La cour des grands

Chapitre 41 : Mitor

4148 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 17/10/2017 18:01



Mitor



Il était de retour. Il le savait. Tout était en place pour montrer qu'il était revenu. Les têtes aux visages inexpressifs, le lieu de la place du marché, cette atmosphère pesante, cette légère brume et surtout, la présence de son ami défunt, Izzir. Il ne faisait aucun doute qu'il était retourné, pour la première fois depuis une semaine, dans un de ses rêves, le confrontant à sa propre conscience et à ses démons. Pourtant, lorsque l'on prend conscience que nous sommes dans un rêve, notre corps se réveille, mais pour Mitor, c'était comme s'il y avait un blocage. Quelque chose qui l'empêchait de se réveiller, qui le retenait dans ce rêve, qui lui faisait comprendre qu'il ne fallait pas se réveiller avant d'entendre ce qu'avait à dire Izzir. Celui-ci était agenouillé au centre de la place. Une fois encore, quand Mitor entra dans cette place, les silhouettes se poussèrent jusqu'à former un cercle vide. Quand il arriva devant son ami, qui avait la tête baissée vers le sol, il savait qu'il fallait s'asseoir et ne rien dire jusqu'à ce qu'Izzir prenne la parole. Il attendit plusieurs secondes avant de voir Izzir relever la tête. L'esclave de Vezel parla alors d'une voix résonnant presque en écho et d'un ton bienveillant :


-C'est dommage, Mitor. Tes tourments s'en étaient allés, et voilà qu'ils reviennent.


-Pourquoi, Izzir? Demanda Mitor qui semblait s'affoler sans pour autant qu'il en sache la raison.


-C'est très simple. Ils ne sont jamais réellement partis.


-Me hanteront-ils jusqu'à ma mort?


-Pas si tu fais ce qu'il faut pour y remédier.


-Que faut-il que je fasse? Questionna Mitor en voyant naître en lui un espoir.


-Veux-tu réellement que je te le dise? Je te préviens que la méthode pourrait aller contre tes convictions, ta propre moral. Est-tu sûr de vouloir y mettre fin?


-Oui, répondit-il sans même prêter attention à la mise en garde.


-Alors suis-moi. Ordonna Izzir en se levant.


Mitor fit de même et suivit son ami qui s'engouffrait dans la foule. Celle-ci semblait les regarder passer sans pour autant y prêter grande attention. Leurs yeux étaient d'un noir si profond que Mitor était sûr que le néant s'y cachait. Leurs pupilles étaient invisibles, absorbées par les ténèbres. Mitor baissait instinctivement les yeux lorsqu'il croisait le regard de l'un d'eux.


-Qui sont-ils, Izzir? Pourquoi sont-ils ici?


-Ils sont le reflet du jugement que nous avons subi, toi et moi. Répondit Izzir qui n'avait plus son ton bienveillant ni sa voix en écho. Des ombres qui représentent à la fois tout et rien. Ils sont les témoins de ma mort et de tes erreurs mais aussi le symbole de l'injustice et du destin.


Mitor essayait de comprendre ces paroles, sans grand succès. Parlait-il de l'injustice que celui-ci avait subi pour le meurtre de son maître, de celles des esclaves tout entier? Et quel était ce destin dont il parlait? Mitor renonça à deviner les réponses et à les demander à Izzir. Quelque chose en lui était sûr qu'il les aurait le moment venu. Izzir et lui marchèrent donc dans les rues d'une cité de Lys reconstituées par son esprit. Mitor n'arrivait pas à croire qu'il arrivait à modeler tous ces détails dans sa tête. Il voyait certaines fissures sur les murs qu'il avait déjà pu remarquer dans la vrai vie ou encore quelques pavés manquant sur la route. La marche fut longue jusqu'à ce qu'ils arrivent sur les quais du port de Lys. Les ombres étaient toujours aussi nombreuses et Mitor remarquait que celles-ci ressemblaient de moins en moins à des silhouettes humaines. Elles avaient un corps et des membres plus fins et une tête parfaitement ovale. Les ténèbres de leurs yeux semblaient se déployer sur leur visage entier et leurs vêtements étaient moins claires. Mitor vit la mer, toujours aussi imposante et bleue, mais elle était parfaitement calme, tel un lac. Izzir le guida sur un des ponts du port et s'arrêta à son extrémité. Un pas de plus et les deux esclaves finissaient les pieds dans l'eau. Izzir répéta «Suis-moi» et il sauta dans la mer. Mais au lieu de se retrouver à nager, il marchait sur la Mer d'Été, comme si elle était devenu solide. Mitor, comprenant cette magie du rêve, fit de même et les deux compères se retrouvèrent à marcher encore. La cité de Lys était presque caché par la brume lorsqu'une gigantesque masse noire se dessina peu à peu devant eux. La masse noir prit la forme d'un bateau et Mitor ne tarda pas à comprendre qu'il s'agissait du «Loup des Mers», le navire d'Alfred Mortimer sur lequel il avait perpétré un massacre, et détruit une famille. Mitor reconnu le nom du navire marqué en lettre d'or sur la coque du bateau, le mat portant les voiles blanches et l'escalier gravé dans le bois pour faire monter l'équipage à bord. Izzir monta le premier. Quand ils arrivèrent sur le pont, totalement désert, Mitor sentit une sorte de malaise grandissant dans son cœur. Il n'aimait pas cet endroit. Ce lieu allait-il vraiment l'aider à surmonter sa folie?


Ils entrèrent dans le bâtiment et passèrent devant la cabine de Mortimer, sans y entrer. La porte était ouverte et du sang séché était réparti sur le sol. Mais le corps du capitaine, ainsi que celui de Marc, son chef d'équipage, étaient introuvables. Izzir et Mitor descendirent alors dans la cale du navire. Plusieurs caisses de marchandises étaient posées les une sur les autres. Aucune torche n'était allumé mais l'obscurité était absente. À la place, une légère brume bleutée, qui éclairait un tant soit peu la pièce, permettait d'en voir les détails. Izzir et Mitor avancèrent. Mitor crut entendre une voix, une voix aiguë qu'il tenta de reconnaître. Quelque chose l'empêchait de le savoir. Au fur et à mesure qu'ils avançaient, la voix s'amplifiaient. Alors, dans un renfoncement entre deux rangées de caisses, Mitor la vit. La petite fille, Drusila Mortimer, jouait avec une figurine de cheval et chantonnait une vieille chanson en langue valyrienne. Elle était vivante et joyeuse. Ses cheveux blonds n'étaient plus aussi hérissés et son visage n'était plus aussi creux que le jour de son exécution. Elle était agenouillé et de profil par rapport à Izzir et Mitor. Ce dernier recula de deux pas en la voyant. Il n'en croyait pas ses yeux. Comment avait-il pu laisser cela se produire? Pourquoi était-elle morte et lui vivant? C'était ça, le destin dont parlait Izzir? Son ami se tourna vers lui, un regard presque aussi inexpressif que les ombres, mais avec un peu de bonté encore perceptible. Il ne parlait pas et Mitor comprit. Il avança vers Drusila et décida de lui parler.


-Euh...Drusila? Dit-il d'une voix hésitante.


Drusila se tourna vers lui, des pupilles rouges vifs dans ses yeux. Son visage passa de la joie à la peur. Mitor reconnut l'expression qu'elle avait le jour de sa mort. Elle se détourna de Mitor et s'agenouilla dans un coin, son corps tremblant. Mitor hésita un instant puis, posa sa main sur le dos de Drusila. Celle-ci cria :


-Allez vous-en! Monstre!


Elle se faufila derrière lui et courut en direction du pont. Elle l'a traité de monstre. Elle avait raison. Mitor regarda Izzir et lui demanda :


-En quoi cela peut-il m'aider?


-Patience, mon ami. Une plaie ne se ferme pas aussi facilement. Suis-la. Elle est en haut.


Et Mitor sortit de la pièce, Izzir ne le suivant pas. Il regarda dans la cabine de Mortimer, toujours rien. Il arriva sur le pont et un spectacle horrible se déroulait. Deux groupes de deux pontons étaient levés. Chacun avait entre eux, reliés par des chaînes, le corps mitraillé de coups de couteau d'Alfred Mortimer tandis que l'autre surélevait celui de Drusila, les membres recousus maladroitement, le visage creux et les cheveux hérissés. Les deux corps pendaient entre leurs deux poteaux. Mitor tomba en arrière et se mit à pleurer.


-Merde, non! Merde, merde, MERDE!!! Hurla-t-il en fermant les yeux et en se plaquant les mains sur ses oreilles pour ne pas entendre le cri de Drusila et sa propre voix lui répétant : «J'ai anéanti une famille. Je suis un monstre (la voix de Drusila lui résonna en écho). Rika est la seule encore en vie. Je l'ai privé du bonheur à jamais».


Enfin, il se réveilla. Un garde lui tenait les jambes et un autre tenait son buste. Les deux semblaient affolés mais heureux qu'il se soit réveillé. Mitor sentit son corps dégouliné de sueur. Il revenait peu à peu à la réalité.


-Va prévenir le maître. Dis-lui ce qu'il s'est passé. Ordonna un des gardes.


Celui qui lui tenait les jambes s'en alla. L'autre garde fixa Mitor quelques secondes et partit à son tour, fermant la porte derrière lui. Mitor voyait flou et il se frotta plusieurs fois les joues avant de retrouver totalement une vue normale. Il était allongé sur un lit. Un vrai lit comme il n'en avait jamais connu. Avec un drap, un sommier en fer et en bois, de la paille recouverte, cette fois, d'un tissu épais. Il n'osa pas se lever et quitter son confort. Il regarda la pièce dans laquelle il était. Les murs étaient verts foncés et bien taillés. Les pigments qui coloraient la structure semblaient avoir été rajoutés depuis peu. La pièce était joliment aménagé. Plusieurs meubles que Mitor n'avait vu que dans la chambre de Rasar étaient disposés. À côté de son lit, une table de chevet portait une lampe à huile qui éclairait la pièce d'une lumière timide. Il faisait chaud. Mitor pensait que c'était sa transpiration dû à son rêve qui avait causé cela mais même après s'être résigné à se lever et à attendre quelques minutes, son corps ne se refroidissait pas. Il toucha les murs et se surprit de leur chaleur. Il étouffait presque. Lorsque la porte s'ouvrit, il sentit un peu d'air froid lui parvenir et se précipita vers l'extérieur, mais une main l'en empêcha. Apa dar Lijus se tenait sur le seuil et entra.


-Quelle chaleur! S'exclama-t-il. Comment as-tu fait pour ne pas fondre?


Mitor était ravi de le voir mais une part de lui aurait préféré que personne ne l'eut retînt pour le laisser profiter de l'air frais du couloir dont Mitor en voyait le relief à travers la porte. Apa prit sa lampe à huile et l'éteignit. La pièce ne fut éclairée que par les torches du couloir et était plongée dans une obscurité presque totale. Mitor crut voir Apa l'examiner quelques instants avant que celui-ci ne l'invite à le rejoindre dans son bureau dans l'heure suivante. Il sortit deux secondes de la chambre et revînt avec une torche qu'il avait prît du couloir. Il la plaça sur un support au-dessus du lit et ressortit en fermant la porte sur ces mots:


-Mieux vaut être éclairé pour se préparer.


Se préparer? Voulait-il qu'il revête de nouveaux vêtements? Mitor trembla à cette idée. Toute sa vie, il avait dû s'habiller en haillons, tenue universelle des esclaves, ce qui lui provoquait parfois des irritations. Mitor ne réfléchit pas un instant et se hâta d'ouvrir les tiroirs d'une commode à sa droite. Une grande robe verte pâle aux contours jaunes étaient pliés soigneusement ainsi qu'une tenue en tissus marron accompagnée de petites épaulettes en cuir et bien d'autres. Que des vêtements de bourgeois, ou du moins, d'une classe moyenne aisée. Mitor en sortit plein et les posa sur le lit. Il hésita. Il avait envie de toutes les essayer. Il prît finalement une robe rouge aux contours jaunes ainsi qu'une paire de sandales et un pantalon en cuir. Il remarqua que tous les vêtements étaient à sa taille, comme si cette chambre avait été préparé pour lui. Il rangea les autres habits du mieux qu'il put et se hâta dans le couloir. Le garde qui lui avait tenu le buste le regarda quitter sa chambre et s'en aller sans lui avoir accorder un seul regard ou même un «merci».


Mitor se sentait bien dans ses nouveaux habits. Étaient-ils à lui désormais? Mitor ne voulut pas s'avancer et reconnu le chemin menant à la salle des Torturées. Il était à l'étage qui était aménagé tel un labyrinthe et qu'il avait déjà traversé pour aller tuer sa cible le jour de son infiltration. Le QG des Partisans était plus agréables à visiter lorsque la raison pour laquelle on venait n'était pas de tuer celui qui y régnait. Il vit l'escalier qui descendait dans les étages inférieurs puis…

OUTCH!


Mitor tomba à terre. Un mal de crâne incessant et puissant venait d'apparaître par surprise et avait fait flancher Mitor, incapable de rester debout, se tenant vigoureusement la tête. Le cri de Drusila n'apparut pas comme Mitor le craignait mais un sentiment de malaise s'installa en lui. Il prit cinq bonnes minutes avant de pouvoir se relever et continuer sa route.


Il n'avait pas eu le temps depuis son réveil à penser à ce qu'il s'était passé dans son rêve. Celui-ci était plus long, plus réel et plus mystérieux que tout ceux qu'il avait pu faire jusqu'à maintenant. Les mots d'Izzir résonnait comme des énigmes à résoudre. Il avait vu Drusila en bonne santé et comprenait dorénavant quelle vie il avait ôté. Une personne si pure et si jeune. Izzir lui avait dit qu'il l'aiderait à éradiquer sa folie mais il n'avait fait que l'empirer en l'emmenant sur le «Loup des Mers». Mitor ressentit une sorte de colère à son égard mais il se ravisa. Izzir était mort depuis presque deux mois. Il n'avait rien à voir avec l'Izzir de ses rêves. Les deux Izzir n'avaient rien de plus en commun que la même apparence, la même voix, le même ton, le même caractère, le même...beaucoup trop de choses en réalité. Ils étaient presque identiques, exceptés peut-être que l'Izzir de ses rêves avait un je-ne-sais-quoi de mystique en plus. Quelque chose de mystérieux et de presque sacré. Mitor devait continuer à l'écouter. Il le sentait.


Il titubait parfois sur le chemin qui le menait au bureau d'Apa. Il passa devant la salle des Torturées, toujours déserte, et la lumière naturelle passant par le trou creusé dans la falaise le frappa d'une chaleur bien plus agréable que celle de sa chambre. Il n'arrivait pas à distinguer le moment de la journée avec l'intensité de la lumière du soleil mais sentait qu'il devait être presque l'heure du déjeuner car des couverts avaient été mises en places sur les tables comme il put le remarquer juste avant de prendre d'autres escaliers qui le faisaient dorénavant monter pour arriver dans cette petite salle devant le bureau d'Apa. Deux gardes étaient toujours postés devant la porte du bureau. L'un deux, qui était le même qui lui avait tenu les jambes lorsqu'il avait fait une crise dans ce même bureau la veille, le regarda de bas en haut.


-Et bien! S'écria-t-il. Voir un ancien esclave revêtir une telle robe est un spectacle rare dans ce monde. Le maître t'attend.


Le maître? Peu importe. D'autres choses lui occupent l'esprit pour penser à cette appellation qui lui rappelait tellement de mauvais souvenir. Le garde lui ouvrit la porte et laissa Mitor pénétrer dans le bureau d'Apa. Celui-ci était assis à son bureau et écrivait sur un parchemin. Lorsque Mitor entra, il posa sa plume et rangea son parchemin dans un tiroir. Mitor s'avança jusque devant le bureau d'Apa tandis que la porte se fermait. Apa eut un large sourire et s'exclama:


-Voilà quelque chose que j'aime voir. Un ancien esclave enlever le torchon qui lui servait de vêtement pour enfiler une belle tenue bien propre et bien coûteuse.


Mitor esquissa un simple rictus en guise de réponse. Apa l'invita à s'asseoir et regarda son invité quelques secondes, le temps de perdre peu à peu son sourire.


-Ton esprit a encore fait des siennes, n'est-ce-pas? Dit-il d'un ton désolé. Un garde m'a dit que tu n'avais pas cessé de gigoter pendant une dizaine de minute. Et que ton corps palpitait et transpirait de plus en plus jusqu'à ton réveil.


-Autant de temps?! S'étonna Mitor.


-Apparemment.


-Je suis un fou.


-En effet.


Apa se leva de sa chaise et fit le tour de son bureau. Il regardait ses nombreux livres qui recouvraient les murs de la pièce et continua:


-Il existe plusieurs livres qui parlent de la folie. Ici ou ailleurs. J'ai appris qu'un fou ne ressemblait jamais aux autres fous. La folie prend toujours une forme différente suivant la personne. Certaines sont dangereuses, d'autres plus calmes. Certaines sont agréables pour le sujet, d'autres non. J'avoue que la tienne est particulière. Généralement, les fous sont soit schizophrènes, soit atteint d'une folie destructrice, généralement meurtrière. La tienne semble, d'après ce que j'ai observé, être une sorte d'entre-deux. Des choses indépendantes de ta conscience se bouscule dans ta tête et elles seraient nées, je pense, de tes meurtres. Je me trompe?


C'était bien le cas. Sa folie est née le jour du massacre du «Loup des Mers». Mais pas ses rêves. Il avait fait quelques rêves avant de tuer Alfred Mortimer. Il le dit à Apa qui lui répondit en se rasseyant sur sa chaise:


-Dans ce cas, tes rêves ne sont pas totalement liés à ta folie. Mais celle-ci s'active après chacun d'eux, sans compter bien sûr que cela peut t'arriver en étant tout à fait éveillé. Parle-moi de tes rêves, s'il te plaît.


Et Mitor lui raconta tout. Izzir, les passants devenant peu à peu des ombres, ses victimes qui lui revenaient et le menaçaient, son dernier rêve sur le navire, Drusila et sa figurine de cheval, son corps et celui de son père soulevés par des pontons grâce à des chaînes ainsi que le cri de Drusila qui apparaissait souvent à l'improviste, éveillé ou non. Apa absorbait chacun de ces mots. Il semblait réfléchir et essayait de se refaire les scènes des rêves de Mitor. Quand celui-ci eut fini, il continua de fixer Mitor, concentré dans une réelle réflexion qui se lisait sur son visage. Après un long moment, il proclama son verdict:


-Tout cela est si compliqué. Même moi qui aime tout ce qui touche à la science de l'esprit, je me perds dans cette histoire. L'esclave de Vezel doit continuer à te guider. Peut-être auras-tu des réponses prochainement. Tu peux aller manger, si tu veux. Tu es mon invité et il est bientôt l'heure.


Mais avant qu'il ne prenne l'initiative de quitter sa chaise, Mitor se remémora une question qu'il devait poser à Apa.


-Que va-t-il advenir de mon maî… de Rasar?


Apa, un peu décontenancé par la question, lui répondit d'une voix très sérieuse.


-De par sa trahison, et du fait qu'il ait vendu ses confrères, notre organisation doit le mettre à mort. Cependant, Rika, comme je te l'ai déjà dit, ne doit pas être au courant de la trahison de son frère. Et nos exécutions sont publiques. Il ne doit pas être vu. Ni lui, ni son cadavre.


-Pourrais-je le voir? Demanda Mitor sans pour autant espérer une réponse positive.


-Pourquoi voudrais-tu? Il représente ton passé. Et il n'est jamais bon de faire face au passé.


-Je sais. Mes rêves me le prouvent très souvent.


Mitor se leva. En vérité, la raison pour laquelle il voulait voir son ancien maître était pour le provoquer. Le sentiment qu'il avait ressenti lorsqu'il lui avait tenu tête la veille lui avait accordé l'un des rares bonheurs qu'il pouvait s'offrir, si ce n'est le seul. Mitor avança vers la porte mais Apa l'arrêta.


-Un instant, Mitor. Dit-il de sa voix grave. J'aimerais te poser une question. Une demande, si tu préfères. Dis-moi, cela te dirait de nous rejoindre, nous, les Partisans?


Mitor crut mal entendre au départ. Mais il ne fut nul doute qu'il lui avait bien demandé d'entrer dans une guerre qu'il s'était juré de ne jamais rejoindre, peu importe le camp et peu importe leurs idéaux respectifs. Il se retourna vers Apa, le fixant d'un regard à la fois sérieux et attendri.


-Désolé, Apa. Mais jamais plus cette guerre n'aura d'effet sur moi. Elle m'a fait trop mal.


L'allure de vétéran résigné qu'il se donnait fit sourire Apa.


-Je comprends. Les Partisans se battent pour la suppression des classes. Plus d'esclaves, plus de riches. Veux-tu un monde sans esclave?


-Oui, mais les Partisans et les Chasseurs existent depuis deux mille ans. Et rien n'a changé. Rien ne sert de servir une cause perdue.


-Nous avons aidé l'empire Valyrien à libérer Lys, il y a de cela presque mille ans. Répondit Apa, qui se sentit vexé.


-Et qui est redevenu une cité esclavagiste il y a quelques années. Tonna Mitor qui sentait sa voix augmenter contre sa volonté. Cette guerre n'est pas pour moi. Continua-t-il d'une voix plus calme. Désolé, Apa.


-Tu seras payés et logés, tu sais. Les vêtements que tu portes sont tes premiers cadeaux parmi tant d'autres.


-Essayez-vous de m'acheter, Apa? S'indigna Mitor. Je vous pensais plus compréhensifs et j'étais en train de vous respecter et vous voir comme un sage. Si je me suis trompé, dîtes-le moi.


Apa se leva de sa chaise et s'approcha de Mitor. Il prît un livre de sa bibliothèque sur le chemin et lui tendit. Mitor reconnut le livre qu'il avait commencé à lire dans ce même bureau la veille: "Les cités esclavagistes: Le dernier des anciens fléaux de l'histoire" par le mestre Raynal.


-Penses-y quand même, Mitor. Tu peux rester ici jusqu'à ce que tu aies fini de lire ce livre.


Apa posa une main sur l'épaule de Mitor puis il partit se rasseoir devant son bureau. Mitor, à la fois agacé et confus, s'en alla dans sa chambre déposer son livre sur le lit et partit manger dans la Salle des Torturées, cette fois pleine de monde. Quatre cents personnes, d'après certaines discussions alentours, s'étaient installés. Des gardes et des membres en tenue de civils discutaient entre eux dans une sorte de brouhaha amical. Deux personnes étaient assises sur la table, surmontée par l'estrade, mais trois places restaient vides. Une au centre, celle d'Apa sans doute, et deux autres, l'une à gauche de la chaise vide d'Apa et l'autre à l'extrémité droite de la table. La première personne, tout à gauche, était un homme grand, un peu barbu et moustachu, habillé d'une tenue très riche en vert foncé. La deuxième, était une femme, que Mitor n'eut aucun mal à reconnaître. Ses cheveux longs et roux, ses vêtements rapiécés et négligés et sa mine creuse et basse crée par de nombreuses larmes qui avait coulées abondamment. C'était Rika. Il l'avait déjà vu le jour de son infiltration. Elle semblait avoir perdu, pour la énième fois certainement, l'appétit. Apa arriva, posa une main réconfortante sur l'épaule de Rika comme il l'avait fait pour Mitor, et s'installa à la place du milieu. Mitor était dans le fond de la salle, installé au bout d'une des quatre tables dressées. La première fois qu'il était entré dans cette salle, il n'y en avait qu'une, bien plus large. Apa avait voulu changer l'aménagement, apparemment. En regardant Apa, il avait un mélange en lui de malaise, d'agacement et de réconfort. Ce mélange lui fit un semblant de mal de crâne et il décida de se fixer sur son assiette, qui n'avait jamais été aussi garnie en patate de sa vie.


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