Le Dernier Dragon II : « Jon Snow »

Chapitre 4 : Récompense

1963 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 09/04/2017 19:31

Jon ne se souvenait de rien, hormis avoir couru sans s’arrêter depuis Fossedragon jusqu'à Port-Réal. Il avait franchi le pont qui menait à la Vieille Porte, et il se trouvait suffisamment près pour voir des gens sur les remparts lorsqu’il fut finalement terrassé par l’épuisement.                   Il s’évanouit.

Lorsqu’il reprit connaissance, il était étendu sur un lit, recouvert de draps de lin immaculés. Une femme passa son bras autour de ses épaules, le redressa et porta une chope de lait tiède sur ses lèvres. Jon n’avait jamais aimé le lait tiède, quand il en sentit l’odeur, il détourna sa bouche mais la femme insista. Il n’avait pas le choix, il devait boire ou s’étrangler. La plus grande partie du liquide passa dans sa gorge. Ce fut seulement quand elle reposa sa tête dans les oreillers qu’il reconnut dame Serala. Elle lui sourit et Jon lut du soulagement dans son regard.

— Tu fais le difficile, mon louveteau. Dois-je y voir un signe de rétablissement ?

— Où suis-je ?

— Dans mon lit, qui se trouve dans mes appartements. Estime-toi chanceux mon chéri, tu viens de t’envoyer en l’air avec la Perle Noire.

— Vous vous moquez de moi comme toujours, dit-il en se levant avec difficulté. Depuis quand j’ai perdu connaissance ?

— Hier, les gardes t’ont trouvé et t’ont ramené au Donjon. Le mestre t’a examiné et n’a rien trouvé de grave, selon lui tu t’es surmené comme un âne.

— Je n’ai fait que courir.

— Avec la rage au ventre, j’imagine.

— J’ai gagné mais…

— Je sais ce qui s’est passé, coupa-t-elle en prenant place sur son grand siège. Quelle leçon en as-tu tiré ?

— Que la Main du Roi est une ordure comme pas deux.

— Mais encore ?

— Mais encore rien ! J’ai battu Aegon et c’est lui qui a remporté l’œuf noir de Balerion. C’est moi qu’on aurait dû acclamer, c’est injuste.

— Mais oui ! s’écria-t-elle amusée. Qui t’a dit que la vie était juste ?

— Alors c’est cela, la leçon du jour ? Je suis condamné à être rejeté parce que je suis un bâtard ?

— Exactement mon louveteau, tu as été rejeté parce que tu es un bâtard. Tu as gagné mais on t’a déclaré perdant, tu as battu le prince mais c’est lui qu’on a acclamé. Que faut-il comprendre ?

— Madame pourquoi voyez-vous dans chaque malheur une leçon à en tirer ? s’exclama Jon irrité. J’ai joué et perdu et l’affaire est conclue.

— Tout dépend du point de vue en question. Chacun peut transformer la vérité en mensonge et les mensonges en vérité, je le fais tous les jours mon chéri, ici avec toi, ou au Conseil Restreint.

— Comment est-ce possible ? demanda-t-il intrigué.

— C’est une question à laquelle j’ai beaucoup réfléchi. Tu connais le vieux Leobald ?

— Le palefrenier de lord Monford ? Oui je le connais, pourquoi cette question ?  

— J’ai raconté une fois l’histoire d’un bandit dangereux qui rôdait dans le Bois du Roi. J’ai dit que Leobald, le meilleur archer du monde, avait transpercé le bandit avec sa flèche. Rhaegar a tellement adoré cette histoire qu’il a ordonné au pauvre Leobald de participer à la lice. Naturellement, il s’est entraîné au tir comme un possédé. Il a fini par remporter un grand prix lors des jeux organisés par le roi. Tu comprends ? Il était devenu le plus fort parce que j’avais menti au sujet de ses talents. Et, du coup, mon mensonge n’en était plus un.

— Je comprends, dit Jon. Et comment la vérité peut-elle devenir un mensonge ?

— Ah, mon chéri, c’est quelque chose qu’aucun de nous ne                   peut éviter !

Elle se pencha et saisit une cruche à eau sur laquelle on lui avait apporté à boire, la nuit précédente. Elle commença à la manipuler avec soin, effleurant des doigts le travail délicat de l’artiste qui l’avait décorée avec goût de flammèches stylisées.

— Qu’est-ce que c’est, selon toi ?

— Une cruche.

— Oui ! Façonnée par les mains d’un homme avec de l’eau et de la glaise, puis cuite au four. Sans le feu, elle ne se serait pas transformée en poterie, et sans l’eau, il aurait été impossible de la façonner. Elle est donc composée de terre, d’eau et de feu. Tous ces faits sont exacts. C’est donc véritablement une cruche ?

— Oui, répondit Jon.

Sans prévenir, Serala l’abattit par terre d’un geste brusque et elle se brisa en faisant sursauter un Jon perplexe.

— Est-ce toujours une cruche ?

— Non.

— Et pourtant, c’est toujours de la poterie, de la glaise, de l’eau et du feu. Crois-tu que j’ai changé une vérité avec mon geste ? En ai-je fait un mensonge ?

— Non. C’était bien une cruche. Vous l’avez détruite, mais vous ne pouvez changer la vérité de son existence.

— C’est très bien ! J’aime voir un esprit intelligent au travail. Je voulais démontrer que la vérité est un ensemble complexe, composé de nombreuses parties. Tu as gagné les jeux, mais pas l’œuf, tu as remporté une victoire, mais c’est Aegon qui a été acclamé. Il faut donc en déduire qu’ils ont préféré applaudir un perdant, plutôt qu’un gagnant, et ceci, est la pure vérité, mon louveteau. Ce n’est pas difficile de faire de la vérité un mensonge. Nous le faisons tout le temps, sans même nous en apercevoir.

Jon réfléchit un moment, puis sentit sa frustration le quitter, et il sourit à la Perle Noire.

— J’ai gagné contre Aegon, murmura-t-il les yeux brillants.

— Oui tu as gagné mon chéri, et c’est le plus important.

Sur cette note positive, elle se leva puis lui effleura des doigts la lèvre supérieure avec une délicatesse inattendue.

 — Tu commences à avoir un peu de duvet, et j’ai un cadeau pour toi.

S’éloignant de quelques pas, elle prit dans un tiroir un étui en buis marqueté sur lequel se détachait le Dragon Tricéphale des Targaryen, et elle le lui tendit. En l’ouvrant, Jon découvrit posé sur un petit coussin de velours sombre un rasoir en bronze bien affilé, ainsi qu’une pierre à aiguiser.

— Merci, madame.

— Tu vas partir, déclara Serala brusquement.

Jon la regarda sidéré, cherchant à savoir si elle était sérieuse. Ou si là encore il y avait quelque chose à comprendre qu’il ne saisissait pas. Partir ? Le cadeau n’était-il destiné qu’à atténuer l’impact de cette nouvelle ?

— Vous me renvoyez ?

— D’une certaine façon.

— Où irai-je ?

— À Pentos !

— Dans les Cités Libres ?

— Tu y passeras les trois années à venir afin de terminer tes études car il y a trop de distractions à Port-Réal : la vie de cour, les femmes, les banquets… A Pentos, en revanche, j’ai loué pour toi un endroit magnifique, c’est là que tu achèveras tes études et ta formation d’homme.

— Vous m’avez vu monter à cheval, combattre, chasser. Je sais dessiner, je connais la géométrie, je parle le haut valyrien et le braavien…

— Cela ne suffit pas, Jon, trancha-t-elle froidement. Sais-tu comment on me surnomme depuis que j’occupe un siège au conseil ? La putain du roi. Et sais-tu ce que cela signifie ? Qu’ils ne m’accepteront jamais car ils me méprisent en dépit de leurs craintes. Toi mon garçon tu tournes le dos à un monde de rustres et d’arriérés. Tu feras face aux Cités Libres qui se mirent dans la mer et qui ont atteint l’excellence dans le domaine des arts, de la science, de la poésie, de la technique, et de la politique. A Westeros, nous ressemblons à ces gens qui s’assoient devant un bivouac par une nuit d’hiver : leur visage est éclairé et leur poitrine réchauffée par le feu mais leur dos demeure dans l’obscurité et le froid. Considère cela comme ton ultime récompense. Le prince à gagné un œuf, toi mon louveteau, tu recevras l’éducation la plus raffinée et la plus complète qui soit.

— Mais qui sera mon maître ?

Serala sourit.

— Il s’agit du grand mestre Kaeth, l’auteur qui a écrit L’histoire des Cinq Rois. Avec lui, tu pourras puiser ton savoir dans celui d’un grand esprit.

Il resta immobile quelques instants sous l’effet des tiraillements intérieurs que les volontés de Serala déclenchaient en lui, essayant de peser les conséquences immédiates de ce brutal changement de vie et de décor…


— Pourrai-je emmener quelqu’un à Pentos ?

— N’importe quel domestique.

— Alors, je choisis Ygrid.

— Naturellement. Tu partiras aussi avec ton maître d’armes et ton professeur d’équitation.  Autre chose ! C’est mestre Kaeth qui décidera du déroulement de son enseignement. Il fera régner une discipline de fer : désobéissance, manque d’attention ou d’application seront exclus.

— Quand dois-je partir ?

— Bientôt.

— Mais quand, exactement ?

— Après-demain. Mestre Kaeth se trouve déjà à Pentos. Prépare tes bagages, et passe du temps avec ton ami Griff.

Jon acquiesça avant d’observer un moment de silence. Serala s’aperçut qu’il se mordait la lèvre inférieure pour éviter de trahir son émotion.

Elle s’approcha et lui serra le bras en déclarant :

— C’est nécessaire, louveteau, crois-moi. Je veux que tu possèdes les connaissances les plus avancées qui soient, que tu parles la langue valyrienne aussi bien qu’un Targaryen ou un Velaryon. Cela ne signifie pas que tu renieras tes origines, car tu resteras westrien au plus profond de toi.     

Jon tournait et retournait entre ses mains son rasoir tout neuf. Serala lui ébouriffa les cheveux.

— Je ne suis pas en mesure de former ton esprit. Et les maîtres que tu as eus ici, au palais, ne le sont pas non plus. Ils n’ont plus rien à t’apprendre. J’ai fait tout ce dont j’étais capable : te donner une formation et une place en ce monde, mais le reste tu dois le faire seul, mon garçon.

— Je t’obéirai, affirma Jon. J’irai à Pentos.

Tous deux se tinrent cois pendant quelques secondes embarrassées. Puis Serala ajouta :

— Il me semble que nous nous sommes tout dits. N’oublie pas de faire tes adieux à Mazetul. Ce n’est pas un mestre, mais c’est un brave homme, qui t’a appris tout ce qu’il pouvait et qui est aussi fier de toi que si tu étais son fils.

— Je n’y manquerai pas, répliqua Jon. Puis-je m’en aller ?  

Serala acquiesça avant de gagner les rayonnages derrière son écritoire, comme pour y chercher un document. En réalité, elle ne voulait simplement pas montrer qu’elle avait les yeux humides.

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