La cour des grands

Chapitre 57 : Mitor

5687 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 03/06/2018 21:37



Mitor



La taverne était très calme, cette nuit-là. Aucun alcoolique notoire n'avait fait du grabuge. Il ne pouvait y avoir de garde des Partisans ici au risque d'attirer l'attention des troupes civiles. Le couvre-feu n'était, en effet, jamais pris à la légère et certaines exécutions accueillaient des condamnés qui n'avaient simplement pas vus l'heure passée. Aussi, si l'on voulait sortir dans les rues de Lys en pleine nuit, il ne fallait faire absolument aucun bruit et parcourir la ville par les plus petites ruelles, quoique même celles-ci sont parfois sujettes à voir des patrouilles la traverser. Cela, Mitor l'avait bien compris. Mais il ne savait pas encore si c'était son trajet ou sa destination qui était la plus dangereuse. Il n'avait pas tarder à agir car les questionnements qui lui passaient en tête avaient de quoi l'empêcher de dormir et, ne voulant pas rester à ne rien faire dans sa chambre, il s'était dit qu'il était temps de faire bouger les choses le plus tôt possible.


La dernière mission que Mitor avait faite il y a de cela quelques heures lui avait permis d'être plus confiant. Là-bas, il avait affronté plusieurs Chasseurs mais surtout, un de leurs généraux qui n'était nul autre qu'un sang-coureur Dothrak, guerrier réputé pour être terriblement puissant. Rika lui avait raconté que ceux ayant affronté un de ces guerriers et qui avaient réussis à en sortir vivant étaient très rares. D'après elle, ils pouvaient s'estimer heureux d'être encore en vie car, quand Rika avait remarqué la présence de cet ennemi, tout espoir lui semblait perdu. Lorsqu'elle lui avait raconté cela, Mitor s'était senti comme un survivant, quelqu'un qui venait de passer une épreuve que beaucoup d'autres avant lui n'avaient pas réussis. C'était cette idée qui l'avait poussée à repartir dès ce soir-là vers le port où s'était déroulé ce combat féroce. En réalité, la nuit était bien avancée et les premières lueurs de l'aube n'allaient certainement pas tarder à faire leur apparition. Aussi, il ne fut pas étonné de ne pas rencontrer sur son trajet autant de patrouilles que lors de son premier voyage.


Ce qui l'avait poussé à sortir du QG n'était pas totalement cette idée d'être un survivant, loin de là. En voyant les Partisans achever les blessés, il s'était demandé si le camp qu'il avait choisi était réellement le bon. De toute manière, s'il avait intégré les rangs des Partisans, c'était surtout pour se racheter auprès de Rika et ce n'était pas par choix d'idéologie ni par l'envie de participer à une guerre. Mais quand il avait vu son camp agir avec tant de cruautés envers des personnes désarmées, il comprit qu'il ne pouvait se résoudre à continuer de servir les Partisans. Cependant, au fond, il se doutait que les Chasseurs étaient du même acabit, qu'eux aussi, s'ils avaient gagnés la bataille, auraient donnés le coup de grâce à leurs adversaires blessés. Mais il fallait qu'il en soit sûr. De plus, s'il pouvait ne serait-ce que savoir où se trouve le QG des Chasseurs, les choses allaient forcément s'accélérer à Lys. Mitor ne suivait que son propre instinct. Ce qu'il voulait, c'était mettre fin à cette guerre inutile et quelque chose, peut-être les mots d'Izzir qui lui était apparus devant lui il y a de cela quelques heures, lui dictait une certaine démarche à suivre. Toujours est-il que son plan était de retourner au port. Là-bas, il s'attendait à voir des Chasseurs qui, remarquant leurs congénères ne pas rentrer à leur QG, se seraient dit d'aller jeter un œil au port pour voir si tout se passait bien. Mitor n'était évidemment pas sûr de la réussite de son plan mais il savait qu'en voyant la réserve saccagée, les Chasseurs retourneraient à leur QG prévenir leur chef. Mitor allait donc les suivre et infiltrer leur QG. Toujours en traversant la ville, il se répéta plusieurs fois que c'était une mauvaise idée mais peu lui importait. Après tout, ce qu'il s'apprêtait à faire était bien mieux que rester encore plusieurs semaines dans le QG des Partisans. Il lui semblait que peu à peu, quelque chose naissait en lui. Une sorte de flamme, une envie de tout changer afin d'avoir un meilleur avenir. Il ne saurait expliquer pourquoi mais il avait l'impression de léguer ce soi-disant meilleur avenir aux autres. Il ne savait pas d'où lui venait ses questionnements mais en allant cette nuit-là au devant du danger, il lui paraissait être sur la bonne voie.


Il arriva enfin au port. Le feu avait été éteint et des gardes étaient en train d'enquêter sur le pont. Les corps des Chasseurs avaient été jetés dans la mer par les Partisans et les gardes ne comprenaient pas d'où venait tout ce sang ni ce qui avait provoqué le feu. Ils ne mirent pourtant pas longtemps à deviner qu'il y avait eu une bataille dans la réserve où tout était saccagé. Mitor s'était installé sur un toit non loin et il examinait de là où il était le port. Il tentait de remarquer la moindre trace d'un ou de plusieurs Chasseurs qui seraient venus vérifier ce qu'il s'était passé au port. Mitor resta là à voir les gardes nettoyer et ranger le port jusqu'à ce que les premières lueurs de l'aube apparaissent à l'horizon. Les premiers lève-tôt sortaient de leur demeure pour aller travailler et plusieurs d'entre eux se demandaient pourquoi autant de gardes se trouvaient sur leur lieu de travail. Au loin, les navires amarrés étaient en train de décharger leur cargaison sur des barques qui naviguaient jusqu'au port. Mitor avait beau cherché dans tous les coins mais il ne vit aucune trace d'ennemi vivant. Il faillit partir quand il aperçut alors deux hommes, eux aussi postés sur un toit en train d'observer la scène. Mitor se baissa instinctivement et les observa pour savoir si oui ou non, il avait affaire à des Chasseurs. Après un temps, il comprit que les deux hommes n'étaient effectivement pas des civils ordinaires et il décida de s'approcher d'eux. Alors, les deux hommes s'en allèrent et Mitor décida de les suivre.


D'aussi loin qu'il le pouvait, il restait hors de vue de ses cibles et remarqua que ces derniers entraient dans le quartier le plus pauvre de la ville. Ici, aucun riche ou qui que ce soit d'autre ayant un minimum d'argent ne résidait dans une des nombreuses maisons délabrées. Chacun vivaient les uns sur les autres tout en supportant les rues boueuses et puantes en face de leurs murs. Les deux hommes étaient habillés de foulards noirs qui cachaient une grande partie de leur visage et au milieu de tous les pauvres autour habillés en haillons, il était préférable, pour ne pas attirer l'attention, de passer par les toits. Mitor, qui était habillé d'un vêtement de noble, comprit qu'il fallait adopter le même chemin que ses cibles. Ceux-ci arrivèrent alors sur le toit d'une petite grange puis sur la terrasse déserte d'en face. Mitor s'arrêta un peu plus loin et les observa au détour d'un mur. Les deux hommes se tenaient face à une porte en bois et semblaient décrire un code simple en toquant sur celle-ci. Quelqu'un vînt leur ouvrir et ils entrèrent. Mitor attendit un petit moment avant de se présenter lui aussi face à la porte histoire de n'éveiller aucun soupçon. Il inspira un grand coup et fit le même code que les deux Chasseurs sur la porte. Un grand homme chauve en haillons lui ouvra la porte:


-Pourquoi êtes-vous habillés ainsi? Demanda-t-il d'un air méfiant et en tenant le pommeau d'une dague à sa ceinture.


-Je...j'ai dû prendre ses vêtements pour voyager incognito. Je suis un des espions. Répondit Mitor le plus naturellement possible.


-Je ne t'ai jamais vu, pourtant.


-Oui, je me doute. Je n'ai pas l'habitude de rentrer et sortir du QG. Surtout en étant habillé comme ça.


Après, un moment d'hésitation, le garde le laissa entrer. Dans cette grange, rien ne pouvait signifier qu'il s'agissait d'un QG. Plusieurs sans-abris étaient en train de se réfugier, assis dans le sol boueux. Mitor examina le plus rapidement la pièce et vit une porte entrouverte. Il passa cette porte et vit alors un grand trou creusé à même le sol et une échelle permettait de descendre au fond. Machinalement, il descendit l'échelle et tomba dans un tunnel. Il avait l'impression d'être dans une mine en voyant la paroi noire et rocailleuse. D'un côté, il y avait une impasse où des outils de creusage étaient entreposés et de l'autre, le tunnel continuait, éclairé par des torches. Il avança doucement et remarqua que le sol était de plus en plus pentu. Il lui sembla tourné en rond jusqu'à ce que le sol se retrouve de nouveau plat. Là, le tunnel s'agrandissait et donnait sur une pièce large qui ressemblait à celle du QG des Partisans où plusieurs caisses étaient entreposés. Il vit des Chasseurs au loin et décida de se cacher d'eux. En effet, il vit que ceux-ci étaient également habillés de la même manière que ceux qu'il avait suivis. Il comprit alors que les Chasseurs avaient un code vestimentaire et qu'il ne se devait pas de continuer sans être vêtu de la même manière. Alors, il chercha parmi les caisses, tout en restant caché, des foulards noirs à se mettre sur la tête et une toge dont la couleur, elle, ne semblait pas réglementaire. Il arriva dans un coin de la pièce où des vêtements de Chasseurs étaient entreposés et il s'empressa de s'en vêtir. Il sortit alors de ce coin de la pièce avec un foulard noir et une toge beige et approcha naturellement des deux Chasseurs, ou plutôt vers la suite du tunnel derrière eux. Tout en marchant, il cachait ses poings pour les serrer afin de cacher son stress. Il les contourna pour passer et les salua d'un geste de la main. Les deux Chasseurs firent de même tandis que Mitor continuait son chemin et luttait pour ne pas pousser un soupir trop fort. Il parcourait alors la suite du tunnel et il arriva à un long couloir où plusieurs portes étaient creusées dans la pierre. Mitor pensa que c'était le couloir des chambres et il continua son chemin sans s'arrêter. Tout à coup, il entendit des voix venant d'une des chambres et une porte s'ouvrit brutalement devant lui.


-Il faut organiser une réunion d'urgence! Tout de suite! Proclama un homme dans un costume vert en tissus épais.


Celui-ci ne fit pas attention à la présence de Mitor et marcha vite au bout du couloir. Il était accompagné par deux hommes avec un foulard noir et Mitor était sûr qu'il s'agissait des Chasseurs qu'il avait suivi pour venir au QG. Il décida de les surveiller une nouvelle fois de loin.


Sur leur chemin, l'homme au costume vert commandait à d'autres membres des Chasseurs de venir à une réunion urgente. Les membres qu'il appelait n'étaient pas habillés de la même manière que les autres Chasseurs et Mitor comprit qu'ils faisaient partis d'une sorte de cercle comme chez les Partisans. Il y avait deux sœurs jumelles, un homme assez costaud et une vieille femme assise sur une chaise roulante, poussée par un Chasseur qui l'aidait. L'homme au costume vert menait la marche et parcourait presque tout le QG. Mitor, en les suivant, remarqua le travail conséquent de l'architecture du QG. Là où celui des Partisans était un bâtiment immergé sous la terre, construite tout en marbre et en pierre, celui des Chasseurs semblait immergé sous la mer car des gouttes d'eau tombaient parfois du plafond et était constitué de plusieurs crevasses sous-marines creusées dans la roche et reliées par des tunnels. Peut-être était-ce dû au fait qu'il en avait marre de rester tout le temps dans le QG des Partisans mais Mitor trouvait celui des Chasseurs mieux construit et plus beau. La troupe menée par l'homme au costume vert dont il apprit que le nom était Logan entra alors dans une plus grande pièce éclairée par de multiples chandelles dont Mitor ne put en apercevoir qu'une grande table ainsi qu'un bureau au bout de la salle où était assis un homme qui écrivait sur des parchemins. Il ne put en voir plus car une des sœurs jumelles avait fermé la porte derrière lui sans qu'elle ne le voit. Il avait vu cependant l'homme qui était assis derrière son bureau et qui portait une tunique rosâtre. Il était chauve et portait une sorte de diadème en bronze. Mitor fut stupéfait quand il entendit Logan lui dire:


-Räv! Nous avons un très gros problème!


L'homme derrière son bureau était donc Räv dar Skugga. Mitor avait vu son nom pour la première fois sur une lettre destinée à Rasar qui lui commandait de tuer Apa. Il avait été évoqué par Apa il y a de cela une ou deux semaines. Mitor venait donc d'apercevoir l'émissaire des Chasseurs postés à Lys, Räv dar Skugga. Mitor, pour pouvoir écouter ce qui s'y disait, décida de jouer le rôle du garde de cette salle et resta près de la porte. Curieusement, il n'y avait pas de garde devant ce qui semblait être à la fois une salle de réunion mais aussi le bureau de Räv alors qu'Apa, lui, avait toujours au moins deux gardes devant sa porte. Mitor ne fit pas attention longtemps à ce détail et écouta la discussion à l'intérieur.


-Que se passe-t-il donc? Demanda d'une voix inquiète Räv.


-C'est la réception de la cargaison de vin, Räv. Ils ont été attaqués et apparemment, il n'y a aucun survivant. Répondit Logan, essoufflé.


-De quoi?! S'exclame Räv dont un son brut laissait penser qu'il avait taper du poing sur le bureau. Comment est-ce possible?!


-Dîtes-lui, vous. Faîtes votre rapport. Ordonna Logan à ceux qui avaient examinés le port.


-C'est vrai, chef. Répondit l'un d'entre eux. Les gardes nettoyaient du sang sur le pont et la réserve était à priori saccagée. Il est certain qu'une bataille s'est déroulé là-bas et que les corps de nos malheureux camarades ont été jetés à la mer.


Un silence pesant s'installait dans la pièce et un frottement de chaise laissait deviner que Räv s'était levé.


-Et la cargaison de vin? Envolée, je parie? Demanda-t-il le plus calmement possible.


-Oui, chef.


-Et notre cher sang-coureur Dothrak? Pas de trace? Pas de trace de Rohko?


-Aucune, chef. Il dort certainement avec les poissons, maintenant.


Tout à coup, le son de plusieurs objets jetés à terre s'entendit ainsi que le cri de Räv qui s'exclamait:


-LES FUMIERS! Les fumiers, les fumiers, les fumiers!!! Comment ce salopard d'Apa a su qu'on réceptionnait la cargaison de vin cette nuit?! Comment il savait qu'on était en affaire avec une compagnie de vin?! Bandes de salauds! Ils ont tués notre meilleur élément, en plus!


Le son d'autres objets qui s'envolaient et celui de plusieurs coups de poings sur les meubles continuaient à s'entendre.


-Calme-toi, Räv. Conseilla une des sœurs jumelles. Garde ton sang-froid.


-Et comment veux-tu que je me calme?! C'est la pire des batailles qu'on ait perdus! On a perdu notre plus fort guerrier et une de nos plus grosses sources de financement! Et pour couronner le tableau, je suis sûr qu'Apa en a profité pour les récupérer, nos financements!


-Alors, il nous faut non seulement trouver une nouvelle compagnie de commerce à séduire mais également trouver la taupe qui a balancé toutes nos infos. Parce qu'on est d'accord qu'il y en a forcément une? Conclut celui qui semblait être l'homme costaud du cercle.


Après un temps où Räv reprenait peu à peu son calme, il commanda à tous de s'asseoir à la table de réunion et d'exposer toutes leurs idées. Il ordonna également aux deux Chasseurs de sortir de la salle. Ceux-ci passèrent devant Mitor sans y faire attention et partirent en direction de leur chambre. Durant cette réunion, ils semblaient d'accord pour s'accaparer les bonnes grâces d'une compagnie bovine et d'en devenir des actionnaires. Mitor remarqua durant ce débat que Räv refusait d'être en relation avec une compagnie d'esclave car ce n'était «éthiquement pas possible» pour eux, ce qui fit sourire Mitor. Comme il s'en doutait, c'était les mêmes genres de discours qu'Apa faisait. Les deux proclamaient toujours leur bonne morale tout en parlant finance et guerre. Lorsque la réunion dévia sur le sujet de la taupe, ils donnèrent plusieurs théories diverses et variées mais ils n'en trouvèrent aucune concluante. Pendant ce débat-là, Mitor réfléchissait également à la question. Apa avait été vague sur l'information qu'il avait reçu de cette dite taupe. Quand Karak lui avait posé la question, il avait seulement répondu «J'ai mes sources». Après réflexion, Mitor était obligé d'écarter l'hypothèse selon laquelle il s'agissait de Rasar. Celui-ci n'avait jamais vraiment intégré les Chasseurs vu qu'il avait besoin de la tête d'Apa pour y entrer. De plus, il était enfermé dans les prisons des Partisans depuis bien trop longtemps pour connaître la date de la réception de la marchandise. De toute évidence, pour lui comme pour le cercle des Chasseurs, l'identité de la taupe leur restait inconnue.


Une bonne heure et demie avait passée et la réunion était toujours aussi active. Désormais, ils étaient en train de parler de l'annonce qu'ils allaient devoir faire aux autres membres par rapport à tout ce qui s'était passé cette nuit. Mitor commençait à se demander ce qu'il faisait encore là et s'il fallait aller à la rencontre d'autres membres comme dans la salle d'entraînement car, s'ils étaient aussi organisé que leurs adversaires, ils en avaient forcément une. Mitor partit alors en direction d'une partie du QG qu'il n'avait pas exploré. Il ne fit cependant que quelques pas avant d'apercevoir l'ombre d'un grand homme qui marchait dans sa direction. Il voyait encore l'entrée de la salle de réunion et hésita à reprendre son rôle de garde pour n'éveiller aucun soupçon mais il décida de marcher comme si de rien n'était. La silhouette qui formait cette ombre était désormais non loin de Mitor. Celui-ci avait l'impression d'avoir déjà vu cette silhouette et plus il se rapprochait, plus il la distinguait. Alors, il ralentit la cadence de sa marche et se retrouva presque tétanisé en voyant le visage de celui qui s'avançait peu à peu vers sa direction opposée. Ils allaient bientôt se croiser et Mitor ne put s'empêcher de le suivre du regard. Ce n'était pas possible. C'était le sang-coureur Dothrak. Celui que le cercle des Chasseurs prénommait Rohko. Celui qui l'avait combattu dans la réserve accompagné de Rika et Karak. Celui qui avait reçu sa dague en plein cœur. Il était vivant, encore svelte et en pleine forme, sans cicatrice à la poitrine. Les deux ennemis se regardèrent pendant qu'ils se croisaient. Mitor ne put savoir si Rohko l'avait démasqué mais ce n'était pas la question qui le tourmentait le plus. Il avait vu Karak jeté son corps sans vie à la mer. À moins qu'il n'ait été ressuscité, il n'y avait aucune raison que Rohko ne se trouve dans ce couloir et pas en train de pourrir dans le fond de la mer avec les poissons. Rohko toqua à la porte de la salle de réunion tout en fixant Mitor qui s'éloignait lentement de sa position et qui le fixait également. La voix de Räv s'entendit à travers la porte:


-Qui est-ce?


-C'est Rohko, Räv. Répondit-il en tournant la tête vers la porte.


-De quoi?! S'exclama Räv. Entre! Vite!


Rohko entra et Mitor se retrouva de nouveau seul dans le couloir. Il s'arrêta et respira un bon coup. Il ne mit pas longtemps à se décider de retourner à côté de la porte et à écouter la conversation à l'intérieur. Il fallait qu'il ait des réponses car, à l'heure actuelle, le monde n'avait plus aucun sens pour lui.


-Comment est-ce possible?! S'écria Räv. On nous a confirmé que tu étais mort. Que s'est-il passé au port? Réponds, s'il te plaît!


-On a été attaqué par les Partisans. On ne les a pas vu venir et ils nous sont tombés dessus pas surprise. Il ont propagé du feu à la porte de la réserve pour qu'on ne sorte pas et ils nous ont assassinés de sang-froid.


-Mais…tout le monde est mort sauf vous? Demanda Logan.


-Oui. Il s'en fallut de peu pour que ce soit aussi mon cas mais j'ai réussi à fuir à la dernière seconde, comprenant que la bataille était perdue d'avance.


-C'est la première fois que j'entends parler d'un sang-coureur Dothrak fuir devant un combat. Répondit froidement celle qui semblait être la vieille femme dans un fauteuil roulant. Et pourquoi n'avez-vous pas d'égratignure?


-Ils étaient vingt fois plus nombreux que nous et je n'ai pas d'égratignure parce que je suis un professionnel du combat, vieille dame. S'offusqua Rohko. D'autres questions?


-Assis-toi, Rohko et fais nous un rapport complet. Ordonna Räv calmement.


La suite de la discussion ne donna aucune autre réponse à Mitor. Toujours est-il que Rohko avait menti. Les Partisans n'étaient pas vingt fois plus nombreux à la bataille et ceux-ci n'avaient gagnés que grâce à l'avantage de la surprise. De plus, Rohko avait bel et bien subit des blessures. Outre le coup de poignard dans le cœur, qui l'avait achevé d'ailleurs, Mitor l'avait également entaillé aux jambes. C'était tout bonnement surréaliste et seul de la magie pourrait permettre que Rohko respire encore dans cette salle de réunion. Quand Mitor comprit que la réunion prenait fin et que le cercle des Chasseurs allait sortir de la salle, il jugea bon se cacher le plus vite possible derrière un mur et d'observer dans quelle direction le Dothraki allait. Par chance, personne ne partit dans sa direction après qu'ils soient sortis de la salle. Il vit Rohko sortir en dernier et fermer la porte, Räv étant resté dans la pièce. Mitor, avec un air déterminé à vouloir des réponses, suivit Rohko de loin qui semblait prendre une direction différente de ses congénères.


Pendant sa poursuite, il passa devant la salle d'entraînement des Chasseurs qui était tout aussi équipé que celle des Partisans. Une petite cascade d'eau tombait du plafond et se déversait dans un grand trou au centre de la pièce. Autour du trou, il y avait le terrain d'entraînement. Rhoko traversa la salle en passant par le ring circulaire au milieu de quelques Chasseurs matinaux. Mitor fit comme si de rien n'était et contourna le terrain au milieu des Chasseurs. Il vit Rhoko entrer dans une pièce voisine et, après un temps, Mitor y entra également. Il était arrivé dans une petite pièce longue mais vide. Il n'y avait aucune trace de Rhoko et il n'y avait pas non plus d'autres portes visibles. Mitor ne comprenait pas où sa cible était passée et il traversa la salle comme si quelque chose allait apparaître à son approche. Mais rien ne se produisit. C'est alors qu'il n'eut pas le temps de se retourner qu'il reçut un violent coup de bâton derrière le crâne, ce qui lui fit rappeler celui qu'il avait reçu lorsqu'il était entré par effraction chez les Partisans pour tuer Apa. Et comme cette fois-là, il s'évanouit aussitôt.


Quand il rouvrit les yeux, il se sentait plus léger, il était couché et l'endroit où il se trouvait à présent était ensoleillé. Il ne mit pas longtemps à en comprendre la raison quand il vit l'endroit où il se trouvait. Il était une nouvelle fois dans un rêve, au centre de la place du marché, Izzir, ou plutôt le faux Izzir, l'imposteur, se tenant devant lui et une foule de silhouette sombre tout autour. Mitor se releva tout en pressant une de ses mains sur l'arrière de son crâne, la douleur se faisant vivement ressentir.


-Ce n'est pas le moment, merde. S'offusqua Mitor à l'adresse d'Izzir. Ah bordel, je croyais qu'on sentait pas la douleur dans les rêves.


-Si tu savais, mon pauvre Mitor. Répondit avec un sourire narquois le faux Izzir. Les rêves sont les derniers de tes soucis.


-Tu m'étonnes. En ce moment, mon corps est certainement emmené dans les geôles des Chasseurs. Qu'est-ce que je fous là, merde?! S'écria tout à coup Mitor. Tu vas encore me montrer mes erreurs d'antan? Une vision d'un événement passé? Pourquoi tu m'apparais, maintenant?


-Et bien, on est de moins en moins polis, à ce que je vois. Peu importe. Je t'observe, Mitor et je vois que plus le temps passe, plus tu prends de l'assurance. À un point tel que tu apprends par toi-même à te libérer de ta folie.


-Et alors? Je croyais que c'est ce que tu voulais, non? Que je me guérisse de ma folie?


-Oh oui, c'est ce que je veux. Mais je t'ai dis que ce serait grâce à moi, pas grâce à toi-même.


-Tu es outré que je te devance dans tes leçons? Que je ne suive pas tes cours où tu m'apprends simplement à te haïr un peu plus à chaque fois? Et puis, c'est toi qui m'a poussé à infiltrer ce QG, je te rappelle.


-C'est vrai. Mais maintenant, c'est l'heure d'une autre leçon.


Mitor sentit alors une énorme rage bouillir en lui et il sauta sur Izzir pour lui mettre un coup de poing en pleine figure. Izzir évita le coup aisément et en profita pour pousser Mitor au sol.


-Bon allez, arrête de jouer le gamin et suis-moi, maintenant. S'exclama Izzir.


-Vas te faire voir! S'écria Mitor. Plus jamais je te suivrais.


-Et pourtant, ta folie est presque guérie. Au combat qui a eu lieu à la réserve, tu n'as pas agi à l'aveuglette et tu es resté lucide. C'est même Rika qui a fait preuve d'un peu de folie. Si seulement tu m'écoutais, et me suivais, tu pourrais vaincre des gens comme Apa ou ce Dothraki de Rohko qui te fait si peur. Si tu me suis, tu n'auras plus peur de lui.


Mitor ne savait pas quoi penser. Il en avait marre de ses rêves et surtout de cet imposteur. Dans le monde réel, il était en train d'être transporté dans des geôles et lui, il restait là, dans ce monde irréel à suivre cet être au but tout à fait flou. Alors, comme il se doutait qu'il ne pouvait y couper, il se mit à suivre le faux Izzir dans les rues de la cité de Lys. Désormais, il commençait à connaître le chemin par cœur et il savait à partir des premières rues traversées qu'ils partaient en direction du port. Les silhouettes ténébreuses laissaient toujours place aux deux marcheurs et seul les plis du visage et leur forme humanoïde les apparentaient à des sortes d'humains.


-Pour la dernière fois, Izzir, que sont ces ombres? Demanda Mitor sur un ton énervé et coprenant qu'il avait quand même eut son lot de mystère pour la journée.


-Tu le sauras bien assez tôt. Répondit Izzir sans détourner le regard de leur chemin.


-Tu veux dire que je vais enfin avoir une réponse?


-Pas aujourd'hui mais bientôt. Si tu décides de m'obéir, bien sûr.


Le chemin continua dans le silence. Mitor respirait de plus en plus fort et il serrait les poings, comme s'il s'apprêtait à combattre. Les deux marcheurs arrivèrent alors à destination. Mitor vit soudain un groupe de Partisan, non loin, en train de s'approcher discrètement du port. Il se reconnut lui-même dans ce groupe ainsi que Rika et Karak. Le groupe assassinait peu à peu les Chasseurs faisant le guet sur les toits alentours. Mitor, le vrai, et Izzir s'arrêtèrent à quelques pas de la réserve. Les Chasseurs étaient en train de rentrer dans l'établissement pendant que les Partisans mettaient en place leur plan d'attaque.


-Izzir, je la connais, la scène, je te rappelle. Proclama Mitor.


-Tais-toi et observe. Répliqua froidement Izzir.


Soudain, la porte de la réserve s'ouvrit et les Partisans étaient prêts à enflammer l'huile qu'ils avaient étaler devant la porte. Plusieurs Chasseurs glissèrent alors sur l'huile et une lampe fut jeté sur le liquide inflammable qui prit immédiatement feu. Les Chasseurs au sol commencèrent à pousser des cris de douleur tandis que les Partisans entraient peu à peu dans la réserve, armes dégainées. Quand tous les Partisans furent entrés, la porte se ferma subitement et Izzir s'approcha de quelques pas des Chasseurs en train de brûler. Mitor se mit à ses côtés et il vit alors le visage brûlant d'un des Chasseurs en train de les regarder.


-Ai...aidez-nous, s'il vous plaît…. Supplia-t-il à Mitor qui se demandait comment ce Chasseur pouvait le voir.


Les Chasseurs brûlés poussèrent tous un ultime cri de douleur avant de succomber. Le bruit de bataille qui s'engageait dans la réserve disparut. La porte s'ouvra tout aussi subitement qu'elle s'était fermé et le feu se dissipa aussitôt. Mitor ne put s'empêcher de pousser un cri d'effroi en voyant la silhouette de Drusila debout sur le seuil de la porte. Sa chevelure blonde ébouriffée, sa peau sale, ses vêtements déchirés de toute part, les fils qui recousaient ses membres écartelés à son corps. Cette vision d'horreur était tout aussi insoutenable que le regard de Drusila qui le fixait sans émotion. Mitor remarqua que derrière elle, Partisans et Chasseurs étaient morts, gisant de sang, et il reconnut le corps de Karak, de Rika, du Dothraki et de lui-même parmi les morts. Mitor ne put contrôler la larme qui coulait sur ses joues. Drusila passa alors devant lui, toujours en le fixant des yeux. À reculons, elle tendit les bras et plongea dans l'eau. Mitor prit le reflex de s'approcher du bord mais il ne vit aucune trace de Drusila. Après un temps, il se tourna vers Izzir.


-Qu'est-ce que ça veut dire?! S'écria-t-il.


-Tu veux savoir la vérité? Je n'en sais rien. Répondit Izzir avec un air inexpressif. C'est ton esprit qui produit tout seul ces visions et j'essaye comme toi de les déchiffrer.


-Tu te fous de moi?! Et la dernière fois, avec l'assassinat de Vezel?! C'est pas moi qui l'ait inventé! La scène s'est déroulé de la même manière que celle qui s'est réellement passé dans le vrai monde. Je suis pas médium alors qu'est-ce que tout ça veut dire?! Tu ne peux pas être une invention de mon esprit alors quel est le projet derrière tout ça?!


-Très bien. Je vais te dévoiler une part de vérité. Répondit Izzir avec un sourire en coin. Sache que c'est vrai que ce n'est pas moi qui décide de tes visions. La seule chose que je peux te dire, c'est que j'ai trouvé en toi le soldat idéal et c'est la raison de ma présence ici.


-Le soldat idéal pour quoi? Tu veux te servir de moi comme d'un outil? Qui es-tu?


-Comme d'un outil? Non. Disons que tu as l'insigne honneur d'être un élu.


-Un élu de quoi?


-Le temps de la vérité est terminé. Mais si tu tiens vraiment à en savoir plus, mon cher Mitor, voilà ce que tu dois faire.


Izzir s'approcha alors de Mitor et lui chuchota à l'oreille:


-Tu vas devoir m'arracher le cœur.


Sur ces mots, Izzir poussa Mitor dans l'eau et son corps se dirigea, bras tendu comme Drusila, vers la surface de la mer. Tout à coup, il sentit son corps se réveiller. Il était dans un endroit encore plus sombre que le QG des Chasseurs. Il se trouvait allongé sur du sable et l'endroit dans lequel il se trouvait était très humide. Il n'arrivait à voir aucune source de lumière et il ne pouvait rien distinguer, que ce soit les murs ou même le sol. Il n'était pas enchaîné mais il entendait des bruits de chaînes. Il respirait fort, comme s'il n'avait pas respiré depuis un bon moment. Il se tordait de douleur car il ressentait plus vivement le coup qu'il avait reçut derrière le crâne. Il entendit tout à coup la voix de Rohko lui ordonner de respirer moins fort et une fois de plus, il fut frappé à la tête par un bâton. Il sentit son corps se fatiguer doucement et il s'évanouit de nouveau. Cette fois, sans rêve.

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