La cour des grands

Chapitre 27 : Mitor

2873 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 02/04/2017 08:25


Mitor



Ses rêves s'étaient grandement estompés depuis que Rasar lui avait annoncé qu'il allait devoir assassiner quelqu'un très bientôt. Et ses mêmes rêves avaient été remplacés par la peur, l'angoisse. Il était à la fois effrayé à l'idée d'échouer dans sa mission mais aussi dans celle d'ôter la vie à une personne qui ne le mériterait peut-être pas. Mitor s'était, ce matin-là, réveillé plus tôt qu'à l'heure actuelle car son sommeil était perturbé par ses pensées. Il prépara son petit-déjeuner auquel il s'autorisa d'en choisir un plus copieux que d'habitude, sachant que son maître dormait encore. Il prît donc plusieurs fruits avant de s'asperger le visage d'eau dans une petite source accrochée à un mur de l'extérieur. Il empoigna son épée d'entraînement, laissée sur la terrasse, et rentra en duel face à un ennemi imaginaire, pensant à la manière dont il accomplirait sa mission et avec quel arme. Il se demandait aussi qui serait sa cible. Il pensait à un riche marchand ambitieux, puis à un fonctionnaire en voyage, puis encore après à un simple voyageur visitant les rues de la cité de Lys. Mais sa pensée fut vite remplacée par un autre genre de cible. Et si Rasar lui avait choisit de tuer un esclave ? Quelqu'un qui n'avait rien fait de mal pour être la proie d'un meurtrier. Mitor frissonna à l'idée de devoir tuer un de ses confrères. Il imaginait le visage effrayé de sa victime au regard épouvanté face à la mort et se forçait à tuer sa futur cible. Son but était de forcer sa pitié à disparaître de sa personne, du moins le temps de sa mission et ce but lui sembla très dur à réaliser. À chaque fois qu'il imaginait sa victime, il ne réussissait pas à se forcer de le tuer. Il s'imaginait avec une épée semblable à celle qu'il avait pour son entraînement ou avec une masse, un marteau et plein d'autres armes possibles qu'il pouvait utiliser pour tenter de l'assassiner. Et aucune ne faisait effet. La peur de l'échec sembla grandir en lui. Que se passerait-il s'il échouait dans sa mission ? Rasar le punirait peut-être de la façon la plus violente qui soit. Ou alors la cible elle-même pourrait se défendre et finir par le tuer. Cette dernière pensée eut pour effet de le motiver dans son entraînement. Il ne devait pas penser à l'échec.


Après un temps, il prit une pause et alla boire à la source. Il vit alors, sur le rebord de cette source, une dague. Elle était étincelante et Mitor pouvait voir son visage sur la lame. La poignée était faite d'un bois brut et la lame était très aiguisée comme le remarqua Mitor en la prenant délicatement pour se regarder dans son reflet. Il entendit un bruit derrière lui et fit tomber malencontreusement la dague par terre. Il se retourna et vit Rasar adossé à un mur.


-Voici ton arme avec lequel tu iras tué ta première cible, Mitor. Annonça-t-il. Prends-en soin et utilise-la à bon escient.


-Bien, maître. Répondit Mitor en ramassant la dague. Connaissez-vous l'identité de ma cible ?


-Oui, j'ai trouvé quelqu'un pour toi. Il s'appelle Alfred Mortimer. C'est un navigateur qui vend ses marchandises à travers les cités libres et esclavagistes. C'était un ami de Vezel et c'est un agent qui permet de faire communiquer les différents quartiers généraux des Partisans entre eux. Cette cible est facile puisqu'il est souvent seul mais il traîne souvent dans des lieux publics alors fait en sorte de le tuer dans un endroit clos, compris ?


-Oui, maître Rasar. Répondit Mitor, soulagé que sa cible ne soit pas un esclave.


Mitor s'entraîna alors quelque temps avec son maître au maniement de la dague avant de manger et de partir accomplir sa quête. Il ne s'en cachait pas. Il stressait beaucoup et Rasar l'engueula plusieurs fois à cause de ses multiples tremblements qui parcouraient son corps. Il fut lâché alors en plein cœur de la ville et chercha sa cible qui devait traîner non-loin du port. Mitor avait caché sa dague dans son haillon et il sentait la dague froide qui touchait son corps. À chaque pas qu'il faisait, le stress et la peur montait en lui. Il dût à un moment prendre une pause dans ses recherches et s'accroupir dans l'ombre d'un mur. Il remarquait alors qu'il transpirait sur tout son corps et sortit la dague discrètement pour constater son visage effrayé dans le reflet de la lame. Il allait devoir tuer quelqu'un. C'était un fait auquel il ne pouvait plus échapper. Il pensa à fuir de la ville le plus loin possible mais il savait les risques qu'il encourrait. Son maître risquerait de le battre, de le torturer voir même, de le tuer. Il ne pouvait se le permettre. Même si plusieurs fois, il avait pensé à mettre fin à ses jours, il était persuadé que sa vie l’emmènerait ailleurs un jour. Et aujourd'hui, c'était le cas. Il avait quitté son malheureux quotidien d'esclave mais jamais il n'aurait imaginé que sa vie tournerait en ce sens-là. D'esclave, il allait devenir dans les quelques minutes qui viennent, un assassin à la solde d'une organisation secrète, plongée dans une guerre de l'ombre millénaire. Et Mitor venait juste de se rendre compte dans quel champ de bataille il venait de faire le premier pas en regardant sa dague. Il resta longtemps dans l'ombre avant de se lever enfin de sa cachette et il rangea sa dague. Il respira profondément et se remit en route.


Il ne mit pas longtemps avant d'atteindre le port et s'assit sur un muret pour voir lequel d'entre eux pouvait être sa cible, le capitaine Alfred Mortimer. D'après les informations données par son maître, ce dernier posséderait un bateau du nom de «Loup des mers», nom proposé par Vezel en référence au surnom de celui-ci. Il descendit de son muret et chercha le navire marchand de sa cible. À son grand désespoir, il ne le trouvait pas. N'était-il pas là ? Pourtant, Rasar lui avait affirmé qu'il devait accoster ce matin même. Il remarqua alors qu'il avait oublié un détail essentiel. Un navire n'est généralement pas accosté au port mais jette les amarres en pleine mer et atterrir par la suite en barque sur l'île. Il prît alors une longue-vue posé sur des tonneaux près de lui et chercha parmi les navires qui étaient visibles à l'horizon. Après s'être habituer à utiliser l'engin qu'il manipulait pour la première fois, il vit enfin un navire dont les voiles représentait un loup bleu et d'où le nom apparaissait en gros sur la coque. Il reposa la longue-vue et se faufila parmi la foule pour prendre le plus discrètement possible une des multiples barques qui étaient attachées par une corde à un pieu en bois. Il attendit alors qu'aucun regard environnant ne le voyait pour s'agripper aux fondations du pont pour que personne ne le remarque. Il fit attention de ne pas tomber car il ne savait pas nager et approcha délicatement d'un pieu pour y détacher une corde. Une fois la corde déficeler, il sauta dans la chaloupe et y monta furtivement. Il regarda les passants sur le pont pour vérifier si personne ne l'avait vu et, malheureusement, un homme en tenue de marin couru vers lui. Il se cacha alors sous des draps et des filets de pêche et attendit que le danger passe. Il entendit quelqu'un plonger et sentir une main agripper le rebord de la barque.


-Putain de merde ! Pourquoi cette foutue corde s'est détacher ?! J'ai dû mal l'attacher.


Mitor soupira en constatant qu'il n'avait pas été vu en flagrant délit de vol et continua à attendre. Il sentit l'homme s'asseoir et prendre les rames pour naviguer. Mitor ne pouvait plus reculer et il attendit que l'homme arriva à destination. Avec un peu de chance, celui-ci l'amènerait sur le bon navire. Il réfléchit pendant le voyage clandestin à un plan pour pouvoir tuer Mortimer.


Lorsque la barque s'arrêta face à un navire, Mitor avait fini de fignoler son plan et attendit que la chaloupe soit montée dans l'embarcation. Il atterrit alors sur le pont et l'homme s'en alla en criant à l'équipage :


-Je vais voir not' capitaine. Laisser la barque comme elle est. Je m'en occuperai plus tard.


-D'accord Marc. Bon courage. Le capitaine pique la mouche depuis tout à l'heure. Répondit un des membres du navire.


-Quoi ?! Il fait encore une crise ? S'étonna Marc.


-Oui, encore une fois. Son deuil va passer, t'inquiètes pas.


Et Mitor entendit des pas s'éloigner. Discrètement, il jeta un regard sur le pont. Il vit deux marins discuter sur la proue en regardant l'horizon et un autre aller vers la poupe, sans doute celui qui parlait à Marc. Il vit d'ailleurs celui-ci entrer dans le bâtiment et constata donc que le pont était presque vide. Il savait qu'il n'aurait pas beaucoup d'occasions pour entrer sans être vu et sauta alors de la chaloupe et entra prudemment dans le navire. Il se servit des endroits les plus sombres ainsi que des tonneaux et des caisses pour se cacher de l'équipage. Rasar ne devait pas s'attendre à ce qu'il entre carrément dans le navire de la cible. Peut-être sera-t-il fier de son esclave, pour une fois ? Il descendit à ses risques et périls un escalier et alla le plus vite possible trouver refuge derrière un tonneau. Personne ne l'avait vu et il sentit que c'était la bonne occasion de se préparer à tuer en sortant sa dague. Il tremblait de tous ses membres et monta dans les longues étagères qui traversaient tout un couloir en se planquant et en rampant derrière les marchandises. Il entendit alors une voix grave dans une pièce non-loin de lui demander sous un ton hargneux :


-Que me veux-tu, Marc ? Je n'ai pas envie d'entendre ta voix. N'essaie pas de me répondre en fait.


-Mais attendez, capitaine. Je dois vous annoncer quelque chose. Répondit Marc qui possédait, lui, un ton nonchalant.


-Alors parle crétin ! Cria-t-il en tapant sur ce qui semblait être son bureau. Qu'attends-tu pour parler ?!


Le capitaine semblait fou. Mitor avançait petit à petit à travers les marchandises et parcouraient le long couloir le plus doucement possible pour ne faire aucun bruit. Il se demanda s'il était, en réalité, dans le bon navire. Si ce n'était pas le cas, il devrait faire demi-tour et tenter, avec les moyens qui se présenteront à lui, revenir au port et repartir sur le «Loup des mers».


-Le poissonnier Honfleur est tombée malade et il ne peut pas reprendre notre saumon pour cette fois. Il me dit de vous dire qu'il risquerait de ne plus en prendre car il sent la mort approcher. Informa Marc à son supérieur sous un ton désolé.


-J'avais un ami, il y a quelques temps, qui me prenait aussi du saumon. Commença le capitaine qui avait prit cette fois un ton totalement différent qui semblait dépressif et au bord des larmes. Il est mort, il y a de cela plusieurs semaines. Je vais finir par vendre mon saumon aux Autres si je continue à perdre mes clients.


Mitor s'arrêta en voyant un marin marcher dans le couloir. Celui-ci passa sans remarquer la présence de l'esclave et descendit dans la cale.


-Toutes mes condoléances, monsieur. Valar Morghulis. Dit Marc.


-Tais-toi donc, Marc. Tous les Hommes doivent mourir, je sais, mais ce n'est pas une raison pour sortir cette maudite réplique valyrienne à chaque fois que le monde comptabilise un cadavre en plus. Tu sais, le saumon, ce n'est qu'un triste poisson qui ne vit que pour mourir. Combien de fois j'ai vu des saumons former une montagne sur mon pont ? Avec leurs yeux globuleux et leurs écailles grises, parfois, j'ai pitié pour eux. C'est pareil pour les Hommes. Ils vivent pour mourir. Ça vit, ça meurt. Ça vit, ça meurt.


-Allez-vous bien, capitaine Mortimer ? Demanda Marc d'un ton inquiet.


Mitor eut un petit sourire en entendant le nom de sa cible.


-FERME TA GUEULE !!! S'égosilla Mortimer en se levant de sa chaise et en frappant encore une fois son bureau. Dégage et n'ose même plus venir me déranger !


Marc ne se fut pas attendre pour sortir du bureau de son supérieur et passa dans le couloir où se trouve Mitor tout en insultant Mortimer d'une voix basse et énervée. Mitor continua son avancé et atteignit la porte du bureau. Il regarda dans la serrure s'il pouvait entrer sans être vu et vit sa cible fixer ses pieds tout en serrant ses poings sur des papiers administratifs avec une telle force que le papier se déchirait. Mitor entra sans faire de bruit et se cacha devant son bureau. Mortimer n'était plus qu'à un seul mètre de lui et il entendait à présent sa forte respiration. Il serra sa dague et tenta de se placer sur le côté droit de son bureau. Le plancher craqua alors sous ses pieds et Mortimer releva la tête.


-Y'a quelqu'un ? Marc ?


Il tourna alors la tête vers le côté droit de son bureau et se leva pour aller voir. Mitor, en pleine panique, retourna sur ses pas et se plaça sur le côté gauche du bureau. Mortimer s'avança devant son bureau et regarda la pièce de tous les côtés. Il voulut retourner à sa place mais vit alors Mitor, debout sur son bureau, se jeter sur lui, dague en main. Il n'eut pas le temps de crier que la dague de son agresseur se colla à sa gorge et les deux hommes tombèrent sur le sol. Il comprit que le moindre mouvement ou bruit de sa part l'envoyait devant les Dieux et essaya de se calmer. Mitor, lui, tremblait et regrettait de ne pas l'avoir tué pile au moment où sa lame touchait son cou. En effet, il hésitait. Il fallait qu'il le tue. Il le devait et il le pouvait. Il n'avait plus le choix. Plus maintenant.


-S'il te plaît. Ne me tues pas. Je ne suis qu'un simple marchand. Implora Mortimer qui sanglotait de terreur.


-Tu es aussi un allié des Partisans. Je ne peux te laisser en vie. C'est mon ordre et je suis obligé de le faire. Expliqua Mitor qui forçait son esprit à détruire la pitié qu'il avait pour le capitaine.


-Je…Je disparaîtrait. Je ne servirai plus les Partisans et je vivrai en ermite dans un lieu isolé. S'il….S'il te plaît.


-Désolé, capitaine et marchand Alfred Mortimer dont je ne connais pas la vie. Valar Morghulis.


Mitor enfonça la lame dans le gosier de sa cible. Celui-ci cracha un jet de sang qui aspergea le visage de Mitor et ses bras s'écroulèrent sur le sol. Ses yeux étaient grands ouverts et fixaient son assassin dans un bain de larmes et de sang. Mitor resta quelques temps sur le corps immobile de Mortimer et, tout en pleurant et dans un excès de rage, leva sa dague et martela plusieurs fois le torse du cadavre. Le sang recouvrait tout son haillon ainsi que ses bras et son visage. Une grande flaque rouge s'étendait sur le sol et Mitor finit par se lever. Il empoignait toujours fermement sa dague et entendit des pas approcher. Il se plaça derrière la porte et, dès que Marc entra, lui planta sa lame sous le menton avec le bout de celle-ci qui dépassait un peu le haut de son crâne. Mitor prit ses vêtements, jeta les anciens à travers une fenêtre et sortit par celle-ci en s'agrippant sur ces rebords. Il escalada les planches de bois avec l'aide de sa dague et arriva sur le pont en prenant soin de rester furtif. Il vit un matelot regarder l'horizon et s'approcha discrètement derrière lui pour le planter dans le cœur. Le corps passa par dessus bord et il activa le mécanisme pour jeter la barque par-dessus bord. Il sauta dedans sans alerter les deux hommes qui discutaient sur la proue et navigua en direction de Lys. Il s'arrêta en plein chemin et regarda le navire au loin avec des yeux colériques. Il venait tout simplement de commettre un massacre et frappa sur les caisses de marchandises pour faire passer sa colère. Ce n'était pas fini. C'était encore loin d'être fini. Et à partir d'aujourd'hui, Mitor savait qu'il n'allait plus être la même personne et décida, pour réussir à assassiner ses prochaines cibles, à se souvenir des mots de la folie du capitaine Mortimer : Ça vit, ça meurt.


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