La cour des grands

Chapitre 25 : Mitor

1597 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 05/03/2017 20:46



Mitor



Mitor marchait à ce moment-là dans les rues abondantes de Lys. Il prenait la direction de la place du marché, sans pour autant en savoir la raison. Les visages des passants semblaient vides et dénués d'émotions ou de sentiments. Chacun était apparemment dans le même esprit que Mitor. Ils marchaient à l'aveuglette, sans raison aucune, et ne réfléchissant nullement à connaître leur destination, si tant est qu'il y en ai une. L'esclave de Rasar arriva au centre de la place. Il cligna de l’œil un instant puis le bruit ambiant des voix des passants s'éteignirent. En un instant, chacun s'était éloigné du centre et fixait Mitor comme une bête de foire. Il regarda tout autour de lui et vit son vieil ami Izzir, à deux pas de lui. Celui-ci avait le visage pâle et les yeux vides. Il murmurait lentement d'une voix tremblante : «Les Hommes sont des êtres impurs et barbares, Mitor. La pitié leur est inconnue et leur âme est inexistante. Rappelle-toi de ce jour qui confirme ces phrases. Celui où j'ai subi la cruauté des Hommes». Tout à coup, une ombre colossale apparut derrière l'esclave de Vezel. Brandissant un fouet, l'ombre martela le dos de celui-ci qui s'écroula au sol, suivi de gémissement à peine audible. Mitor voulut intervenir mais la main de Rasar, qui venait d'apparaître à ses côtés et regardant la scène de torture de son air froid habituel, le retenait par l'épaule.


-Laisse-faire le destin, Mitor. Disait-il. Personne n'y échappe, encore moins un esclave.


-Mais c'est mon ami ! Hurla Mitor qui se débattait. Je me dois de le sauver ! Je ne veux pas regarder sa mort une nouvelle fois.


-Alors tires-en une leçon. Voit ton ami souffrir encore et laisse la haine te guider. C'est ce qui te permettra plus tard de te venger sur le monde.


Le sang d'Izzir coulait sur le sol et ses gémissement augmentèrent de volume jusqu'à en faire hurler Mitor.


Il se réveilla alors en sursaut sur son lit de paille et couvert de sueur, dans sa chambre sans fenêtre. Il s'essuya le visage de sa fine couverture et regarda vers sa porte entrouverte. Rasar le fixait de ses yeux perçants et hautains. Il ouvrit plus encore la porte et lança :


-Tu as de la chance que ce cauchemar-ci soit arrivé plus tardivement que les autres ou je t'aurais encore privé de manger. Prépare-toi. C'est bientôt l'heure de ton entraînement.


Il s'éloigna en direction de la cuisine grignoter une poire des Îles d'Étés et laissa Mitor dans la pénombre. Ce dernier se leva et s'habilla de ses vêtements en haillons, le regard aussi vide que celui d'Izzir dans son rêve. Cela faisait plus d'un mois que son ami était mort, ainsi que son maître Vezel, quelques jours avant lui. Vezel avait été assassiné dans une rue, par des hommes masqués. Izzir avait été attrapé sur les lieux du crime et il subit une exécution publique au centre de la place du marché, entouré par une grande partie de la population de Lys. Et le souvenir de ce triste jour lui revenait sans cesse. Chacun de ses cauchemars le laissaient perdu et désorienté. Mitor avaient l'impression que, depuis quelques jours, il en faisait de plus en plus, chacun plus intense que le précédent. Il s'habilla donc et partit, le plus lucidement possible, rejoindre son maître. Il prît un bout de pain et s'en alla se débarbouiller d'eau pour lui faire reprendre le contrôle de son esprit. À peine eût-il le temps d'être totalement remis sur pied que Rasar l'appela dans la cour, devenue leur lieu d'entraînement.


Cela faisait presque un mois que Mitor s'entraînait avec son maître. Il avait apprit les rudiments du combat, les différentes techniques d'esquives, d'attaques et de défenses et sut même tirer partie de certains avantages qui lui était dû comme sa petite taille et sa minceur. N'ayant que quatorze ans, il pouvait facilement abuser d'une certaine rapidité et de légèreté qui lui permettait d'imaginer ses propres techniques. Néanmoins, même s'il arrivait à lui asséner quelques coups, Mitor ne réussissait jamais à mettre à terre Rasar qui s'était avéré être un talentueux guerrier. Très habile pour son âge et très rapide, il était difficile de le toucher.


Leur entraînement était long et accablant sous le soleil frappant qui s'élevait au-dessus de Lys. Pendant longtemps, Mitor s'entraînait sans savoir exactement la raison de sa formation, à part le fait qu'il allait être la cause principale d'un assassinat. Un jour, Rasar refit lire la lettre qu'il avait reçu un mois plus tôt à son esclave et lui expliqua l'enjeu qu'il y avait derrière.


-Depuis deux milles ans, deux sectes secrètes s'affrontent dans l'ombre. Chacune défendant ses idéaux et voulant nuire à l'autre. Les Partisans se disent être pour la paix. Ils veulent supprimer tous les puissants de ce monde et faire en sorte que chacun naissent libres et égaux. Certes, cette idée semble attirante moralement parlant. Seulement, la paix ne sera jamais acquise ainsi. Leurs idées ne sont pas assez efficaces. Alors que les Chasseurs, eux, veulent tout détruire pour recommencer à zéro. Les puissants, les faibles, la royauté, le commerce et tout le reste. Cette idée fait peur à voir et personne ne songe un instant à un monde pareil. Cependant, tout détruire signifie revenir à l'état primitif de l'Homme. L'être pur qu'il était bien avant la conquête des Premiers Hommes sur Westeros et l'existence des Autres et des Enfants de la Forêt. Cela permettrait de ramener la paix et de reconstruire une société nouvelle. Supprimer l'égoïsme et surtout la barbarie de l'Homme comme celle qu'a subit ton ami. Voilà le véritable but de notre organisation. Les Partisans refusent de croire à cette idée car l'Homme en lui-même a peur du changement. Il aime se complaire dans sa société nauséabonde. Chacun de ces groupes aimeraient un jour atteindre leur objectif mais est gêné par l'autre. Aujourd'hui, la majeure partie des membres des Chasseurs et des Partisans s'affrontent autour des cités libres et esclavagistes. Cette lettre et la mission qui en résulte et dont tu en seras le sujet principal permettra d'éradiquer une bonne fois pour toute ces chiens de Partisans hors de Lys. Tu comprends, maintenant ?


Mitor avait réfléchi un instant pour bien comprendre la situation. Il s'était alors souvenu du récit du meurtre de Vezel par Izzir, la veille de son exécution.


-Maître Vezel n'était-il pas un Partisan ? Avait-il demandé. Et vous n'étiez pas de son côté le soir où vous avez pris votre dernier repas en sa compagnie ?


-C'est vrai. Avait-il affirmé. Je n'ai, par contre, jamais été de son côté. Je servais en tant qu'agent double pour récolter des informations sur son organisation.


-Mais alors, le meurtre de Vezel, était-ce de votre fait et des Chasseurs ?


-Cesse de dire des sottises, idiot. Ton ami n'a été que le témoin d'un attentat contre son maître, rien de plus.


-Alors pourquoi n'avez-vous pas défendu Izzir avant sa mort s'il n'avait aucun lien avec cette guerre de l'ombre ? Il aurait pût nous aider !


Sa voix était devenu plus tremblante et ponctuée d'un ton de reproche. Il remarqua tout de même que c'était la première fois qu'il haussait ainsi le ton devant son maître.


-Tais-toi, imbécile ! S'était exclamé Rasar. Assez discuté. L'émissaire des Partisans attend que tu lui tranches la tête.


Mitor était toujours indécis face à cette histoire mais il avait apprit à la mettre de côté dans son esprit pour y réfléchir chaque nuit. Les idées des deux organisations étaient claires. C'était la paix au prix fort pour chacune d'elles. Difficile pour lui de se faire une opinion et de se positionner dans cette guerre de l'ombre. De toute manière, il était obligé de faire partie des Chasseurs, sachant la mission qui l'attendait.


Cela faisait donc un mois que son entraînement avait débuté et il ne savait pas quand aurait lieu l'assassinat de l'émissaire. À la fin d'un de ses entraînements, Rasar lui annonça alors :


-Tu est bientôt prêt, je pense. Je vais te faire passer une mission secondaire pour en avoir le cœur net. Tu vas devoir assassiner une cible que je te choisirais demain et nous verrons comment tu t'en sors. Prépare-toi à tuer, Mitor. Tu vas en avoir besoin.


Mitor se rendit compte alors que la peur commençait à le guetter. Allait-il y arriver ? En serait-il au moins capable d'ôter la vie à une personne ? Il avait cependant trouver le moyen de se convaincre de son succès. Et ce moyen, c'est celui de penser que chaque âme exterminée serait un pas de plus vers l'éradication de la barbarie humaine qu'a subi Izzir. Son ami qui resterait à jamais dans son cœur et où le souvenir de son exécution reviendrait dans son esprit ainsi que ses gémissements, son sang qui coulait sur le sol et les coups de fouet qui martelaient son dos fragile. Son ami qu'il n'oubliera pas. Son ami qu'il vengera.

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