Le Dernier Dragon II : « Jon Snow »

Chapitre 7 : Sang de loup

4026 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 21/05/2017 19:05

La vie dans les Basses Landes était organisée de façon extrêmement rigoureuse. Chaque jour, Jon était réveillé avant le lever du soleil, il prenait un petit déjeuner à base d’œufs crus et de miel, puis il montait à cheval avec son instructeur pendant deux heures.

Au terme de la leçon d’équitation, l’adolescent passait sous la tutelle du maître d’armes qui l’entraînait à la lutte, à la course, à l’escrime et au tir à l’arc, au maniement de la lance et du javelot. Il consacrait le reste de son temps à Kaeth et aux autres précepteurs.

Il arrivait que le maître d’armes remplace les exercices habituels par une partie de chasse. Les bois regorgeaient de sangliers, de cerfs, de chevreuils, de loups, d’ours, de lynx et même de lions. Un jour, au retour d’une battue, Kaeth l’accueillit à la porte d’entrée, vêtu d’étranges vêtements : il portait des bottes de cuir à mi-jambe et un tablier à bavette. Ayant examiné les animaux tués, il choisit une laie qui, à l’évidence, attendait des petits.

— Veux-tu bien la porter dans mon laboratoire ? dit-il au veneur avant de faire signe à Jon de le suivre.

Cela signifiait qu’une leçon particulière allait se dérouler.

Le garçon prit les dispositions nécessaires afin que les exigences de son maître fussent satisfaites. Le corps de la laie fut déposé sur une grosse table près de laquelle l’assistant du mestre avait aligné une série d’instruments chirurgicaux parfaitement affilés et scintillants.

Kaeth demanda qu’on lui tende un bistouri. Puis il s’adressa au jeune homme :

— Si tu n’es pas trop fatigué, je souhaiterais que tu assistes à cette opération. Tu apprendras nombre de choses importantes. Il y a ici de quoi écrire, ajouta-t-il en indiquant une plume, de l’encre et des feuilles sur un pupitre, tu pourras prendre des notes sans perdre de vue la dissection.

Jon posa dans un coin son arc et ses flèches, saisit la plume et le papier, et s’approcha de la table.

Quand le mestre ouvrit le ventre de la laie, six marcassins apparurent à l’intérieur de l’utérus. Il les mesura un à un.

— La grossesse aurait été portée à terme dans deux semaines, observa-t-il. Regarde, voici l’utérus, c’est-à-dire la matrice où se forment les fœtus. Le sac qui se trouve à l’intérieur, c’est le placenta.

Dominant le premier mouvement de répugnance que provoquaient en lui l’odeur et le spectacle de ces entrailles sanguinolentes, Jon se hâta de prendre des notes et d’esquisser des croquis.

— Tu vois ? Les organes des porcs et des sangliers, animaux pratiquement identiques, ressemblent beaucoup à ceux des êtres humains. Regarde : voici les poumons, des sortes de soufflets qui permettent de respirer, et voici le phrên, la membrane qui sépare la partie supérieure des entrailles, certains croient que c’est le siège de l’âme, où sont emmagasinés l’activité de la pensée, du raisonnement, ou même de la folie.

— Qu’est-ce qui anime le phrên ? demanda Jon vivement.

— Il n’y a pas de réponses simples à des problèmes complexes. Rétorqua le mestre.

Jon poussa un soupir puis vit son maître soulever un autre organe.

— Voici le cœur, une sorte de pompe qui évoque un peu celles qu’on utilise pour vider les sentines des navires, même si elle est infiniment plus compliquée et plus efficace. C’est là que résident, selon les Anciens, les sentiments et l’intellect. En effet, son mouvement s’accélère quand l’homme est sous l’emprise de la colère, de l’amour, ou simplement des plaisirs de la chair. En réalité, les battements s’intensifient également si je monte un escalier, ce qui démontre bien que c’est le centre de toutes les fonctions de la vie humaine.

— Effectivement, admit Jon en fixant avec perplexité les mains ensanglantées de son maître qui fouillaient les viscères.

— Selon une hypothèse plausible, il est nécessaire que le sang circule plus rapidement quand l’intensité de la vie s’accroît. Il existe deux systèmes de circulation : celui qui part du coeur, et celui qui y revient. Comme tu peux le voir, ils sont tous deux distincts. Nous sommes en cela très semblables aux animaux, ajouta-t-il en posant son bistouri sur le plateau. Mais nous différons nettement en une chose.

Il s’interrompit alors pour demander à son assistant le scalpel et le maillet, avant de découvrir, à l’aide de petits gestes secs et habiles, la boîte crânienne de l’animal.

— Le cerveau. Notre cerveau est beaucoup plus grand que celui de tous les animaux. J’ai toujours pensé que ses circonvolutions servaient à disperser la chaleur du corps engendrée par le coeur, mais l’homme ne semble pas produire plus de chaleur que les animaux. C’est donc un problème que je dois étudier.

Kaeth en avait terminé. Il tendit les instruments à l’assistant afin qu’ils soient nettoyés. Puis il se leva et invita Jon à lui remettre ses notes et ses croquis.

— C’est très bien mon garçon, commenta-t-il. Je n’aurais pas mieux fait. Tu peux maintenant livrer cet animal au boucher. Je raffole des saucisses et du boudin, mais j’ai hélas du mal à les digérer depuis quelque temps. Donne l’ordre qu’on me rôtisse quelques côtelettes pour le dîner, si cela ne te dérange pas.

— Bien sûr, mais je voudrais vous poser une dernière question : avez-vous déjà fait cette expérience sur un être humain ?

— Plus d’une fois. J’ai disséqué des fœtus de quelques semaines. Je versais de l’argent à une sage-femme qui pratiquait l’avortement dans un bordel à Myr.

Le jeune homme blêmit.

— Il ne faut pas craindre la nature, dit Kaeth. Vois-tu, plus les êtres vivants sont proches du moment de leur conception, plus ils se ressemblent entre eux.

— Cela signifie-t-il que toutes les formes de vie ont la même origine ?

— Peut-être, mais pas nécessairement. Le fait est, mon garçon, que la matière est abondante, la vie brève et les moyens d’enquêter fort rares. Comprends-tu pourquoi il est difficile de livrer des réponses ? L’humilité est de règle. Il faut étudier, décrire, classer, avancer petit à petit, atteindre des niveaux de connaissance de plus en plus élevés. C’est un peu comme si l’on gravissait une échelle : un barreau après l’autre.

— Bien sûr, confirma Jon.

Mais l’expression de son visage trahissait une inquiétude qui contrastait avec ses mots, comme si son désir de connaître le monde ne pouvait se concilier avec la patiente discipline que son maître lui proposait.

Un jour, il écoutait une leçon sur les diverses constitutions des Cités Libres, et comprit une chose qu’il n’aurait jamais osé avouer à son mestre. Aucune constitution n’était meilleure que l’autre, car il n’existait aucun repère qui permettait de distinguer la constitution idéale, chaque communauté évoluait selon ses propres nécessités, selon le milieu dans lequel elle s’était développée, les ressources dont elle pouvait disposer, les amis et les ennemis avec qui elle devait compter.  

C’est alors qu’Ygrid traversa la cour avec une amphore remplie d’eau, serrée contre sa hanche ; un instant, Jon revit l’enfer des mines du Crabe.

— Peut-il exister un monde sans esclaves ? demanda-t-il en continuant d’observer la jeune fille.

— Non, répondit Kaeth. De même qu’il ne peut exister de métier tissant la toile sans tisseur. Quand cela se vérifiera, alors on pourra se passer d’esclaves ; mais je nourris des doutes à ce sujet.

Jon secoua la tête et se mura dans le silence.

Au fil du temps, une contradiction étrange grandissait en lui : d’un côté l’éducation qu’il recevait le poussait vers la modération en matière de comportement, de pensée et de désirs, ainsi que vers l’art et la connaissance ; de l’autre, sa nature, fougueuse en soi, l’amenait à suivre les idéaux archaïques de valeurs guerrières et de prouesses qu’il découvrait dans les histoires de ser Duncan le Grand, ou d’Aegon le Conquérant. La lecture de leurs exploits excitait son âme et son imagination, lui transmettait une frénésie irrépressible.

Alors, seule Ygrid parvenait à le calmer. Depuis un certain temps, il lui permettait de rester à ces côtés, ou exigeait d’elle plus d’intimité. C’était peut-être le besoin d’une mère ou d’une sœur lointaines, ou le contact de ces mains qui savaient caresser, procurer un plaisir léger et subtil qui s’accroissait avec douceur jusqu’à enflammer son regard et ses membres. Chaque soir, Ygrid lui préparait un bain chaud et laissait couler l’eau sur ses épaules et son corps, lui caressait les cheveux et le dos jusqu’à ce qu’il s’abandonne…       

Ces moments se conjuguaient de plus en plus fréquemment avec une volonté effrénée d’agir, de quitter la paix de ce refuge et de suivre les traces des grands du passé. Et ses actes quotidiens trahissaient parfois une fureur primitive, une obsession de l’affrontement physique. Un jour, au cours d’une partie de chasse, il s’était querellé avec un garde à propos d’un chevreuil que celui-ci affirmait avoir abattu le premier, et il avait fini par refermer ses mains autour du cou du malheureux. Il l’aurait sans doute étranglé si le maître d’armes ne l’avait arrêté.

Une autre fois, il s’était battu avec l’assistant de Kaeth qui avait mis en doute la légitimité d’Aegon Targaryen.

Kaeth l’observait avec attention et inquiétude ; il y avait deux natures en Jon Snow : celle du jeune homme cultivé et à la curiosité insatiable, qui lui posait mille questions ; et celle du guerrier furieux et barbare, de l’exterminateur implacable, qui transparaissait de plus en plus dans les moments de chasse et de course, pendant les exercices guerriers où la fougue s’emparait de lui, l’amenant à pointer son épée sur la gorge de l’homme dont le seul but était de le préparer et de l’entraîner.   

Alors le mestre sentait qu’il devait encore lui apprendre beaucoup de choses, canaliser sa formidable énergie, lui indiquer une visée et un but.

Les mois passaient, ensuite trois années se sont écoulées. Et l’adolescent devint un jeune loup.

*


Une femme toute voilée de noir frôla Jon Snow et glissa un petit rouleau de papier dans sa main. Le jeune homme sourit en voyant s’éloigner la silhouette vêtue comme un sac avec les toiles épaisses qui alourdissaient ses formes. Mais la démarche était vive et la main qui avait touché la sienne douce et brûlante, tremblante de désir et de crainte. Le jeune homme n’avait pas besoin de lire le message. Il en connaissait déjà la teneur : « Mon époux part aujourd’hui pour un long voyage. Nous pourrons nous voir à loisir. Mais il nous faudra être prudents. Il se méfie, il a chargé son meilleur esclave de me surveiller… ».

La coquine trouverait pourtant bien un moyen pour déjouer cette vigilance. Une cruche de vin, dans laquelle elle aurait versé la poudre de pavot ou quelque autre drogue, procurerait à l’espion une sieste profonde peuplée de rêves tendres.   

Jon glissa le message dans sa poche et continua sa marche sur le quai du port où il rôdait souvent dans l’espoir de recevoir des nouvelles de Port-Réal. Mais il fut heurté par une autre silhouette, drapée cette fois dans un manteau blanc, et une main fiévreuse lui glissa un second billet qui ne devait guère différer du premier.

Depuis quelque temps, les dames de Pentos se disputaient les étreintes du jeune Snow. Particulièrement les femmes mariées dont les longues absences du mari attisaient les désirs d’adultères. L’homme qu’était devenu Jon était d’une beauté sauvage et inhabituelle à Pentos. Les entraînements et pratiques guerrières lui avaient modelé un corps aussi parfait que ceux des éphèbes dont les sculpteurs façonnaient l’image dans le marbre. Mais à la différence des statues, ses membres étaient élastiques comme ceux des grands fauves. Lorsqu’il marchait dans les rues de la cité, plus d’une femme embusquée derrière ses volets défaillait à la vue de la poitrine musclée aisément discernable sous une tunique bleue. Jon était un merveilleux, et beau jeune homme à croquer.

Des rumeurs couraient qu’il allait bientôt quitter Pentos pour rentrer chez lui, alors les ménagères redoublaient d’astuces pour profiter de ce jeune dieu. Jon de son côté ne décevait jamais ses amantes passagères. Il se conduisait donc selon les règles du parfait polygame. Aucune de ses éphémères compagnes ne se devait se croire capable de devenir l’unique, ou la préférée.

Ainsi, il ne rendait jamais visite deux fois de suite à la même femme. Mais pour autant, il n’en négligeait ou n’en dédaignait aucune et les fréquentait à intervalles réguliers. Il fuyait les cœurs tendres, les exaltées ou les mélancoliques, préférant les yeux insolents aux pâleurs rougissantes, le regard appuyé à la modestie troublée. De même qu’il se tenait à l’écart des jeunes filles. Non par goût propre, mais par prudence, car il lui fallait se méfier des extrémités dans lesquelles une femme amoureuse pouvait se jeter. Il s’était formé ainsi un gynécée bien garni de femmes frivoles, avec des blondes et des brunes. Des grasses et des maigres, de très jeunes et de plus vieilles, mais toutes expérimentées. Des femmes mariées exclusivement, car elles seules se montraient capables pour tromper la monotonie de leur quotidien d’avaler et de cacher les pires chagrins ; elles seules s’affirmaient prêtes à supporter des jours d’attente en échange de quelques heures de passion.

Jon chargea un serviteur de prévenir ses deux amantes. Demander à l’une de l’attendre le jour même. A l’autre, de patienter jusqu’au lendemain.

Le serviteur en question apportait beaucoup d’astuce à la résolution de ces épineux problèmes. Frapper à la porte de l’élue du jour à visage découvert restait hors de question. Lui envoyer un billet par l’intermédiaire d’une servante ou d’un enfant aurait été de la dernière imprudence. Par chance, la coutume de se draper dans de grands voiles de Qarth se révélait des plus pratiques. Si elle servait aux maris jaloux à dérober leurs femmes aux regards des hommes de la rue, elle permettait aux femmes infidèles de berner ces mêmes ombrageux époux. Ainsi déguisé en vieille marchande, le serviteur de Jon se faisait le messager du plaisir.

Les jeunes femmes se rendaient d’une façon tout aussi discrète au lieu secret qui abritait leurs amours. Elles faisaient preuve d’une remarquable habileté aiguisée par des siècles de dissimulation. Et si entre elles, ces femmes parlaient volontiers des prodiges d’amour accomplis par le jeune loup, aucune ne se vantait d’en avoir été la complice. Chacune savait bien ce que lui coûterait la plus petite erreur, pas moins que la vie ou, en quelques rares exceptions, une réclusion perpétuelle et des humiliations sans fin. Les plus ardentes se montraient souvent les plus secrètes. Autant les hommes comme partout ailleurs se vantaient de leurs aventures amoureuses et les exagéraient, autant les femmes s’en cachaient, n’en faisant confidence à personne, même pas à leurs plus proches amies.

Jon arrivait toujours le premier au rendez-vous, car il aimait voir surgir son amante drapée dans son voile, que la course et la crainte mettaient hors d’haleine. Il se jouait de son impatience et l’empêchait de découvrir son visage, préférant embrasser d’abord l’empreinte que traçait le souffle de la bouche sur l’étoffe légère. Il se plaisait ainsi à exacerber le désir par l’attente, repoussant son assouvissement jusqu’à le rendre intolérable, puis céder au plaisir avec une violence passionnée qui laissait les deux amants longtemps essoufflés et immobiles, leurs membres mêlés et enchaînés par des tortillons d’étoffe rendus humides par l’haleine et la sueur. Et qui apportaient peu à peu à leurs corps enfiévrés la fraîcheur reposante de l’évaporation.

Au matin, Jon allongé sur le lit, contemplait le plafond richement orné. La femme dormait à côté de lui, et il pouvait sentir la chaleur de sa peau contre sa cuisse et ses hanches. Il y avait une peinture au plafond ; c’était une scène de chasse montrant des hommes avec des lances et des arcs, poursuivant un lion à crinière de feu. Quel d’homme pouvait bien faire représenter ce genre de scène au-dessus du lit marital ? se demanda-t-il. Jon sourit. Le premier magistrat de Pentos devait avoir un ego démesuré, puisque quand il faisait l’amour avec sa femme, elle était forcée de regarder un groupe d’hommes tous plus laids que son époux.

Il se leva sans bruit, et se glissa hors du lit. Il s’habilla rapidement et quitta la chambre. Il descendit l’escalier de service qui menait au jardin, et attendit d’être en bas pour enfiler ses bottes. Les serviteurs n’étaient pas encore levés, l’aube pointait à peine à l’Est. Un coq chanta dans le lointain.

En rentrant aux Basses Landes, il trouva un attelage devant l’entrée. Fronçant les sourcils, il devina que Kaeth devait recevoir un invité important, et espéra que ce ne soit pas le premier magistrat… Avec prudence, il héla un serviteur et lui demanda à qui appartenait l’harnachement dehors.

— Dame Serala est ici, elle veut vous voir et vous parler.

Aussitôt Jon si dirigea vers la salle à manger et trouva sa tutrice assises avec le mestre Kaeth en train de discuter. En voyant Jon entrer, la Perle Noire en resta bouche bée, car devant elle se tenait un jeune homme plus impressionnant que beau. Sa grâce devait y être pour quelque chose, bien entendu, mais sans doute moins que son allure franchement exotique. Ses longs cheveux noués en queue-de-cheval brillaient d’un éclat presque bleu, et ses yeux noirs semblaient aussi perçants que ceux d’un oiseau de proie.

Alors qu’il avançait vers eux, on eût dit qu’une panthère jaillie d’une jungle obscure venait de se mettre en chasse dans une clairière inondée de soleil. Il s’agenouilla devant sa tutrice et exécuta le baisemain, tout en regardant avec tendresse cette femme qui l’avait élevé et protégé.

— Tu as l’air d’un débauché, fit-elle remarquer en l’observant d’un œil critique. C’était qui, cette fois ?

— L’épouse du premier magistrat, dit Jon en se relevant. Êtes-vous venu me faire un sermon, madame ?

— Ai-je l’air d’une septa ?

— La plus belle, si c’était le cas.

Elle posa sur lui un œil sévère qui s’adoucit quand Jon, tête inclinée, sourit à sa tutrice.

— Tu es dangereux, Jon Snow, mais laissons cela pour des sujets plus graves, je suis porteuse de mauvaises nouvelles.

— Qu’est-ce qui se passe ?

— Braavos s’est rendu à la Triarchie, désormais, l’empire des Feunoyr s’étend des Cités Libres jusqu'à Yunkaï.

— Et Astapor ?

— Astapor est encerclée par la Compagnie Dorée et les Puinés. Désormais la reine Baela peut se targuer de porter le titre d’impératrice d’Essos.

— J’avais espéré que le roi Rhaegar pourrait traverser le Détroit avec son armée, et libérer les Cités, dit Kaeth tristement, mais je crains que lui-même ne puisse rien faire.

— Il reste encore un ennemi que les Feunoyr n’ont pas encore soumit. Déclara Jon avec gravité.

Cette fois Serala le regarda intriguée, de même que Kaeth.

— Les Dothraki. Vaes Dothrak compte une cinquantaine de Khalasar, mais l’un deux pourrait représenter un défi, même pour la Compagnie Dorée. Il s’agit de celui du Khal Drogo.

— J’ai entendu parler de lui, dit Kaeth songeur. Son Khalasar compte cinquante mille cavaliers, tous des combattants féroces.

— Et Drogo est un grand chef de guerre, renchérit Jon. On dit que sa tresse de cheveux est si longue qu’elle lui arrive aux genoux.

— Ce qui nous laisse du temps à Westeros pour nous préparer, dit Serala en opinant du chef.

Elle se tourna vers Jon :

— Rassemble tes affaires, mon garçon. Ordonne à tes serviteurs de préparer tes bagages, tout ce que tu souhaites ramener à Port-Réal. Et salue ton maître. Tu ne le reverras pas de sitôt.

Puis elle s’éloigna afin que Jon et Kaeth demeurent seuls pour se dire adieu.

— Le temps a passé rapidement, observa Kaeth. J’ai l’impression d’être arrivé hier aux Basses landes.

— Où iras-tu ? lui demanda Jon.

— Je vais demeurer ici encore un moment. Nous avons accumulé beaucoup de matériel, ainsi qu’une quantité de notes qui doivent être soigneusement répertoriées. Il me faudra un peu de temps. En outre, j’ai commencé des études sur la transmission des maladies.

— Je suis content que tu restes. Je pourrai ainsi te rendre visite de temps en temps. J’ai encore beaucoup de questions à te poser.

Kaeth le fixa et put lire, pendant un court instant, toutes ces interrogations dans la lumière changeante et inquiète de son regard.

— Les questions que tu ne m’as pas posées sont sans réponse, Jon… Ou si réponses il y a, il faut que tu les cherches dans ton esprit.

La lumière de cet après-midi printanier éclairait les feuilles de papier éparses, remplies d’annotations et de croquis, les coupelles des peintres, leurs couleurs et leurs pinceaux, la grande carte du monde connu et les petits yeux gris et sereins du mestre.

— Et ensuite, où iras-tu ? demanda encore Jon.

— Dans un premier temps, à Norvos, chez moi.

— Penses-tu être parvenu à faire de moi un gentilhomme ?

— Je pense que je t’ai surtout aidé à devenir un homme, mais j’ai compris une chose : tu ne seras ni noble, ni un chevalier. Tu seras seulement Jon Snow. Je t’ai appris tout ce qui était en mon pouvoir, désormais tu suivras ton propre chemin et personne n’est en mesure de dire où il te conduira. Une seule chose est certaine : ceux qui voudront te suivre devront tout abandonner, maison, parents et amis, patrie, et s’aventurer dans l’inconnu. Adieu, Jon, que les dieux te protègent.

— Adieu, Kaeth. Que les dieux te gardent aussi, s’ils veulent qu’un peu de lumière brille sur ce monde.

Ils se quittèrent ainsi, sur un long regard. Jamais plus ils ne se revirent.

    


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