Le Dernier Dragon II : « Jon Snow »

Chapitre 8 : Basculement

4857 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 03/07/2017 21:55

Le soleil se couchait, embrasant le paysage de ses derniers feux écarlates, formant comme une couronne de sang sur les cimes enneigées de Pentos. L’homme et la femme qui contemplaient côte à côte la mort du jour, respirèrent les odeurs apportées par le vent qui soufflait des forêts lointaines. Puis l’homme en revint à des préoccupations plus matérielles. Comme il faisait cuire du gibier au-dessus d’un petit feu, il toucha d’un doigt la viande fumante et goûta avec l’air d’un connaisseur. La femme étendue à quelques pas, resserra son riche manteau à fourrure d’ours et ferma les yeux pour savourer cette soirée tranquille, loin des intrigues et des complots de cour.

Ils mangèrent ensuite en silence, et Jon nota comment Serala dévorait sa viande comme une louve affamée. Alors que d’ordinaire elle savait se tenir devant les nobles et les hauts dignitaires, elle léchait ses doigts et jetait les restes au feu. Jon, Pour sa part, mangeait en coupant sa viande avec un couteau.

Lui aussi aimait camper à la belle étoile, et avait convaincu sa tutrice de passer une dernière soirée dans la campagne de Pentos avant de rejoindre le port. La Perle Noire avait accepté aussitôt.

Ils avaient quitté les Basses Landes et s’étaient tenus à l’écart des routes les plus battues, s’engageant dans un sentier que Jon avait déjà emprunté à plusieurs reprises lorsqu’il partait chasser, et qu’ils avaient parcouru en toute quiétude sur une bonne distance, avant la tombée du jour.

Ils s’arrêtèrent deux fois pour permettre à leurs chevaux de reprendre haleine et pour les abreuver, puis avaient fini par atteindre la grande forêt qui recouvrait les collines de Velours.

Ils s’abritèrent dans une grotte où coulait une source. Là, Jon laissa les chevaux brouter librement dehors. Il alluma un feu à l’aide de bâtonnets, puis prépara à manger sous l’œil amusé de la femme.

Comme il était beau son petit loup ! C’était certain, les filles s’entre- arracheraient les yeux pour coucher avec lui. Il avait ce magnétisme et cette présence qui intimidaient au premier regard. Par bien des aspects, il lui rappelait Rhaegar, dans ses gestes, ses paroles, et surtout dans son sourire si beau, et si mâle.

Serala secoua la tête et chassa une pensée ridicule. Jon était comme un fils pour elle, pourquoi donc s’imaginait-elle toute nue dans ses bras chaque fois qu’elle le regardait ? Souhaitant se lover dans ses étreintes, et savourer son odeur bien à lui, et caresser ses cheveux noirs soyeux ? Poussant un soupir, elle accepta un morceau de viande qu’il lui tendit.   

— Le meilleur dîner depuis de nombreuses années, observa Serala, et dans un lieu plus beau que n’importe quel palais. J’ai l’impression d’être redevenue enfant, dans mes montagnes.  

Jon remplit un gobelet de buis à la source et le lui donna.

— Et pourtant, cela ne vous convient pas non plus. Vous auriez vite la nostalgie de la politique, de vos relations et de vos intrigues, ne croyez-vous pas ?

— Peut-être. Mais pour l’instant, laisse-moi rêver.

Jon garda le silence un moment, puis décida d’aborder le sujet sans tourner autour du pot.

— Je ne vais pas revenir avec vous, madame.

Sans ouvrir les yeux, elle répondit d’une voix naturelle. Comme s’y elle s’y attendait, encore une fois le jeune homme était troublé par l’aura de mystère de cette femme étrange.

— Ah ? Et où comptes-tu aller comme cela ?

— Rejoindre Jon Reinhard.

Cette fois, Serala ouvrit subitement les yeux et le regarda stupéfaite.

— Ne vous faites pas, la rassura-t-il, je veux juste voir cet homme.

— Pourquoi ?

— Il m’intéresse.

— Il est l’ennemi à venir, déclara-t-elle gravement. Tu veux étudier ce faiseur de guerre ?

— Oui.

— Et qu’étudieras-tu exactement ?

La réponse semblait trop évidente.

— Son armée et la façon dont il se bat.

— Ce serait un bon début. Mais pour le vaincre, il faudra aussi que tu apprennes pourquoi il se bat.

— C’est pour cela que je ne peux pas venir avec vous à Westeros. Je voyagerai à l’Est et je rejoindrai une compagnie de mercenaires. Ou peut-être que j’irai à Tyrosh pour m’engager dans l’armée Feunoyr.

— Ce serait toujours un bon début, mais dis-moi la vraie raison mon garçon ! le pressa-t-elle d’une voix douce.

Il baissa d’abord les yeux brièvement avant de les relever pour la considérer d’un air farouche.

— Ici je suis Jon Snow, un homme comme les autres, pas un bâtard, ni une raclure qu’on s’amuse à insulter, ou à battre. Rentrer à Westeros c’est retourner vers le mépris, l’injustice, et je ne veux plus vivre comme cela.

— Que tu le veuilles ou non, tu es un bâtard.

Jon tressaillit mais adopta un visage de marbre.

— Et tu resteras un bâtard, ajouta-t-elle de cette même voix glaciale. Porte ce titre comme une armure, et personne ne pourra l’utiliser contre toi.

— Qui est mon père, madame ? demanda-t-il brusquement.

— Ton père est juste un homme qui a baisé ta mère du mauvais côté des draps.

— Alors expliquez-moi pourquoi c’est moi qu’on blâme pour son péché ? s’exclama-t-il fou de rage. Je n’ai pas demandé à naître, et je n’ai pas à supporter les railleries de Gerold Dayne, ou du prince Aegon par sa faute. Mon oncle Eddard lui-même m’a jeté à Varys, comme si j’étais un pestiféré.

— Et je t’ai recueilli, répliqua Serala de cette même voix imperturbable. Tu t’en souviens ? J’ai fais pour toi plus que ne l’aurait fait un lord pour un fils illégitime. Sais-tu combien j’ai investi sur ta personne ? Le sais-tu ?

— Je ne veux pas le savoir.

— Au moins mille dragons ! Une somme disproportionnée : un quart du trésor d’une ville au sommet de sa splendeur.

— Mais pourquoi vous donner tant de peine pour moi ?

— N’oublie pas Jon, dit-elle en ignorant sa question. Si tu n’étais qu’un homme du commun, j’aurais peut-être accepté ta demande, mais tu ne l’es pas, tu as juré fidélité à Rhaegar. La loyauté due à ton roi t’oblige à l’informer de tes projets afin qu’il puisse étudier le bien-fondé de ta demande et te dire s’il y consent ou non. Il en envisagera tous les aspects : le moment est-il opportun pour toi de partir ? Le trône y a-t-il avantage ? Tu ne t’appartiens plus mon garçon, tu es un sujet de la couronne.

— En clair, je dois attendre les ordres et fermer ma putain de gueule, c’est cela ? Aboya-t-il furieusement.

— En clair, ta vie appartient à ton roi, répondit Serala fermement.

Jon se leva brusquement et fit les cent pas devant la jeune femme qui le suivait des yeux, puis se tourna vers elle et déclara d’une voix posée :

— Tout de même, mon départ sert justement la couronne… Comme vous le savez, les Feunoyr sont sur le point de soumettre l’ensemble d’Essos, après Vaes Dothrak leurs vues se tourneront vers les Sept Couronnes. Nous ne savons rien de Reinhard, si ce n’est qu’il commande les armées de la reine Baela. Je veux y aller et voir ce qui se passe, comprendre comment il arrive à arracher la victoire à ses ennemis, deviner ses projets et tout le reste.

— C’est louable, j’en conviens, mais c’est au roi d’en décider.

— Sur votre recommandation.

— Je n’en ferais rien.

— Mais pourquoi ? s’écria Jon sidéré.

Serala allait répondre, mais détourna aussitôt les yeux. Après un moment elle regarda de nouveau avec froideur.

— C’est une décision qui appartient au roi.

Jon secoua la tête en la regardant avec un air ahuri. Mais elle s’allongea sur son manteau et ferma les yeux comme pour signifier que la conversation était close. Dépité, il s’éloigna a grandes enjambées.    

        

Des nuages noirs masquaient le soleil, et la journée était grise et fraîche. Jon et Serala arrivèrent enfin à Pentos, où ils guidèrent leurs montures à travers la foule et s’arrêtèrent seulement lorsqu’ils atteignirent un grand entrepôt. Un vieil homme grisonnant, à qui il manquait une oreille, sortit pour les accueillir. Lui et Serala échangèrent quelques mots, puis l’homme conduisit les chevaux à l’intérieur du bâtiment.

Maintenant à pied, Serala et Jon se fondirent dans la cohue puis elle bifurqua à gauche dans une ruelle, et avança avec précaution le long de planches qui avaient été disposées sur la boue. Jon lui emboîta le pas. Ils débouchèrent bientôt sur un chemin plus large et moins fréquenté.

— Il n’y a pas toujours autant de monde, lui expliqua Jon. C’est le début de la saison marchande, et des milliers de commerçants viennent ici.

— Je le sais, j’ai toujours dit que le commerce sauverait Pentos de la guerre, mais d’après mes sources, le haut prince vient de prêter serment d’allégeance aux dragons noirs. Il faut que je parle à un contact du nom de Skeld pour en avoir le cœur net.

— Et où allez-vous le rencontrer ?

— Au hall des voyageurs.

— Je connais, je vous y conduis, mais ensuite ?

— Ensuite nous embarquerons pour Port-Réal, j’en ai assez de cette cité, ajouta-t-elle froidement.

Le hall des voyageurs était une structure impressionnante de près de soixante mètres de long sur dix mètres de large, bâtie à la lisière nord de Pentos. Le bâtiment était en bois, sur deux étages, sans aucune fenêtre, mais avec plus d’une douzaine de portes de chaque côté. C’était le plus grand bâtiment que Serala ait jamais vu. Il lui paraissait aussi magnifique qu’extrêmement laid.

L’intérieur était divisé en plusieurs zones. Au fond, sur la gauche, il y avait des tables avec des bancs où des hommes buvaient et mangeaient. Au centre, il y avait aussi un grand cirque de sable entouré par des gradins.

Ceux-ci étaient tous occupés, et Serala vit que quelqu’un faisait tourner un grand cheval dans l’arène. Le commissaire-priseur prenait les enchères pour la bête. Elle s’arrêta un instant. Le cheval était un étalon marronnier d’au moins seize mains de haut.

Une très belle bête.

Elle écouta les enchères. Le cheval partit pour cent dix pièces d’argent. Une somme colossale !

Jon lui tapota le bras, et Serala le suivit autour du cirque, jusqu’à une salle à manger avec des tables posées sur des estrades. La plupart étaient occupées, mais Jon en trouva une libre près du mur ouest et alla s’y asseoir.

— On m’a dit que la nourriture n’a pas son pareil ici, dit-elle en faisant la moue. J’espère que c’est vrai.

— Les plats sont excellents, assura Jon, j’ai déjà mangé ici, et je peux vous assurer que la nourriture est digne des dieux.

Serala regarda autour d’elle mais ne vit pas de rôtissoires. Des femmes se déplaçaient entre les dîneurs et ramassaient les assiettes. Puis, d’autres arrivèrent de l’extérieur portant des plateaux chargés d’assiettes de viandes, de légumes, et de pichets de bière.

Jon leva la main et attira l’attention de l’une des filles. Blonde et fine, elle se fraya facilement un chemin dans la foule et s’arrêta près de leur table. Jon lui demanda quels plats étaient encore disponibles. Serala l’écouta en silence énumérer la liste : canard rôti, poitrine de faisan, filet de bœuf, cygne aux épices, jambon froid, tourte aux pigeons, langue de bœuf, cervelle de mouton, langue d’alouette… La nourriture proposée semblait infinie. Jon passa commande pour les deux, et la fille s’en alla. Le jeune homme la suivit du regard.

— Très mignonne, remarqua-t-il avec des yeux gourmands.

Serala poussa un soupir.

— Est-ce que tu as vu ce cheval ? demanda-t-elle, bien décidée à changer de sujet.

— Oui. Dothraki. De belles montures, rapides et puissantes. Très bonnes pour la course, très mauvaises pour la guerre.

— Pourquoi mauvaises ?

— La nourriture est l’aspect le plus important d’une campagne, expliqua Jon. Pensez aux chevaux. Il leur faut survivre uniquement grâce au fourrage, et il n’y en a pas toujours beaucoup. Ils seront montés tous les jours, parfois pendant des semaines. Les chevaux Dothraki ont besoin d’avoine pour rester en forme. Et puis, ils sont de constitution délicate, et sujets aux maladies pulmonaires et aux vers.

— Je vois, dit-elle songeuse. Dans ce cas, peut-être que nous devrions les accoupler avec les destriers dorniens.

Jon éclata de rire.

— Et il faudrait trouver un cavalier assez bon pour maîtriser ce monstre. Tout le monde n’est pas comme le roi Rhaegar avec son célèbre Aïeul.

— Maintenant que tu le dis, c’est vrai, admit-elle avec un sourire. Aïeul à toujours été difficile pour les pauvres palefreniers, seul Rhaegar parvenait à le calmer.

La bière arriva en premier, accompagnée d’une miche de pain avec des graines de pavot. Le pain était bon, décida Serala, mais pas aussi bon que celui que faisait son cuisinier personnel. En revanche, le plat de viande était un régal : mouton rôti avec une sauce à la menthe et au vinaigre de vin. Elle le dévora avec délectation. Ils terminèrent leur repas avec une tarte aux fruits rouges. Repue, Serala s’adossa à sa chaise. 

— C’était excellent, déclara-t-elle, comme tu l’avais dit.

— Il existe bien des plaisirs à Pentos, dit Jon. Ne jugez pas cette ville sur son apparence affreuse.

— Bon, je dois aller trouver Skeld. Il m’a dit qu’il allait me trouver dans l’un des salons privés.

— Je vous attends ici.

— Ne me fais pas un enfant dans le dos, ajouta-t-elle en le fusillant du regard. Tiens-toi tranquille pendant une heure ou deux.

Jon gloussa mais opina du chef avec un sourire complice. Le visage de Serala s’adoucit et lui tapota la joue avant de se retirer. Jon leva la main et appela la serveuse pour régler le repas.

La fille s’attarda un peu.

— Tu es nouveau en ville ? demanda-t-elle à Jon.

— Non.

Elle se pencha et lui caressa l’œil droit.

— Comment t’es-tu fait cette cicatrice ? s’enquit-elle.

Le contact de sa main le mit mal à l’aise.

— Un coup d’épée, répondit-il.

— Tu en as d’autres ?

Elle s’était beaucoup rapprochée.

— Oui.

— J’aimerais bien les voir.

— Tu aimes regarder les cicatrices ? lui demanda-t-il amusé.

— J’aimerais regarder les tiennes. Je finis mon service dans une heure. Tu pourrais me rejoindre dans ma chambre. Ce sera la meilleure pièce d’argent que tu pourras dépenser ici.

— Je serai là, promit Jon.

Le sourire de la jeune fille s’élargit et elle s’en alla. Jon se leva et s’étira, puis il s’approcha du cirque de sable où il regarda un moment la vente de chevaux. Les chevaux Dothrak étaient vraiment des bêtes magnifiques. Il songea à tout hasard à ce que pourrait donner le croisement d’un tel étalon avec une jument westrienne.

Les enchères se terminèrent et Jon sortit un peu à l’air libre. Il alla s’asseoir sur une barrière pour contempler la ville au bord de l’eau. Au clair de lune, Pentos était majestueuse. Des centaines de lanternes brillaient aux fenêtres, et les chemins étaient éclairés par des torches. La ville brillait comme un collier orné de pierreries autour du cou de la baie.

Il s’apprêtait à rentrer au hall quand il entendit du mouvement. Trois cavaliers approchaient, il s’écarta pour les laisser passer, mais lorsque le celui de tête lui jeta un regard, un frisson de peur parcourut Jon lorsque ses yeux pâles se posèrent sur lui.

L’homme était grand, large d’épaules, et ses avant-bras nus puissamment musclés. Tout en le dépassant, il sourit et Jon sentit la colère monter en lui. À cet instant, chacun des deux avait reconnu le guerrier en l’autre, et le sourire avait été méprisant.

— Eh bien, voilà ce que j’appelle un sacré fils de pute, murmura-t-il en le regardant s’éloigner avec ses compagnons.

— La Pomme Gâtée, déclara la serveuse derrière Jon.

Surpris par son arrivée furtive, ce dernier se tourna vers elle.

— Tu le connais ?

— C’est un monstre. Tu ferais bien de l’éviter, on raconte d’horribles histoires sur lui.

Jon rit gaiement.

— Tu as fini ton service ?

Elle éclata de rire, soudain de bonne humeur.

— Tu as de quoi payer ?

— Pour toute une nuit.


*


La fille n’était pas savante, mais elle était ardente et généreuse, et Jon la quitta à l’aube sans la réveiller.

A cette heure-ci dame Serala aurait fini. Elle le houspillerait certainement pour son retard, mais elle finirait par lui pardonner ; comme toujours.

Bizarrement, il n’y avait personne au hall, alors il commanda un petit déjeuner, après il s’installa et attendit la Perle Noire qui visiblement était plus en retard que lui à son plus grand soulagement.

Les heures avaient passé avec une lenteur atroce, et toujours aucun signe de Serala. Jon pouvait entendre son coeur battre dans sa poitrine. De façon étrange, il pressentait que Serala ne reviendrait pas. C’est la peur qui me fait dire ça, pensa-t-il. Et une autre heure passa. Jon commençait à s’inquiéter, il décida donc de sortir du hall et d’attendre dehors. Peut-être qu’elle avait quitté le bâtiment avec son contact ?

En sortant, il héla un marchand et lui demanda où habitait un dénommé Skeld.

— Suis cette rue jusqu’à la forge de Merin. Tu ne peux pas la manquer. Il a accroché un vieux crâne de bœuf sur sa porte. Tourne à gauche et va tout droit jusqu’à ce que tu arrives devant une rangée d’entrepôts, alors tourne à droite. Tu verras un petit verger de pommiers et un long bâtiment avec un entrepôt au bout. Il y aura l’enseigne de Skeld sur la porte, un cercle d’or autour d’une feuille de chêne.

— Merci beaucoup, fit Jon.

Alors qu’il s’apprêtait à partir le marchand ajouta avec gravité

— Cela risque de te prendre du temps. La foule doit revenir de l’exécution.

Jon eut un haut-le-cœur.

— Qui a été tué ? s’enquit-il.

— Une espionne de Westeros à ce qu’on m’a dit. Mais je ne l’ai pas vue personnellement. Je viens juste d’arriver en ville.

Jon reprit sa route. Arrivé à la forge, il ne tourna pas à gauche. Il continua plutôt en direction de la grande place où il voyait la foule s’amasser. Il dut progresser à contresens d’une cohue qui l’ignora complètement, pour arriver enfin à un gibet dressé sur une plateforme.

Le corps de Serala était suspendu à un crochet en bronze qu’on lui avait planté entre les omoplates. Son visage avait été sauvagement battu ; on lui avait crevé un œil. Ses intestins pendaient, et ses mamelons furent arrachés, et, de manière incongrue, Jon s’aperçut qu’il lui manquait un sein. Une pierre siffla au dessus de l’épaule de Jon et vint percuter le visage mort de Serala. Le jeune homme se retourna et vit un groupe de petits garçons qui rigolaient bêtement.

Il lutta pour conserver son calme et se détourna du cadavre pour retourner sur l’artère principale, tournant à droite à la forge en direction de chez Skeld. Cet instant précis, il n’avait pas de plan et ne savait pas encore ce qu’il allait faire.

Mais une fureur noire grondait dans sa poitrine. Il marchait d’un pas décidé. Quelqu’un devrait payer, oui ils paieraient tous pour la mort de cette femme. Il tuerait, et tuerait encore et encore jusqu'à ce que l’âme de son amie soit apaisée.

Arrivé au verger, il localisa rapidement l’enseigne d’or et de chêne et alla frapper à la porte de la maison. Celle-ci fut ouverte par un homme entre deux âges, chauve, les épaules voûtées, et vêtu d’une longue robe de laine bleue.

— Qu’y a-t-il ? demanda l’homme en détaillant tel un myope le visage de Jon Snow.

— Tu es Skeld ?

— C’est bien moi, répondit-il sèchement. Que veux-tu ?

— On m’a envoyé ici recueillir des informations.

— Et qui t’envoie ? s’enquit Skeld d’une voix plus amicale.

— Lord Varys, répliqua instantanément Jon.

Skeld resta silencieux un moment. Puis son visage s’illumina d’un grand sourire et il invita Jon à entrer. Le sol était recouvert de tapis somptueux, et la pièce principale débordait de caisses et de coffres empilés les uns sur les autres.

Skeld se faufila au milieu des piles pour arriver finalement à un petit espace près de l’âtre où deux fauteuils avaient été installés autour d’une table. Tout en offrant un siège à Jon, il déclara :

— Comme tu peux le voir, j’ai déjà du mal à caser mon stock. C’est la faute de la guerre. Les routes commerciales de l’Est me sont désormais fermées. Mon entrepôt déborde de marchandises. Je suis désolé de ne pouvoir vous donner plus d’informations sur les Noirs. Mais laisse-moi quand même t’offrir un gobelet de vin pour ta peine.

Il disparut entre les caisses durant plusieurs minutes. Jon en profita pour observer la pièce. Les murs étaient couverts de décorations, de peintures, de tapis et d’armes. Mais ses yeux furent attirés par un bouclier d’acier rond, orné d’une tête de lion. Lorsque Skeld revint, il portait deux gobelets en argent. Il en offrit un à Jon et posa le deuxième sur la table devant lui. Puis il s’assit confortablement dans son fauteuil.

— Il ne fait pas bon être espion ces temps-ci, dit-il. Comment va               lord Varys ?

Le jeune homme posa son gobelet sur la table.

— Il allait bien la dernière fois que je l’ai vu.

Jon avait du mal à reconnaître sa propre voix tant elle restait douce et amicale.

— Tu es bien jeune pour que Varys te fasse confiance.

— Je lui ai rendu service.

Il regarda une nouvelle fois le mur derrière Skeld.

— Tu as des décorations assez inhabituelles. D’où est-ce que ça vient ? demanda-t-il en désignant le bouclier d’acier.

Skeld se retourna.

— Le bouclier au lion ? C’est vrai que c’est une belle pièce. Elle provient d’un site funéraire à l’Est. J’avais pensé la vendre à Castral Roc. Les yeux du lion sont des rubis. Des pierres très chères.

Il se retourna vers Jon.

— Mais je vois que tu ne bois pas ton vin. Il n’est pas à ton goût ?

— On m’a appris à attendre que mes aînés boivent d’abord.

— Ah, une bonne éducation. Il y a si peu de personnes qui font montre d’une telle courtoisie de nos jours.

Skeld prit son gobelet et but une grande gorgée. Jon l’imita. C’était un vin rouge, riche en saveur.

— Très bon, déclara Jon. Peut-être le meilleur que j’ai goûté.

— Il vient du Dorne, expliqua Skeld. Et maintenant, dis-moi, jeune homme, pourquoi me racontes-tu des mensonges ?

— Des mensonges ?

— C’est à Serala que je rends compte de mes activités d’espionnage, et Varys ne connait pas mon existence. Ce n’est donc pas lui qui t’envoie.

— Non, c’est vrai, admit Jon. J’étais avec Serala. Elle est venue te voir la nuit dernière. À présent, elle est morte. Que s’est-il passé ? Comment ont-ils pu l’attraper si vite ?

— J’ai drogué son vin, répondit Skeld. Puis, alors elle dormait, j’ai envoyé un serviteur prévenir Derrick Fossovoie. Cela m’a fait de la peine de traiter la pauvre femme de cette manière mais, comme je te l’ai expliqué, le commerce n’est pas bon. Livrer la Perle Noire aux Feunoyr m’a rapporté un bon prix.

— Tu l’as faite tuer pour de l’argent, dit Jon. Mais quel genre d’homme es-tu donc ?

— Un marchand. Je suis dans le négoce. Et j’ai négocié avec la Pomme Gâtée. Quand la pauvreté frappe à ta porte, tous les moyens sont bons, mon garçon.

— Je vais la venger, déclara Jon. Je vais te tuer à petit feu, et ce sera très douloureux. Et pendant que tu seras en train d’agoniser, je suis sûr que la pensée de tout cet argent que tu as gagné te soulagera.

Skeld gloussa.

— Je ne crois pas, jeune homme. Vois-tu, j’ai du flair et, dès que je t’ai vu, j’ai su que tu représentais un danger pour moi. Ton vin aussi était drogué. Essaye de bouger tes jambes, tu verras que tu n’y arriveras pas. Ce sont les jambes qui sont touchées en premier, puis les mains. Bientôt, tu seras inconscient. Et à la différence de Serala, toi tu ne te réveilleras pas, parce que je t’ai versé une grosse dose. Mais ce sera sans douleur.

Jon prit une profonde inspiration et se leva de son fauteuil. Skeld sursauta. Il écarquilla les yeux et essaya de se lever à son tour. Ses mains se refermèrent sur les bras de son fauteuil, mais il ne bougea pas.

— J’ai échangé les gobelets pendant que tu me parlais du bouclier, lui expliqua Jon. Tu sais mon ami ? J’ai suivi des cours d’anatomie avec mon mestre, et j’ai bien envie de pratiquer sur toi une autopsie, tu en               dis quoi ?

— Non, non, non, gémit Skeld. Je ne peux pas mourir !

Jon Snow alla chercher une écharpe en lin sur une étagère. Il s’approcha de Skeld et lui attacha rapidement les bras dans le dos. Puis, il alla chercher un tisonnier à côté de l’âtre et le plongea au milieu                     des flammes.

— Oh, si, tu vas mourir, dit-il d’une voix glacée. J’ai vu mon amie pendue à un crochet. On lui avait crevé un œil. Avec un fer chaud, d’après moi. On lui y a aussi arraché un sein avec. Bientôt, tu sauras ce qu’elle                 a enduré.

Des rires d’enfants résonnèrent à l’extérieur, ainsi que des bruits de petits pieds qui couraient devant la maison. Jon tourna le tisonnier dans les flammes.

— Tu entends, marchand ? Je te promets que cette cité ne rira bientôt plus. Je vais faire tout mon possible pour éliminer ton peuple de la surface de la terre. Je les traquerai tous et je les écraserai comme la vermine qu’ils sont. Souviens-t’en en mourant !

Il retira le tisonnier ardent des flammes et s’approcha de l’homme paralysé.


                                  

  

                          



                     

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