Beauty and The Hound / La Belle et le Limier

Chapitre 15

1592 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/11/2016 01:23

            Je me sentais bête. Terriblement bête. Je lui avais fait confiance. Mais que valait la confiance d'un homme que l'on ne connaissait pas ? Je tombai à genoux, le souffle coupé. Il en avait profité pour partir… Des larmes silencieuses coulaient sur mes joues. Je hurlai en tapant du poing sur le sol, à bout de forces. J'avais vendu Khor, mon étalon, mon ami, pour offrir une armure à ce chien qui n'en valait pas la peine. Tous mes espoirs étaient réduits à néant. Je n'avais plus rien. Plus rien à part ce chariot rempli de cuirasse, heaume et épaulières bien trop grands pour moi et d'une épée que je peinais à soulever.

            Jamais je ne reverrais mon père. Et les hommes de la Montagne qui rôdaient sur la Route Royale… Combien de temps passerait avant qu'ils ne mettent la main sur moi ? Je pleurais, criant mon désespoir entre deux sanglots, quand je sentis une main sur mon épaule. Je me tournai vivement, rampant sur les fesses jusqu'à un arbre. Il était là. Je sentis un élan de soulagement envahir la moindre parcelle de mon corps. Il était revenu… Mes larmes redoublèrent d'intensité. J'étais rassurée.

            J'essuyais mes yeux qui ne cessaient de pleurer, sous le regard incompréhensif du Limier. "Qu'est-ce que t'as ?". Sa voix froide me paraissait tellement chaude à ce moment. Je baissai la tête, toujours en sanglotant, et il expliqua :

  • J'ai attendu, jusqu'à ce que je juge le temps trop long.
  • Je vous avais demandé de rester ici, pleurai-je.
  • Où est ton cheval ?

            Je pointai du doigt le sac dans le chariot et il plissa les yeux sans comprendre. Repenser à Khor me fendit à nouveau le cœur. Il ouvrit la toile et me regarda, surpris. "C'est une armure…", expliquai-je, vide de toute énergie. "C'est pour vous. Une armure blanche. On va tuer la Montagne avec elle…". Je divaguais complètement… Tout tournait autour de moi et je peinais à me concentrer sur le Limier qui me faisait face.

  • Tu as vendu ton cheval pour ça ?
  • Ne dites pas cela de cette façon ! criai-je en pleurs. Vous allez me faire regretter !
  • J'avais déjà une armure !
  • Celle-ci est blanche !
  • Qu'elle soit blanche, noire, rouge ou dorée, rien ne change ! C'est l'homme à l'intérieur qui importe !
  • Vous vous trompez ! Cette armure, vous allez la porter tous les jours. Jamais elle ne devra être tâchée du sang d'innocent. Cette armure, c'est l'armure du chevalier blanc, celui qui défendra les pauvres paysans, qui sera invincible, qui fera parler de lui. Bientôt le petit peuple le nommera dans ses contes et chansons, contes et chansons qui arriveront jusqu'à Port Real. La particularité de ce chevalier blanc ? Personne n'a jamais vu son visage. Il a juste une gamine qui l'accompagne. La fille d'un éleveur de chevaux sans histoire, tout à fait banale. Et une fois que la réputation du chevalier blanc aura atteint la Reine, elle le fera mendier auprès d'elle pour qu'il la protège. Ainsi, jours après jours, le chevalier aura atteint sa confiance, et bientôt il pourra se promener dans l'ensemble du Donjon Rouge, jusque dans la salle où séjourne son frère mourant. Et là… vous pourrez le tuer…

            Je pus déceler une lueur étrange dans son regard. La reconnaissance peut-être. Il s'accroupit brusquement devant moi, si violemment que je crus qu'il allait me frapper. Je cachai mon visage de mes bras, mais sentis une main lourde se poser sur ma tête. Je baissai ma garde pendant qu'il me caressait les cheveux du bout des doigts. "Tu es un bien étrange Petit Oiseau.". Je ravalai un sanglot en baissant les yeux, exténuée. "Nous aurions pu en voler une, d'armure, et ainsi tu aurais gardé ton cheval.". Je fis non de la tête, et murmurai :

  • Cette armure, on l'a obtenu de manière loyale. Pas de vol. Pas de meurtre. Je vous aurai été au moins utile dans cette aventure, moi qui ne sais ni me battre, ni me défendre. Peut-être accepterez-vous d'ôter l'idée de me tuer grâce à cela.

            Il garda sa main sur ma tête, sans un mot. Je relevai les yeux vers lui, et proposai : "On pourrait manger dans une auberge, pour une fois… Je pourrai revendre mon anneau, il nous paiera peut-être le repas.". Je lui montrai ledit anneau à mon cou et il fronça les sourcils en le regardant.

  • Où as-tu eu ça, Petit Oiseau ? grommela-t-il en le tenant entre ses doigts.
  • Ma mère me l'a donné à ma naissance. Pourquoi ?
  • C'est de l'acier valyrien.
  • Ah bon ? m'exclamai-je, surprise.
  • Ne le montre à personne.

            Il souleva le col de ma chemise pour dissimuler l'anneau en dessous. Il me fixa avec un œil sceptique, légèrement méfiant. "Je suis juste une fille sans histoire…". Il se releva en fronçant les sourcils et grommela : "Ça c'est ce que tu crois…". Je fis de même. J'étais sans histoire. J'avais vécu toute ma vie dans une petite maison à l'écart de tout. J'avais le même passé que n'importe quelle gamine du Conflans. "Aide-moi à la mettre", dit-il en me montrant l'armure. "Le chevalier blanc va faire son entrée.". Je m'exécutai en souriant, sentant que notre plan devenait de plus en plus concret. Bientôt, le sang de la Montagne coulera de son épée.

            Nous arrivâmes à Ville-Harren à la tombée de la nuit. "N'oubliez pas, le chevalier blanc ne montre pas son visage. Si jamais on vous reconnait, je ne donnerai pas cher de notre peau.". Il acquiesça et se redressa. L'armure lui allait comme un gant, comme si elle avait été faite pour lui. Nous l'avions astiqué à la pierre blanche, la rendant immaculée. C'était incroyable, personne ne pourrait se douter que le Limier était à l'intérieur.

            Les gardes de la Montagne étaient moins nombreux, c'était plaisant, je me sentais davantage chez moi. On entra dans le petit village, pas très chaleureux. Le Limier fit avancer Laya jusqu'à l'auberge, et il descendit de la jument avant de m'aider à mettre un pied à terre en me portant par la taille. Il poussa la porte de la tanière et me fit entrer. Être soldat à Port Real lui avait appris les manières des chevaliers, le rôle lui allait comme un gant et pourtant il ne voulait pas qu'on le compare ainsi.

            Il y avait des hommes partout, bruyants, ivres morts. Je me faufilai jusqu'à une table dans le fond de la salle, pas très rassurée. L'endroit sentait la bière, le vomit, l'urine… En espérant que les chambres soient d'un meilleur état. "Et voilà la huitième !". Je relevai la tête vers un homme brun à la barbe mal rasée et aux yeux bleus clairs. Il avait deux femmes sur ses genoux, et expliqua à ses amis aussi saouls que lui : "Dans le temps, on disait que l'on ne devenait un homme que lorsqu'on avait baisé une fille de chacun des sept royaumes et une fille du Conflans. On avait fait le tour des huit. Tu es du Conflans n'est-ce pas ?". Il leva sa choppe dans ma direction avec un rictus amusé. J'ignorai sa question, portant mon attention sur le Limier qui s'installa devant moi sans un mot.

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