Tome 1 : La Louve des Braises

Chapitre 3 : Le Vent Pleure à Winterfell

9645 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 19/11/2025 09:59

Depuis plusieurs mois, Port-Réal n’était pour Elya Arden qu’un labyrinthe étouffant : une ville chaude, bruyante, saturée d’odeurs de sueur, de sel, de fumée et de poussière. Les murs semblaient se refermer sur elle, les ruelles s’enchevêtraient comme pour l’étouffer. Elle y survivait comme un fantôme. Les premiers jours, elle avait dormi dans les greniers d’auberges décrépites, où les rats lui disputaient la chaleur des planches. D’autres nuits, elle s’était réfugiée dans des granges abandonnées, ou sous les balcons effondrés des rues basses, là où personne ne regardait jamais. Elle se lavait à l’aube dans les fontaines publiques, quand les habitants dormaient encore, la peau parcourue de frissons à chaque contact de l’eau glacée. Son bras lui faisait toujours mal. La blessure mal refermée, souvenir sanglant d’une rencontre trop proche avec un éclaireur des Traquecendres, tirait. Elle volait parfois un fruit sur un étal, une miche de pain oubliée, une gourde d’eau, seulement lorsque la faim devenait trop violente. Chaque nuit, elle arpentait les ruelles, marchant sans bruit, se glissant dans les ombres, se fondant dans la foule. Chaque nuit, elle tentait de disparaître avant que ceux qui la traquaient ne la retrouvent. Et chaque nuit… Elle sentait la même chose. Cet étau invisible. Ce souffle glacé dans sa nuque. Cette présence. Varak. Elle connaissait son nom. Son visage. Sa voix. Surtout son rire. Et la cicatrice brûlante dans son dos ne cessait jamais de le lui rappeler. Varak la voulait vivante. Et les Traquecendres suivaient ses ordres. Mais ce soir-là, lorsque le soleil déclinait derrière les toits serrés de Port-Réal, quelque chose changea. La lumière rougeoyante étirait les ombres sur les pavés irréguliers. Les bruits du marché du soir s’étaient dissipés, remplacés par les murmures étouffés des quartiers plus pauvres. L’air était lourd. Cette chaleur poisseuse qui s’attarde avant la nuit. Elya avançait dans une ruelle étroite, capuche tirée si bas qu’on ne distinguait de son visage que la courbe de son menton hâlé. Sa démarche était légère, féline, mais prudente. Toujours prudente. Le cuir de sa dague, attachée à sa cuisse, effleurait sa paume à chaque pas. Elle connaissait chaque détour. Chaque pierre. Chaque son. Et là… Elle entendit. Ou plutôt : elle sentit. Un frisson. Sec. Parfaitement reconnaissable. Comme une lame glissant le long de sa colonne vertébrale. Exactement là où sa cicatrice tirait encore. Longue, déformée, souvenir brûlant du jour où Varak avait marqué sa chair. Elle n’était plus seule.

« Elya… »


Une voix derrière elle. Douce. Venimeuse. Une caresse de serpent. Elle se figea.

« Varak veut ton retour. »


Ils sortirent des ombres comme s’ils en étaient sculptés. Quatre Traquecendres. Vêtus de noir. Silhouettes longues, effilées comme des lames. Leurs capes courtes ne bougeaient même pas dans le vent. Leurs masques de cuir sombre avalaient la lumière. Mais leurs yeux… Leurs yeux brûlaient comme des charbons rouges. Froids. Inhumains. Elya pivota, son manteau suivant le mouvement comme une vague sombre. Elle colla son épaule droite contre le mur. Réduire les angles morts. Toujours. Ses doigts glissèrent vers les lanières de cuir croisées dans son dos, là où reposaient ses deux épées courbes. Elle inspira lentement. Calme. Mortellement calme pour une jeune fille de seize ans.

« Je ne retournerai pas au Sud. »


Sa voix était douce. Mais son regard, bleu lagon, coupait comme la glace. Le Traquecendre en tête fit un pas, lame inclinée vers le sol. Un geste de prédateur.

« Ce n’est pas une demande. »


Ils attaquèrent. Sans cri. Sans souffle. Sans avertissement. Juste le mouvement. Elya tira ses deux épées en un seul geste fluide. Les lames courbées sifflèrent comme deux serpents d’acier. Les lanières claquèrent dans son dos. Le monde devint rythme. Le premier Traquecendre fondit sur elle. Une ombre. Un souffle. Une vitesse. Elya pivota sur ses appuis, glissa sous son bras tendu. Sa première épée trancha derrière son genou. La seconde remonta en arc brillant et entailla sa cuisse. Il tomba. Déjà oublié. Le deuxième surgit à droite. Elle sentit son souffle. Le frottement du cuir contre son avant-bras. Elle fit tournoyer sa lame. Un mouvement qu’elle n’utilisait qu’en cas d’extrême nécessité. L’éclair. L’acier. Un bras qui tombe. Le cri fut bref. Brisé. Mais le troisième était meilleur. Plus rapide. Plus précis. Il plongea sa lame vers son flanc, trajectoire parfaite. Elya esquiva. Presque. La pointe entailla sa chair, juste sous les côtes. La douleur jaillit. Brûlante, électrique. Ses jambes vacillèrent. Une seconde. Une seule. Le chef serra les dents.

« Vivante ! Varak la veut vivante ! »


Ce fut assez. Elle recula, parvint à repousser le quatrième Traquecendre. Rabattit ses deux épées dans leur fourreau et courut. Pas comme une proie. Pas comme une enfant. Comme une survivante. Elle bondit sur un chariot chargé de sacs de blé. Le bois craqua. Elle roula sur le dos, cheveux noirs collant à sa joue ensanglantée, puis bascula de l’autre côté. Elle chuta lourdement, les genoux heurtant la pierre. La douleur explosa dans son flanc. Mais elle serra les dents. Des passants reculèrent en hurlant.

« Par les Sept ! »

« Une folle ! »

« Elle est blessée ! »


Elya se faufila entre deux gardes trop occupés pour la voir. Dévala un escalier humide, manquant de glisser à chaque marche. Poussa une vieille porte. Grimpa quatre marches. Surgit sur une charpente branlante. Ses bras tremblaient. Le sang coulait le long de sa peau. Elle haletait. Ils venaient. Elle entendait leurs pas synchronisés. Silencieux. Précis. Inexorables. Elle sauta. La ruelle bondée l’avala. La boue éclaboussa ses bottes. Un étal se renversa. Des enfants crièrent. Un sac de farine explosa au sol. Elya se redressa. Essuya le sang de sa joue. Avança dans la foule. Les capes colorées l’engloutirent. Les cris l’avalèrent. Le chaos la protégea. Une seconde. Deux. Trois.Elle attendit l’acier. L’ombre. La main glacée sur sa gorge. Rien. Elle se retourna. La ruelle derrière elle n’était que vie, bruit, foule. Aucun masque. Aucune ombre. Aucun Traquecendre. Ils n’avaient pas disparu.

Elle les avait semés. Pour la première fois depuis des mois… Une éternité de sang, de fuite et de cauchemars… Elle respirait encore. Elle était libre. Pour l’instant.





Elle quitta Port-Réal au matin. Le ciel n’était pas encore vraiment un ciel : juste un amas lourd de nuages bas, gris acier, qui étouffaient toute lumière naissante. Une brume fine stagnait entre les toits des maisons serrées, glissant comme un souffle fatigué dans les ruelles étroites. L’air sentait l’humidité rance, le linge mouillé et la poussière. Les rues s’éveillaient à peine. Les premiers marchands, les yeux gonflés de sommeil, tiraient leurs charrettes en jurant entre leurs dents. Des mendiants enroulés dans des couvertures trouées se redressaient lentement, s’adossant aux murs pour réchauffer leurs membres transis. Deux gardes de la Ville, appuyés contre leurs lances, bâillaient si fort que leurs mâchoires semblaient prêtes à se décrocher. Ils ne virent rien. Ou plutôt : ils ne virent qu’une silhouette mince, capuche basse, qui glissait le long du mur comme un courant d’air. Elya Arden n’était plus qu’un souffle. Un souffle blessé. Sous son manteau, son flanc était bandé à la hâte. Un tissu arraché à une chemise volée durant la nuit, imbibé de sang séché. Le bandage grinçait légèrement à chaque mouvement, comme s’il protestait. Chaque pas ravivait la brûlure, une douleur qui pulsait, s’étendait, remontait jusqu’à sa clavicule. Ses traits tirés donnaient à son visage un air de statue brisée. Ses yeux, d’habitude d’un bleu lagon clair, semblaient plus sombres, voilés par la fatigue et le sang perdu. Son souffle restait court, irrégulier, se coupant parfois lorsqu’une vague de douleur traversait sa cage thoracique. Ses doigts tremblaient. Juste un peu. Suffisamment pour la trahir si quelqu’un la regardait trop longtemps. Mais sa démarche, elle… sa démarche ne flanchait pas. Elle avançait. Toujours. Encore. Coûte que coûte. Seule. Blessée. Traquée. Elle avait passé la nuit entière à se cacher dans les dédales des rues basses, dans les passages où la lumière ne pénétrait jamais vraiment. Chaque bruit la faisait sursauter. Chaque ombre animée d’un souffle lui rappelait d’autres ombres, beaucoup plus sombres, beaucoup plus patientes. Et toujours, la même sensation revenait. La cicatrice dans son dos. La marque brûlante laissée par Varak tirait soudain, comme si une main invisible venait d’appuyer dessus. Varak la cherchait. Les Traquecendres suivaient sa trace. Elle le savait. Elle le sentait. Elle ne savait rien d’autre. Varak la voulait vivante. Varak la voulait soumise. Varak la voulait à terre, brisée. Les Traquecendres, eux, ne se posaient pas de questions. Ils suivaient l’ordre. Ils suivaient la piste. Ils suivaient son odeur, son souffle, sa peur. Et s’ils la trouvaient, ils la ramèneraient. Ou la feraient taire. Pour toujours. Mais elle était vivante. Encore vivante. Un simple fait, mais une victoire immense. Elya ne prit pas la grande route pavée où circulaient les nobles et leurs attelages. Elle glissa plutôt vers les petites portes latérales, celles que les fermiers utilisaient à l’aube pour entrer vendre leurs légumes, celles que les enfants empruntaient pour aller jouer dans les champs. Un garde assoupi leva vaguement les yeux. Hésita. Puis la laissa passer d’un geste absent. Petite. Capuche tirée. Silhouette rapide. Une servante en retard. Rien de plus. Dès qu’elle franchit les portes, un vent sec lui gifla le visage. Le monde s’ouvrit devant elle. Une plaine immense, encore noyée dans la brume du matin. Des champs brûlés par la chaleur d’été, des chemins de terre rubanés, des bosquets de chênes tordus par les vents du sud. À l’est, un fleuve traçait une ligne d’argent pâle. À l’ouest, les collines roulaient doucement jusqu’à se perdre à l’horizon. Port-Réal continuait à grogner derrière elle. Un grondement de vie, de voix, de roues et de chaînes. Elle serra les dents. Rabattit sa capuche. Et marcha vers le nord. Le Nord. Un mot qui, pour elle, n’était pas qu’une direction. C’était une promesse. Un souffle. Une chance. Un endroit où les terres s’ouvraient, où les hommes vivaient selon des règles anciennes. Pas celles des cités d’Essos, pas celles des assassins, des esclaves, des marchands de peur. Un endroit où les forêts murmuraient encore des prières oubliées. Un endroit où Varak hésiterait à la suivre. Pas pour longtemps. Mais assez. Elle marcha pendant des heures avant de trouver un petit destrier attaché sous un abri de bois. Un cheval maigre mais robuste, oubli probablement d’un voyageur pressé. Elle ne réfléchit pas. Elle le détacha, lui murmura quelque chose, et monta. Le cheval hennit doucement, comme s’il comprenait qu’elle n’était pas une voleuse ordinaire : une âme traquée par des ombres trop lourdes pour son âge. Le paysage changea au fil des jours. L’air devenait plus froid, les herbes plus sèches et rêches sous les sabots de son cheval. Les forêts plus denses. Les nuits plus longues. Sa blessure tirait. Sa tête tournait parfois. Mais elle continuait. Toujours. Sa main parfois se pressait contre sa poitrine, sentant son cœur battre contre sa paume. Un battement après l’autre. Elle n’était plus au Sud. Plus dans le sang. Plus dans les flammes. Plus dans l’odeur brûlée de son village et de la tête de son père roulant dans la poussière. Devant elle, il n’y avait que la route. Une bande d’horizon pâle. Le murmure du vent. Et très loin, au-delà des vallées, des montagnes et des forêts… Winterfell. Le dernier refuge. Ou peut-être… Le début de son destin.





Les nouvelles avaient mis des jours à franchir les routes glacées du Nord, mais elles étaient enfin arrivées jusqu’aux lourdes portes de Winterfell. Jon Arryn était mort. La Main du Roi. Le mentor de Ned Stark. Son second père. La cour se figea sous le poids de l’annonce. Les serviteurs cessèrent de marcher. Les enfants Stark se regardèrent en silence. Même le vent sembla s’apaiser, comme s’il comprenait que quelque chose venait de changer dans le royaume. Ned Stark, la lettre encore froissée entre ses doigts, resta longuement immobile dans la neige. Le givre décorait sa barbe sombre. Ses yeux gris, aussi glacés que les terres qui l’avaient vu naître, se perdirent un instant dans le vide. Une silhouette féminine s’avança derrière lui, enveloppée dans un manteau épais aux couleurs de la maison Tully : un bleu profond, riche, cousu d’arabesques argentées. Catelyn Stark. La lumière pâle du Nord glissait sur ses cheveux auburn relevés en un chignon soigné, révélant des mèches rousses échappées par le froid et le vent. Son visage, délicat et noble, portait encore la douceur de la femme née au Rivage de la Néra. Une douceur atténuée par les années passées dans un pays où l’hiver est un seigneur implacable. Ses yeux, d’un bleu limpide et grave, scrutèrent le visage de Ned avec une inquiétude croissante. Ses yeux, clairs comme les rivières du Conflans, portaient à la fois la douceur de sa naissance et la force tranquille qu’exigeait le Nord. Son port de tête demeurait digne, presque altier, mais ses mains, fines, blanches, élégantes, se tordaient légèrement dans les plis de son manteau, trahissant ce qu’elle tentait de masquer. Elle n’était pas faite pour le froid, pas vraiment. Le Nord la respectait, mais le Nord ne se donnait jamais à elle comme il se donnait à Ned. Pourtant, elle tenait bon. Pour sa famille. Pour son mari. Son visage se ferma lorsque Ned lui tendit la lettre. Elle n’eut pas besoin de lire. L’ombre dans les yeux de son époux était suffisante. Un mauvais pressentiment, ce frisson que seules les femmes habituées à veiller leurs foyers ressentent, se glissa lentement dans sa poitrine. Elle posa doucement ses doigts sur l’avant-bras de Ned, cherchant à lui offrir l’ancrage qu’elle-même perdait.

« Ned… » murmura-t-elle.


Un mot. Seulement un. Mais rempli d'inquiétude, de soutien, et de la peur muette qu’elle n’osait nommer. Il n’eut pas le temps de répondre. Un grondement sourd monta des remparts, comme un frisson parcourant la pierre elle-même. Les corbeaux, perchés le long des créneaux, s’envolèrent en un battement d’ailes paniqué, noircissant un instant le ciel blanc du Nord. Puis… Les trompettes sonnèrent. Claires. Froides. Royales. Un son si étranger à Winterfell qu’il sembla trancher l’air comme une lame. Catelyn releva instinctivement la tête. Ses doigts, d’ordinaire si gracieux, se crispèrent dans le tissu épais de son manteau bleu. Son souffle se suspendit, et une tension presque palpable envahit les silhouettes massées dans la cour. La porte sud s’ouvrit dans un fracas solennel, grinçant sous l’effort des chaînes. Un courant d’air plus chaud s’engouffra dans la cour. L’haleine du Sud, lourde d’épices, de poussière et de faste. Alors seulement, la procession apparut. La cour se remplit d’une déferlante de couleurs qui jurait violemment avec les gris froids du Nord. Le rouge profond des Lannister avançait en tête, éclatant, presque arrogant, vibrant comme une plaie vive sur la blancheur de la neige. À ses côtés scintillait le doré brûlant de Casterly Rock, un or si éclatant qu’il semblait avoir été fondu directement sous le soleil pour illuminer chaque recoin de la forteresse. Puis vint le vert émeraude, lourd et somptueux, qui drapait la Reine comme un écrin. Un vert étranger, presque incongru, semblable à une forêt luxuriante surgie au cœur d’un territoire qui ne connaissait que l’hiver et la pierre. Et derrière elle, les armures de la garde royale avançaient d’un même pas : acier poli, martelé à la perfection, renvoyant chaque fragment de lumière en éclats aveuglants qui faisaient plisser les yeux aux serviteurs comme aux soldats du Nord. Les bannières qui accompagnaient la procession fouettaient l’air glacé, leurs couleurs trop vives, trop vivantes, paraissaient presque irréelles dans cet endroit où la neige avait l’habitude de dévorer la moindre nuance. Winterfell n’avait jamais rien accueilli d’aussi éclatant. Et, sous le souffle du vent, les murs eux-mêmes semblaient hésiter entre curiosité et méfiance. Les chevaux caparaçonnés avançaient d’un pas lourd, les sabots claquant sur les pavés, leur souffle puissant formant de larges nuées blanches. Les gardes royaux aux plastrons d’or prirent place, formant une haie brillante qui dissimulait presque les remparts austères de Winterfell. La suite royale. Ces mots eux-mêmes semblaient trop grands pour l’espace qui les accueillait. Et Catelyn, le cœur serré, sentit son pressentiment froid se transformer en certitude implacable. Quelque chose entrait à Winterfell. Quelque chose de lourd, de puissant, de dangereux. Rien. Absolument rien ne serait plus jamais comme avant.





En tête de la procession royale, un géant d’homme se détacha, juché sur un colossal étalon noir aux naseaux fumants comme un chaudron en ébullition. Le sol vibrait sous chaque pas de la bête, et le cuir de sa selle gémissait sous le poids de celui qu’elle portait. Robert Baratheon. Roi des Sept Couronnes. Seigneur de l’Orage. L’homme qui avait renversé une dynastie. Mais Winterfell ne vit ni le héros des chants ni le jeune guerrier au marteau de guerre capable d’abattre un prince en armure. Non. Le Robert qui entra dans la cour était un homme que les années avaient marqué au fer. Son ventre s’était épaissi, tendant le cuir de sa ceinture. Ses joues, rouges et lourdes, trahissaient des festins trop riches et des nuits trop longues passées à boire jusqu’à l’oubli. Sa barbe brune, autrefois taillée avec soin, descendait maintenant épaisse et sauvage jusqu’au haut de sa poitrine, entremêlée de fils gris. Des sillons creusaient son visage, souvenirs de colères, de rires tonitruants et de batailles anciennes. Et pourtant… Malgré la bedaine. Malgré les rides. Malgré la lenteur nouvelle de ses gestes. Robert Baratheon restait un spectacle. Une force brute de la nature. Ses épaules demeuraient aussi larges que des portes de château. Ses avant-bras, massifs, semblaient encore capables d’abattre un homme d’un simple revers. Sa présence dominait la cour comme le tonnerre domina la tempête. Et son rire… Un rugissement chaud, sauvage, plein de vie, qui roula contre les murailles de Winterfell comme un écho d’un autre temps. Ce temps où lui et Ned Stark étaient jeunes, invincibles, insouciants.

« Stark ! » tonna-t-il en se laissant glisser lourdement de son cheval.


Ses bottes s’enfoncèrent profond dans la neige, faisant voler des éclats de glace autour de lui. Il ouvrit les bras avant même que Ned n’ait le temps de descendre la marche qui les séparait. Sans protocole, sans retenue, sans la moindre conscience du poids de son manteau royal, Robert l’attrapa dans une accolade si violente que la cape de Ned se décrocha presque de son épaule.

« Par les Dieux… ton foutu Nord me gèle les os ! » rugit-il en riant, sa voix emplissant tout l’espace.


Ned serra son ami. Son frère de guerre. Sans broncher. Un sourire discret, rare, presque timide, étira ses lèvres. Chez lui, un sourire était un événement. Mais Robert avait toujours été capable de l’arracher au silence.

« Tu t’y feras, Robert. Tu t’y es déjà fait autrefois. »


À ces mots, un bref éclat passa dans les yeux du Baratheon. Un éclair de nostalgie. De jeunesse perdue. D’un passé où ils n’étaient que des garçons portés par des rêves de justice et de vengeance.

Ce fut un instant. Un souffle. Puis Robert cligna des yeux, reprit sa stature de roi, secoua le froid de sa cape… et le monde continua de tourner. Mais derrière Robert, dans le sillage éclatant de l’or et du rouge, un visage apparut. Un visage qui semblait fait pour régner, non pour aimer. Cersei Lannister. La Reine. Elle avançait sans qu’on entende le moindre froissement de tissu, comme si le monde se taisait pour la laisser passer. Une beauté froide, sculptée dans le marbre et l’ambition. Ses cheveux d’or coulaient sur ses épaules comme un voile liquide, capturant la moindre lumière hivernale. Sa peau, d’une pâleur presque surnaturelle, se découpait contre le vert profond de sa robe, brodée de fils dorés qui dessinaient mille lions en miniature. Ses yeux… Deux émeraudes tranchantes. Vives. Insondables. Des yeux qui ne contemplaient pas Winterfell : ils le jaugeaient, le mesuraient, le jugeaient comme un territoire ennemi. Pas un sourire. Pas même une crispation. Cersei ne gaspillait rien. Chaque mouvement, chaque respiration avait la précision d’une lame. Majestueuse. Intouchable. Et dangereuse, comme le sont les choses trop belles et trop conscientes de leur pouvoir. À ses côtés marchait son reflet vivant. Son ombre miroir : Jaime Lannister, son frère jumeau. Le Régicide. Grand, élancé, l’allure d’un chevalier sorti d’un conte que l’on raconte aux enfants… puis que l’on arrête brusquement avant la fin. Ses cheveux d’or tombaient en vagues brillantes sur ses épaules, animés par la brise glaciale du Nord. Un sourire insolent étirait ses lèvres, un sourire de prince habitué à être désiré, craint, ou admiré… mais jamais ignoré. Son armure, entièrement dorée, brillait à en aveugler. On aurait dit qu’il portait le soleil sur son torse. Chaque pas qu’il faisait semblait chorégraphié. Gracieux, félin, presque moqueur, comme s’il défilait plutôt qu’il ne marchait.

« Winterfell, » souffla-t-il, un amusement presque provocateur au coin de la bouche. « Voilà qui change du faste de Port-Réal. »


Plus en retrait, mais impossible à ignorer malgré sa taille, une silhouette trapue avançait entre deux gardes. Tyrion Lannister. Le Lutin. Le nain aux mots affûtés comme des rasoirs. Ses yeux, d’un vert éclatant, scrutaient chaque homme, chaque pierre, chaque souffle sortant des lèvres des Stark. Un regard brillant d’intelligence, d’ironie, et d’une curiosité vorace qu’il ne cherchait pas à masquer. Son sourire, fin et décalé, paraissait savoir des choses que les autres ignoraient. Il observait tout, sans gêne, sans détour. Et son intérêt pour les femmes du Nord se lisait déjà dans le plissement amusé de ses yeux. Le Nord les regardait arriver. Les Lannister observaient le Nord. Deux mondes se frôlaient. Et Winterfell, dans son silence millénaire, semblait retenir son souffle. La cour entière s’inclina, comme un seul corps, dans un mouvement ondulant. Les manteaux lourds des Stark, les capes simples des serviteurs, les uniformes des soldats. Tout se pencha devant la splendeur écrasante de la suite royale. Robert Baratheon leva les bras, large, expansif, théâtral dans sa manière de se signaler au monde.

« Winterfell ! » tonna-t-il, sa voix roulant comme un tambour de guerre entre les pierres ancestrales.


Il tourna sur lui-même, bras ouverts, comme s’il voulait enlacer tout le château de son rire.

« Presque aussi froid que dans mes souvenirs… mais nettement plus gris ! »


Un éclat goguenard ponctua sa phrase, son rire grondant ricochant contre les remparts enneigés. La foule rit. Par réflexe, par respect, par peur aussi, peut-être. Un rire nerveux, qui se perdit vite dans le souffle glacé du Nord. Les enfants Stark échangèrent un regard. Sansa rougit, fascinée par les étoffes scintillantes. Arya observait déjà les gardes royaux avec une envie brûlante d’épée au poing. Bran, perché sur ses étriers, retenait sa respiration. Robb restait droit, l’œil vigilant, presque adulte. Jon Snow, lui, ne souriait pas : son regard était trop sombre pour cela. Mais surtout… Ned Stark ne riait plus. Son visage, austère et marqué par la neige, s’était refermé. Comme si les mots du roi glissaient sur lui sans parvenir à atteindre son cœur. Comme si quelque chose en lui. Quelque souvenir, quelque avertissement s’était réveillé. Dans sa main, la lettre annonçant la mort de Jon Arryn semblait presque brûler malgré le froid. Le blason du Val, scellé dans la cire brisée, n’était pas un message d’amitié. C’était un appel. Un présage. Catelyn, à ses côtés, sentit la tension qui s’accrochait à son mari comme un spectre. Son pressentiment, ce murmure sourd venu de ses entrailles, se raffermit. Les arrivées royales ne sont jamais innocentes, pas dans un royaume où le pouvoir se manipule comme une dague. Les couleurs éclatantes des Lannister envahissaient le gris immémorial de Winterfell. Les bannières claquaient au vent. Les armures brillaient d’un éclat insolent. Et dans cette cour où la neige tombait en silence… Quelque chose changeait. Quelque chose grondait à l’horizon. Robert souriait encore. Les Lannister regardaient tout. Les Stark retenaient leur souffle. Car au milieu de ces retrouvailles apparemment joyeuses… Ned le sentait. Comme on sent le vent avant l’orage. Une tempête approchait.





Dans les cryptes, l’ombre avala la lumière. L’air changea dès qu’ils franchirent la voûte : il devint plus dense, plus froid, comme si les pierres elles-mêmes retenaient leur souffle. L’odeur de pierre humide, de terre ancienne et de vieilles torches consumées s’insinuait dans les poumons. La descente se fit en silence, ponctuée seulement du frottement des bottes contre les marches creusées par les siècles. Les statues des anciens rois du Nord se dressaient de part et d’autre. Hautes. Massives. Imposantes. Leurs visages sévères, sculptés dans la pierre grise, semblaient observer les deux hommes, leurs ombres s’allongeant comme des sentinelles silencieuses. Dans leurs mains, les grandes épées reposaient, lame contre sol, prêtes à juger les vivants. Robert Baratheon avançait au milieu de ces géants fossilisés. Son pas, autrefois léger et fier, était devenu pesant. Chaque marche arrachait un souffle à sa poitrine large. La torche qu’il tenait éclairait son visage rougi, sa barbe mal taillée, ses yeux trop brillants. Il essuya son front du revers de sa main. Un geste étrangement humain chez un roi devenu presque une légende. Puis il s’arrêta. Devant elle. La statue de Lyanna Stark. Une jeune femme de pierre, figée dans une éternité glacée. Les traits fins, le regard doux et fier, les cheveux sculptés comme une cascade sombre figée dans le temps. Une beauté austère, sauvage, propre au Nord. Des fleurs fanées reposaient encore à ses pieds. Ned les déposait toujours, chaque hiver. Robert resta longtemps immobile. La torche vacillait dans sa main, projetant des lueurs tremblantes sur le visage de pierre.

« Je ne t’ai jamais oubliée, » souffla-t-il enfin, d’une voix presque brisée.


Ce n’était plus le roi qui parlait. Ni le guerrier. Ni l’ami de beuverie. C’était l’homme. Celui qui avait aimé Lyanna d’un amour trop grand, trop brûlant, trop aveugle. Ned sentit sa gorge se nouer. Son estomac se tordre. Comme chaque fois que Robert parlait d’elle. Car il connaissait la vérité. Une vérité enfouie, cachée, protégée. Une vérité qui lui brûlait le cœur depuis dix-sept ans. Robert, lui, ne voyait qu’un fantôme idéalisé. Lorsque le Baratheon se tourna vers lui, son visage avait perdu son sourire, son éclat, sa force. Il ne restait qu’un vieil ami usé.

« Je veux que tu sois ma Main, Ned. »


Les mots tombèrent comme des pierres dans la crypte. Lourds. Inévitables. Ned resta silencieux. La torche trembla légèrement dans sa main, faisant danser les ombres sur les statues.

« Robert… » dit-il doucement. « Je ne suis pas fait pour Port-Réal. »


Sa voix était rauque. Fatiguée. Honnête. Robert posa alors une main massive sur son épaule, un geste venu d’une autre vie, lorsque tous deux n’étaient encore que deux garçons plein d’espoir.

« Tu es fait pour me protéger… même de moi-même. »


Il tenta un sourire, mais celui-ci se brisa dans ses yeux.

« Et tu me dois cela… pour Lyanna. »


Le nom résonna comme un coup de tonnerre dans l’espace glacé. Les flammes vacillèrent. Les statues semblèrent se rapprocher. Lyanna. Sa sœur. Son secret. Son fardeau. La blessure qui ne cicatrisait jamais. Ned sentit son cœur se serrer douloureusement. Le passé revenait avec la force d’un hiver. Il ne pouvait pas fuir. Pas cette fois. Il inspira lentement. Et comprit. Il ne pouvait pas refuser. Pas à Robert. Pas à Lyanna. Pas à ce que le destin exigeait de lui. Winterfell venait de perdre son seigneur. Et le jeu des trônes venait de commencer.




Le banquet fut un tourbillon de chaleur, de rires et d’odeurs puissantes. Winterfell tout entier semblait vibrer sous les conversations, le vin et les flammes. Les grandes tables croulaient sous la viande rôtie, les potages fumants, les fromages du Nord, les miches de pain dorées. Des torches éclaboussaient la salle de leur lumière vacillante, donnant aux pierres grises des reflets presque dorés. Tyrion Lannister, déjà trop ivre, faillit tomber de sa chaise en attrapant sa coupe. Il se rattrapa avec un juron, déclenchant de nouveaux éclats de rire. Au centre de la grande salle, Sansa Stark incarnait la grâce juvénile dans tout ce qu’elle avait de plus éclatant. Quinze ans. L’âge des rêves tissés de lumière et de promesses. Sa peau, douce et pâle comme de la porcelaine fine, semblait presque luire dans la clarté des braises. Ses longs cheveux roux, l’héritage flamboyant de la maison Tully, étaient tressés avec des rubans bleu Stark qui scintillaient délicatement lorsque le feu du banquet touchait leurs fils satinés. Ses cils, longs et dorés à leur pointe, papillonnaient souvent lorsqu’elle osait relever les yeux vers le prince Joffrey Baratheon. Lui, seize ans, se tenait droit comme une lame fraîchement forgée. Il portait l’or des Lannister comme d’autres portent l’air : naturellement, avec une arrogance silencieuse. Ses cheveux blonds, presque argentés tant ils capturaient la lumière, retombaient avec une perfection étudiée autour de son visage aux traits nobles. Mais ses yeux, deux éclats d’un vert froid, avaient quelque chose de dur, de tranchant, d’inquiétant, une cruauté naissante que l’on ne devrait jamais lire dans le regard d’un garçon. Chaque geste qu’il faisait, semblait soigneusement pensé : la manière dont il inclinait la tête, dont il souriait avec retenue, dont il effleurait la garde de son poignard orné. Il voulait impressionner. Il voulait séduire. Et Sansa… le voyait comme un héros de chanson. Fascinée. Éblouie. Aveuglée. Elle ne percevait que la noblesse, le charme princier, la beauté du lion. Elle ne voyait pas les ombres derrière ses yeux. À l’autre extrémité de la table, un contraste vivant existait. Arya Stark, douze ans, rien de la sagesse docile de sa sœur. Petite, fluette, les cheveux bruns s’échappant en mèches rebelles de la natte que Catelyn avait soigneusement faite, elle ressemblait davantage à un ouragan qu’à une demoiselle de noble maison. Ses yeux gris, les authentiques yeux des Stark, brillaient d’une vivacité indomptable, d’un feu impatient qui refusait d’être contenu. Sa robe, choisie avec tant de soin par sa mère, était déjà froissée, tordue, marquée d’une tache de viande laissée par un morceau qu’elle avait manqué… volontairement ou non… en visant Theon. Elle tenait dans sa main un morceau de pain dur, qu’elle roulait, pressait, lançait dès que l’occasion se présentait. Theon Greyjoy, cible parfaite et malchanceuse, pestait à voix basse à chaque projectile. Arya étouffait un rire derrière un pichet, ravie de son petit jeu. Sansa, horrifiée, sentit ses joues rosir d’embarras. Joffrey, lui, plissa les yeux, agacé, déjà irrité par cette enfant qui défiait l’ordre et la bienséance. Il n’aimait pas ce qu’il ne pouvait pas contrôler. Arya leva brièvement les yeux vers lui et, comme si elle avait ressenti cette exaspération sans même la regarder… elle sourit. Un sourire malin, défiant. Cela, évidemment, ne fit qu’accentuer la contrariété silencieuse du prince. Plus en retrait, presque perdu dans l’ombre vivante du grand hall, Jon Snow avait trouvé place parmi les hommes de moindre rang : les écuyers, les jeunes gardes, les serviteurs plus proches du service que du sang. Là où l’on plaçait ceux qui n’avaient pas de nom officiel à représenter. Là où l’on dissimulait les bâtards. Assis sur un banc rude mal éclairé par les torches, Jon gardait le dos droit, la tête légèrement baissée, les doigts autour d’une coupe de bois qu’il ne portait que rarement à ses lèvres. Son visage, sculpté par une mélancolie trop vieille pour ses dix-sept ans, était traversé par des éclats de lumière chaude. Les flammes dansaient dans ses yeux sombres, leur donnant l’illusion d’une profondeur presque douloureuse. Il observait la fête. Il écoutait les rires. Mais il ne s’y mêlait pas. Le vacarme joyeux des nobles semblait flotter à des lieues de lui, comme s’il appartenait à un autre monde. Un monde qui n’avait jamais voulu de lui. Il suivait Robb du regard parfois, son frère, son double, son presque jumeau, si près de lui malgré leur différence de naissance. Robb riait, parlait, buvait, entouré de visages admiratifs. Jon ressentit un pincement au cœur. Non par jalousie. Mais parce que cette chaleur lui était interdite. Il observa Sansa, radieuse, glissant des regards rêveurs vers le prince. Elle semblait déjà faite pour Port-Réal, pour la cour, pour les châteaux dorés que lui ne verrait jamais. Cette fierté qu’elle ressentait, d’être sous les yeux du roi, du prince, lui paraissait lointaine, étrangère, inaccessible. Même Arya, occupée à inventer ses propres guerres de pain dur, vivait au centre de sa propre tempête, libre, entière. Jon, lui, restait immobile. Invisible. Comme s’il craignait que le simple fait de respirer trop fort rappelle aux autres ce qu’il était. Il but une gorgée de vin. Une seule. Laissa le liquide rouge effleurer à peine sa langue. Puis il posa sa coupe. Et dans ce geste simple, retenu, il y avait tout : le poids du nom qu’il ne portait pas, la place qui ne serait jamais la sienne, et cette blessure invisible. Plus profonde que n’importe quelle lame qu’il supportait depuis le jour de sa naissance.





La fête continua longtemps, bruyante, dorée, saturée de chaleur et de vie. La grande salle de Winterfell, habituellement sobre, se transformait ce soir-là en un royaume de lumière. Des flammes montaient haut dans les braseros, dansaient dans les torches, léchaient les murs de pierre rugueuse en projetant des ombres immenses qui semblaient se mouvoir d’elles-mêmes. Les boiseries sombres luisaient sous les reflets du feu, les longes de viande rôtissaient encore au-dessus des foyers, et l’air était épais de parfums entremêlés : miel chaud, graisse grillée, épices, vin noir et sueur joyeuse. Les musiciens, installés sur l’estrade près de la table du roi, jouaient avec une ardeur presque héroïque. Leur archet sifflait, leurs doigts glissaient sur les cordes malgré l’engourdissement, malgré les crampes naissantes, malgré l’air de plus en plus lourd. On chantait. On tapait des mains. On criait des toasts qui se perdaient dans la fumée. Les Stark, tous sauf Jon, étaient à la table d’honneur, entourés des rires trop sonores de la suite royale. Les chevaliers Lannister levaient leurs coupes, leurs armures d’or étincelant dans la lumière comme des soleils. Les dames de la cour échangeaient des murmures brillants, des rires cristallins, leurs brocarts verts et rouges ondulant comme des éclats de soie au moindre mouvement. Le roi Robert, rouge de vin et de plaisir, riait si fort que les fenêtres semblaient vibrer. Il frappait la table, renversait parfois sa coupe, appelait encore plus de viande, encore plus d’hydromel, encore plus de souvenirs de jeunesse perdue. La salle vibrait de vie. Mais derrière les rires, derrière les flammes, derrière le vin… quelque chose attendait. Quelque chose se resserrait. Personne. Absolument personne ne voyait encore l’orage qui, silencieusement, patientait dans l’ombre. Pas même Ned, malgré le poids lourd dans sa poitrine, ce poids qu’il ignorait depuis le matin. Pas même Catelyn, malgré les frissons d’inquiétude qu’elle étouffait sous un sourire poli. Pas même les dieux, ou s’ils voyaient, ils gardaient le silence, comme ils le font toujours avant que le monde ne se brise. La fête brillait. La vie débordait. Le feu chantait. Et déjà, quelque part dans la nuit glacée… l’hiver commençait à approcher.





Bien plus tard, lorsque la musique ne fut plus qu’un murmure mourant, lorsque les dernières torches furent étouffées une à une par les serviteurs épuisés, lorsque les rires s’étaient dissipés dans les couloirs de pierre, un son sec déchira le silence de Winterfell. Un battement d’ailes. Un frottement nerveux contre la pierre. Puis un heurt bref. Un corbeau. Catelyn Stark, restée dans sa chambre, n’avait pas encore défait ses nattes. Sa robe bleu nuit, brodée d’argent, épousait la pâleur de ses bras. Elle se tenait près de la fenêtre, cherchant un peu d’air frais pour calmer l’inquiétude sourde qui lui battait sous la peau depuis l’arrivée du roi. La fenêtre était entrouverte, laissant entrer un souffle glacé venu des remparts. La flamme de la bougie vacilla, projetant des ombres mouvantes sur ses joues fines. Son reflet dans le verre semblait soudain plus âgé, plus tendu, comme si la nuit elle-même lui murmurait un avertissement. Un garde frappa. Une fois. Par pudeur ou par gravité, il ne prononça pas un mot. Il déposa une missive sur la table, inclina la tête et quitta la pièce. Un simple rectangle de parchemin. Mais le sceau… Le sceau du Val. Brisé. Catelyn sentit son cœur se contracter violemment. Comme si son corps savait avant son esprit que ce qu’elle allait lire changerait tout. Ses doigts, d’ordinaire si sûrs, tremblèrent lorsqu’elle déplia le parchemin. L’écriture fine, inclinée, presque familière, la frappa comme une gifle. Elle lut. Une fois. Puis une deuxième. Puis une troisième, comme si les mots refusaient de prendre sens, comme si elle espérait que les lettres changent sous ses yeux.

« Ils ont tué Jon Arryn… Les Lannister. »


Le souffle lui manqua. Sa gorge se serra, brusquement, douloureusement, comme si une main glacée venait d’y refermer ses doigts. Son ventre se noua d’un mouvement si violent qu’elle faillit en perdre l’équilibre. La torche sur le mur craqua. Le silence de la chambre se fit plus dense. Une peur, froide, précise, coupante comme la lame d’un poignard, glissa sous sa peau, remonta le long de sa colonne, s’enfouit au creux de sa nuque. Les Lannister. Ces mêmes sourires d’or qu’elle avait affrontés toute la journée. Ces bannières arrogantes, trop brillantes pour Winterfell. Cette reine silencieuse dont les yeux verts observaient tout sans jamais vraiment cligner. Jon Arryn n’était pas mort. Il avait été assassiné. Assassiné par eux. Et cela signifiait… Tout. Absolument tout.






Lorsque Ned entra dans la chambre, l’air froid du couloir s’engouffra avec lui. Ses cheveux encore humides du vent nocturne collaient légèrement à ses tempes, et quelques flocons de givre fondaient sur ses épaules larges. Il referma la porte derrière lui avec la douceur silencieuse des hommes habitués à ne pas troubler le sommeil des autres. Catelyn se leva d’un geste trop vif pour être naturel. Son manteau glissa de ses genoux et tomba au sol sans qu’elle ne s’en aperçoive. Ses mains tremblaient lorsqu’elle tendit la lettre vers lui. Comme si le parchemin était brûlant, comme si ce simple morceau de peau tanné pouvait la brûler vive. Ned s’arrêta net. Il vit sa pâleur. Il vit la peur dans ses yeux. Alors, lentement, comme on approche un animal blessé, il prit la lettre. Il lut. En silence. La flamme de la bougie, posée sur la table, découpait son visage en ombres et en reliefs durs. Chaque ligne parcourue ajoutait un poids invisible à ses épaules. La crispation de sa mâchoire, à peine perceptible, devint un sillon. Une ride sur son front semblait s’être creusée sous ses yeux même. À mesure que ses yeux glissaient sur les mots de Lysa, son regard changea. Il devint plus sombre. Plus lourd. Plus dangereux. Son souffle se fit lent. Profond. Comme s’il essayait d’empêcher son cœur d’étreindre trop fort sa poitrine. Quand il finit, il ne bougea pas. Il resta immobile, la lettre suspendue entre ses doigts, comme s’il pesait le monde entier au creux de sa paume. Puis, lentement, il replia le parchemin. Une fois. Deux fois. Chaque pli résonnait comme un jugement. Il leva enfin les yeux vers Catelyn. Elle sut. Avant même qu’il ne parle. Elle sut.

« Je partirai avec le roi. »


Sa voix n’était ni dure, ni froide, ni résignée. Elle était calme. Trop calme. Le calme d’un homme qui sait que la route devant lui n’apportera que souffrance… et qui s’y engage malgré tout. Quelques mots. Quelques mots simples, petits, presque inaudibles… Et pourtant aussi lourds qu’un verdict. Ils tombèrent dans l’air glacé de la chambre comme un couperet. Un destin. Une promesse. Un serment qu’il n’avait jamais voulu prononcer. Mais auquel il ne pouvait échapper. Catelyn sentit son cœur se serrer si fort qu’elle crut un instant manquer d’air. La pièce sembla se refermer autour d’eux. Elle posa instinctivement une main sur la table pour rester debout. Car elle comprit. Ce choix… Ce départ… scellait l’avenir de leur famille. Et au-dessus d’eux, invisible mais déjà présent, l’hiver étendait son ombre.





La tour était silencieuse, seulement troublée par les gémissements du vent qui s’infiltrait entre les pierres anciennes. Jaime Lannister referma la porte derrière lui, le visage fermé, les épaules lourdes de fatigue. Il savait déjà que Cersei l’attendait. Elle était là, dos tourné à la fenêtre, drapée dans un manteau d’ombre, ses yeux verts brillants comme des lames.

« Tu as mis du temps », lâcha-t-elle d’une voix froide.


Jaime serra les dents.

« J’avais des obligations. Contrairement à toi, je ne passe pas mes journées à fantasmer sur un futur que tu détruis à chaque respiration. »


Elle se retourna, furieuse.

« Nos enfants doivent être protégés, Jaime ! Et la seule façon de garantir leur avenir, c’est d’en donner d’autres au royaume ! À moi ! Alors couche avec moi et donne-moi un héritier, un vrai, pas les poupées blondes que Robert croit élever ! »


Jaime recula, dégoûté.

« Non. »


Cersei resta un instant immobile, figée comme si le mot ne voulait pas entrer dans son esprit.

« Qu’est-ce que tu viens de dire ? »

« J’ai dit non, Cersei. »


Sa voix tremblait légèrement, mais c’était une tremblote de colère, pas de peur.

« Je ne veux plus de ça. Plus de nous, cachés dans l’ombre comme des bêtes. Plus de tes ordres, de ta jalousie, de ta rage. Je ne veux plus être ton arme. »

« Tu es à moi, Jaime », siffla-t-elle. « Tu m’appartiens. Depuis toujours. »

« C’était vrai. » Il ferma les yeux un instant. « Mais ça… ce que nous sommes devenus… ce n’est plus de l’amour. C’est une prison. »


Elle trembla, mais de rage, pas de chagrin.

« Tu me refuses ? Moi ? Ta reine ? »

« Tu n’es pas ma reine. »


Un silence glacial. Puis un souffle. Un mouvement à peine perceptible derrière eux. Bran Stark. Accroupi dans l’embrasure étroite de la tour, juste à côté de la fenêtre ouverte. Les yeux agrandis par la stupeur. Une respiration inaudible. Il avait tout vu. Jaime tourna la tête et blêmit. Cersei pivota aussi, ses yeux devenant deux points de glace.

« Ce n’est qu’un enfant », souffla Jaime. « Il ne dira rien. »


Mais Cersei, elle, avait déjà compris que tout pouvait s’effondrer.

« Approche », murmura-t-elle.


Bran voulut reculer, mais la pierre derrière lui l’en empêchait. Jaime avança un pas.

« Cersei, ne fais pas ça. Il ne... »


Trop tard. Elle se jeta vers le garçon, ses mains saisissant ses épaules.

« Cersei, non ! »


Elle poussa. Un geste brusque. Froid. Précis. Bran cria. Un cri court, coupé par le vide qui l’avalait. Jaime parvint à saisir sa cape. Un battement de cœur mais la toile glissa entre ses doigts gantés. Il se pencha encore, manquant de basculer avec lui, mais le vide emporta l’enfant. Le monde sembla s’arrêter. Le souffle du vent. Le choc de la chute. Le silence après l’impact. Jaime se tourna lentement vers Cersei. Elle respirait fort, comme une bête sauvage. Ses cheveux étaient fous autour de son visage. Ses yeux brûlaient. Jaime la contempla comme s’il la voyait pour la première fois de sa vie.

« Tu as été beaucoup trop loin, cette fois. »


Elle ouvrit la bouche, surprise. Jaime la repoussa. Doucement, mais avec un dégoût visible puis sortit de la tour en courant. Les escaliers semblaient interminables, mais il les dévala à toute vitesse, sa cape fouettant la pierre. Il atteignit la cour. Bran gisait sur le sol gelé, minuscule, brisé, immobile. Jaime s’agenouilla, les mains tremblantes.

« Bran ? Bran ! Hey ! À l’aide ! Quelqu’un ! Venez ! »


Des voix s’élevèrent. Des pas précipités. Des bras tendus. Jaime ne lâcha pas le garçon. Il n’avait jamais eu l’air si jeune, ni si mortel. Quand Robb arriva en premier, essoufflé, paniqué, Jaime releva la tête. Son visage s’était refermé comme une tombe.

« Je… je l’ai trouvé comme ça », dit-il d’une voix rauque. « Je n’ai rien vu. Rien. »


Ses doigts se crispèrent sur le sol. Ce n’était pas un mensonge. Pas vraiment. Il n’avait plus rien vu d’autre dans sa vie que la chute de cet enfant.





La pluie tombait dru sur le Nord lorsque Elya Arden aperçut enfin les murailles sombres de Winterfell. Une pluie froide, lourde, sauvage, qui giflait son visage déjà brûlant de fièvre. Chaque goutte semblait s’écraser contre sa peau comme un tesson de glace. Elle tenait encore en selle, par miracle. Ou par pure volonté. Son destrier, trempé jusqu’aux os, avançait au pas, sentant le poids vacillant de sa cavalière. La tête d’Elya se mettait à tourner à chaque respiration. Sa vision ondulait. Les murs de Winterfell se dédoublaient, se brouillaient, se confondaient avec le gris du ciel. La blessure à son flanc, mal refermée, pulsait d’une chaleur malsaine. Le bandage détrempé avait viré au brun rougeâtre. L’odeur métallique du sang se mêlait à celle de la pluie et de la terre. La fièvre montait depuis l’aube, tapie sous sa peau, alourdissant ses membres jusqu’à les rendre presque étrangers. Elle franchit la grande porte au milieu du tumulte. Des serviteurs criaient. Des gardes couraient. Des chevaux s’agitaient. Une tension palpable vibrait dans chaque pierre du château.

« Le jeune Bran Stark est tombé ! »

« Une chute terrible ! »

« On ne sait pas s’il vivra ! »


Les mots flottaient dans l’air, se mêlant à la pluie. Elya les entendit à peine. Ils traversèrent son esprit comme à travers un voile tremblant. Le monde basculait doucement… comme si le sol cherchait à lui échapper. Elle sentit son cheval s’arrêter. Ses doigts glissèrent des rênes. Elle essaya de descendre. Ou peut-être tomba-t-elle, elle-même n’aurait pu le dire. Ses jambes cédèrent sous elle. Le sol se rapprocha. Un vertige violent. Une bouffée de fièvre. Ses yeux se fermèrent à moitié. Elle chuta. Mais elle ne toucha jamais la terre. Deux bras la rattrapèrent, fermes, chauds malgré la pluie glacée. Une étreinte inattendue, mais sûre. Solide comme la pierre. Lente, contrôlée, presque douce malgré l’urgence. Une voix. Grave. Rauque. Proche.

« Hé… doucement. Je te tiens. »


Elya ouvrit les yeux. Et elle les vit. Deux yeux sombres. Profonds. Une tempête silencieuse. Le visage d’un jeune homme penché sur elle, trempé de pluie, les mèches collées à ses tempes, la mâchoire contractée par l’inquiétude. Jon Snow. Leurs regards se heurtaient pour la toute première fois. Un instant que la pluie n’avait pas le pouvoir d’effacer. Un instant suspendu, fragile, impossible à oublier. Elya sentit son cœur battre contre sa poitrine. Trop vite, trop fort. Était-ce la fièvre ? La chute ? Ou ce garçon-là ? Elle n’eut pas le temps d’y penser. Une nouvelle vague de vertige la submergea. Sa main chercha un appui, trouva le cuir froid de l’avant-bras de Jon. Il resserra aussitôt sa prise, comme si elle risquait de se briser.

« Tu es blessée, » murmura-t-il, le regard glissant vers la tache sombre à son flanc. « Tu dois voir Mestre Luwin. Maintenant. »


Elle voulut répondre. Dire son nom. Dire qu’elle n’était pas… qu’elle ne devait pas… Rien ne sortit. Juste un souffle. Un murmure de douleur. Jon passa son bras autour de sa taille pour la soutenir. Sans hésitation. Sans peur. Sans jugement. Elya ferma un instant les yeux. La pluie tombait sur eux comme une bénédiction ou comme un avertissement.

« Winterfell… » pensa-t-elle.


Le lieu où tout pouvait changer. Le lieu où son refuge pourrait devenir sa perte. Ou, peut-être… son salut. Et tout commença par ce premier regard et par ces bras qui ne la laissèrent pas tomber.





La pluie continuait de tomber sur Winterfell, fine et glacée, comme un voile funèbre déposé sur les vieilles pierres. Les serviteurs couraient encore, des torches passaient en taches de lumière dans les couloirs, et quelque part dans une chambre haute, Bran Stark luttait entre la vie et la mort. Au cœur de ce chaos silencieux, Jon Snow franchit le seuil de la petite salle de soins attenante aux appartements de Mestre Luwin, une pièce étroite où s’entassaient des herbiers séchés, des bols de céramique et des rouleaux de parchemin. Il portait Elya Arden dans ses bras. Elle ne pesait presque rien. Juste une chaleur brûlante, un souffle fragile, une vie qui tenait à un fil. La porte de bois grinça en se refermant derrière lui. Mestre Luwin releva brusquement la tête, les sourcils froncés, les mains encore tachées de baume. Il semblait épuisé, vieilli de plusieurs années par l’état de Bran.

« Par les anciens dieux… » murmura-t-il en voyant la jeune fille. « Pose-la ici, vite. »


Il désigna une couche simple, couverte d’un drap propre, dans un coin de la pièce. Jon obéit sans un mot, déposant Elya avec une douceur qu’il ne s’expliqua pas. Lorsque ses bras se détachèrent d’elle, un frisson étrange passa sur son visage, comme si quelque chose… manquait. Elya gémit faiblement lorsque le mestre pressa son flanc. La plaie s’était rouverte. La fièvre la dévorait.

« Elle aurait pu mourir en chemin, » murmura Luwin. « Cette jeune fille a une volonté rare. »


Jon resta là, immobile, trempé jusqu’aux os. Il fixait ce visage inconnu. Ces traits fiers malgré la douleur. Ces paupières lourdes qui frémissaient sous les secousses de la fièvre. Cette mèche noire collée à sa joue. Il ne savait rien d’elle. Ni son nom. Ni d’où elle venait. Ni ce qu’elle fuyait. Mais il avait senti, en la rattrapant, quelque chose qui lui échappait totalement. Un fil. Une tension. Un murmure. Luwin approcha une bassine d’eau chaude. Catelyn entra dans la pièce, le visage encore marqué par les larmes et la peur pour Bran. Son regard se posa sur Elya. Une inconnue. Blessée. En sang. Recueillie au même moment où son fils luttait pour vivre. La méfiance passa dans ses yeux. Instinctive. De mère. De femme du Nord.

« Qui est-elle ? »


Jon ouvrit la bouche. Hésita. Son regard retomba sur Elya.

« Je… je ne sais pas. »


Un murmure. Presque une confession.

« Mais elle avait besoin d’aide. »


Catelyn ne répondit pas. Mais son regard à lui ne se brisa pas. Il resta entier. Fier. Droit. Luwin prit la parole :

« Je ferai ce que je peux. Sortez, tous les deux. »


Jon recula. Encore un regard vers elle. Un regard de trop. Ou juste assez. Puis il sortit.





Dans la cour, le vent s’engouffrait entre les remparts comme une bête affamée. Il mugissait, tordait les flammes, faisait claquer les bannières du loup-géant d’un geste brutal. La pluie s’était changée en une bruine froide, insistante, implacable, qui s’infiltrait sous les manteaux et collait les cheveux aux tempes. Les torches vacillaient, leurs flammes dévorées peu à peu par l’averse. La pierre sombre des pavés brillait de reflets d’acier. Winterfell semblait un coffre de fer battu par la tempête. Jon Snow s’arrêta au milieu de la cour. Seul. Trempé jusqu’aux os. Il leva les yeux vers la tour où Bran Stark gisait, entre vie et mort. Puis vers la porte de la petite salle de Mestre Luwin, derrière laquelle brûlait la fièvre d’une étrangère arrivée du bout du monde. Il inspira lentement, comme pour s’ancrer à la terre, et ferma les yeux. Le vent frappa son visage d’une gifle glacée. Winterfell retenait son souffle.





Dans la pièce de soins, l’odeur âcre des herbes chauffées flottait dans l’air. La pluie frappait faiblement contre les vitraux opaques, rendant l’atmosphère encore plus close, plus lourde. Elya bougea. À peine. Un frémissement de plume sur un drap. Ses cils battirent dans un rêve qui n’en était plus un. Un soupir s’échappa de ses lèvres. Un tremblement secoua sa gorge. Puis, dans un souffle rauque, étranglé par la fièvre :

« …Varak… »


Mestre Luwin se figea. Le scalpel entre ses doigts glissa presque. Son cœur manqua un battement. Ce nom… Ce n’était pas un nom de Westeros. Ni d’aucune contrée qu’il connaissait. Il vibrait comme un mot ancien, oublié, dangereux. Quelque chose né loin au-delà des mers, dans des ombres que même les mestres craignaient d’étudier. La torche vacilla sans raison, lançant des ombres dansantes sur les murs de pierre.





Au-dessus des remparts, un corbeau noir s’envola brusquement, dérangé par une rafale. Ses ailes battirent contre la pluie, traçant une courbe sombre dans le ciel nocturne. Il poussa un cri. Perçant. Solitaire. Un cri qui fendit l’obscurité comme un présage. Un avertissement. Un souffle du destin. Une menace portée par le vent du Nord.

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