La cour des grands

Chapitre 29 : Mitor

2419 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 30/04/2017 22:21



Mitor



Deux semaines ont passés depuis le "Massacre du Loup des mers" comme tout le monde l'appelait dans toute la ville de Lys. Il faut dire que cette affaire a crée un réel remue-ménage parmi les habitants. Une enquête très sérieuse avait été commencé autour de ce massacre. Les survivants du navire, qui plaidaient leur innocence, ont été enfermé dans les geôles tandis que le pouvoir politique de la cité se décidait de leur sort. Les habitants pensaient tous que ces survivants étaient coupables et qu'ils essayaient de se camoufler en victime pour être innocenté. La ville était en émoi et des manifestations aux portes du palais se tenaient jour et nuit pour réclamer la tête des survivants. Voyant que l'enquête n'avançait à rien et les habitants qui manifestaient, le pouvoir esclavagiste décida alors d'organiser une exécution publique au centre de la place du marché, comme toutes les autres exécutions. Celle-ci verra les condamnés se faire écarteler, chacun des membres tirés par des chevaux. Le jour de l'exécution, il y avait deux fois plus de monde que lors de la dernière exécution publique, celui d'un esclave qui avait été accusé d'avoir tué son maître et qui a été exécuté par le supplice du fouet. Il y avait tellement de monde que les spectateurs se mettaient aux fenêtres et sur les toits des maisons environnantes. Le dresseur des chevaux préparait ses animaux en les faisant répéter les mouvements à faire tandis que tout le monde s'installait. Les cités esclavagistes, comme les cités libres et même les royaumes monarchiques de Westeros, avaient l'habitude de rendre les exécutions publiques pour divertir le peuple et à la fois lui faire peur. Et c'était une méthode qui marchait cruellement bien. Il y avait même des enfants qui assistaient à la scène et qui semblaient se languir des cris du condamné et du sang qui coulaient de leur corps. Lys ne faisait pas exception de ce genre d'événements mais elle n'avait pas de structures réservées seulement aux exécutions et étaient obligés de les organiser dans un lieu publique. C'est la raison pour laquelle le gouvernement a décidé de lancer des travaux pour en faire construire par des esclaves et par des architectes qualifiés car il s'était promis de réaliser les plus magnifiques exécutions du monde. Et voilà comment Mitor se rendit compte que les exécutions étaient devenus très commerciales. Tout cela, il venait de l'apprendre en écoutant d'autres spectateurs dans leur discussion et cela l'énervait de voir que la mort des prisonniers était devenu un divertissement et une méthode de financement.


Mais peu importe. Mitor n'était pas là pour se faire plaisir et se divertir des corps écartelés. Non. Son but était de se rassurer que ceux qu'il avait laissé en vie ne savait rien et ne risquait plus de dire quoi que ce soit sur son implication primordiale dans l'affaire de ce massacre. Massacre dont il se souvenait de chaque seconde. Sa cachette dans la barque, son abordage du navire, l'assassinat du capitaine Mortimer puis celui de ce Marc et d'un dernier marin avant sa fuite. Il se souvenait aussi de sa rage, de sa folie meurtrière qui avait fait trois morts, ce jour-là. Lorsqu'il était rentré dans les vêtements de Marc chez Rasar après cette assassinat, celui-ci avait deviné le succès de sa mission et avait exprimé un petit sourire mesquin. Et lorsqu'il avait été mis au courant des détails du massacre par les crieurs, qui s'occupaient de diffuser l'information au peuple, Rasar, pour la première fois de sa vie, lança un très petit «bravo» à son esclave. Depuis ce jour, Rasar, pour former celui qui était devenu son assassin de service, lui avait déjà ordonné de tuer sept cibles, chacune d'elles ayant un lien plus ou moins étroit avec les Partisans. Mitor devinait que ces derniers se doutaient de quelque chose et qu'ils allaient eux-mêmes enquêter sur ces meurtres. Contrairement au «Massacre du loup des mers», les autres meurtres ne faisaient pas grand bruit au sein de la cité et de son peuple. Cela était dû notamment au fait que Mitor cachait à présent les corps en les mettant dans la mer ou en les enterrant sous terre dans un lieu isolé. À présent, Mitor était devenu un assassin possédant un certain talent pour son activité, ce que Rasar avait dût remarqué sans le lui dire car donner un compliment à un esclave n'était pas dans ses habitudes. Ces assassinats à répétition n'étaient pas sans incidence dans l'esprit de Mitor. En effet, à chaque assassinat, il sentait de plus en plus une certaine force prendre le dessus. À chacun d'entre eux, Mitor se souvenait des mots du capitaine Mortimer : «Ça vit, ça meurt». Pour une raison qu'il ignorait, ces mots avaient pour effet de relativiser la mort de ses victimes mais aussi de réveiller cette force inconnue lors des meurtres. Mitor était certes attristé par les vies qu'il ôtait mais il lui semblait que ces assassinats devenaient une banalité, et à la fois un certain plaisir. Il n'avait pas ce que tout le monde nommait «L'appel du sang» mais cela y ressemblait. Lui qui détestait tuer se voyait maintenant éliminer plusieurs vies. Ce n'était évidemment pas de sa volonté, le fait étant que c'était les ordres de son maître. Cependant, Mitor n'avait plus peur de tuer lorsque Rasar lui donnait une cible à assassiner. Les seules peurs qui résidaient encore dans son esprit étaient celle de se faire attraper par les autorités et celle de voir sa cible se défendre et le tuer, même si, pour l'instant, Mitor n'avait jamais laissé l'occasion à ses victimes de riposter. Il en était donc aujourd'hui à un compte de dix victimes.


Les spectateurs de l'exécution finissaient de se mettre en place quand ils réussirent, lui et Rasar, qui avait tenu à ce que son esclave voit les conséquences de ces actes pour, disait-il, «montrer que la mort n'est pas forcément une fatalité mais aussi un spectacle», à se placer sur un toit, grâce à des escaliers construits exclusivement pour cette occasion. Ce «spectacle» avait réuni, semble-t-il, la quasi-totalité de la population de Lys plus des étrangers qui avaient dût entendre parler de ce massacre. Rasar lui disait que son acte était une bonne chose en lui disant que, sans cela, il n'y aurait pas eu un tel festival. Mitor trouvait cette raison tellement absurde mais si vrai. On pouvait voir des personnes de toutes origines et de toutes classes se mélanger dans le public. Mitor aurait voulu être loin d'ici et même assassiner une autre cible plutôt que d'être ici à voir des gens se divertir autour d'une exécution. Tout le public était prêt quand vînt la troupe de garde qui s'occupait d'emmener les cinq prisonniers. Les spectateurs crièrent alors de joie et exclamaient le plus fort possible des insultes comme : «Assassins !», «Salaud !», «Crevez, raclures !!». Mitor se souvenait encore de l'entrée d'Izzir le jour de son exécution au centre de la foule, des insultes que le public lui avait lancés. D'abord hésitant de regarder les visages des condamnés qui se trouvaient là par sa faute, il décida de prendre en compte les paroles de son maître en voyant de ses propres yeux les conséquences du massacre qu'il avait réalisé. Il y avait donc les deux marins qu'il avait vu discuter sur la proue, un autre homme très costaud et d'une taille relativement grande, un jeunot blond qui était effrayé et qui suppliait de le laisser en vie puis,….une jeune fille. On voyait parmi les condamnés une jeune fille qui avait l'âge de Mitor, si ce n'est juste un peu plus. Elle était terrifié et sanglotait. Elle avait des cheveux blonds hérissés et un peu court ainsi qu'un corps maigre et long. Son visage était creux et elle regardait la scène comme si elle se demandait pourquoi tout le monde était si heureux le jour de sa mort. Mais pourquoi était-elle ici, parmi les condamnés ? Mitor failli pleurer en voyant la jeune fille devant les chevaux qui allaient bientôt l'écarteler. Les gardes n'allaient tout de même pas faire subir ce supplice à une aussi jeune fille ? C'était insensé. Mitor vit quelques personnes du public qui étaient eux aussi choqués de la présence d'une enfant parmi les futurs exécutés et protestaient face aux gardes avant de s'en aller en remarquant que cela ne servait à rien. Mitor aurait donné n'importe quoi, peut-être même sa vie, pour retourner au jour du massacre et sauvé la jeune fille qui avait dû se trouver dans une des cales du navire.


Les chevaux se mirent en place et les gardes attachèrent chacun des membres du premier exécuté, qui était celui aux gros gabarits, aux chevaux par une corde solide. Le condamné se débattait mais fût maîtrisé par les gardes malgré sa corpulence. Le condamné criait, le public s'était tût pour apprécier le spectacle et le signal fût donné aux chevaux pour avancer chacun à une extrémité de la place. Il n'y eut pas beaucoup de temps avant de voir les membres du condamné s'écarter de son corps dans un jet de sang qui se répandit sur le sol. Les cris suppliant avaient cessé sur le coup et le corps inerte ainsi que les membres furent posés dans un cageot de bois, couvert de paille, ce qui prévoyait que ces restes humains allaient sans doute être brûler par la suite. Mitor prit le risque de poser une question à son maître en lui demandant pourquoi le condamné ne restait pas en vie après l'arrachement de ses membres car, après tout, ce n'étaient pas des parties vitales du corps.


-La souffrance est si grande pour le condamné qu'il meurt sur le coup par un arrêt cardiaque. Maintenant, cesse tes questions et regarde ton œuvre.


Cette réponse sonna comme un choc douloureux dans l'esprit de Mitor. Il s'imaginait à la place du pauvre exécuté, mais surtout, à la place de cette jeune fille qui n'avait aucun moyen d'échapper à la justice. Comment la sauver ? Il n'y avait plus rien à faire. Le sort en était jeté et cette fille allait mourir de douleur par sa faute. Rasar semblait ne pas être si affecté par la présence de la jeune fille parmi les condamnés. Comment pouvait-il rester si impassible face à une telle atrocité ? Dans tous les cas, il était trop tard. Le public voulait du sang. Et il allait être servi.


Le deuxième exécuté fut le jeunot qui tenta de s'évader, en vain. Ses cris de douleur s'estompèrent comme le précédent lorsque ses membres furent tirés par les chevaux et écartés du corps. Vînt ensuite le tour des deux marins qui discutaient, deux semaines auparavant, sur la poupe, insouciant de leur sort. Il sembla à Mitor que l'un d'eux priait tandis que l'autre affrontait la mort avec courage en crachant au visage d'un garde et en se forçant de ne pas crier, effort sans succès lors des dernières secondes de son supplice. C'était maintenant le moment fatidique. La jeune fille, noyée dans ses sanglots, approchaient du centre de la place et se laissa attacher les membres. Le public était plus silencieux que pour les autres condamnés mais il ne protesta pas, comme le remarqua Mitor. Celui-ci aurait tellement voulu qu'une révolte éclate contre la justice à ce moment-là. Mais le peuple n'était apparemment pas si sensible du fait qu'une vie aussi pure soit arraché du monde des vivants, et ce, dans la douleur. Mitor voulut fermer les yeux mais Rasar l'aurait sans doute remarqué. Et il pensait que la vue de la mort d'une personne aussi innocente serait sa punition pour ne pas l'avoir sauvée de cette cruelle injustice. La jeune fille fut couchée sur le sol et attendit la mort dans les larmes. Un des gardes annonça au dresseur de lancer le signal à ses bêtes mais celui-ci, hésitant, refusa. Le garde avança vers lui, le frappa et tapa sur les cuisses d'un des chevaux, ce qui eut pour effet de le faire avancer, ainsi que les autres animaux. Les cordes se raidirent. Le corps de la jeune fille se souleva. Les cris débutèrent. Certaines personnes du public s'étaient mises à pleurer. D'autres tentaient d'être impassible mais en vain. D'autres encore se cachèrent les yeux et se bouchèrent les oreilles. Mitor, lui, faisait parti de ceux qui sanglotait et ressentait presque la douleur que subissait la jeune fille. Les membres s'allongèrent. Les cris émises par la condamnée étaient de plus en plus aigus et bruyants. Puis,….plus aucun bruit. Le public restait silencieux et la place avait à présent l'ambiance d'une crypte. Certains s'écroulèrent en sanglots, regrettant leur inaction face à cette atrocité. Mitor était paralysé par le choc émotionnelle. Il était devenu raide, immobile, les yeux perdus dans le vide. Plus rien n'existait autour de lui. Il était responsable de ceci. Il était responsable de l'abomination qui venait d'avoir lieu. Il se passa beaucoup de temps avant que les premières personnes du public décidèrent de s'en aller. Rasar lui annonça alors :


-Demain, je t'expliquerai le plan de ta prochaine mission. Ce sera celle pour laquelle je t'ai formé. Tu devras tué l'émissaire des «Partisans» très bientôt.


Et il s'en alla, le laissant seul sur le toit. Mitor resta sur place, presque inanimé devant la place. Les gardes avaient mis le feu au cageot de bois et il attendit que la dernière étincelle de flamme disparut pour s'asseoir et s'écrouler sur le toit. Mitor jugea qu'il venait de connaître la pire des sensations au monde. Voir la mort douloureuse d'une aussi jeune innocente, causée par soi-même. Il n'y avait rien de pire au monde.


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