TOME 1 - Un bout de chemin ensemble

Chapitre 12

9302 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 07/08/2020 22:13

Chapitre 12

Emerys se glissa dans la nuit noire jusqu’au petit chalet du paysan. La lumière réconfortante du feu à l’intérieur s’infiltrait sous la porte en bois, une mince ligne orangée traversant le seuil pour se refléter sur ses pieds nus.

D’un souffle fragile qui se transforma en buée, elle resserra son manteau autour de ses épaules après avoir poussé la porte entre ouverte pour jeter un coup d’œil à l’intérieur de la chaumière humide. Ses pieds étant gelés à cause du froid, les flammes virevoltantes du feu dans la cheminée l’invitaient à venir se réchauffer. Elles étaient l’unique source de lumière dans la pièce, ce qui la rendait très sombre. Elle n’avait pas vraiment envie de pénétrer dans l’intimité du paysan sans y être invitée cependant, l’appel de la chaleur était bien trop fort pour y résister d’avantage. Alors elle s’approcha calmement du foyer jusqu’à s’y tenir face à lui, le plancher grinçant sous son poids, ses yeux noirs hypnotisés par le feu contenu entre les pierres grises. Elle voulait tendre les doigts pour l’effleurer …

«Vous n’arrivez pas à dormir ?» S’exclama une voix sur sa droite.

Expirant un souffle de peur, Emerys sursauta presque hors de sa peau à cette voix masculine. Prise en flagrant délit, elle tourna timidement la tête vers le son de cette dernière pour se rendre compte que le propriétaire des lieux était assis dans une chaise à bascule depuis son entrée intempestif, ne l’ayant même pas remarqué jusqu’à sa manifestation. Allait-il la réprimander pour son intrusion tardive ? Fût sa toute première question, tandis que l’homme aux cheveux gris la fixait d’un demi-sourire, les deux mains sur les accoudoirs de son siège. S’il n’avait pas pris la parole, elle ne l’aurait sans doute jamais distingué dans la pénombre de la pièce.

«Non, mon mari fait trop de bruit en dormant.» Répondit-elle après quelques secondes délicates. Elle glissa une mèche de ses cheveux derrière son oreille puis esquissa à son tour un sourire étourdi.

«C’est ce que ma femme me répétait sans cesse lorsqu’elle était encore de ce monde.» Renifla tristement le paysan. Il secoua la tête aux doux souvenirs que cela engendraient avant de lever les yeux sur la jeune femme près du feu et de lui hausser les sourcils.

«Regardez au mur sur votre gauche. Vous y trouverez une pierre un peu plus large que les autres. Déboîtez-là et récupérez ma précieuse bouteille pour les grandes occasions.» Dicta-t-il tout en désignant le mur anthracite à côté d’Emerys.

«Ne souhaiteriez-vous pas la garder pour une occasion plus spéciale ?» S’interrogea-t-elle ironiquement alors qu’elle entreprit d’ouvrir la pierre pour prendre la fameuse bouteille d’alcool cachée dans un trou parmi quelques maigres pièces et bijoux.

«Mais s’en est une. Nous avons rarement de la bonne visite ces derniers temps.» L’homme se leva pour aller récupérer deux verres qu’il remplit ensuite du breuvage exceptionnel. Il en offrit un à la femme qui le remercia puis reprit place dans sa chaise tout en tendant son verre à sa santé, l’encourageant à en faire de même.

Suite à plusieurs petites hésitations où elle se tenait maladroitement sur ses pieds, Emerys finit par lever son verre pour trinquer avec ce dernier. Après cela elle s’assit dans la chaise que le paysan accueillant lui avait apportée pour étendre ses jambes devant elle et ainsi récupérer la chaleur du feu, étouffant un soupir de contentement dans sa gorge aux douces caresses des flammes sur sa peau frigorifiée. Les yeux fermés et la tête en arrière, elle pouvait néanmoins sentir le regard de l’hôte sur elle pendant qu’elle se délectait du rhum gracieusement offert.

«Ce n’est pas votre mari, je me trompe ?» Il reprit la parole, mais au coup d’œil méfiant que lui donna la femme en face de lui, il se dépêcha de clarifier le fond de sa pensée ; «oh non, ne vous méprenez pas, mais c’est si simple de le deviner. C’est un mercenaire et je ne suis pas dupe. Il manque cette petite étincelle dans votre regard qui montre que votre âme est scellée à la sienne par les liens sacrés du mariage. Vous êtes une voyageuse ? Où voulez-vous aller ?»

Le froncement de sourcils d’Emerys faiblit légèrement à ces derniers mots, son regard analytique cherchant toutes traces suspectes sur le visage du paysan décontracté. Ne trouvant toutefois rien d’autre que de la curiosité, elle s’engouffra plus loin dans sa chaise pour prendre ses aises puis s’intéressa plus particulièrement aux flammes dans la cheminée. Elle se mit à réfléchir plusieurs longues minutes dans cette position confortable, ses doigts caressant pensivement le rebord du verre froid tandis qu’elle débâtait si oui ou non elle pouvait lui faire confiance. Finalement, elle prit une profonde inspiration avant de rouvrir la bouche.

«Je suis partagée, tout est si flou dans ma tête. Certains passages de ma vie sont effacés de ma mémoire. Des bribes qui refusent de réapparaître …. En réalité, je suis incapable de répondre à votre question. J’ignore ce que je recherche en ce monde, j’ignore ce qu’est ma destinée. Suis-je un fantôme du passé ? Ai-je eu un impact quelque part suite à des décisions ? Je n’en ai aucune idée, et je suis constamment effrayée par cette méconnaissance. J’aimerais pouvoir tout oublier pour ne plus être en proie à cette terreur qui consume mon âme à petit feu.» Révéla-t-elle mélancoliquement sans quitter le feu du regard, une expression grave sur son visage. Sa voix était tremblotante, incertaine.

«Vous savez, la peur nous maintien en vie. Même si c’est plutôt fâcheux. Mais quelques fois, il faut savoir faire la paix avec nos démons passés pour pouvoir mieux avancer. Ne laissez pas les regrets vous dévorer, car ils finiront par vous détruire.» Témoigna le paysan à l’écoute.

«Mes démons dépassent votre entendement.» Chuchota Emerys qui détourna les yeux du feu pour regarder directement à l’homme assis devant elle. Elle avala nerveusement, l’air terrifiée par ses propres aveux, inconsciemment à la recherche de paroles réconfortantes.

Le paysan voulut rire de cette déclaration folklorique, mais quelque chose dans le regard sombre de la femme l’en dissuada instantanément. Elle semblait souffrir intérieurement … Rongée par la culpabilité tout comme la crainte et à jamais enfermé dans le silence. Son propre tombeau. Sa lèvre inférieure tremblait sous la pression de ses émotions et sa respiration avait inexplicablement prit de l’ampleur alors qu’elle se confessait ouvertement à lui, sur le point de fondre en larmes pour une raison quelconque. Par ailleurs, il était très touché par cette triste image d’une inconnue qui avait bien plus souffert physiquement et mentalement qu’elle ne voulait le montrer.

Devenu perplexe face à cet état émotionnel instable, le paysan se racla la gorge puis avala une autre gorgée de son rhum tandis que la femme en émoi retrouva une expression sereine ainsi qu’une posture moins rigide sur sa chaise. Chassant ses larmes naissantes et sa peine, elle laissa un sourire fébrile étirer ses lèvres, permettant à son manteau de glisser de ses épaules pour accueillir la chaleur du feu sur les parties froides de son corps. Notamment son cou et sa poitrine, ce qui donna l’occasion au paysan d’entrevoir la courbe de ses seins. Aucunes pensées déplacées ne traversèrent son esprit, cependant il appréciait la beauté pâle et cette présence féminine réconfortante après des années de solitude.

«Que lui est-il arrivée ? A votre femme ?» Demanda prudemment Emerys en décalant ses yeux sur l’homme pensif, cherchant à changer de sujet. D’un soupir épuisé, il répondit.

«Des bandits nous avaient attaqués il y a longtemps de cela. Ils ont pris toutes nos richesses et nos bêtes. Mon épouse n’a malheureusement pas survécu à cette attaque.» La douleur était perceptible dans sa voix défaillante.

«Je suis désolée pour votre perte.» Fût la seule chose qu’Emerys était capable de dire, réellement affectée par cette tragédie.

«Maintenant, tout ce qu’il me reste, c’est ma petite Sally. Je ne remercierais jamais assez les anciens et nouveaux Dieux pour ce cadeau.» Raconta le paysan avec reconnaissance, levant un instant les yeux au plafond comme pour remercier les Dieux qui veillaient sur eux.

Mais veillaient-ils véritablement sur les humains ?

«Elle est très douée.» Acquiesça Emerys d’un sourire contemplatif en repensant au délicieux ragoût du dîner.

«Bien plus que vous ne pourriez l’imaginer. Elle tient ça de sa mère.» Rit gentiment l’homme après s’être levé de sa chaise pour rejoindre la cuisine puis de revenir quelques instants plus tard avec un bol en main.

«Qu’est-ce que c’est ?» Emerys se redressa sur sa chaise lorsque le paysan s’accroupit devant elle, incrédule.

«J’ai remarqué votre petite claudication tout à l’heure. Il faut soigner votre cheville ou vous risquez d’aggraver votre blessure à force de l’utiliser.» Expliqua-t-il en demandant silencieusement l’autorisation pour lever son pantalon brun et avoir accès à sa cheville enflée.

«N-non ! Ça n’en vaut vraiment pas la peine. Elle est presque entièrement guérit. J’ai une guérison très rapide, ne vous embêtez pas pour elle. Ça va aller.» S’empressa de dire Emerys avec nervosité mais le regard sévère que lui donna le paysan en réponse lui fit comprendre qu’il était offusqué par son refus.

«Ce n’est pas à prendre à la légère ! C’est un remède miracle, Sally est aussi très douée pour la médecine par les plantes. Vous m’en direz des nouvelles d’ici quelques jours.» Réprimanda ce dernier en prenant l’initiative de soulever le bas de pantalon pour voir l’état de la cheville, voulant à tout prix lui venir en aide malgré sa réticence.

Effectivement la cheville n’était plus enflée. Néanmoins, la peau autour de l’os était encore d’un rouge brunâtre suite au traumatisme qui avait engendré cette blessure douloureuse. Après avoir retroussé ses manches, il travailla rapidement mais délicatement sur la zone douloureuse en badigeonnant la mixture verte foncée sur la cheville, s’arrêtant un instant dans ses mouvements lorsqu’il entendit un petit sifflement de la part de la femme crispée sur sa chaise. C’était rafraîchissant mais aussi très soulageant, remarqua Emerys une fois le cataplasme posé sur sa jambe excessivement sensible. Une odeur de plante et de terre envahi bientôt son nez tandis que l’homme à genoux, satisfait de son travail, se leva pour aller s’essuyer les mains sur un vieux bout de tissu.

«Merci.» Souffla-t-elle, apaisée par l’odeur de camomille.

«Mon plaisir. Il faut savoir aider son prochain en ces temps difficiles. Je vais aller me coucher. Vous pouvez rester ici si l’envie vous prends, mais en attendant, je vous souhaite bon courage pour cette nuit.» Il donna une courte révérence polie à la femme puis se dirigea vers les escaliers pour rejoindre sa chambre afin de prendre un peu de repos avant la grosse journée de demain.

Un petit sourire amusé se dessina sur les lèvres d’Emerys aux sous-entendus alors que le plancher grinçait sous le poids du paysan en route pour sa chambre. Il parlait bien évidemment des ronflements du Limier sauf que l’homme ne ronflait pas, il s’agissait plutôt de la louve ... Qui l’aurait cru ? Toutefois cela ne l’empêchait pas de dormir, le problème venait d’elle et de ses pensées dont une revenait sans cesse depuis le début de son voyage aux côtés du mercenaire et de la Stark. A quoi pouvait-elle bien servir une fois à destination ?

La jeune femme déboussolée poussa un long soupir éreinté tout en baissant les yeux sur son verre presque vide entre ses doigts, son froncement de sourcils s’approfondissant au fur et à mesure que cette question revenait dans sa tête. Comme un écho, une petite voix. Si seulement elle pouvait avoir accès à sa mémoire avant les événements dramatiques survenus dans son petit village d’Erebor … Un visage lui apparaissait régulièrement en tête dès lors qu’elle y songeait, mais elle était incapable de mettre un nom sur ce dernier qui pourtant lui paraissait familier. Un ami ? Un ennemi ? Elle finira par combattre ses démons pour s’en souvenir et émerger des profondeurs dans lesquelles ses ravisseurs l’avaient plongée.

Sentant finalement le sommeil la bercer, Emerys frotta ses yeux puis finit d’une traite le reste de son verre avant de se diriger vers la porte pour rejoindre la grange où dormaient Sandor et Arya. Une fois à l’intérieur, elle s’installa sur le foin à côté de l’enfant, la clarté de la lune luisant sur son visage paisible. Jusqu’à ce qu’elle ne s’endorme à son tour, elle rejoua la petite conversation avec le paysan dans son esprit.

oOoOoOoOoOoOoOoOoOo

Un cri à glacer le sang réveilla Arya en sursaut.

Laissant s’échapper un souffle de surprise, Elle se redressa brusquement sur le foin puis cligna plusieurs fois des yeux, encore dans les limbes du sommeil et quelque peu perdue dans cet environnement inconnu. Où se trouvait-elle ? Elle chassa une poule rousse à côté d’elle, là où Emerys se reposait normalement mais la jeune femme avait également disparu de la grange. Elle demeurait seule, que cela signifiait-il ?

Dorénavant sur le qui-vive, Arya se dépêcha d’enfiler ses bottes et son Aiguille à sa hanche pour sortir et voir ce qui se tramait à l’extérieur de si bon matin. Presqu’immédiatement, elle put distinguer la chevelure reconnaissable d’Emerys soufflée par la brise matinale alors que le Limier la surplombait dangereusement de sa taille impressionnante. Les mains sur les hanches, les deux semblaient avoir un argument violent. Elle pressa donc le pas, l’inquiétude et l’appréhension montant en flèche dans ses intestins jusqu’à ce qu’elle ne pose ses yeux sur la cause de tout ce raffut. Son sang ne fit qu’un tour.

Là, allongé sur le sol aux côtés de Sally, le paysan gisait avec une profonde entaille à sa tête.

«Arrêtez ça ! Arrêtez cette folie tout de suite !» Ordonna violemment Emerys en poussant la poitrine du Chien pour l’éloigner des deux innocents.

Puis Arya remarqua avec horreur que l’homme balafré tenait une bourse de pièces dans ses mains gantées, une bourse qui ne lui appartenait certainement pas. C’était très radical … Les larmes ruisselaient sur les joues de la petite Sally agenouillée aux côtés de son père souffrant alors qu’Emerys de son côté arborait une expression désespérée, sur le point de la rejoindre dans son désarroi. Malheureusement, elle fût ignorée par le grand mercenaire implacable lorsque celui-ci se détourna d’elle pour rejoindre les chevaux tout en comptant le nombre de pièces qui se trouvaient dans cette maigre bourse.

«Qu’est-ce que vous avez fait !» S’indigna la Stark qui suivait son ombre, les mains en poings et l’horrible envie de lui tordre le cou pour son irrespect.

«Va seller ton cheval.» Se contenta-t-il de répondre sans se retourner, toutefois il pouvait parfaitement bien reconnaître les bruits de pas d’Emerys dans son sillage. Ce qui le fit souffler d’exaspération.

«Ils ne méritaient pas un tel traitement ! Pas après tant de générosité de leur part ! Comment pouvez-vous être aussi égoïste !» S’exténua cette dernière une fois qu’elle les avait rattrapés tous les deux sur la colline, la fureur à fleur de peau. Elle agrippa violemment le bras du Chien faisant semblant d’être sourd pour le faire pivoter vers elle et son visage enragé.

«Je vous faisais confiance. Pourquoi réglez-vous toujours les problèmes à coups de poings ? Je vous croyais être un homme différent avec des ambitions … Mais vous savez quoi ? Vous ne serez jamais rien d’autre qu’un malfrat apeuré par son image qui profane des menaces à tort et à travers !» Hurla-t-elle en serrant les dents de rage, ses yeux se plissant méchamment quand l’homme plus grand rétorqua.

«Tu veux que je te dise un truc ? Tu crois mal ! Arrête de chercher le bon dans les gens, c’est qu’une putain de perte de temps ! Ne fais jamais confiance à personne. Et la prochaine fois que la gamine me demande d’épargner un abruti sur la route je le découperais en rondelles, comme ça, je n’aurais plus de problèmes !» S’exclama-t-il furieusement en levant ses bras à ses côtés, la mine renfrognée.

«Vous nous aviez dit que vous n’étiez pas un voleur !» Rugit Arya à son tour, prenant part au combat verbal car elle n’en pouvait plus d’entendre toutes ces bêtises sortir de la bouche de ce mercenaire têtu.

«C’était vrai.» Accorda le Limier d’un reniflement pestant.

«Ils nous ont hébergés et donnés à manger !» Soutint farouchement la jeune fille en reprenant les propos d’Emerys, sauf que l’homme la coupa brusquement dans ses plaintes.

«Oui, il nous a hébergés, c’est un brave homme. Et sa fille fait bien le ragoût de lapin. Mais avant l’hiver ils seront morts, tous les deux.» Rectifia-t-il en prenant plusieurs grandes foulées jusqu’aux chevaux, les deux filles sur ses pas.

«Vous n’en savez rien !» Objecta Arya mais elle s’arrêta quand le mercenaire se tourna hâtivement vers elle.

«Je le sais très bien ! C’est un faible, tout comme la prisonnière que tu trimbales partout avec toi ! Ils ne sont pas capables de se défendre. Et ils seront morts tous les deux avant l’hiver. Les morts, ça n’a pas besoin d’argent.» Analysa le Limier en levant la petite bourse pour imager ses paroles. Ses explications étaient quelques peu abruptes, cependant il devait lui faire comprendre que le monde n’était pas rose mais plutôt des nuances de gris et de noirs. C’était dans son intérêt de l’apprendre à cet âge-là.

«C’est peu probable en effet, mais est-ce vraiment une raison valable pour les voler de sang froid ? Non, vous êtes immonde. Arya avait raison depuis le début à votre sujet. Vous n’êtes qu’un horrible personnage cruel et acariâtre sans aucun honneur.» Déplora Emerys aux côtés de la Stark en ébullition, elle-même écœurée. Elle plissa suspicieusement les yeux au Chien lorsqu’il lui lança un regard échauffé, jouant avec sa mâchoire tandis qu’il prit un pas menaçant vers elle.

«Et c’est que maintenant que tu t’en rends compte ?» La provoqua-t-il d’un sourire exécrable.

La réponse fût des plus inattendues et des plus immédiates. Avant même que ses réflexes de soldat aguerri ne s’activent, il sentit la piqûre familière sur sa joue droite suite à la gifle qu’Emerys lui mit. Le temps semblait ralentir les prochaines secondes où le silence s’installa juste après le bruit aigu de l’impact de la paume sur la peau de sa joue. Arya, complètement démunie, tituba sur ses pieds alors que sa mâchoire tombait grande ouverte de stupeur face à cet élan de courage qui pourrait coûter très cher à Emerys. Mais la femme en question était trop aveuglée par sa colère pour se rendre compte que cet acte de violence dangereux pourrait être son dernier. C’était dans l’unique but de soulager toute cette colère accumulée ainsi que la déception qui sévissait en elle, mettant sa peur de côté pour une fois.

Sandor Clegane était à la fois subjugué et à la fois irrité par ce geste spontané. Finalement, elle n’était peut-être pas aussi faible qu’il ne le pensait … Elle avait donc encore un peu d’audace quelque part enfoui au fond d’elle. Elle avait du caractère, il aimait cela. En revanche, n’appréciant aucunement cette effronterie rabaissante pour un homme, il lui agrippa subitement le bras puis la poussa violemment sur le sol avant de sortir son poignard de sa ceinture et de prendre un pas vers la jeune femme secouée par cette réplique fulgurante.

«Emerys !» S’inquiéta Arya toujours dans l’incapacité de sortir de son choc initial.

«Essaye encore une fois de me toucher, femme, et ce sera la dernière chose que tu feras !» Averti le mercenaire une fois devant Emerys, la pointe luisante du poignard tendue dans sa direction en signe de menace.

Une fois certain d’avoir instauré la peur en elle, le Limier rangea à nouveau son arme à sa ceinture tandis qu’Arya se précipita aux côtés de la jeune femme terrifiée. Elle enroula ses mains autour de son biceps pour l’aider à se redresser à une position assise, ne manquant pas sa petite grimace douloureuse lorsqu’elle mit son poids sur sa hanche qui était entrée en contact avec un rocher dans l’herbe. Elle gémit doucement sous son souffle, une partie de son visage masquée par sa longue chevelure argent. La colère n’étant pas redescendue, elle avait tout de même ressentie une très grande peur de ce que le Chien aurait pu lui faire alors qu’elle se trouvait dans cette position vulnérable.

«Vous êtes la pire charogne des Sept Royaumes !» S’insurgea Arya, hors d’elle, bondissant à ses pieds tout en accusant l’homme abject du regard.

«Il y en a pleins qui sont pire que moi. Beaucoup d’autres auraient profité de sa faiblesse pour la violer, te violer ! Peut-être même qu’ils vous auraient tuées bien avant ça. Moi je comprends la marche des choses. Combien de Stark va falloir qu’on décapite pour que toi, tu comprennes !» Reprocha-t-il brutalement, chassant les mèches de cheveux loin de son visage livide. Il se tourna ensuite vers Emerys assise sur ses genoux qui tentait de reprendre son souffle après avoir été privée d’air suite à sa violente chute.

«Si tu tiens tellement à faire justice, alors reste avec eux ! Mais même en priant tes faux Dieux, tu ne survivras pas à l’hiver et encore moins aux prochains fils de putes qui passeront par-là.» Prévint-t-il en agitant son doigt dans les airs, furieux. Toutefois une légère pointe de culpabilité se fraya dans son cœur à l’accusation silencieuse dans les yeux de la louve. Il avait vu le visage dépité de cette dernière quand il avait craché ses paroles crues au sujet de sa famille, à quel point cela lui avait fait du mal … Mais ce n’était pourtant que la vérité même si elle était dure à entendre.

Emerys soutint son regard de plomb sur le Limier alors que ce dernier, agacé, s’approcha de son cheval Stranger pour grimper sur son dos afin de reprendre la route vers les Eyrié. Son choix était fait. Déterminée, elle finit par retirer son bras de son estomac pour se remettre lentement à ses pieds puis partir dans l’autre direction où attendaient le paysan et sa fille en larmes. Elle offrit un dernier regard compatissant à Arya pendant qu’elle s’éloignait sur ce petit chemin de terre menant à la chaumière, la pression des larmes devenant de plus en plus insupportable. Surtout quand elle vit son petit visage désemparé.

«Emerys, non ! Tu dois venir avec nous !» Cria l’enfant d’une voix cassante, aux bords des larmes.

«Laisse-la ! Elle a pris sa décision. Nous en avons fini avec elle. Je ne vais pas mettre nos vies en périls pour quelqu’un qui en a rien à foutre.» Grogna Sandor dans son dos sans se retourner.

Arya comprit vite que c’était peine perdue. Ce fût donc avec le cœur lourd qu’elle se dirigea vers son cheval blanc pour le seller et enfin s’installer dessus comme le lui avait ordonné le Limier tout à l’heure. Elle récupéra les reines dans ses mains tremblantes, essayant de cacher les larmes derrière ses cheveux noirs hirsutes. Elle patienta encore quelques instants dans l’espoir que peut-être la jeune femme changerait d’avis, mais sa silhouette ne réapparût jamais au bout du sentier conduisant à l’habitation. Les larmes qu’elle essayait tant bien que mal de retenir finirent par couler sur ses joues alors qu’elle sentait son cœur se briser un peu plus.

Encore quelqu’un qu’elle venait de perdre.

Le Limier n’était pas allé très loin car il ne voulait pas voir son précieux butin s’enfuir dans la cambrousse dès qu’il avait le dos tourné. Néanmoins il se détendit sur sa selle lorsqu’Arya parti au galop pour le rejoindre, son visage chagriné caché par sa chevelure. Les deux maintenu dans un silence maladroit se dirigèrent sur un autre chemin menant à travers champs dans la direction bien précise des Eyrié, là où la tante de la Stark attendait patiemment le retour de sa nièce en cavale depuis des mois.

«Ne te retourne pas.» Se dit Emerys qui attendait que le bruit des sabots claquant sur le sol ne s’éloigne suffisamment pour se retourner, les yeux embrumés de larmes.

Elle n’avait pas voulu que leur histoire se termine de la sorte, aussi soudainement, hors cette dernière mauvaise action avait été celle de trop pour en supporter d’avantage. La violence résidait vraiment partout où elle allait … Et il n’y avait aucune chance pour que le monde évolue positivement avec ce genre de personnalités. Chacun pour soi. La tête haute mais le sentiment d’avoir fait une énorme erreur, elle marcha calmement vers la petite fille et le paysan demeurant sur le sol contre des bûches qui gémissait de douleur. Sally, en pleurs, nettoyait la vilaine blessure à la tête de son père en usant d’un chiffon pour retirer les grandes traînées de sang frais de son visage.

Puis les pas d’Emerys devinrent désordonnés tandis qu’elle revoyait l’expression dévastée d’Arya dans sa tête. Que deviendra cette pauvre fille ? L’ancien Chien de la Garde Royale réussira-t-il à l’amener saine et sauve à bon port ? Sur ce dernier point, elle n’avait aucun doute. Cependant ces deux-là allaient beaucoup lui manquer, c’était dorénavant devenue une certitude après cette violente dispute. Elle avait fini par développer de véritables sentiments à l’égard de ses ravisseurs, allant de l’amitié à quelque chose d’un peu plus profond pour l’homme au visage marqué par le feu.

Emerys s’arrêta soudainement dans ses pas, à mi-chemin vers la chaumière. Oui elle éprouvait quelque chose de plus, mais elle ignorait de quoi il s’agissait exactement. Loin de la haine, loin du dégoût, proche de l’attachement. Tiraillée par ses émotions, elle jeta un nouveau coup d’œil par-dessus son épaule où avaient disparu la fille Stark et Sandor Clegane quelques minutes auparavant. Elle revint ensuite au paysan retrouvant peu à peu ses esprits, se rappelant des paroles acerbes du Limier sur leur sort fatidique une fois l’hiver arrivé. Puis la vérité la frappa au visage. Evidemment qu’ils ne survivraient jamais jusqu’à l’hiver sans argent, mais même s’ils en avaient, avaient-ils la moindre chance ?

En tout cas ici avec eux, elle n’avait aucune chance de survie.

Ne sachant pas se battre, elle ne leur servira à rien si jamais des voleurs s’en prenaient à eux. Mise à part leur donner une bouche supplémentaire à nourrir et un peu de compagnie, sa présence ne leur rendrait pas du tout service. Aussi difficile soit-il d’y penser, ils étaient bel et bien condamnés dans les prochains mois. Le Chien n’avait pas tort, il avait rarement eu tort jusqu’ici pour être honnête envers elle-même. Comment avait-elle pu être aussi aveugle ? Aussi têtue ? Emerys ferma brièvement les yeux puis donna une secousse de sa tête, ses cheveux rebondissant sur ses joues humides. Si injuste … Pourtant la vie s’était toujours montrée aussi cruelle.

«Ils seront morts tous les deux avant l’hiver. Les morts, ça n’a pas besoin d’argent.»

Rouvrant les yeux pour regarder en arrière avec envie, elle passa pensivement sa main sur la grande marque de brûlure en forme d’épée sur ses côtes. Un souvenir qu’elle n’était pas prête d’oublier de sitôt.

«Ne te retourne pas,» fût exactement les mêmes paroles qu’avait Sandor en tête alors qu’il serrait la mâchoire tout en donnant des coups de pieds réguliers aux flancs de son cheval pour qu’il garde le  même rythme.

Après leur départ précipité, la louve ne prit pas la parole et continuait sans cesse de regarder derrière elle en espérant voir Emerys réapparaître comme par enchantement au bout du chemin. Mais la femme avait fait son choix, il ne pouvait plus rien faire pour elle ... Néanmoins, la sentence qui l’attendait en restant avec ce paysan ne le laissa curieusement pas de marbre, loin de là. Son torse était douloureusement compressé par un sentiment inexplicable ressemblant à de l’inquiétude, mais en nettement plus puissant, de quoi le faire grogner d’agacement.

Arya leva timidement les yeux vers le Limier dos à elle lorsqu’elle entendit un bruit étrange provenant de lui. D’un reniflement, elle passa sa main sous ses yeux pour essuyer les larmes qu’elle s’était pourtant juré de ne plus jamais laisser tomber pour personne. Hélas, elle avait misérablement échoué avec la disparition d’Emerys. Elle l’aimait bien, cette femme qu’elle portait désormais dans son cœur. Elle appréciait vraiment avoir une présence chaleureuse comme la sienne dans sa vie qui n’était déjà pas très agréable depuis la décapitation publique de son défunt père. Quelque part elle haïssait cette faiblesse, mais de l’autre, elle se rappela qu’elle n’était encore qu’une enfant prise en otage par un sale type anciennement garde personnel de ce maudit Joffrey …

«T’inquiètes pas petite, tu seras bientôt débarrassée de moi.» Tenta de rassurer le Limier quand il entendit un petit reniflement dans son dos. Il dût se mordre l’intérieur de la joue pour ne pas faire de commentaire désagréable lorsqu’il crut voir des larmes dans les yeux d’Arya.

Pour une fille qui se disait forte, elle pleurait facilement quand même …

D’un soupir irrité, il reprit fermement ses rênes en main puis regarda derrière lui au chemin vide qui s’étendait, un léger pincement au cœur qu’il qualifiait de regret. Il n’avait pas voulu dire toutes ces choses à Emerys, toutefois elle l’avait vraiment fait sortir de ses limites en le frappant au visage. Une chose qu’il ne supportera jamais. D’ailleurs si ça avait été une autre personne, il l’aurait tranché en deux pour ce geste déplacé ! Mais alors pourquoi pas elle ? Pour une raison encore inconnue à ce jour, il ne pouvait s’y résoudre à lui faire de mal.

Il soupira de lassitude tout en frottant son pouce et son index contre son front ridé. A quoi s’attendait-elle aussi ! Il était un mercenaire, il sautait sur la moindre occasion pour se faire un peu d’argent, peu importe s’il blessait des innocents au passage ! N’avait-elle cependant pas vu qu’il leur avait laissé la vie sauve ? Il aurait très bien pu passer la lame de son poignard en travers leurs gorges pour leur épargner ce qui les attendaient dans les prochains mois, voire peut-être les prochaines semaines. Maintenant, Emerys avait bêtement rejoint leur sort et il ne voulait plus penser à cette femme qui venait de signer son arrêt de mort en restant avec eux. Chose plus facile à dire qu’à faire …

Arya se redressa subitement sur la selle lorsqu’elle entendit l’approche rapide d’un cheval dans le lointain. Les yeux remplis d’espoir nouvellement retrouvé, elle stoppa sa monture puis se tourna sur l’animal pour regarder qui s’approchait d’eux à cette vitesse. Elle plissa les yeux au moment où elle aperçût une forme à l’autre bout du chemin. Ayant remarqué son arrêt brusque, Sandor en fit de même mais alors qu’il s’apprêtait à crier sur la gamine d’avancer, il referma la bouche quand il vit la même chose qu’elle au loin.

Il n’y avait pas de doute possible.

C’était bel et bien Emerys qui galopait vers eux à grande vitesse pour rapidement fermer la distance qui les séparait. Un sourire aux lèvres et la respiration erratique après toute cette adrénaline dépensée, elle ralenti son cheval pour se tenir entre le Limier et Arya, tous deux bouche béates par son changement d’avis inespéré. Les deux la dévisagèrent longuement sans être capable de dire quoi que ce soit. Arya portait une expression débordante de reconnaissance au contraire du mercenaire qui lui, se contenta d’émettre un petit reniflement de dédain, masquant sa surprise par cette réaction bénigne.

Essoufflée, la jeune femme passa sa main dans ses cheveux humides de sueur pour les mettre dans son dos tout en se redressant sur la selle afin de trouver une position plus confortable. Elle était soulagée d’avoir finalement retrouvé ses compagnons de route qui heureusement, n’avaient pas couverts beaucoup de kilomètres. Elle échangea un regard amical avec la louve sur sa droite qui ne se priva pas de montrer sa joie de la voir à nouveau parmi eux d’un sourire authentique, sourire qu’elle ne faisait qu’en de très rares occasions et rien que pour elle. De quoi réchauffer son cœur et lui faire comprendre l’importance de ce choix.

Le Limier sur la gauche arrêta de regarder Emerys pour se concentrer sur la route, marchant côte à côte dans le silence. Secrètement content qu’elle ait changé d’avis.

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Le prochain arrêt était un petit court d’eau divisant deux champs de blé.

Arya et Emerys discutaient entre elles tout en lavant la crasse sur leurs corps et leurs visages, appréciant le fait d’être un peu tranquilles sous le soleil réchauffant le paysage montagnard idyllique. Le Limier nettoyant distraitement la selle de son cheval, l’homme était à une distance suffisante pour ne rien entendre des deux filles agenouillées au bord de l’eau claire, refusant de les regarder pour une raison bien précise.

Arya fronça doucement les sourcils à ce constat. A vrai dire elle s’en fichait pas mal s’il n’était pas heureux de revoir Emerys, cependant cela lui faisait de la peine qu’il réagisse de cette manière, voulant presque qu’elle reparte le plus vite possible. Mais de son côté, elle ne s’était encore jamais senti aussi soulagée et comblée depuis un temps très long. Heureusement que la jeune femme avait choisi de revenir, sinon elle n’osait même pas imaginer ce qui se serait produit entre elle et le Chien répugnant le restant de leur voyage jusqu’à sa tante … Serait-elle arrivée jusque-là ? Elle en doutait fort.

«Je pense qu’il m’en veut encore pour la gifle. C’était moins une, pas vrai ?» Avoua Emerys sur sa gauche qui frottait les brins de ses cheveux clairs entre ses mains pour faire sortir la boue.

«Peut-être, mais il l’a mérité. Je suis heureuse que tu sois revenue, Emerys.» Arya leva les yeux vers elle, voulant d’une certaine manière montrer sa profonde gratitude.

Emerys venait de s’asseoir sur le sol pour profiter des rayons du soleil afin de sécher ses vêtements, mais également pour réchauffer sa peau rafraîchie par l’eau courante de son bain improvisé. Louchant à la luminosité excessive, elle baissa la tête pour regarder la jeune fille devenue émotive à côté d’elle. Elle était adorable. Toutefois légèrement embarrassée après cet aveu timide, Arya jouait nerveusement avec ses doigts tout en cherchant l’approbation dans le regard bienveillant de la femme. Chassant sa confusion, elle finit par lui rendre un sourire éclatant avant de se positionner en face d’elle puis de mettre ses mains sur ses épaules. Sans prévenir, Emerys l’attira dans une chaleureuse accolade.

Et ce petit geste valait mille mots pour Arya Stark.

Néanmoins déroutée, elle cligna rapidement des yeux car elle ne s’attendait pas à ce réflexe affectueux. C’était difficile pour elle d’accepter ce genre d’avance après tout ce qu’elle avait vécu comme traumatisme, de plus qu’elle n’avait plus l’habitude avec le temps. N’ayant jamais été à l’aise dans les gestes affectifs depuis petite, Arya laissa un petit soupir sortir de sa bouche puis entoura ses propres bras autour de la femme tactile pour pouvoir se détendre dans l’accolade et l’apprécier à sa juste valeur. Elle posa doucement sa tête sur son épaule tout en fermant les yeux, sentant les vibrations apaisantes du cœur d’Emerys contre elle.

Sandor poursuivait le nettoyage de la selle de Stranger lorsqu’il vit les deux filles au loin s’étreindre. A cette image, il reçut un petit pincement au cœur tandis que sa lèvre trembla dans un sourire. Depuis le début, il avait toujours porté une certaine forme d’affection pour les filles Stark et cela avait d’ailleurs commencé avec la plus âgée des sœurs, Sansa Stark. La fille aux cheveux de feu bien plus courageuse qu’elle ne le pensait pour accepter les caprices d’un jeune Roi sadique. Le petit oiseau, sans doute toujours coincé à Port-Réal entre les mains de cette folle dingue de Cersei Lannister … Mais il avait développé un lien encore plus fort avec Arya après tout ce temps passé ensemble.

Le mercenaire continua d’observer pensivement les deux filles au bord de la rivière avec une touche de fascination, fixant les mains d’Emerys qui frottaient lentement les épaules de la louve dans ses bras. Au bout d’un certain temps, il se mit à ressentir de l’admiration pour cette femme qui avait traversé un bon nombre d’épreuves et qui continuait d’offrir sa tendresse en toutes circonstances. Elle ne portait aucune rancœur, aucun jugement, aucune haine ... Du moins pas à sa connaissance. Car tout compte fait, Sandor n’avait aucune idée de qui était exactement Emerys, cette femme qu’il trimbalait d’une région à l’autre dans le but de la revendre au plus offrant.

Mais pour lui une chose était sûre, elle était quelqu’un de bien et il n’y avait aucun doute possible là-dessus. En revanche, il gardait un sacré doute sur ses origines ainsi que sur ses croyances étranges depuis qu’il avait été témoin de son petit rituel en pleine nuit et au beau milieu d’une forêt, complètement nue. Bien que ce dernier petit détail ne l’avait absolument pas dérangé, celui de la guérison l’avait quant à lui laissé sous le choc. Une femme mystérieuse à la chevelure des Targaryen sortie de presque nulle part et qui connaissait des incantations de guérison … Les secrets sur elle devaient être infinis.

Tout en continuant de songer sur ce qu’il avait vu ce soir-là, Sandor s’intéressa une fois de plus à la femme près de la rivière, les rayons du soleil se reflétant tranquillement sur l’eau courante derrière elle. Son manteau noir avait été laissé à l’abandon sur la rive non loin de la selle de son cheval, laissant ainsi la peau pâle de ses bras à la vue de tous. Cette femme dégageait quelque chose qu’aucune autre femme ne possédait. Un charme qu’il ne pouvait décrire, mais qui lui faisait énormément d’effets de plus en plus influents chaque jour passés en sa compagnie. Une sorte d’attirance aussi bien physique qu’émotionnelle, l’impression d’avoir une pierre dans l’estomac dès qu’il posait les yeux sur elle.

L’envie de la toucher, de la voir sourire, d’être auprès d’elle …

Un rictus rebuté se forma sur le visage du Limier qui reprit aussitôt son travail de nettoyage sur la selle de son cheval, l’agacement remplaçant instantanément ses émotions suspectes. C’était tout bonnement ridicule comme réaction ! Il ne pouvait pas se laisser ensorceler par une femme et encore moins par son gagne-pain ! Certes, elle jouait de son charme et lui souriait régulièrement, toutefois c’était impossible qu’elle éprouve la moindre chose positive à son égard. Car personne ne l’avait jamais fait, alors il ne se laissera pas berner aussi facilement. Il tenait à son image de mercenaire endurci.

Il frotta énergiquement une vieille tâche brunie qui se trouvait être de l’ancien sang appartenant à Emerys le jour où lui et Arya l’avaient sauvée dans ce village réduit en cendres. Après son agression par les soldats Lannister, ces monstres déshonorants qui ne méritaient même pas de porter l’insigne d’une quelconque maison. Il s’arrêta quelques secondes pour regarder cette trace qui lui rappelait de quelle façon exécrable il l’avait traitée à ce moment-là, comme un vulgaire chien qui ne méritait aucune pitié. Etait-il lui aussi un monstre comme son salopard de frère ? Par moment, il le pensait vraiment.

Ruminant des insultes dans sa barbe, il finit de nettoyer le vieux sang séché puis replaça la selle humide sur le dos de son cheval. Il entama ensuite l’extraction des pièces de son armure une par une pour pouvoir également les laver à l’aide de son vieux chiffon avant de reprendre la route pour le Val d’Arryn qui ne se trouvait plus qu’à quelques jours de marche. Une petite grimace se forma à ses lèvres quand son dos cria douloureusement aux mouvements de ses bras pour atteindre les plaques de ses épaules. Il était un peu rigide après tant de temps passé à cheval. C’était l’une des principales raisons pour laquelle il ne retirait presque jamais son armure au complet après celle de la protection mais au fil du temps, il avait appris à se débrouiller sans écuyer.

 «Avez-vous besoin d’aide ?» La voix d’Emerys derrière lui faillit lui donner une attaque.

«Je peux me débrouiller seul ! T’occupes pas de ça.» S’agaça-t-il, la fusillant un instant du regard. Il s’assit lourdement sur des pierres avant de remarquer du coin de l’œil que la jeune femme hésitait pour partir.

Choisissant de ne pas insister d’avantage, Emerys soupira puis rejoignit la gamine Stark toujours aux abords de la rivière sans même un regard en arrière. Le Limier fit de même qu’elle, sauf que son soupir était bruyant et épuisé, n’ayant pas vraiment voulu lui répondre sur ce ton aussi glacial. Il retira d’abord ses longues bottes brunes, ensuite ses épaulettes et le reste qui se décrocha plutôt aisément une fois cette étape réalisée. Dorénavant rien que dans ses vêtements souples, l’homme se leva pour s’étirer de tout son long en jouissant de cette sensation d’être libéré d’un énorme poids. Car devoir rester dans cette armure toute la journée et la plupart des nuits le rendait collant et suintant, ce qu’il détestait le plus au monde après la vue du feu.

Les yeux d’Arya s’élargirent quand elle vit le Limier en amont de la rivière se déshabiller pour pouvoir se mettre à l’eau. Elle détourna immédiatement la tête dans le sens inverse, les joues chauffées d’embarras et une boule à l’estomac après avoir vu ce qu’une petite fille de son âge ne devrait pas voir. Emerys étant face à elle à ce moment-là, haussa curieusement les sourcils à la drôle de réaction de cette dernière jusqu’à ce qu’elle ne comprenne enfin ce qui la mettait aussi mal à l’aise tout à coup. Amusée par la vue, elle ne put s’empêcher d’émettre un petit gloussement à la situation délicate.

«Il a beaucoup de cicatrices.» Remarqua-t-elle, un sourire enjôleur ondulant à ses lèvres. Sourire cocasse qui s’agrandit au regard ahuri de la louve à côté d’elle.

«Bientôt, je lui en rajouterais.» Marmonna-t-elle entre ses dents malgré le malaise évident. Elle positionna ses mains sur les côtés de sa tête pour s’assurer qu’il n’y avait aucun risque de contacts visuels involontaires avec le Chien nu dans la rivière.

«Ne dis pas ça, sans lui tu ne serais peut-être même plus là.» Emerys arrêta de sourire pour regarder au loin tout en jouant avec les cailloux qu’elle avait récupérés sur la berge. Un peu mélancolique mais s’attendant à la prochaine réponse crue de la Stark impulsive, elle se sentit tout de même chagrinée par cette querelle infinie.

«Je n’ai toujours pas confiance en lui et je n’aurais jamais confiance en un homme comme lui ! Pas après ce qu’il a fait à mon ami et à tous les autres !» S’énerva Arya qui foudroya Emerys du regard. La haine dans ses yeux, la fille se leva d’un bond pour courir loin de la rivière vers le campement provisoire installé dans l’herbe plus haut, ne souhaitant plus poursuivre cette conversation qui tournait en rond.

Une fois assise, elle récupéra son Aiguille dans ses mains pour lorgner la lame fine et brillante, de sombres pensées plein la tête.

Emerys, de son côté, abandonna un soupir abattu alors qu’elle s’allongeait pour se coucher sur ses coudes et ainsi se prélasser face aux derniers rayons du soleil s’éternisant à l’horizon. Les bruits des clapotis du bain du Limier la berçaient dans une sorte de bien-être. Il était évident qu’elle n’avait pas voulu vexer la louve, mais elle pouvait se montrer tellement rancunière par moment … Ne voyait-elle pas les efforts ? Les gens qui se souciaient d’elle d’une façon ou d’une autre ? Le jour où elle comprendra enfin peut-être qu’il sera déjà trop tard. Cependant elle espérait de tout cœur que durant son voyage vers l’âge adulte, elle apprendra la signification du mot pardon. Même s’il était parfois très difficile de l’accorder …

A la nuit tombée, les trois voyageurs se préparèrent pour dormir autour d’un petit feu pour leur tenir chaud. Emerys fixait longuement le ciel étoilé, les mains liées au-dessus de sa poitrine et la tête posée sur la selle de son cheval. Elle et Arya se tenaient auprès du feu tandis que le Limier, plus méfiant, était du côté de l’arbre où il était sûr et certain que les flammes ne risquaient pas de l’atteindre par accident. Il imita la posture de la jeune femme puis s’intéressa plus particulièrement aux étoiles qui brillaient d’une rare intensité au-dessus de lui, le crépitement du feu créant une ambiance relaxante.

«Joffrey, Cersei, Walder Frey, Meryn Trant, Tywin Lannister, la femme rouge, Béric Dondarrion, Thoros de Myr, Ilyn Payne, la Montagne …» Arya tournée vers les flammes commença à réciter sa longue liste infernale des personnes qu’elle souhaitait tuer de ses propres mains.

Sandor et Emerys écoutaient attentivement sans faire le moindre geste pendant que la fille Stark débitait lentement les noms et prénoms de tous ceux qui méritaient son châtiment. Il y en avait beaucoup, sa liste se rallongeait de jour en jour. Soudainement, abasourdi par ses murmures interminables mais surtout d’y avoir entendu le surnom de son abominable frère, le Chien tourna brusquement la tête vers la fillette impassible captivée par le feu.

«Tu vas bientôt fermer ton clapet ?» S’exaspéra ce dernier.

«Je ne peux pas m’endormir tant que je n’ai pas dit les noms.» Rouspéta Arya en levant les yeux vers le visage contrarié du Limier. De là où elle se tenait, elle n’avait aucune visibilité sur son hideuse cicatrice.

«Les putains de noms de tous les abrutis de Westeros ?» S’impatienta Sandor en retrouvant sa position initiale d’un soupir las, désireux de dormir car l’épuisement était devenu insoutenable. Il réprima un grognement lorsque la louve reprit avec sérieux.

«Seulement de ceux que je veux tuer.» Admit tranquillement Arya. Les yeux perdus dans les flammes, elle fronça les sourcils aux visages haïssables qu’accompagnaient les noms de sa longue liste mortuaire. De l’autre côté du feu, elle vit Emerys sourire tristement à cet aveu sinistre tout en continuant d’écouter dans le silence.

«La haine, c’est un bon aiguillon pour continuer d’avancer. C’est même ce qui marche le mieux.» Sandor rit sèchement tandis qu’il reprit d’un timbre de voix plus sombre, mais également plus rêveur ; «le jour où on tombera sur mon frère, on sera deux à rayer son nom de notre liste.»

Emerys se laissa sourire à cela. Elle espérait sincèrement que ce jour de vengeance viendrait et que cet homme sera enfin libéré de cette haine farouche qui le suivait comme une ombre malsaine. Il y avait droit, à cette libération. Les remords et la douleur intarissable qu’il traînait depuis petit avaient assez durés, il était temps qu’il s’en débarrasse une bonne fois pour toute dans un ultime face à face avec son bourreau. Le seul et unique qui était la cause de son sombre destin. Elle tourna ensuite la tête vers Arya qui venait de se redresser sur son coude pour regarder le mercenaire, un brin d’herbe tournoyant entre ses doigts pendant qu’elle réfléchissait à une approche.

«S’il était là, maintenant, devant vous, vous lui diriez quoi ?» Questionna-t-elle tout à coup en espérant une réponse concluante. Le Limier prit une profonde inspiration, cependant il remarqua qu’Emerys le fixait aussi avec curiosité, de quoi le faire changer d’avis sur sa réplique au dernier moment.

«Je lui dirait de fermer son putain de clapet pour que je puisse dormir un peu.» Toutefois son air sérieux fût trahi par son sourire en coin. Les yeux clos, il pouvait presque sentir de la déception dans l’air, ce qui le rendit d’autant plus fier.

Et son sourire s’agrandit d’avantage à la plainte sonore de la fillette intrépide.

«Et vous Emerys, avez-vous une liste ?» Arya ne se laissa pas décourager par cette réponse idiote mais s’intéressa plutôt à la jeune femme allongée dans le silence depuis tout à l’heure.

Ne s’attendant pas à ce qu’on lui parle, Emerys cligna confusément des yeux puis regarda à la fois le Limier et Arya, tous deux dans l’attente d’une réponse verbale de sa part après cette question. Son rythme cardiaque augmenta graduellement tandis qu’elle se mit à réfléchir à quel genre de réponse elle allait leur offrir. Pouvait-elle se montrer franche ? Avaient-ils le droit de savoir les sombres pensées qui la torturaient quotidiennement ? Un passé troué, des visages qui n’avaient même pas de noms et bien évidemment des envies meurtrières inexplicables. Alors oui, elle estimait qu’elle avait droit à sa propre liste personnelle de futurs morts comme tout le monde. Désormais confiante, elle ravala sa salive avant d’ouvrir la bouche pour s’exprimer.

«Ma liste est tellement grande que citer tous les noms vous endormiraient tous les deux.» Déclara-t-elle d’un léger ricanement quand l’expression d’Arya passa d’attentive à étourdie. Même le Chien à moitié endormi se laissa rire par cette réponse comique.

«Continue. Fini de vider ton sac, récite ta liste de condamnés à mort.» Se moqua-t-il gentiment en s’adressant directement à l’enfant éberluée, content d’avoir un complice ce soir.

«De toute façon, j’avais presque fini. Il ne m’en restait qu’un seul.» Révéla la Stark après s’être réinstallée dos au feu. Quelques secondes passèrent dans un silence intense avant qu’elle ne dévoile le dernier nom sur sa liste.

«Le Limier.» Murmura-t-elle assez fort pour que l’homme en question l’entende.

Sandor et Emerys tournèrent simultanément la tête vers elle, tous deux abasourdis.

Enfin, elle allait pouvoir dormir en paix.

A suivre …


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