement.

Les coins de ses lèvres s’étendirent dans un large sourire ricaneur quand Emerys s’immobilisa et qu’elle se tourna dans sa direction pour le dévisager, la bouche béate et sur le point de rétorquer par colère. Hors elle ne trouva rien à dire. En revanche, la couleur à ses joues témoignait de son embarras profond alors qu’elle s’empressait de rentrer à l’intérieur sans le moindre commentaire supplémentaire qui pourrait rendre cette situation encore plus ridicule qu’elle ne l’était déjà. Dans son sillage, elle pouvait entendre le Chien s’esclaffer.

Plus tard et une fois tous assis autour de la table centrale en bois, le paysan commença sa longue et ennuyeuse prière. La délicieuse odeur du ragoût flottante dans l’air, il était donc extrêmement difficile de se concentrer sur les paroles et leur signification divine. Néanmoins, Emerys, Sandor et Arya joignirent respectueusement leurs mains envers leurs hôtes malgré leur furieuse envie d’apaiser leurs estomacs criant famine au lieu d’écouter bien sagement.

«Nous prions le guerrier de nous donner du courage en ces temps de conflit et de bouleversement-»

Elle était si longue … Si inutilement longue. Cette prière n’en finissait pas.

Arya regarda avec impatience et envie la nourriture chaude qui les attendait au centre de la table, jouant avec ses doigts pour faire passer le temps mais surtout pour ne pas faire de bêtise qui pourrait leur coûter l’hospitalité. Emerys, quant à elle, s’occupa l’esprit en regardant plus en détail l’intérieur de cette chaumière insalubre cependant confortable. Des étagères abritaient de petits pantins en bois représentant des soldats ainsi que des bougies donnant à la pièce une lueur chaleureuse. Le toit comportait quelques trous qui laissaient l’eau de la tempête s’infiltrer et tomber sur certaines parties du mobilier rustique goutte par goutte, l’orage menaçant grondant à l’extérieur. Un feu virevoltait dans le foyer à sa gauche, de quoi réchauffer leurs peaux gelées et offrir la convivialité.

«Nous prions la jouvencelle de protéger la vertu de Sally et de la préserver des griffes de la dépravation-»

«Va falloir qu’ils y passent tous les sept, ces connards …» Maugréât Sandor d’un soupir découragé, coupant volontairement le paysan dans sa prière quotidienne.

«Papa !» Réprimanda Arya qui tourna la tête vers le Limier. S’il continuait de dire le fond de sa pensée, ils ne seront bientôt plus les bienvenus ! Heureusement qu’Emerys apporta son soutien.

«Arrête ! Je t’en prie mon … euh … ours.» Balbutia cette dernière, la fin de sa phrase sortant comme un étranglement lorsqu’elle se rendit compte de son choix de mots peu judicieux. Les joues flamboyantes de honte à cette appellation inappropriée, elle avala sa salive alors que tous les yeux se braquèrent sur elle puis que le silence s’installa sur la table.

Etait-ce possible d’avoir l’air encore plus ridicule ?

«S’il vous plaît, poursuivez !» Grommela-t-elle en enterrant son visage rouge dans ses mains jointes. Elle n’avait pas manqué le regard effaré de la louve et encore moins celui incrédule du Chien.

Le paysan, après plusieurs coups d’œil hésitants entre les trois étrangers face à lui, repris sa prière des Sept Dieux sous le regard reconnaissant d’Emerys en proie à l’humiliation. Elle laissa sortir un petit soupir de contentement tandis que Sandor, ne pouvant attendre un instant de plus sans manger, dévora du regard la marmite chaude devant son nez. L’appel de la faim était trop grand. Donc, il joignit bruyamment ses deux mains devant lui pour prendre la relève sur cette prière des plus lassantes avant qu’il ne perde complètement la tête avec ces sottises.

«Et nous prions l’étranger de ne pas nous tuer dans nos lits cette nuit juste parce que ça lui passe par la tête ! Que sa femme et sa tendre fille ne soient pas spectatrices de ce massacre !» Récita-t-il précipitamment, les yeux hermétiquement fermés car il priait vraiment pour que cela n’arrive pas. Ensuite il empoigna la marmite et se servit une généreuse portion.

Les yeux écarquillés par cette soudaine prise d’initiative, Arya ainsi qu’Emerys l’imitèrent en prenant à leur tour une portion de repas pour ne pas faire passer le Limier pour un imbécile fini. Et aussi parce qu’elles n’attendaient que cela à vrai dire … Le paysan et sa fille s’échangèrent des regards incertains aux mauvaises manières de ces gens-là tandis qu’ils avalaient goulûment la nourriture comme s’ils n’avaient rien mangés depuis des lustres. Le jus dégoulinait le long de la courbe de leurs bols jusque sur la table. Les bruits de déglutitions et de mastications envahirent bientôt la pièce pendant que les invités se régalaient.

Arya finit par remarquer leurs expressions surprises et se sentit alors obligée d’intervenir entre deux bouchées de son repas pour ne pas instaurer de malaise général. Esquissant un sourire nerveux lorsqu’Emerys rota dans son poing, elle posa une main sur son cœur puis se pencha vers la jeune fille grimaçante assise à côté de son père qui avait l’impression d’assister au nourrissage des porcs à l’arrière de la cour.

«C’est excellent !» Félicita la Stark avec sincérité.

«Vous êtes-vous battus aux Jumeaux ?» Interrogea par la suite le paysan en prenant sa propre part, ses yeux se fixant sur le grand homme rustre. A ses côtés, la femme adulte devint plus civilisée en prenant cette fois-ci une cuillère pour manger.

«Tu parles d’une bataille. Ils ont été égorgés comme du bétail à l’abattoir.» Répondit sombrement Sandor sans lever un seul instant les yeux de sa nourriture.

«Les Noces Pourpres, il me semble. Walder Frey a commis un sacrilège cette nuit-là. Partager le pain et le sel avec les Stark, il était lié par les droits de l’hôte.» S’attrista le paysan après s’être versé un verre d’eau. Il tendit ensuite la cruche à Emerys, mais celle-ci venait de perdre son sourire resplendissant pour le troquer contre un froncement de sourcils, exaspérée par ce sujet sensible.

«N’en parlons plus.» Dicta-t-elle avec froideur, acceptant finalement la cruche pour servir à boire à Arya puis à elle et enfin au Chien qui s’en plaignit.

«Cela veut dire beaucoup pour moi.» Répliqua l’homme tout en plissant suspicieusement les yeux. Il avait bien vu le petit rictus apparaître sur le visage de la jeune enfant lorsqu’il énonça les Noces Pourpres, mais peut-être était-ce une simple coïncidence ? Il reprit d’une voix plus vive.

«Les Dieux se vengeront un jour. Frey ira brûler aux Sept Enfers pour ce qu’il a fait aux Stark. Il n’y avait pas autant de problèmes avec les Tully qui dirigeaient le Conflans. Maintenant avec les Frey, les brigands viennent nous piller, ils volent notre nourriture et notre argent. Tout le pays a tourné au vinaigre. C’est d’une tristesse …» Se lamenta-t-il dans son monologue tout en se frottant le front de lassitude.

«T’as de la bière ?» Questionna abruptement Sandor, pas le moins du monde chagriné par les dénonciations du paysan.

«J’ai pas ça, non.» Ricana ce dernier pris au dépourvu par cette demande.

La mine du Limier tomba quand ses pires craintes furent révélées, pas de bière ! Comment était-ce possible à cette époque ? D’une secousse désespérée de sa tête, il baissa les yeux sur la gamine silencieuse assise face à lui et intimidée au point de s’enfoncer de plus en plus loin dans sa chaise. Elle le regardait comme s’il était devenu un ogre sur le point de la croquer toute crue, ses yeux ronds suivant chacun de ses gestes alors qu’il recueillait un petit pain dans la corbeille à sa droite.

«Comment on peut ne pas avoir de bière chez soi !» Rouspéta-t-il, offensé. Il arracha grossièrement un morceau de pain puis jeta le reste de retour dans le panier.

«Quel âge as-tu, ma petite ?» Emerys décida qu’il était temps d’intervenir dans ce petit moment gênant en s’adressant à Sally. D’un sourire chaleureux à la jeune fille apeurée, elle se pencha sur la table en croisant les bras.

«Neuf ans, madame.» Répondit-elle d’une petite voix timide, se concentrant sur la jolie femme au lieu de l’homme terrifiant. Se sentant rassurée par cette dernière, elle lui rendit son sourire contagieux mais finit par revenir sur le Chien intriguant qui avait bruyamment repris son repas.

«Elle est tout ce qui me reste, ma petite Sally.» Le paysan se pencha avec amour près de sa fille pour lui embrasser tendrement la couronne de sa tête. Arya et Emerys se mirent à sourire tandis que le mercenaire, insensible face à cette démonstration d’affection, trouvait son bol bien plus intéressant.

Bientôt, le paysan engagea une conversation à sens unique avec le Limier autour de sa carrure et de son maniement de l’épée, perdant Emerys à ses propres pensées. Elle entendit vaguement le propriétaire essayer de marchander avec Sandor, mais ne faisait plus vraiment attention à ce qui se disait autour d’elle, concentrée sur la lueur de la bougie assise sur l’étagère contre le mur face à elle. L’orage continuait de sévir à l’extérieur, le bruit du tonnerre résonnant de temps à autre. Comme aspirée par la flamme de la bougie, elle faillit ne pas entendre ce qu’Arya avait à lui dire jusqu’à ce qu’elle ne sente son bras se presser contre le sien.

«Ils sont bizarres.» Murmura-t-elle à voix basse pour s’assurer que personne d’autre ne l’entende. Du coin de l’œil, elle vit Emerys sourire faiblement avant qu’elle n’acquiesce en accord, obtenant un rire d’elle. Cependant les deux revinrent vite à la réalité aux prochaines paroles du paysan.

«Si des voleurs arrivaient … Pensant trouver un butin facile, en vous voyant, ils décamperaient comme des lapins.» Songea ce dernier. Il s’empressa de poursuivre aux regards choqués qu’il reçut en retour des deux filles et à celui menaçant du Chien ; «je ne veux pas vous vexer, bien-sûr.»

«Combien tu payes ?» S’informa rapidement Sandor avec la bouche pleine, faisant mine de ne pas voir l’outrance gravée sur les visages d’Emerys et d’Arya.

«J’ai pas grand-chose, mais j’ai mis quelques pièces à l’abri des brigands. Votre femme et votre fille seront à l’abri sous mon toit et vous serez nourrit. Elles pourront aider aux tâches ménagères. Alors ? Salaire honnête contre travail honnête ?» Continua le paysan muni d’un sourire qu’il espérait convainquant.

Ils avaient tant besoin de protection …

Le Limier prit un petit temps pour réfléchir à cette proposition alléchante, mais il évalua d’abord les têtes que tiraient ses compagnons de route. Les deux arboraient des expressions totalement différentes. L’une était horrifiée par cette demande, tandis que l’autre avait l’air de sérieusement considérer cette opportunité qui ouvrait une porte à une nouvelle vie loin de la misère et des tourments. Sauf que cette considération disparue brutalement quand elle se souvint de pourquoi ils étaient là, remplaçant son sourire pensif par un visage similaire à celui de la louve.

Bien entendu qu’il avait déjà fait son choix, car l’argent passait avant tout dans sa quête d’expiation et nul ne pouvait le faire changer d’avis.

«Salaire honnête pour travail honnête.»

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«Qu’avez-vous fait ?!» Hurla désespérément Emerys qui faisait les cents pas dans la grange qui leur servait de chambre pour ce soir.

«Moins fort, femme !» Exigea Sandor, sentant le mal de crâne l’envahir.

Arya se tenait sur une pile de foin au fond et regardait le couple se disputer en contre-bas de sa position, à la fois amusée et à la fois ennuyée par la décision prise le Limier. Elle n’y avait même pas consentit, alors qu’elle avait tout de même le droit de donner son avis sur la question ! Elle était une Stark, sa place n’était pas dans une chaumière à faire des travaux pour la ferme ... Elle s’allongea sur son flanc gauche puis colla son poing contre sa joue pour soutenir le poids de sa tête pendant que les arguments reprirent de plus belle autour de ce sujet fâcheux.

«Et maintenant ? C’est quoi la suite ? Vous allez essayer de me faire croire que vous voulez vous reconvertir en paysan ? Que vous allez abandonner votre ancienne vie de mercenaire aussi facilement ? Vous n’emmenez plus Arya chez sa tante dans les Eyrié ? Je croyais que l’argent était votre but premier dans la vie !» Emerys jeta paresseusement ses mains en avant d’un soupir exaspéré, sa voix feignant le sarcasme.

«Tu prends ton travail de femme très au sérieux. C’est quoi la prochaine étape ?» Ironisa Sandor en mettant ses mains à ses hanches, son froncement de sourcils le trahissant. Il commençait sérieusement à perdre patience et supportait de moins en moins ses reproches alors qu’elle ignorait tout de son véritable plan.

«Oh, mais quel maroufle vous faites ! Ces gens-là sont dans le besoin. Vous ne pouvez pas vous permettre de promettre des choses que vous ne pouvez pas tenir aux bonnes gens. Ce n’est pas bien !» Se consterna Emerys, pas du tout amusée par sa dernière déclaration. Il n’essayait même pas de démentir ou de se justifier !

«Je n’ai jamais prétendu être quelqu’un de bien.» Rappela Sandor qui leva un sourcil à la jeune femme agitée après avoir croisés ses bras sur son torse. Il venait de marquer un point.

Emerys massait lentement son front pour faire partir la tension avant de s’arrêter d’arpenter la pièce pour brusquement lever la tête vers le Chien immobile au milieu de la grange qui tentait de garder son calme. Derrière elle, elle pouvait entendre Arya ricaner dans son coude. Pensait-il réellement qu’elle était aussi idiote ? Qu’elle ne savait pas ce qu’il manigançait sous ses faux airs de Chevalier ? Un mercenaire comme lui ne pouvait pas changer du jour au lendemain, pas avec un caractère aussi féroce et des années de tuerie. Cependant, l’espoir que peut-être elle se trompait sur son jugement hâtif finit par se présenter et lui semer le doute. Et s’il disait la vérité, qu’il voulait vraiment devenir un travailleur honnête ?

Mais comme il venait de si bien le dire, il n’avait jamais prétendu l’être.

«Ça, je l’avais remarqué.» Admit tristement Emerys. Son regard était dur et sa respiration rapide tandis que sa colère ne voulait pas s’estomper, une lueur de déception dans ses yeux. Affligée, elle détourna le regard au sol puis se dirigea vers une cagette retournée pour pouvoir s’asseoir et retirer ses bottes brunes qu’elle jeta dans un coin.

Ne souhaitant pas intervenir, la louve se contenta d’observer le Limier jouer avec sa mâchoire pendant qu’il se battait avec l’envie d’étriper la femme insolente. Malgré tout, il ressentit une petite piqûre aiguë dans son cœur aux mots qui ne cessaient de tourner en boucle dans son esprit. Effectivement, ses dernières paroles qui sonnaient plus comme des reproches lui faisaient plus de mal qu’il n’y paraissait. Mais pourquoi les prenait-il autant à cœur ? Il s’en fichait du regard d’autrui. Malmené, il passa sa main dans ses cheveux bruns avant de s’intéresser à la Stark allongée sur la pile de foin ci-dessus, lui donnant un regard noir après avoir remarqué son petit sourire effronté.

La lèvre inférieure ressortie dans une légère moue, Arya lui haussa les épaules pour finalement s’installer pour la nuit en tournant le dos au Chien renfrogné. Elle retira doucement son épée Aiguille de sa hanche puis la positionna juste à côté d’elle au cas où elle aurait besoin de s’en servir durant la nuit. Car la nuit était toujours sombre et pleine de terreur, ils n’étaient jamais à l’abri d’une attaque surprise par des brigands ou des soldats. D’un soupir épuisé après des jours de cavale sans un bon matelas, elle se détendit en fermant les yeux pour espérer prendre un peu de repos avant les premières lueurs matinales. Le cœur toujours lourd de chagrin.

«Fait chier.» Baragouina Sandor qui prit ensuite ses aises sur du foin étendu sur le sol entre une charrette et le poulailler.

Loin d’Arya et loin d’Emerys.

Peu de temps après, le Limier et la fille Stark s’endormirent profondément. Ce qui n’était pas le cas d’Emerys, incapable de trouver la voie du sommeil après cette petite querelle insignifiante. La déception étant trop grande pour se sentir apaisée, elle se tourna et se retourna sur sa propre pile de foin mais sans succès, ses yeux refusaient de se fermer. Elle tapota rythmiquement ses doigts contre sa hanche pendant que ses yeux suivaient pensivement le fil que tissait une araignée au clair de lune. La tempête avait cessée dehors depuis plusieurs heures maintenant pour laisser apparaître des nuages dispersés un peu partout dans le ciel nocturne blanchit par la lune ronde et lumineuse veillant sur les terres.

Trop de tracas, trop d’insécurité, trop de questions en tête. Pour la énième fois consécutive, elle soupira jusqu’à ce qu’un petit ronflement venant de la part d’Arya sortit Emerys de son train de pensée. Elle baissa les yeux pour voir que l’enfant en question dormait avec un bras replié sous sa tête pour lui servir d’oreiller, la bouche entre-ouverte où un léger filet de bave s’en échappait, les jambes étendues sur le foin. Cette position revenait régulièrement, elle l’avait remarquée à plusieurs reprises durant leur voyage. Surtout quand ils trouvaient un endroit plus ou moins confortable pour dormir.

Incapable de rester immobile, Emerys se redressa. Silencieusement, elle se leva pour ramasser son manteau noir qu’elle glissa sur ses épaules pour faire barrage au froid tandis qu’elle s’approchait de la porte arrière en faisant le moins de bruit possible pour ne pas alerter les deux autres. Toutefois, avant qu’elle ne l’atteigne, elle s’arrêta aux pieds du Limier couché sur le dos avec les bras croisés sur son torse. Son visage était plus paisible que lorsqu’il était éveillé, l’ombre de la charrette masquant le côté brûlé de son visage pour ne laisser que la peau saine visible. Il n’y avait aucune trace de colère ni de tristesse, juste cette accalmie inhabituelle. De plus qu’il ne faisait que très peu de bruit en dormant ce qui était plutôt surprenant pour un homme de son gabarit.

Elle l’examina quelques instants de plus, étudiant longuement ses traits sans être obligée de détourner les yeux. Puis elle retint son souffle alors qu’elle poussait la porte pour sortir définitivement de la grange.

A suivre …


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