Rhaegar le Dernier Dragon

Chapitre 6 : Elia et Rhaela

3797 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/11/2016 09:15

Pour la reine Rhaela Targaryen, les jours prenaient une tournure de plus en plus étrange. Les statues bordant l’allée du jardin lui souriaient souvent et, la veille, elle avait vu une manticore s’éloigner vers l’ouest à tire-d’aile. Difficile de démêler la réalité de l’imaginaire. Le lait de pavot était fort, et les statues ne souriaient pas. Pour la manticore, il avait fallu réfléchir un peu plus. Elle avait fini par déduire qu’il ne s’était agi que d’un vol de mouettes. Mais c’était quand même plus agréable de penser que l’agonie lui permettait de voir des choses exceptionnelles, et que c’était peut-être bien la manticore qu’elle avait vu retourner vers les contrées oubliées de Valyria.

Son dos lui faisait mal maintenant, mais elle n’avait pas l’énergie de chercher une position plus confortable. Une brise fraîche soufflait de la mer. Rhaela soupira. Elle avait toujours aimé la mer – surtout la baie du Dragon. De son jardin du haut de la falaise, elle avait une vue plongeante sur l’océan. Il lui suffisait de tourner la tête à droite pour que son regard tombe sur les hautes murailles rocheuses de Peyredragon. Une douleur la cueillit au ventre – une douleur sourde et lancinante, moins vive et âpre que quelques semaines auparavant.

Assis à l’ombre, à une vingtaine de pas de la reine, le jeune prince Vyseris restait penché sur ses livres. Son expression sévère la fit sourire. Alors qu’il n’avait pas encore douze  ans, il ressemblait trait pour trait à son grand frère Rhaegar. Frêle et studieux, Vyseris n’avait jamais été fait pour les activités viriles que son père prisait tant. Il n’aimait guère monter à cheval, s’y résignant seulement pour se déplacer. Il n’avait aucun talent à l’épée ou à l’arc. Il n’avait d’enthousiasme que pour la lecture, surtout les récits de ses ancêtres. Aerys s’était vite fatigué du garçon. Mais tôt ou tard, songea Rhaela, Aerys se fatiguait de tout le monde.

La tristesse l’envahit.

À cet instant, Vyseris releva la tête. Trahissant de l’inquiétude, il déposa son livre et se leva.

— Laissez-moi arranger cet oreiller, mère, dit-il en l’aidant à se pencher en avant.

Rhaela se cala avec soulagement.

— Merci, mon fils.

— Je vais vous chercher de l’eau.

Elle le regarda s’éloigner quand soudain une douleur terrible la fouetta. Rhaela sortit une fiole de la bourse pendue à sa ceinture et en brisa le bouchon de cire. Puis elle la porta à ses lèvres d’une main tremblante et en but le contenu. Le goût était amer mais en quelques instants, la douleur reflua, et la reine somnola. Une main lui pressa doucement l’épaule, et elle rouvrit les yeux. Le soleil rayonnait tant qu’elle ne voyait pas le visage de la silhouette penchée sur elle. C’était le chambellan.

— Marcus ?

— Ma reine, vos invitées attendent une audience. La princesse Elia Martell et sa suivante, lady Ashara Dayne.

Vyseris revint avec un verre d’eau, et aida sa mère à boire. Puis il regarda froidement Marcus qui baissa aussitôt les yeux.

— Ma mère n’est pas d’humeur à parler aux jeunes filles.

— Allons Vyseris, murmura Rhaela d’une voix douce, il serait des plus grossier d’ignorer une princesse de Dorne.

Elle se tourna vers Marcus et déclara :

— Je vais voir mes invitées. Qu’on leur apporte des sièges et des rafraîchissements.

— Fort bien, majesté.

Après le départ de Marcus, Vyseris se tourna vers la reine et l’observa pendant qu’elle respirait difficilement, il voulait la prendre dans ses bras mais sa mère sentait le clou de girofle – une odeur écœurante de maladie. Vyseris garda ses distances et se tint droit en regardant le palais de Peyredragon.

C’est ici qu’Aegon le Conquérant avait façonné sa légende. Vyseris ferma les yeux et s’imagina à dos de dragon, survolant Port-Réal et embrasant son père, ainsi que son frère, le Dernier Dragon, le Dernier Dragon ? Et lui alors ? N’était-il pas un Targaryen ? N’était-il pas un dragon aussi ? Pourquoi était-ce Rhaegar qui devait épouser une princesse de la maison Martell ? Même cette putain qui le suivait comme son ombre avait refusé de partager sa couche avec lui, le grand Vyseris, dont chaque dame de la cour disputait aux autres les étreintes, lui murmurant qu’il ressemblait énormément à son ainé. Cette pensée le taraudait encore plus, car elles ne voyaient en lui qu’un Rhaegar accessible.

— La princesse Elia de la maison Martell ! annonça Marcus.

Vyseris se tourna brusquement, et ce qu’il vit le décontenança au plus haut point. La princesse Elia était resplendissante. Les rayons du soleil  jouaient sur sa robe dorée incrustée de gemmes qui moulait ses formes divines. Sa longue chevelure noire était décorée d’une tresse d’or ornée d’émeraudes. Autour de son avant-bras s’enroulaient les anneaux d’un serpent ciselé. Elle croisa son regard et Vyseris reçut un coup de poing dans le ventre, ses yeux étaient si acérés qu’il en trembla violement. La princesse de son côté avança vers la reine, et l’embrassa sur la joue.

— Je suis navrée de vous trouver en si mauvaise santé.

Mais avant que Rhaela ne puisse répondre, Vyseris déclara d’un ton sec :

— Ne vous a-t-on pas appris comment vous adresser à votre souveraine, jeune fille ? À genoux !

Elia se tourna vers Vyseris et répondit d’une voix douce :

— Je parle avec la dragonne, petit. Quand j’aurai envie d’entendre les aboiements d’un chiot, je te ferai signe d’avancer.

Le jeune prince s’empourpra, et Elia se tourna vers la souveraine qui semblait regretter les mauvaises manières de son jeune fils. Ce dernier allait répliquer lorsque la souveraine lui fit signe de se retirer. Foudroyant Elia du regard, il obéit sans faire de vagues. Marcus s’inclina et se retira aussi.

— Les mauvaises manières de Vyseris ne reflètent que le caractère de son père, déclara Rhaela d’une voix lasse, ne le jugez pas trop sévèrement.

Elia lui prit la main et répondit d’une voix toute aussi douce :

— Il est jeune, et les jeunes ont besoin d’impressionner. À Dorne j’avais l’habitude de surprendre des garçons tout aussi fielleux, pour ainsi dire, j’ai l’habitude.

Rhaela sourit, et Elia éprouva de la tendresse pour cette femme torturée par la vie.

— Cette maladie m’empêche de vous accueillir comme il se doit…

— Vous êtes la reine de Westeros, coupa Elia en lui serrant la main, et être accueillie par la reine est déjà un honneur en soi.

— Avez-vous fait bon voyage ?

— Bien entendu ! Je voyageais souvent avec mon frère Oberyn dans les cités libres. Mais c’est la première fois que je visite Peyredragon.

— Une île sinistre, n’est-ce-pas ? la taquina gentiment Rhaela.

Elia jeta un regard circulaire puis répondit en haussant les épaules :

— Elle a un certain charme, mais je trouve vos chevaux de piètre qualité.

Le sourire de Rhaela s’élargit, sans sa maladie elle aurait ri à gorge déployée.

— Vous devriez visiter l’écurie de Rhaegar, personne n’en sait plus que lui sur les chevaux, ou n’élève de meilleures montures.

— Pourquoi votre fils ne s’est pas marié ? demanda Elia.

— Il attend l’amour, j’espère qu’il le trouvera.

Elia fronça les sourcils et la regarda intriguée.

— Il attend l’amour ? Je croyais qu’il avait une… amante de cœur.

— Elle n’est rien de plus qu’une amie pour lui, mon fils est doté d’un caractère très réservé et… Serala est sans doute la seule femme capable de l’approcher à n’importe quelle heure du jour et de la nuit.

Elia hocha la tête puis regarda discrètement Ashara.

« Ainsi le prince a lui aussi une amie qui comme Ashara, soulage sa solitude par l’étreinte ? » 

— Je comprends majesté, et soyez sûre que je ne juge nullement la relation du prince Rhaegar avec cette femme, mais d’aucuns dans les Sept Couronnes verraient cela d’un mauvais œil.

— Je le sais, et croyez moi Rhaegar le sait aussi, mais je n’ai pas élevé mon fils comme son père l’avait prescrit, pour moi le devoir et l’obligation sont des poisons dangereux.

Rhaela respira un moment avant de poursuivre d’une voix triste :

— Vous n’ignorez pas que je suis la sœur et l’épouse d’Aerys, et que notre union a été dépourvue d'amour et même d'affection. J’ai sacrifié ma vie et mon bonheur pour le royaume. Autrefois j’ai aimé un chevalier des terres de l’Orage qui m’a couronnée reine d’amour et de beauté lors un tournoi, mais à la demande de ma famille, j’ai épousé mon propre frère, Aerys. J’ai obéi par devoir et j’en ai souffert.

Ashara refoula difficilement ses larmes. Elia de son côté affichait un visage solennel.

— Puis Rhaegar est venu au monde. Et quelque chose en moi est revenu à la vie, mon fils est devenu un espoir, une lueur dans un ciel nuageux, il était… si différent de son père que ce dernier avait mis en doute sa légitimité. Et pourquoi ? Parce qu’il n’assassine pas sans aucune forme de procès ? Parce qu’il ne déflore pas une pauvre femme pour fêter le mariage de celle-ci ? Oui mon fils est différent des autres, et oui il a grandi dans la solitude, voila pourquoi il n’attend plus rien des Sept Couronnes, des nobles, ou même de son père.

Rhaela se tut et Elia examina son profil qui se découpait sur le coucher de soleil couleur de sang. C'était un aspect des Targaryen qu'elle n'avait même jamais imaginé. Elle les croyait tous à l’image d’Aerys ou d’Aegon l’Indigne. Elle avait condamné leur étroitesse d'esprit pour se féliciter de sa propre tolérance dornienne, et elle en avait honte.

Il y avait bien des Dorniens qui ne valaient pas la peine qu'on se donne du mal pour eux, mais ils ne représentaient pas la vraie Dorne. C'étaient des hommes comme son frère Doran et ser Arthur Dayne qui incarnaient Dorne. Des gens qui rendaient la principauté meilleure qu’elle même ne l'aurait rêvé, qui la forçaient à se montrer à la hauteur de ses idéaux parce qu'eux y croyaient et poussaient les autres à y croire aussi. Et qui sait si des êtres comme Rhaela n’incarnaient pas la véritable Westeros, se dit-elle.

— Je trouve que vous vous êtes plutôt bien débrouillée, dans ces conditions, fit doucement Elia.

— Oui, j’aime mes deux fils, car c’est à eux que je dois d’avoir survécu jusqu'à maintenant sans perdre la foi. Je crois aux Sept, et je crois encore que tout ceci est une épreuve. Je suppose que vous trouvez cela irrationnel ?

La question aurait pu être caustique mais elle était presque douce.

— Non, répondit Elia après un instant. Pas irrationnel, je ne suis pas sûre que j’aurais pu partager votre foi après tout ce que vous avez traversé. Nous sommes ce que nos vies et les dieux ont fait de nous, majesté.

— C'est un point de vue très tolérant, fit sereinement Rhaela, peut-être que Westeros peut beaucoup apprendre de la sagesse dornienne.

— On non pas du tout ! s’exclama Elia en pouffant de rire, la sagesse vient difficilement même avec l’âge aussi bien à Dorne que dans n’importe quel royaume, n’est-ce pas ?

— Vous avez raison. Mais elle finit par venir, et mon conseil est celui-ci : ne laissez pas le devoir et l’obligation vous priver du bonheur, si vous ne voulez pas épouser mon fils, dites-le-moi maintenant et j’annulerai le mariage.

Ashara regarda son amie et pria de toutes ses forces qu’elle saisisse cette occasion en or, mais Elia demeura silencieuse. Elle regarda la baie et pencha la tête de côté en fronçant les sourcils.

— Cette monstruosité est le vaisseau du prince Rhaegar ? demanda-t-elle intriguée.

Rhaela regarda la baie à son tour puis sentit un soulagement parcourir ses poumons.

L’Hydre ! Mon fils est de retour.

 

Revoir Peyredragon réchauffa le cœur de Rhaegar, mais avant de débarquer il reçut des nouvelles importantes des cités libres.

Un de ses espions, un Braavien dénommé Horatio qui exerçait une activité commerciale dans la cité de Volantis, débarqua dans le port de l’île et vint les lui délivrer en personne. Les deux hommes se rencontrèrent dans la cabine privée du prince, Serala remplit deux verres de vin de Lys et sourit gentiment à l’espion qui la remercia en s’inclinant.

— Je t’ai apporté un cadeau, mon prince, annonça l’espion en déposant sur la table de Rhaegar une précieuse statuette en lapis-lazuli qui représentait la Jouvencelle. « Elle est très ancienne et très rare. Elle protégera longtemps ta virilité.

— Je te remercie, je tiens beaucoup à ma virilité, répliqua Rhaegar amusé, mais j’espère que ce n’est pas le seul motif de ta venue.

— Bien sûr que non, répliqua Horatio. Il y a de grandes nouvelles dans la cité de Tyrosh : Alequo Adarys a été empoisonné par son médecin, sur l’ordre d’un eunuque de la cour. »

Serala éclata de rire et secoua la tête en disant :

— Les châtrés sont déloyaux. Autrefois, j’ai voulu m’en faire un, mais j’ai changé d’avis. Ils sont jaloux de tous ceux qui ont encore la possibilité de baiser. C’est compréhensible, d’une certaine façon, puisqu’on la leur a niée. Quoi qu’il en soit, voilà qui me donne raison.

Rhaegar réfléchit un moment puis remarqua avec gravité :

— Alequo Adarys faisait partie des Neuf qui ont suivi Maelys le Monstrueux dans sa conquête de Westeros.

— En effet, mon prince. Il est resté aux commandes de la ville même après la défaite des Neuf lors de la bataille des Degrés de Pierre.

— Jusqu'à récemment, répliqua Rhaegar en observant la statuette de la Jouvencelle. Empoisonné par un eunuque dis-tu ?    

— L’eunuque se nomme Milo. Il s’agit, d'après mes sources, d’une histoire de jalousie.

— Châtré et enculé qui plus est. C’est normal, commenta Serala.

— Et maintenant, que va-t-il se passer ? Demanda Rhaegar. 

— Il s’est déjà passé quelque chose, mon prince. Milo a persuadé les nobles d’offrir la régence à l'épouse d'Alequo. Nos observateurs s’accordent pour penser que Milo a l’intention de gouverner en se servant de la veuve et que cette dernière vivra tant qu’elle obéira au châtré.

— Cela me paraît sensé. Est-il vrai que Myr a fait appel à la Compagnie Dorée contre Tyrosh ? demanda Rhaegar.

— En effet mon prince, mais Tyrosh n’a aucune chance contre eux, et pour cette raison Milo recourra sûrement aux services des Joyeux Compagnons, seule armée mercenaire capable de contrer la Compagnie Dorée.

L’espion sortit un rouleau de papier et le donna au prince.

— Voila le détail des effectifs que compte la Compagnie Dorée. J’ai payé mille dragons pour ces informations.

— Je vois, murmura Rhaegar en lisant le parchemin.  

Comme il s'en doutait, l’armée la plus redoutée des cités libres comptait dix mille combattants, répartis en plusieurs armes, ce qui faisait d’elle une unité militaire polyvalente. Elle était organisée selon des règles comparables aux forces seigneuriales des Sept Couronnes, dont elle avait gardé les traditions de chevalerie. Son cœur était ainsi formé de chevaliers et d'écuyers montés. Mais elle ne négligeait pas d'utiliser des unités militaires orientales, comme les éléphants de guerre.

— Qui est le capitaine général ? demanda le prince sans lever les yeux du parchemin.

— Un certain Xhobar Qhoqua.

Rhaegar regarda l’espion surpris.

— Le Prince d'Ébène ?

— En personne.

Serala intervint d’une voix inquiète :

— Qui est ce Xhobar Prince d'Ébène ?

— C’était un prince des îles d'Été en exil, expliqua Rhaegar à la jeune femme. Il menait une compagnie d'épées-louées dans les Terres Disputées. Il était l'un des Neuf qui avaient tenté de prendre le pouvoir dans les Degrés de Pierre et à Tyrosh. Après la mort de Maelys, il avait bonnement disparu.

— Ala bonne heure, répliqua Serala avec gravité, il semble encore pire que Maelys le Monstrueux, qui était déjà un dur à cuire.

Rhaegar regarda l’espion dans les yeux.

— Informe-moi de tout ce qui se produit à la cour de Tyrosh et tu n’auras pas à t’en plaindre. Tu peux maintenant passer chez mon secrétaire, qui te paiera ton dû.

Horatio le salua cérémonieusement et disparut en laissant Rhaegar méditer sur la suite des événements. Un des neuf qui mourrait empoisonné, un autre qui prenait la tête de la Compagnie Dorée, quelque chose lui échappait et Rhaegar n’arrivait pas à comprendre ce que ce prétendant Feunoyr préparait.

— Sais-tu qu’elle est la devise de la maison Stark ? demanda Rhaegar en attirant Serala dans ses bras.

Trop heureuse de se blottir contre lui, la jeune femme haussa les épaules, et ne répondit pas.

— l’Hiver Vient ! murmura Rhaegar en embrassant son amante.

— Feu et Sang ! répliqua Serala en lui rendant farouchement son baiser.

 

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