Le Dernier Dragon II : « Jon Snow »

Chapitre 6 : Formation

4059 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 15/05/2017 20:04


Le rire aigu des enfants s’égaillait à travers les volutes de poussière du terrain de manœuvres. Attirés par l’étendue de terrain libre au-delà des murailles de la Tour Sanglante, ils s’assemblaient en meutes braillardes pour regarder l’éclat miroitant de la cavalerie à l’entraînement et pour disputer leurs perpétuelles parties de balle au pied. Dans l’enceinte de la capitale, leurs aînés pouvaient avoir le visage hagard, tendu, mais ici, sous les remparts de la cité, sans souci des dangers des sabots et de l’acier, les enfants s’ébattaient avec toute l’exubérance spontanée de leur innocence juvénile.

Reinhard avait réclamé un terrain de manœuvres où former la cavalerie Feunoyr. Reinhard exigeait, Milo ordonnait et cent mille paires de mains obéissaient. On avait arraché trois kilomètres carrés de forêt tropicale de bois de fer, exhumé les racines avec soin, retiré les rochers et les pierres, aplani et comblé la zone dénudée et tassé le sol jusqu’à lui donner la fermeté de la pierre. À l’endroit où s’était dressée une jungle, il y avait à présent trois kilomètres carrés de terre battue, plane et stérile comme un dessus de table.

Reinhard était impressionné. Un tel défrichage lui rappelait les piranhas mortels qui infestaient les fleuves de Ghis et la colonne vorace des fourmis combattantes qui grouillaient dans les jungles, là-bas. Le terrain de manœuvres était fin prêt, quand les premiers régiments de cavalerie commencèrent à s’infiltrer à travers la barrière forestière pour converger vers le port de Tyrosh. Ganelon lui-même était monté en grade et avait fini par devenir capitaine de cavalerie. L’assassin s’était accoutumé rapidement à sa nouvelle vie et était reconnu même dans certains cercles de la noblesse de l’île.

Bien sûr la Compagnie Dorée faisait très bien son travail, mais Reinhard désirait avant tout une armée compacte et disciplinée qui répondait directement à la reine Baela, car la veuve du vicomte s’était montrée au grand jour, et avait déclaré que Westeros serait reconquise par les véritables fils d’Aegon : les Feunoyr.

Mais pour cela, il fallait une place forte, et les Cités Libres tombaient  à présent les unes après les autres. La Triarchie devenait une puissancesi redoutée qu’elle menaçait la Baie des Serfs. A la cour de Tyrosh, certains conseillers enjoignaient la reine Baela de traverser le Détroit et d’annexer les Sept Couronnes, mais elle répétait toujours que l’heure n’était pas encore venue. Jon Reinhard qui occupait désormais le poste de Main de la Reine, préparait depuis quelques années l’armée conquérante.

« La maison Feunoyr est un colosse, un géant, avait expliqué Reinhard à la reine. Mais en dépit de sa taille et de sa force prodigieuse, c’est un géant impuissant, car il est dépourvu d’armes et d’armure. Je peux forger lesarmes et l’armure dont votre géant a besoin s’il veut accomplir ses conquêtes. Donnez-moi l’or et le pouvoir que je demande. Et je forgerai l’Épée du dragon ».

De l’or et du pouvoir. Milo avait les deux en abondance. Pour en accumuler encore plus, il donna à Reinhard tout ce qu’il demandait. Ce dernier distribuait sans compter, et venues de terres au-delà de Tyrosh, des hommes répondirent à son appel. Mais jamais le Rhoynar ne gaspillait l’or, il le dépensait judicieusement.

C’était un exercice auquel il excellait.

Il y eut des hommes pour répondre à l’appât du gain, saisir leur épée et leur équipement debataille, et s’embarquer vers les forêts de Tyrosh. Reinhard amnistia même d’anciens nobles que Milo avait jetésaux fers.

— Ils ont défié la reine ! protesta l’eunuque.

— Ils se sont sincèrement repentis : soyez magnanime, répliqua Reinhard. J’ai besoin d’hommes entraînés, comme officiers.

Un noyau d’officiers entraînés, des soldatsprofessionnels, et autour d’eux, un encadrement devétérans. Telle était la clé de l’ambitieux dessein de Reinhard. À partir de ce noyau, il pouvait édifier une armée, pour engrossir les rangs en piochant dans les masses, dans la mesure où les meilleurs d’entre eux pourraientêtre formés.

Avec les ressources dont il disposait, ce n’était qu’une question de temps.

Dans l’intervalle, les forges noircissaient leciel, tandis que des artisans œuvraient jour et nuit àfabriquer les armes et les armures qu’exigeait la Main de la Reine. Il rançonna toute l’île pour emplir les écuries, dépensa des cargaisons de lingots pour faire venir les montures dont il avait encore besoin.

C’était une formidable entreprise. Elle aurait étéimpossible sans les milliers de mercenaires quirépondirent à l’appel du Sanglant.

Les armes, l’armure et le cheval d’un tel soldatreprésentaient un investissement énorme. Le talent pourles employer avec efficacité exigeait des années d’entraînement.

Aussi, Reinhard les avait-il entraînés durant des années sur le terrain de manœuvres, à Tyrosh. Avec une précision chirurgicale, il avait ôté les inutiles, confié des commandements aux meilleurs, organisé et réorganisé. Les longues heures d’effort avaient commencé enfin à payer. Sur le noyau d’acier de sa force mercenaire, les composantes dépareillées et le matériau brut s’étaient soudés lentement en une unité de combat. Sous la férule des vétérans, les régiments du dragon avaient pris forme, un mélange de mercenaires endurcis au combat et de recrues nouvellement formées.

Ils se faisaient appeler les libres-compagnons, les condottieres, ou les mercenaires. Mais ils étaient sans code,et ne possédaient d’autres valeurs que le credo personnel de chacun, jurantallégeance à toute cause qui payait bien. Leurs rangs étaient ouverts à tout homme capable de produire les armes et l’équipement requis. Ceux qui possédaient ensus le talent nécessaire pouvaient, avec de la chance,mener des existences longues et mouvementées.

Voilà à quels hommes Reinhard avait fait appel. La plupart étaient venus à lui avec leurs propres armes et leur monture ; certains n’avaient que leurs cicatrices comme témoignage de leur longue expérience guerrière.

Pour les Immaculés, c’était une autre histoire. Ganelon en avait acheté mille des plus prometteurs, et les avaitconfiésà ses officiersvétérans. En deux années, ils étaient devenus une unité d’élite, si bien qu’il leur avait donné un autre nom : « Les Immortels ». Ils étaient devenus si redoutés que des mercenaires désertaient les champs de bataille chaque fois qu’ils croisaient leurs hallebardes.

Ce fut donc avec une certaine satisfaction que Reinhard se détourna après son inspection de l’exercice du jour, pour rentrer tranquillement en traversant lechamp de manœuvre avec Ganelon.

— L’épée du dragon a été forgée, déclara-t-il à l’assassin. Ne reste plus que la tâche d’en affûter le tranchant.

De retour dans la cité, il entendit les rires d’enfants entrain de jouer. Sans prendre garde à l’approche des cavaliers, les gamins jouaient à la balle au pied presque sous leurssabots. En poussant des cris de joie, ils propulsaient lesobjets rebondissant sur la boue.

« Attention ! »Reinhard tira sur les rênes, obliqua quandune petite fille se jeta imprudemment devant lui à lapoursuite de sa balle. L’énorme étalon blanc se cabra, moulinant de ses mortels sabots. Avec un couinement d’effroi, l’enfant obliqua précipitamment.

— C’est le Sanglant ! soufflèrent des voix excitées. Filons !

La bande d’enfantss’éparpilla comme des feuilles mortes.

La petite fille resta sur place, désireuse derécupérer sa balle, mais n’osant pas approcher tandis que Reinhard calmait sa monture qui piétinait.Appréciant son courage, il se pencha de sa selle, saisit la balle par ses cheveux poisseux. Distraitement, il regarda les traits malmenés d’une tête de jeune femme, que la terre et le sang coagulé rendaient presque méconnaissable.

Les pieds nus des enfants avaient pratiquement réduit cette balle en bouillie, au cours de leur partie.

Reinhard tendit l’objet macabre à la petite fille inquiète, aux yeux bleus écarquillés par l’étonnement de recevoir l’attention d’un aussi important personnage.

— Celle-ci est presque inutilisable, lui dit-il.

Et il indiqua du doigt la rangée de têtes plantées le long du rempart de la ville.

— Tu ferais mieux de la remettre à sa place et de te trouver une autre balle.

Chaque matin, on exposait la tête des personnes soupçonnées de déloyauté envers Milo et par voie de conséquence, envers la maison Feunoyr. Les enfants pauvres de la cité ne tardaient pas à se faire de nouveaux jouets de avec ces terribles trophées.

— Oh, non, monsieur, répondit la petite fille en prenant la tête malmenée. Celle-ci, je veux la garder. C’est ma maman.


*

La traversée dura un mois. Une fois arrivée à destination, Jon et le Silure échangèrent une poignée de main vigoureuse comme l’auraient fait des guerriers, puis se promirent de se revoir dans un proche avenir. Jon accompagna ensuite un serviteur envoyé par le mestre Kaeth. Sur le chemin, il observa la ville en se remémorant l’ouvrage Avant les Dragons du chroniqueur Gessio Haratis. Ce dernier affirmait que Pentos existait bien avant l’arrivée des Valyriens sur les côtes, mais d’autres arguaient qu’elle aurait été une ancienne colonie marchande valyrienne fondée lors de l’expansion des Possessions, et qu’elle était dirigée par un prince nommé à vie. L’adolescent sourit lorsqu’il se remémora un passage où le prince en question devait effectuer un ancien rituel censé apporter prospérité à la cité, en déflorant deux jouvencelles : la vierge des champs et la vierge des mers, symboles des deux sources de la richesse de la ville. Jon secoua la tête plus amusé que jamais, si Pentos était prospère c’était uniquement grâce à son important port commercial, et la route valyrienne qui menait vers l’orient et les cités de Ghoyan DroheNorvos et Qohor. En dépit de sa croissance, la cité restait prisonnière des coutumes barbares de l’ancienne Valyria.

Les Basses Landes étaient un séjour enchanteur, situé à l'est des murailles, traversées par un ruisseau et entourées de vergers. Un instant, Jon pensa que le jardinier des lieux avait demandé aux Tyrell de lui confier quelques secrets, afin de créer à Pentos un paradis semblable à ceux qu’ils possédaient dans le Bief.

Une vieille et belle résidence de chasse avait été entièrement restaurée et remodelée de façon à y installer des quartiers pour les hôtes, des salles d’étude et des bibliothèques, un odéon où jouer de la musique et même un petit théâtre où représenter des drames. On connaissait la très haute considération que mestre Kaeth nourrissait pour la tragédie en particulier, mais aussi pour la comédie.

On y trouvait encore un cabinet pour le classement des plantes, un laboratoire pharmaceutique et ce qui étonnale plusJon, un atelier de dessin et de peinture, ainsi qu’une fonderie dotée des appareils les plus perfectionnés et des meilleurs matériaux, rangés sur des étagères : pains d’argile, cire, étain, cuivre, argent, tous marqués du sceau des Targaryen, le dragon à trois tête, qui en garantissait le poids et le titre.

Se sachant assez doué pour le dessin, Jon n’avait imaginé qu’un petit atelier lumineux, garni de quelques tableaux à la céruse et de quelques fusains. Cet équipement imposant lui parut excessif.

Le surintendant lui fit signe, et le conduisit près d’une fenêtre du rez-de-chaussée qui donnait sur la cour intérieure du bâtiment.

« Le voici », dit-il en lui montrant un homme âgé qui se promenait sous l’aile orientale du portique.

C’était un homme sec et droit, d’une quarantaine d’années, à l’attitude réservée, presque affectée. Ses petits yeux mobiles suivaient les gestes de ses interlocuteurs et le mouvement de leurs lèvres, sans rien perdre de ce qui se trouvait, ou se produisait, aux alentours.

Jon comprit que le mestre l’observait déjà, même s’il ne l’avait pas encore fixé un seul instant du regard. Il sortit et patienta devant la porte jusqu’à ce que celui-ci ait effectué un demi-tour du portique. Au bout d’un moment, Kaeth lui fit face : ses yeux étaient gris, nichés sous un front large et haut, sillonné de deux rides profondes. Il avait des pommettes saillantes, que ses joues creuses accentuaient encore. Sa bouche, au contour régulier, était ombrée par une épaisse moustache et une barbe très soignée qui encadrait son visage, apportant à son expression un air pensif et profond.

Le mestre lui tendit la main. « Je suis heureux de te rencontrer, je m’appelle Kaeth et toi tu dois être Jon ! »

— C’est un honneur et un plaisir de faire votre connaissance, grand mestre ! Laissez-moi vous dire que j’ai adoré votre livre sur les cinq rois de Westeros, même si je trouve que vous avez été un peu sévère avec le roi Vyseris.

Kaeth sourit étrangement, et répondit d’une voix suave :

— Nous aurons tout le temps d’en débattre, en attendant je serais honoré si tu acceptais de déjeuner avec moi.

Le mestre lui fit signe de le précéder, tout en continuant de l’observer. Le « garçon de Serala », comme on l’appelait à Port-Réal, avait un regard profond et intense, une voix au timbre sonore et vibrant. Tout en lui dénotait un ardent désir de vivre et d’apprendre, de grandes facultés d’intelligence et d’application.

En arrivant dans la salle à manger, ils prirent place et un serviteurapporta une cruche et une cuvette pour les ablutions, puis passa une serviette. Un autre commença à servir le repas : des œufs durs de caille, une poule au pot, de la viande de pigeon grillée et du brandevin de Dorne.

— Ainsi tu penses que j’étais sévère avec le roi Vyseris ? demanda Kaeth en sirotant du vin.

— Il a tout de même eu le courage d’écarter le roi Baelor le Bienheureux, même s’il n’a régné que durant un an, il a évité un plus grand désastre aux Sept Couronnes.

Jon se tut puis ajouta avec énergie :

— Une telle conviction n’implique-t-elle pas qu’un roi se doit être réservé et sage avant d’être courageux et fort ?

— C’est une question qui te dépasse, observa Kaeth en écalant un œuf. Et qui me dépasse aussi. Une question à laquelle il n’existe pas de réponse sûre. Souviens-toi d’une chose, Jon : un bon maître ne donne que des réponses honnêtes. Ce que j’ai dit sur Vyseris n’était que mon avis, et rien d’autre. Ce n’est pas une vérité approximative, même si sa trahison était nécessaire pour sauvegarder le royaume, l’acte demeure condamnable aux yeux des dieux et des hommes.

— Pourtant… dit Jon intrigué, vous disiez à l’instant qu’elle était nécessaire pour sauvegarder le royaume…

— Le Bien et le Mal prennent parfois des reflets étranges, tu le constateras toi-même avec le temps. Prenons un exemple, si je te disais qu’un Septuaire s’était écroulé sur les fidèles en prière,  et qu’il y avait eu des morts, pourrait-on qualifier un tremblement de terre de maléfique ? Si oui, qui l’a déchainé ? Les Sept ? Pourquoi frapper un Septuaire dans ce cas ?

— Je… je ne sais pas.

— Exactement. Le vrai sage mon garçon, est celui qui pose les bonnes questions.

Il mordit dans l’œuf et ajouta amusé :

— Et qui déguste aussi les bons mets.

Jon le regarda. La leçon avait déjà commencé.


*



















« Je t’ai apporté un cadeau, annonça Kaeth en entrant dans la bibliothèque, tenant un coffret en bois qui semblait très ancien.

— Merci, dit Jon. Qu’est-ce que c’est ?

— Ouvre-le », répondit le mestre.

Jon s’exécuta en posant l’objet sur une table : il contenait un gros livre, portant son titre à l’encre rouge.

— Les aventures de ser Duncan le Grand ! s’exclama-t-il avec enthousiasme. Un cadeau merveilleux. Merci vraiment. J’en avais envie depuis bien longtemps.

— C’est une édition plutôt ancienne, un des premiers exemplaires de la première version contée dans le fameux livre dorée de la Garde Royale, expliqua Kaeth en lui montrant le titre. Je l’ai fait transcrire à mes frais en trois exemplaires quand j’étais à Villeveille. Et je suis heureux de t’en offrir un.

Le surintendant, qui se tenait non loin de là, se dit en son for intérieur qu’il pouvait se le permettre, étant donné l’argent que Serala lui versait, mais il se contenta de préparer en silence ce que Kaeth lui avait demandé pour les leçons de la journée.

— Il est fondamental, pour l’éducation d’un jeune homme, de lire les hauts faits des héros du passé et d’assister à la représentation des tragédies, continua le mestre. Le lecteur et le spectateur sont ainsi amenés à admirer les grands et nobles exploits, la générosité du comportement de ceux qui ont souffert et donné leur vie pour leur communauté et leurs idéaux, qui ont expié jusqu’au bout leurs erreurs ou celles de leurs ancêtres. Tu n’es pas d’accord ?

— Si, bien sûr, admit Jon en refermant avec soin le coffret. Il y a une chose que je voudrais toutefois vous demander : pourquoi dois-je être instruit comme un citoyen ? Pourquoi ne puis-je pas être simplement un chevalier ?

Kaeth s’assit.

— Ta question est intéressante, mais pour te répondre, il faut que je t’explique d’abord ce que signifie être un citoyen. Après, seulement, tu pourras choisir ou non de t’appliquer vraiment à l’étude de mon enseignement. Etre citoyen, Jon, est le seul mode de vie digne d’un être humain. Vois-tu ? Quand les hommes s’émancipèrent de leur état de brutes, ils essayèrent de s’organiser pour vivre en communauté et développèrent principalement trois façons de le faire. La première se nomme monarchie, c’est le règne d’un seul homme. La deuxième s’appelle oligarchie, et l’on y voit commander une élite. Dans la troisième enfin, tous les citoyens exercent leur pouvoir. C’est la démocratie. Telle est la réalisation la plus grande de l’humanité.

« A Westeros, la parole du roi est loi ; à Braavos celui qui gouverne a été élu par la majorité des citoyens. Mais un cordonnier ou un porteur peut se lever, en pleine assemblée, pour demander qu’une mesure déjà approuvée par le gouvernement de la cité soit retirée, s’il existe un nombre de personnes suffisant pour soutenir sa motion.

« A Meereen, Astapor et en Westeros, il n’y a qu’un homme libre : le roi. Tous les autres sont des esclaves.

— Mais les nobles… tenta d’intervenir Jon.

— Les nobles aussi. Certes, ils ont plus de privilèges, jouissent d’une vie plus agréable, mais ils doivent eux aussi obéir. »

Kaeth se tut, car il avait remarqué que ses mots avaient fait mouche, et il voulait qu’ils résonnent dans l’esprit du garçon.

— Je me rappelle avoir lu une fois, répliqua finalement Jon, que le roi Maegor le cruel avait déclaré une fois sur les dirigeants de Braavos : L’autorité multiple ne vaut rien. Un seul homme doit être le chef, doit être le roi : celui à qui le feu du dragon a donné le pouvoir pour régner sur les hommes. D’après lui, ce sont les mots mêmes d’Aegon.

— C’est vrai, mais Aegon parle d’une époque très ancienne, où les rois étaient indispensables du fait de la dureté des temps. Je t’ai offert les aventures de ser Duncan pour que tu grandisses dans le culte des sentiments les plus nobles, de l’amitié, de la valeur, du respect de la parole donnée. Mais l’homme d’aujourd’hui, Jon, est un animal politique. Cela ne fait pas de doute. Le seul endroit où il puisse grandir est la cité, telle que les citoyens libres l’ont conçue.

Kaeth observa le vide et ajouta d’un ton rêveur :

— C’est la liberté qui permet à chaque esprit de s’exprimer, de créer, d’engendrer la grandeur. Tu vois, dans un État idéal, tout le monde saurait commander à la perfection dans sa vieillesse après avoir su obéir à la perfection dans sa jeunesse.

Le mestre le regarda dans les yeux et poursuivit avec gravité :

— Imagine plusieurs milliers de citoyens, qui vivent dans l’égalité sous la tutelle de la loi et de la justice, laquelle couvre d’honneurs ceux qui le méritent, règle les échanges et les commerces, punit et corrige ceux qui ont commis des erreurs. Une telle communauté ne repose pas sur des liens de sang, sur la famille ou la tribu, comme en Westeros, mais sur la loi devant laquelle tous les citoyens sont égaux. La loi remédie aux défauts et aux imperfections des individus, limite les conflits et la compétition, récompense la volonté d’agir et d’émerger, encourage les forts, soutient les faibles. Dans une telle société, ce qui est honteux, ce n’est pas d’être humble et pauvre, c’est de ne rien faire pour améliorer sa propre condition.

Jon le regarda un moment puis posa une question qui le taraudait :

— Si l’organisation démocratique d’une cité est la seule digne des hommes libres pourquoi as-tu accepté d’instruire le bâtard d’un noble, et pourquoi es-tu l’ami de Serala et de Rhaegar ?

— Aucune institution humaine n’est parfaite, et le système des cités comporte un gros problème : la guerre. Bien qu’étant régies intérieurement par des ordonnances démocratiques, de nombreuses villes tentent d’en surpasser d’autres, de s’assurer les marchés les plus riches, les terres les plus fertiles, les alliances les plus avantageuses. Cela les conduit à des guerres incessantes qui consument leurs meilleures énergies et avantagent le nouvel ennemi : la Triarchie.

« Un roi de l’envergure de Rhaegar peut s’ériger en médiateur au milieu de ces querelles et de ces luttes intestines. Il peut faire prévaloir le sens de l’unité contre le germe de la division, et remplir un rôle de guide et d’arbitre au-dessus des parties, en imposant la paix par la force, s’il le faut. Mieux vaut un roi qui sauve la civilisation de la destruction qu’une guerre permanente de tous contre tous, et au bout du compte, la domination et l’esclavage sous le talon des barbares.

« Telle est ma pensée. Voilà pourquoi j’ai accepté d’instruire un fils de noble. Autrement, il n’y aurait jamais eu assez d’argent pour acheter Kaeth. »

Jon fut satisfait de cette réponse, qu’il jugea honnête et juste mais se demanda comment Rhaegar allait faire pour jouer ce rôle dans un continent étranger.




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