Tome 1 : La Louve des Braises
Chapitre 2 : Echos de cendres, Murmures de neige
6603 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 17/11/2025 11:19
La forêt paraissait morte. Pas simplement silencieuse : morte, anéantie, dénuée de souffle et d’haleine, comme si rien de vivant n’osait troubler la blancheur immobile de ce territoire oublié. Un froid si épais régnait qu’il semblait absorber jusqu’aux souvenirs du bruit. Pas une chauve-souris, pas un coassement lointain, pas une respiration animale. Une absence totale de vie, pesante, presque sacrée, comme si la nature elle-même retenait son souffle afin de ne pas attirer l’attention de quelque chose tapi plus loin, une présence silencieuse mais affamée qui observait l’intrusion de ces trois silhouettes. Aucun oiseau ne chantait. Aucune branche ne craquait sous la fuite d’un renard. Même le vent, ce vent qui dominait d’habitude les terres du Nord, semblait hésiter avant de se glisser entre les troncs, comme un rôdeur craintif. Les arbres, recouverts d’une épaisse carapace de givre, se dressaient comme des géants immobiles figés par une malédiction ancienne. Leurs troncs noueux, blanchis, portaient les stigmates de dizaines d’hivers : creux sombres, écorces craquelées, racines s’élevant hors du sol telles des mâchoires ouvertes. Leurs branches tordues, lourdes de glace, s’élevaient vers le ciel gris acier, pareilles à d’immenses doigts d’ossements cherchant à percer les nuages. Lorsque le vent osait enfin passer, il faisait vibrer les plaques de givre, créant une plainte grave, étouffée, un son trop profond pour être naturel. Un écho venu d’un autre monde. Trois cavaliers progressaient lentement, avalés par l’immensité blanche qui semblait vouloir les digérer. En tête chevauchait Ser Waymar Royce, silhouette droite, presque raide, comme façonnée dans le même matériau que son épée. Il avait tout d’un jeune noble : la prestance, l’assurance, l’élégance décalée. À peine vingt ans. Un visage presque parfait, rond et lisse, qui n’avait encore jamais souffert de la morsure du vent du Nord. Sa peau, trop propre, trop blanche, était rosie par le froid mais encore préservée. Ses yeux gris, droits, déterminés, portaient cette petite arrogance tranquille qui naît dans les grandes maisons : une confiance aveugle dans l’ordre des choses, dans sa place dans le monde, et dans l’idée que rien ne pouvait véritablement l’atteindre. Il portait une cape de fourrure fine, sombre, élégante, cousue avec un soin inutile pour les terres sauvages du Nord. Un vêtement fait pour impressionner, pas pour survivre. Le jeune homme tenait les rênes comme s’il défilait devant la cour du roi, et non dans une forêt étranglée par le gel où l’air lui-même semblait vouloir le réduire au silence. Derrière lui avançait Will, l’éclaireur. Un homme mince, presque trop mince, aux mouvements souples et rapides. Sa silhouette nerveuse semblait faite pour se dissoudre entre les arbres, pour glisser d’ombre en ombre sans laisser de trace. Son visage anguleux, encadré de mèches sombres collées par le froid, portait les marques d’une vie passée à fuir les hommes plus qu’à les affronter. Ses yeux sombres, habitués à déchiffrer les empreintes, les souffles, les murmures de la nature, bougeaient sans cesse, d’un tronc à l’autre, d’une ombre à la suivante. Will connaissait la forêt. Il la sentait d’ordinaire vibrer, vivre, respirer sous ses pas. Mais aujourd’hui… La forêt ne lui parlait plus. Elle l’observait. Hostile. Fermée. Tendue, comme un animal blessé prêt à mordre. Trop silencieuse pour être honnête. En dernier venait Gared, le vétéran. Pas seulement le plus âgé : le plus lourd, le plus massif, le plus marqué. Un bloc d’homme façonné par la neige et la douleur. Ses vêtements, épais, de cuir râpé et de laine grossière, semblaient s’être fusionnés à sa peau tant il les portait depuis des années. Sa barbe blanche, épaisse, dure comme la glace, descendait jusqu’à son col. Son visage était un relief de cicatrices, de rides profondes, de traits taillés par le vent et les nuits glaciales. Ses yeux, d’un bleu pâle, avaient la dureté de la pierre. Ils semblaient tout voir. Tout juger. Ses mains larges, rugueuses comme de l’écorce, portaient les marques du fer, de la corde, et d’un nombre incalculable d'hivers passés à survivre au-delà du Mur. Gared parlait peu. Son instinct, affûté par des décennies à côtoyer des choses que le Sud ne pouvait pas imaginer, parlait pour lui. Leurs silhouettes sombres avançaient sur la neige comme des ombres égarées. Leurs chevaux soufflaient bruyamment, larges panaches de vapeur s’élevant dans l’air glacé. Will jetait des regards nerveux autour de lui. Il sentait la forêt… respirer. Comme si chaque arbre retenait un secret. Comme si chaque ombre les suivait du coin de l’œil.
« Ser… » osa-t-il, la voix serrée. « Nous devrions faire demi-tour. Les traces… elles ne ressemblent à rien de connu. Pas de bêtes, pas d’hommes… c’est comme si quelque chose les avait fait disparaître. »
Ser Waymar tourna légèrement la tête, vexé qu’on ose ébranler son assurance.
« Nous ne faisons pas demi-tour. Continuez. »
Ils avancèrent encore, les chevaux renâclant, les naseaux blanchis par un givre inquiétant. Le souffle chaud des bêtes formait des nuages qui se dissipaient aussitôt, happés par le froid. La neige crissait sous leurs sabots. Un son sec, cassant, comme du verre pilé. La forêt se resserrait autour d’eux comme une cage qui se referme. Les branches lourdes craquaient doucement, dans un cliquetis lugubre semblable au bruit d’os qu’on frotte les uns contre les autres. L’air se faisait plus lourd, plus dense. Chaque respiration brûlait la gorge. Chaque pas semblait davantage les immerger dans un monde d’hiver éternel. Puis, enfin, ils atteignirent la clairière. Will inspira brusquement, un souffle court qui forma un nuage blanc. Gared jura, la main portée à son épée sans même s’en rendre compte. Les corps jonchaient le sol. Hommes, femmes, enfants… Des sauvageons. Leurs fourrures épaisses, leurs bottes de peau, leurs arcs rudimentaires encore attachés à leurs mains raidies par le froid disaient leur histoire. Ils semblaient avoir été arrêtés net dans leur fuite, fauchés par une force invisible. Certains avaient été projetés contre les troncs : le sang gelé éclatait sur l’écorce comme des éclats de verre rouge. D’autres gisaient les membres tordus dans des angles impossibles, comme pliés par une main monstrueuse et cruelle. Un givre épais recouvrait leurs visages figés dans la terreur. Leurs yeux ouverts, vitreux, emprisonnés sous une fine couche de glace. Ils semblaient regarder les cavaliers. Ou… prévenir. Gared murmura d’une voix rauque :
« Ce ne sont pas des loups… ni des hommes. »
Un silence absolu tomba. Pas un souffle. Pas un oiseau. Pas un craquement. Comme si le monde lui-même retenait son haleine. Puis, lentement… Un bruit. Un craquement. Minuscule, presque délicat. Comme si la forêt se réveillait. Will leva les yeux. Le froid s’épaissit autour d’eux. Pas un froid naturel. Un froid vivant. Un froid qui regardait. Une silhouette se détacha entre les troncs. Un homme… Non. Quelque chose façonné à l’image d’un homme. Sa peau était translucide. Ses veines bleutées pulsaient comme un réseau de glace vivante sous sa chair. Ses cheveux blancs flottaient autour de lui comme s’il était sous l’eau glaciale d’un lac. Mais ses yeux… Deux éclats de glace pure, d’un bleu incandescent. Une lumière trop vive, trop froide, trop ancienne. Un Marcheur Blanc. Une création de Leshar. Ou plutôt… une extension de lui. Will sentit son cœur s’arrêter. Derrière eux, des bruits désarticulés : Les corps se relevaient. Les membres brisés se rapprochaient des torses dans un cliquetis morbide. Des crânes tournaient dans un angle impossible. Des yeux morts s’ouvraient dans une même impulsion, comme un réflexe corrompu.
« En garde ! » cria Ser Waymar, sa voix se brisant légèrement malgré lui.
Le Marcheur avança, souple comme un fauve. Chaque pas faisait crisser la glace comme si elle se tordait sous son poids, se dérobant. L’air vibra. Les ombres bougèrent. Le froid devint insupportable. Puis tout explosa. Les morts-vivants fondirent sur eux. Gared hurla, arraché de sa monture avec une violence inhumaine, ses cris étouffés dans la neige. Will vit ses bras disparaître sous une masse de membres gelés. Ser Waymar affronta la créature. Son épée brilla un instant. Puis la lame du Marcheur, taillée dans une glace éternelle, la frappa. Le métal éclata en fragments scintillants. Le jeune noble n’eut pas même le temps de comprendre. Les cadavres gelés se jetèrent sur lui, le plaquant au sol, ensevelissant son corps droit sous une masse froide et déchirée. Will courut. Courut jusqu’à ce que ses poumons brûlent. Courut pour sa vie. Courut pour fuir ce froid qui n’appartenait pas au monde des vivants. Il ne s’arrêta que lorsque ses jambes manquèrent de se dérober. Puis le silence retomba. La clairière redevint immobile. Comme si rien ne s’y était jamais passé.
Le bateau avançait lentement sur les eaux grises de la Baie de la Néra, comme s’il hésitait lui-même à approcher de la bête de pierre et de fumée qui s’étendait devant lui. Le ciel était lourd, d’une pâleur presque maladive, et le vent portait l’odeur du sel mêlé à une senteur plus âcre, plus oppressante : celle de la ville. À la proue, immobile, se tenait Elya Arden. Elle n’avait que seize ans, mais son ombre paraissait plus vieille, alourdie par quelque chose qu’aucun enfant n’aurait dû porter. Ses mains agrippaient le bastingage, les doigts crispés à s’en blanchir. Le bois humide, usé par les embruns, semblait presque glisser sous sa paume. Mais Elya ne lâchait pas. Elle se tenait comme on se tient sur une falaise : prête à tomber, mais luttant contre le vide. Le vent rabattait contre elle son manteau gris, trop grand, trop usé. Sous le tissu, à chaque mouvement du bateau, sa cicatrice, cette longue entaille qui parcourait son dos du haut de l’omoplate jusqu’aux côtes, se réveillait, tirait, brûlait doucement. Comme un serpent endormi qui ouvrait un œil. Elle inspira. Mauvaise idée. La fumée de Port-Réal, portée par le vent, entra dans ses poumons. Et tout se brisa.
Les flammes. Le bois qui craque. Les cris dans la nuit. La chaleur écrasante. La fumée noire qui s’infiltre partout, suffocante. Et Varak. Sa silhouette dressée au milieu des cendres, armure sombre, visage dur, les yeux glacés d’un fanatique. Elle avait essayé de courir… d’avancer… de comprendre… mais elle n’avait pas eu le temps. Une vitesse inhumaine. Un souffle. Une douleur qui lacère. La lame dans son dos. Elle se rappelle encore du bruit : un son humide, tranchant, suivi d’un cri qui n’était même pas un cri. Juste un souffle étranglé. Le sol qui bascule. Le sang chaud qui coule le long de ses reins. Puis la voix de son père, déchirée, brutale.
« Fuis ! »
Elle avait levé la tête. Il se tenait entre elle et Varak, ses deux mains levant son arme… Enfin, non. Une seule. Sa main droite gisait déjà quelque part dans la poussière. Elle se rappelle chaque seconde. Chaque battement de cœur. Son père avait tenté une dernière attaque. Désespérée, vaine pour lui offrir une chance. Varak l’avait attrapé. Il l’avait immobilisé. Et d’un geste d’une précision terrifiante… il lui avait tranché la tête. Elya avait vu le corps s’effondrer. Elle avait vu la tête rouler dans la poussière, les yeux encore ouverts, fixés sur elle. Un dernier regard qui disait tout et rien. Elle avait voulu hurler. Mais aucun son n’était sorti. Elle avait tourné les talons. En sang. À moitié consciente. Et elle avait fui. Fui jusqu’à ce que la nuit se dissipe. Fui jusqu’à ce qu’elle perde la notion du monde.
Le bateau heurta une vague plus large, ramenant Elya au présent. Son souffle se coupa. Elle porta une main tremblante à sa poitrine, essaya de chasser la brûlure du souvenir qui remuait dans sa cage thoracique.
« Port-Réal. »
La voix du capitaine retentit derrière elle, grave, enrouée par des années de sel et de vin. Elle ne se tourna pas. Elle ne pouvait pas.
« Une ville vivante… et dangereuse. »
Il fit une pause.
« On dit que tout y est possible. Et que tout peut t’avaler. »
Elya ne répondit pas. Elle observait la cité. Vue depuis la mer, la capitale ressemblait à une bête endormie. Un animal massif et grouillant, étendu sur plusieurs collines. Les maisons de pierre et de bois s’entassaient dans un désordre fascinant. Les toits de tuiles rouges formaient des vagues irrégulières. Des colonnes de fumée s’élevaient déjà, épaisses, dansant vers le ciel comme des doigts noirs. Plus bas, sur les quais, la foule s’agitait déjà : marchands qui criaient, enfants qui couraient, gardes qui aboyaient des ordres, marins qui tiraient sur les cordages. Le vacarme était assourdissant. À tel point que le cœur d’Elya accéléra. Trop de bruit. Trop de monde. Trop d’odeurs. Son ventre se serra, et pendant une seconde, elle crut qu’elle allait défaillir. Mais elle planta ses ongles dans la rambarde. Respira. Encore. Encore. Elle força son regard à monter jusqu’à la citadelle qui dominait toutes les autres constructions. La Forteresse Rouge Massive. Forte. Immobile. Les tours de pierre rouge sang s’élevaient vers le ciel comme des lames géantes. Le soleil naissant faisait briller leurs murs comme si du feu liquide coulait dessus. Elya sentit quelque chose remuer au fond de son ventre. Un pressentiment. Un écho. Comme si une force ancienne lointaine mais puissante venait d’ouvrir un œil en sentant sa présence. Elle frissonna. Ses doigts tremblaient. Son dos la brûlait. Elle resserra sa cape autour d’elle. La ville lui faisait peur. Mais Varak lui faisait plus peur encore. Alors elle avança. Quand le navire accosta, Elya descendit prudemment la rampe. Ses bottes touchèrent enfin le sol des quais. Un sol de pierre froide, dure. Rugueux. Réel. Elle n’avait plus de maison. Plus de père. Plus de clan. Mais elle avait ceci : la vie. Et tant qu’elle respirait, Varak n’avait pas gagné. Elle redressa légèrement la tête, ses cheveux noirs ainsi balayés par le vent. À seize ans, seule, blessée, traumatisée… Elya Arden entrait à Port-Réal. Et quelque part, dans une salle obscure, dans un souffle glacé venu de nulle part… Une présence murmura.
« Je t’ai trouvée. »
La neige tombait en flocons lourds, drus, presque vivants. Ils descendaient du ciel bas dans un silence presque religieux, transformant le paysage en une mer blanche et immobile où chaque souffle disparaissait aussitôt qu’il naissait. L’air était si froid qu’il piquait la peau, s’infiltrait sous les vêtements, mordait les doigts et les oreilles jusqu’à la brûlure. Au milieu de cette immensité figée, la silhouette du déserteur semblait prête à se dissoudre. Agenouillé. Courbé. Transi. On aurait dit une tache d’encre sur un parchemin de neige. Ses bras tremblaient violemment tandis qu’il tentait de serrer contre lui un manteau trop mince pour survivre à l’hiver du Nord. Ses dents claquaient dans un rythme incontrôlé, comme si son crâne allait se fendre sous la pression. Son souffle court s’échappait en petits nuages de vapeur qui se dispersaient instantanément. Son visage ressemblait à celui d’un homme déjà mort. Les joues creusées, les lèvres livides. Ses yeux injectés de sang roulaient dans leurs orbites, paniqués, cherchant dans chaque ombre la confirmation de ce qu’il avait vu. Il avait beau être agenouillé devant le Seigneur de Winterfell… il fixait l’horizon comme s’il craignait que quelque chose surgisse derrière eux. Le Nord ne pardonne pas. Encore moins aux hommes qui renient leur serment devant les Anciens Dieux. Eddard Stark se tenait droit, juste en face de lui. Le vent faisait danser sa cape de laine grise bordée d’une lourde fourrure. La neige s’accrochait à ses cheveux bruns et à sa barbe sombre, comme si le temps lui-même tentait de le figer dans la glace. Son visage, carré et grave, portait les marques de la responsabilité et du froid. Ses yeux gris, si semblables à ceux du loup-géant brodé sur sa cape, étaient d’une profondeur insondable. Rien ne les troublait. Ni la terreur du déserteur, ni le vent, ni la neige. Dans sa main, Glace, l’épée ancestrale des Stark, reflétait la lumière terne du matin. L’acier valyrien semblait respirer, vibrer d’un pouvoir ancien, comme s’il reconnaissait l’instant qu’il s’apprêtait à accomplir. Autour de Ned, les chevaux piaffaient doucement, leurs sabots s’enfonçant dans la neige épaisse tandis que la vapeur s’échappait de leurs naseaux comme des nuées de fumée blanche. Les jeunes Stark, ainsi que leur pupille, observaient l’exécution depuis leurs selles, figés par le froid autant que par le sérieux de l’instant. À la droite de Ned se tenait Robb Stark, le plus âgé de ses fils légitimes, déjà presque un homme à dix-huit ans. Sa carrure solide et la manière assurée dont il tenait les rênes lui donnaient l’allure d’un futur seigneur. La neige se mêlait à ses cheveux auburn, épaissis d’humidité, et le vent fouettait son visage marqué par une gravité peu commune chez un garçon de son âge. Ses yeux bleu-gris, hérités de sa mère, suivaient chacun des mouvements de son père avec une attention sérieuse, presque solennelle. Robb comprenait ou du moins tentait de comprendre ce que signifiait la justice du Nord. Un peu en retrait, Jon Snow, âgé de dix-sept ans, semblait presque une ombre. Plus discret que Robb, plus réservé aussi, il observait la scène avec un regard d’un brun profond, chargé d’une intensité silencieuse. Ses cheveux noirs, plaqués contre ses tempes par la neige fondue, encadraient un visage trop sérieux pour son âge. Il ne parlait pas, ne cillait pas, mais l’on devinait au léger resserrement de ses lèvres qu’il absorbait chaque détail, comme si le monde lui pesait déjà plus lourdement qu’aux autres. En revanche, Theon Greyjoy, élancé et sûr de lui d’apparence, arborait son habituelle expression bravache. À dix-sept ans, le pupille de Ned Stark aimait se montrer intrépide, sourire aux lèvres, comme si rien ne pouvait véritablement l’atteindre. Pourtant, derrière son sourire insolent, ses yeux trahissaient autre chose : un malaise qu’il tentait de masquer. Ses doigts crispés sur les rênes révélaient la vérité. L’exécution l’ébranlait davantage qu’il ne le laissait croire. Enfin, tout au bout, perché sur son poney, Bran Stark, âgé de dix ans, observait la scène les joues rougies par le froid. Ses yeux grands ouverts, d’un bleu lumineux, étaient emplis d’une fascination mêlée d’épouvante. Il admirait son père plus que tout, mais n’était pas assez jeune pour ignorer ce qu’il voyait, ni assez vieux pour comprendre pleinement la portée de l’acte. Chaque souffle qu’il prenait formait un petit nuage tremblant dans l’air glacé, comme s’il tentait de garder son courage en place. Ces quatre silhouettes, alignées mais si différentes, formaient une fresque silencieuse derrière Eddard Stark : un héritier solide, un bâtard sombre, un pupille bravache, un enfant émerveillé. Tous figés dans cette scène figée par le froid. Tous témoins d’un acte ancestral. Tous héritiers, à leur manière, du Nord. Tous regardaient Ned. Tous attendaient. Le déserteur leva des yeux implorants vers Eddard Stark.
« Au nom de Robert, de la maison Baratheon… roi des Andals, des Rhoynars et des Premiers Hommes… »
La voix de Ned se mêla au vent glacé, grave, mesurée.
« …je vous condamne à mort. »
Les mots tombèrent comme un rocher sur un lac gelé. L’homme s’étrangla dans un sanglot.
« Ils reviennent ! » hurla-t-il soudain.
Sa voix se brisa en éclats, comme une branche sous un poids trop lourd.
« Les Marcheurs Blancs… Je les ai vus ! Ils reviennent ! Ils... »
Il s’interrompit brusquement. Ses yeux se fixèrent derrière Ned, horrifiés, comme s’il voyait quelque chose que personne d’autre ne percevait. Bran frissonna. Robb serra les dents. Theon détourna légèrement la tête. Jon, lui, resta immobile, mais ses yeux s’étrécirent. Ned ne réagit pas. Ni aux cris, ni à la panique, ni aux histoires de spectres qu’on contait aux enfants. Il demeura le juge que le Nord exigeait qu’il soit. Il leva Glace. Un silence absolu tomba. Même le vent sembla retenir son souffle. Puis la lame s’abattit. Un sifflement. Un choc. Le bruit sourd d’un corps qui s’affaisse. La neige se teinta de rouge vif. Le silence qui suivit était sacré. Lourd. Ancien. Bran cligna des yeux, son visage marqué par un mélange d’effroi et de compréhension naissante. Quelque chose venait de changer en lui. Quelque chose qu’il ne pourrait jamais retrouver. Robb resta droit, maîtrisant sa respiration. Theon détourna le regard, son masque bravache fissuré l’espace d’un instant. Jon, lui, ne bougea pas. Mais son regard s’assombrit, comme si les mots du déserteur avaient planté une graine dans son esprit. Ned essuya la lame sur la neige fraîche, puis rangea Glace. Il s’approcha de Bran et posa une main solide sur son épaule.
« Un homme doit toujours regarder celui qu’il tue, Bran. »
Sa voix n’était pas dure. Elle était empreinte d’un triste respect.
« C’est ainsi que l’on comprend le poids de la vie. »
Bran hocha lentement la tête. Une fois. Deux fois. Il ne comprenait pas encore… mais il n’oublierait jamais.
Ils reprirent la route en silence, comme si le monde s’était refermé sur l’acte qu’ils venaient de commettre. Leurs chevaux avançaient lentement, les sabots s’enfonçant dans une neige fraîche que personne n’avait encore foulée. À chaque pas, un bruit sourd montait du sol, comme si la terre elle-même respirait sous l’épaisseur glacée. Le vent serpentait entre les arbres dénudés, grinçant, portant avec lui une odeur de froid ancien. Une odeur qui appartenait davantage aux légendes qu’aux vivants. Robb ouvrait la marche, la silhouette droite, concentrée, son regard scrutant les troncs dans cette lumière pâle où tout semblait possible. Juste derrière lui, Theon tentait d’alléger l’atmosphère en lançant quelques remarques. Des piques rapides, des sourires forcés mais personne ne l’écoutait. Pas aujourd’hui. Puis le cri retentit. Pas un cri de loup. Pas vraiment. Un son mêlé de plainte, de grognement, de supplication presque humaine. Un son qui fit vibrer quelque chose de primitif dans l’air. Les chevaux s’agitèrent brusquement, secouant la tête, hennissant avec nervosité. Jon resserra les rênes, son regard se fonçant d’inquiétude.
« Là-bas ! » lança Theon en pointant du doigt un amas de neige appuyé contre un tronc brisé.
Ils s’approchèrent avec prudence. Le vent sembla retenir son souffle. Et ils les virent. Une scène figée, presque irréelle, digne d’un tableau que les Anciens Dieux eux-mêmes auraient peint. Une immense femelle loup-géant gisait là, étendue sur le flanc. Son corps massif, presque aussi grand qu’un poney, était recouvert d’une épaisse fourrure gris cendré striée de sang séché. Des flocons se déposaient sur ses poils sans qu’un muscle ne bouge. Sa gueule entrouverte laissait apparaître des crocs d’un blanc d’ivoire, encore luisants d’une dernière bataille. Ses yeux vitreux, gelés, semblaient pleurer le destin qu’elle laissait derrière elle. Contre son ventre immense, protégé par l’arrondi rigide de son flanc refroidi… cinq louveteaux. Cinq petites masses tremblantes, roulées l’une contre l’autre. Leurs corps encore humides de naissance. Leurs oreilles collées, leurs museaux minuscules sentant à peine la vie. Leurs yeux clos frémissaient doucement, comme s’ils cherchaient la chaleur d’une mère qui ne répondrait plus jamais. Robb fut le premier à mettre pied à terre.
« Par les Anciens Dieux… » souffla-t-il.
Sa voix n’était plus celle d’un jeune homme mais d’un Stark qui venait de comprendre quelque chose de plus grand que lui. Ned s’approcha lentement, son regard parcourant la scène. Le loup-géant, la créature emblématique des Stark… mort ici, si près de Winterfell. C’était un signe. Un présage. Le Nord ne laisse jamais rien au hasard. Les louveteaux tremblaient, cherchant désespérément une chaleur qui s’évanouissait. L’un d’eux, à la fourrure brune, réclamait d’une petite plainte brisée. Un autre, gris argenté, se tortillait faiblement. Un troisième, d’un noir profond, respirait mal, son flanc se soulevant en saccades rapides.
« Ils vont mourir sans leur mère… » murmura Jon, s’accroupissant près d’un petit louveteau noir et brun.
Sa main hésita avant de se poser à quelques centimètres de la petite créature. Le souffle chaud du bébé effleura sa paume. Bran observait, bouche ouverte, fasciné par le miracle autant que par la tragédie. Sa petite main se crispa sur la selle de son poney. Theon renifla, forçant un rire nerveux.
« On devrait les tuer. Ils n’ont aucune chance. Pourquoi nourrir des bêtes vouées à mourir ? »
Jon releva brusquement la tête. Ses yeux noirs lancèrent un éclat tranchant comme un coup d’acier.
« Non. »
C’était un ordre. Un avertissement. Une conviction. Theon se tut immédiatement. Ned s’accroupit à son tour, observant lentement les petites bêtes. Cinq. Chacune d’une couleur différente. Brune, grise, noire, sable, argentée. Cinq louveteaux. Comme ses enfants. Un frisson passa à travers les branches. Un souffle glacé, ancien, comme si le bois lui-même approuvait silencieusement cette équation sacrée. Ned inspira longuement, son regard traversant la scène comme s’il cherchait à comprendre le message laissé par les dieux. Puis il dit doucement :
« Les dieux vous les ont envoyés. »
Il regarda Robb, puis Bran, puis imagina Sansa, Arya, Rickon. Il voyait leurs visages sans qu’ils soient là.
« Prenez-les. Élevez-les. Ils sont à vous. »
Un frémissement d’excitation contenue traversa les jeunes Stark. Robb se pencha déjà vers un petit loup gris. Bran tendit une main tremblante vers un louveteau couleur sable. Theon observa à distance, jaloux mais silencieux. Mais Jon… Jon restait à l’écart. Quelque chose avait attiré son regard. Un mouvement. Un frémissement presque imperceptible à quelques pas. Là, près d’une racine gelée, un petit louveteau s’était séparé de la portée. Il rampait difficilement dans la neige, ses pattes tremblantes. Sa fourrure était entièrement blanche. Blanche comme la neige. Blanche comme les légendes du Nord. Blanche comme les choses que l’hiver garde pour lui. Et ses yeux… Deux iris rouges, profonds, comme deux braises infimes dans la nuit hivernale. Albinos. Différent. Solitaire. Comme lui. Robb s’avança derrière Jon, comprenant immédiatement.
« Celui-ci n’a pas de mère, » dit-il doucement.
Il posa une main fraternelle sur l’épaule de Jon.
« Ni de frères. Ni de sœurs. »
Un sourire, rare et sincère, étira les lèvres de Robb.
« Il est à toi. »
Jon resta immobile un instant. Le monde semblait s’être resserré autour de lui et de la petite créature blanche. Puis, lentement, il tendit la main. Le louveteau posa sa petite tête dans sa paume. Un contact. Un souffle. Un lien. Invisible. Ancien. Sacré. Jon sourit. Un sourire fragile, mais vrai. Un sourire qui n’appartenait qu’à lui. Le destin venait d’être scellé. Pour les Stark. Pour le Nord. Pour l’histoire à venir.
De l’autre côté du monde, là où les vents chauds soufflaient du sud et où la mer scintillait comme un métal fondu, le soleil écrasait de sa lumière implacable les toits de Pentos. Les murs du palais d’Illyrio Mopatis luisaient sous la chaleur, recouverts de fresques orientales et de mosaïques qui représentaient des dragons, des lions et des mers infinies. Le parfum entêtant des épices, mélangé à celui des fleurs bleues importées de Qarth, flottait dans l’air lourd. Daenerys Targaryen marchait pieds nus sur les dalles colorées. La mosaïque sous ses pas formait un champ de pierres précieuses, lapis-lazuli, marbre blanc, obsidienne polie, brûlantes comme du sable au soleil. Chaque pas lui arrachait une grimace qu’elle n’osait pas montrer. Sa silhouette, frêle et gracieuse, glissait sous les voilages qui pendaient du plafond comme des vagues de soie. Ses cheveux d’argent clair retombaient sur ses épaules, captant chaque éclat de lumière. Sa peau était si pâle qu’elle semblait presque translucide, comme si l’ombre de l’enfance n’avait pas encore quitté son visage. Ses yeux lilas, délavés par la peur, se posaient furtivement sur chaque colonne, chaque porte… cherchant instinctivement une issue. Derrière elle, comme une tempête menaçante, Viserys Targaryen tournait en rond. Ses cheveux argentés, plus ternes que ceux de sa sœur, collaient à son front sous l’effet de la sueur. Ses yeux violacés brillaient d’un éclat fiévreux, dévoré par une obsession qui l’avait consumé depuis l’enfance. Minces, nerveux, ses doigts tambourinaient le long de son épée rouillée. La seule chose qu’il croyait encore posséder. Il n’avait rien d’un roi. Mais dans son esprit malade, chaque souffle confirmait qu’il devait le devenir. Il s’arrêta brusquement derrière Daenerys, sa voix sifflante s’élevant dans la chaleur étouffante.
« Tu vas l’épouser, Dany. »
Elle tressaillit.
« Khal Drogo nous rendra notre trône. Avec son armée, je reprendrai ce qui m’appartient. »
Daenerys baissa immédiatement les yeux, comme un animal soumis à la voix de son maître. Elle voulait répondre. Dire quelque chose. Dire “non”. Mais aucun mot n’osa quitter ses lèvres. Illyrio Mopatis les observait depuis son fauteuil de velours rouge. Sa silhouette massive débordait généreusement de ses vêtements brodés d’or. Son visage rond, maquillé d’une barbe soigneusement entretenue, baignait dans un sourire gras. Il agita sa main ornée de bagues, produisant un tintement métallique.
« Le khal te traitera bien, ma chère enfant, » assura-t-il d’une voix douce comme le miel, mais lourde d’un sous-entendu de marchandage.
« Tu es jeune… belle. Il te fera une khaleesi digne des légendes. »
Viserys s’avança, plaçant une main autoritaire derrière la nuque de sa sœur. Un geste de possession, froid et détestable.
« Ne me déçois pas. »
Daenerys ferma les yeux un instant. Un frisson glacé lui parcourut l’échine malgré la chaleur.
Ce soir-là, lorsque le soleil embrasa l’horizon d’un rouge sanglant et que les ombres s’étiraient comme des spectres sur la baie, le destin des Targaryen sembla se suspendre dans l’air brûlant. Les Dothrakis s’étaient rassemblés sur une vaste étendue de sable rouge. Le feu des torches géantes projetait des lueurs mouvantes sur leurs corps tatoués, faisant briller leurs peaux bronzées comme du bronze ancien. Leurs longues tresses noires se balançaient dans leur dos, chaque mèche ornée de clochettes et d’anneaux qui tintaient à leurs mouvements. Leurs rires rauques, leur langue gutturale, leurs chants sauvages transformaient cette nuit en un rituel venu d’un autre âge, brutal, vivant, presque sacré. Daenerys avançait lentement, vêtue d’une robe légère choisie par Illyrio, tissée d’un bleu pâle qui évoquait les eaux calmes de la mer d’Été. Le tissu glissait contre sa peau comme une seconde fragilité. Elle marchait pieds nus ; le sable tiède glissait entre ses orteils, remontant en petites poussières sur ses chevilles fines. Son cœur battait trop vite. Sa gorge était sèche. Chaque pas résonnait en elle comme une sentence. Et devant elle… Khal Drogo l’attendait. Il semblait surgir de la nuit elle-même. Un colosse. Un titan né pour la guerre, taillé dans la puissance brute. Il se tenait debout, immobile comme une montagne, torse nu sous la lumière tremblante des torches. Sa peau sombre captait le feu, soulignant les muscles puissants qui roulaient sous sa peau à chaque respiration. De fines cicatrices blanches, marques de duels, de batailles, de victoires anciennes, couraient sur son torse et ses bras, autant de lignes racontant une vie passée dans la légende. Ses épaules étaient larges comme celles d’un taureau, ses bras épais, veinés, faits pour manier l’arakh comme un prolongement de son propre corps. Sa barbe noire, tressée et ornée d’anneaux d’or, tombait sur son torse, symbole incontesté de ses victoires : aucun ennemi n’avait jamais réussi à le faire reculer. Mais c’étaient ses yeux qui figèrent Daenerys. Deux abîmes sombres, profonds, brûlant d’un feu intérieur. Des yeux de prédateur. Des yeux de roi. Ils semblaient voir tout. Ses tremblements, sa peur, sa fragilité. Sans un mot. Drogo ne parlait pas. Il n’avait pas besoin de parler. Son silence était une langue plus dangereuse encore. Il la regardait. Longuement. Intensément. Comme si elle était déjà sienne, déjà promise, déjà marquée par son ombre. Quand Illyrio, tout sourire et tout parfum, présenta les cadeaux que les Targaryen offraient en retour, un murmure traversa la foule. Les Dothrakis reculèrent d’un pas, impressionnés. Dans les bras d’Illyrio, enveloppés dans une soie profonde, reposaient trois œufs de dragon. Leur surface luisait sous les flammes des torches, presque vivante. L’un était vert forêt, veiné d’or comme les éclats du soleil entre les feuilles. L’autre, rouge et or, rappelait un soleil couchant au cœur d’un brasier. Le dernier, noir charbon, semblait avaler la lumière autour de lui, mystérieux, lourd d’une histoire oubliée. Des fossiles, disait-on. Des reliques. Des trésors du temps où les dragons volaient encore au-dessus de Valyria. Daenerys tendit une main tremblante. Ses doigts effleurèrent la surface écailleuse et glacée. Un frisson la traversa. Pas un simple frisson… Un souffle. Un écho. Une vibration ancienne, presque organique. Quelque chose dans la pierre semblait encore respirer. Dormir. Attendre. Une promesse oubliée. Ou le début d’un réveil.
La nuit venue, lorsque le campement dothraki ne fut plus qu’une constellation de braises mourantes derrière eux, Drogo conduisit Daenerys loin, très loin, jusqu’à un piton rocheux qui dominait toute la mer. Ils marchèrent sans un mot. Le sol se faisait plus dur, plus irrégulier, jusqu’à devenir une langue de pierre brute qui plongeait dans l’obscurité. L’air changeait à mesure qu’ils approchaient de la mer. Humide, salé, piquant. Le vent soufflait violemment, glissant entre les mèches argentées de Daenerys, soulevant sa robe légère comme si la nuit voulait la dérober au monde. Sous leurs pieds, la roche nue se perdait dans les ténèbres, et en contrebas, les vagues noires se jetaient contre les falaises dans un grondement sourd. Chaque déferlement éclatait en gerbes d’écume blanche, comme des ailes fantomatiques. Le monde paraissait immense. Vide. Ouvert. Et terriblement silencieux. Drogo s’arrêta enfin, sur une dalle plate sculptée par les siècles. La lune, ronde et froide au-dessus d’eux, baignait sa silhouette colossale d’une lueur argentée. Il se tourna vers elle. Il ne parla pas. Il n’avait jamais été un homme de mots. Les mots appartenaient aux faibles, aux ombres. Drogo parlait avec ses gestes, avec sa force, avec son silence. Daenerys sentit son cœur remonter dans sa gorge. Ses mains tremblaient, si légèrement qu’elle espéra qu’il ne le verrait pas. Son souffle se fit court, irrégulier. Elle était seule. Seule avec un géant. Seule avec un destin imposé. Seule au bord du monde. Drogo s’approcha. Sa paume énorme effleura la joue de Daenerys. Une chaleur brute, presque sauvage, s’imprima sur sa peau. Elle retint un souffle, recula d’un pas… mais il la retint sans violence, sans douceur non plus. Il la dévêtit comme on dépouille une offrande. Ses doigts étaient lourds, sûrs, insistants. Il la dévoila au vent froid, au regard de la lune, aux échos lointains des vagues. Daenerys ferma les yeux. Elle sentit le froid. Puis la chaleur. Puis le poids. Drogo la prit. Sans douceur. Sans lenteur. Sa peau, fine, jeune, vulnérable, s’arqua sous l’assaut. Sa respiration se bloqua dans sa gorge, coupée net par la douleur. Ses mains se crispèrent contre la pierre rugueuse. Elle pensa à la mer, à la vaste étendue noire qui semblait vouloir l’engloutir. Elle pensa à la lune, ronde et silencieuse, témoin immobile de son supplice. Elle pensa aux œufs de dragon. Ces pierres froides, mystérieuses, que son âme avait reconnues avant elle. Elle pensa à l’enfant qu’elle n’était plus. À la reine qu’elle n’était pas encore. Et quelque part, dans ce chaos, dans ce mélange de peur, de douleur et d’incompréhension… quelque chose s’éveilla. Lentement. Silencieusement. Comme une braise enfouie sous la cendre. Son destin. Le vrai. Celui qui dormait au fond de son sang. Celui que personne ne pouvait deviner. Pas même elle. Une chaleur ancienne, minuscule, invisible aux yeux du monde, mais bien réelle. Une étincelle. Un souffle. Une promesse. La mer continuait de gronder. Le vent hurlait. La lune veillait. Et Daenerys Targaryen, en cette nuit où elle aurait dû être brisée… commença à naître.