Le Dernier Dragon II : « Jon Snow »

Chapitre 9 : Les Dragons Noirs

5558 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 13/08/2017 11:20

Le capitaine général des Dragons Noirs, Jon Reinhard, avança lentement le long du périmètre intérieur de son armée en campagne. Les yeux cachés sous une capuche, il observait l’effervescence autour de lui. Huit mille soldats travaillaient en groupes hautement qualifiés à des tâches prédéterminées, afin d’ériger en quelques heures une forteresse dont la construction aurait normalement dû demander des jours. Sur le passage de Reinhard, les soldats qui sentaient sa présence avaient tous l’impression que son regard sombre se posait sur eux comme une ombre mortelle, évaluant leurs travaux, la vitesse à laquelle ils les accomplissaient, et la précision de leurs gestes. Aucun d’eux ne se risquait à regarder dans sa direction.

Il marchait les bras croisés dans le dos. Le soleil se reflétait sur son armure en acier brillant. Imposant, le teint légèrement brun, Jon ressemblait à un prince de Dorne, même s’il portait d’autres titres plus royaux : Princes des îles du Basilic, Main de la Reine, et enfin Capitaine Général des Dragons Noirs.


Désormais, il n’existait qu’une seule armée, dirigée par un seul général. Xhobar Qhoqua commandait la Compagnie Dorée, mais n’inspirait que du mépris aux hommes ; de fait l’armée qui avait été fondée par l’ancêtre de Baela, Aegors Rivers n’avait pas été correctement dirigée. Durant la première campagne contre les khals dothraki, Qhoqua avait été trop prévisible, débordé, surclassé.

L’armée avait été écrasée, quatorze mille hommes massacrés, et seulement quatre mille rescapés. La plupart des officiers ayant trouvé la mort, Jon Reinhard avait été forcé de prendre le commandement de la Compagnie. Il avait organisé une ligne de défense à l’arrière, qui avait repoussé les Dothraki pendant dix-sept jours, jusqu’à l’arrivée des renforts. Alors que les chefs de la Compagnie étaient en pleine confusion et prêts à se rendre, Reinhard avait lancé une contre-attaque face à l’armée barbare, la mettant en déroute et capturant deux de ses khals. Trois mille cavaliers dothraki avaient été crucifiés, les khals décapités. Jon Reinhard devint ainsi le héros incontesté de la Compagnie Dorée.

A quarante-deux ans, il était le plus grand général qu’Essos ait jamais eu. Respecté et craint à travers la Triarchie, il avait remporté campagne après campagne, avec une efficacité quasi chirurgicale, et l’empire grandissait. Reinhard était devenu de plus en plus populaire dans le continent.

Pour ses soldats, il était une figure divine qu’il fallait craindre et à laquelle on devait obéir aveuglément. Il était également le général qui avait fait en sorte que ses hommes aient toujours à manger, et que la solde arrive toujours à l’heure. En plus de tout cela, il était aussi un planificateur hors pair et il s’assurait que ses troupes ne courent jamais de danger inutile.

C’étaient des qualités que ses hommes appréciaient par-dessus tout. Que sa discipline soit dure – la flagellation et la pendaison étaient monnaie courante – ne les dérangeait pas plus que cela. La plupart de ces décisions disciplinaires concernaient l’inattention, et elle pouvait être fatale aux soldats. Les hommes le comprenaient bien. Et ils aimaient aussi le fait que Reinhard ne portait pas d’armure blasonnée ou d’armes incrustées de joyaux.

Son plastron était en acier, son épée réglementaire, son heaume quand il le portait était cabossé sans plume ni crête. Le seul indice de son rang était la cape noire qu’il portait, et un destrier dornien qui portait le nom de « Scorpion ».


Reinhard observait la construction de la forteresse, regardant toute la zone, notant la cadence de travail et le positionnement des drapeaux de couleur signifiant où les tentes seraient montées, et les animaux de traits attachés. Derrière lui venaient quatre jeunes officiers et six messagers, qui espéraient tous que rien ne viendrait contrarier le général.

Cela faisait six jours qu’ils marchaient dans les plaines de la mer Dothrak, et dans ce laps de temps ils avaient monté six camps identiques à celui-ci, de trois cent soixante mètres de long sur deux cent soixante-dix de large, pour un total de quatre-vingt dix-sept mille deux cents mètres carrés. Il y avait deux portes, une à l’est, l’autre à l’ouest, construites avec des arbres abattus et leurs troncs fendus de façon experte. En ce moment même, des cavaliers traînaient derrière eux des arbres coupés dans les bois au nord au royaume des Iféquevrons. La mer Dothrak était une étendue de terre sans fin, la plupart du temps, ils transportaient d’énormes quantités de bois dans des chariots pour construire d’autres camps.

Les Dragons Noirs connaissaient depuis longtemps l’importance des camps fortifiés, mais il avait fallu le génie de Reinhard pour affiner le procédé jusqu’à ce qu’il soit considéré comme un art.

Chaque jour, trois heures avant la tombée de la nuit, et tout en marchant en territoire ennemi, les troupes de tête, six mille vétérans endurcis, formaient un écran protecteur autour de l’aire que les officiers de signalisation avaient désignée pour monter le camp. Les officiers mesuraient alors les lignes de défense du périmètre, et les balisaient avec des drapeaux verts. A l’intérieur du vaste rectangle qui pouvait monter jusqu’à quatre-vingt acres, ils signalisaient les dimensions de la tente du général, des tentes des autres officiers et des hommes, puis les lignes de piquets pour attacher les montures, ainsi que la section affectée au convoi.

Lorsque la troupe suivante arrivait, ses soldats ôtaient leurs armures, se répartissaient en groupes, prenaient des pelles, et creusaient la tranchée des défenses. En une heure et demie, la tranchée était finie, avec une palissade en bois érigée sur toute sa longueur.

Lorsque le convoi d’équipement arrivait, la palissade était presque terminée et chaque unité savait ce qu’elle avait à faire. Quand ils avaient fini de creuser, les soldats remettaient leurs armures et se retiraient derrière les fortifications, avec les deux garnisons de l’écran de protection. Les dernières à arriver seraient les unités de cavalerie patrouillant la région à la recherche d’un signe                      de l’ennemi.

En l’espace de trois heures, une énorme fortification avait été construite en plein coeur du territoire ennemi. A la nuit tombée, toute l’armée, ses chariots et son équipement campaient à l’abri.

Reinhard continua son inspection tandis que les soldats finissaient la grande tranchée, retirant la terre pour créer le périmètre de défense du camp. Il tourna son regard vers le nord et la lointaine ligne de collines derrière lesquelles les Dothraki se rassemblaient. Il pouvait apercevoir ses propres éclaireurs, et se disait une fois de plus qu’il aurait bien voulu que son budget militaire lui permette plus de cavalerie. Il n’aimait pas avoir recours aux Ailerons Sanguinaires. Il ne doutait pas que Liomond Lashare soit un bon guerrier, mais, comme la plupart des mercenaires de sa race, il était impétueux et instable, et ne comprenait rien à la stratégie.

Alors qu’il avait cette pensée en tête, il vit un jeune homme marcher en direction des fortifications, traînant derrière lui un cheval blessé. Quelque chose chez cet homme éveilla l’intérêt du général. Mais au même moment, il vit le premier chariot du convoi d’équipement franchir une petite colline. Il plissa les yeux. D’autres chariots suivaient, avec des soldats de chaque côté. Les hommes étaient trop près des carrioles. Si l’ennemi attaquait, ils seraient bloqués contre eux, incapables de former une position défensive. Reinhard claqua des doigts. Un jeune messager apparut à ses côtés.

Le général désigna la colonne de protection des soldats.

— Trouve l’officier et dis-lui de faire respecter la distance réglementaire entre ses hommes et les chariots. Dis-lui également de venir me faire son rapport dans ma tente une fois que ses hommes seront derrière la palissade.

À présent contrarié, il fit les cent pas. Les quatre aides et les cinq messagers restants se tendirent d’un coup. Chacun maudissait en silence l’officier récalcitrant, car la colère de Reinhard ne pourrait se dissiper qu’en faisant des victimes. Le général se tourna vers le plus jeune de ses aides de camp, un homme de dix-sept ans dont c’était la première campagne.

— Récite-moi les paroles du Mestre Orwyle à propos des camps de campagne, dit-il.

Le jeune homme s’humecta les lèvres.

— Je… ne les sais pas… précisément… général, bafouilla-t-il. Mais en gros, sa théorie…

— Je ne t’ai pas demandé « en gros ».

Reinhard resta silencieux un instant, ses yeux noirs rivés sur le jeune homme.

— Va-t’en, fit-il doucement. Je te poserai une autre question demain. Si tu ne connais pas la réponse « précisément, général », je te renvoie en disgrâce à Tyrosh.

Le jeune homme s’enfuit, mais s’arrêta, réalisant qu’il avait oublié de saluer. Reinhard le congédia d’un signe méprisant de la main. Encore un autre protégé de Milo ! Ce dernier ne cessait de semer des espions autour de lui depuis qu’il avait gagné en prestige dans la cour de Tyrosh. Il reporta son attention sur les autres.

— Je présume que l’un d’entre vous connaît la réponse ? Toi, Cletus ?

Le jeune homme fit un pas en avant. Il était grand et fin, ses cheveux couleur de jais coupés à ras.

— C’est une phrase difficile à réciter, car toute l’œuvre d’Orwyle est grammaticalement indigeste. Cependant, je pense qu’il a dit :               « L’importance de fortifier un camp de nuit ne réside pas seulement dans le danger auquel s’exposent les troupes ne bénéficiant pas d’une telle protection, mais aussi dans la détresse d’une armée qui vient d’être mise en échec sur le champ de bataille et qui n’a pas d’endroit où se retirer, restant par conséquent à la merci de l’ennemi. »

— Presque parfait, déclara Reinhard. La citation correcte est :              « auquel s’exposent en permanence les troupes. » En permanence. C’est la nature de la guerre. Va trouver l’idiot que je viens de renvoyer. Tu peux passer la nuit à lui apprendre. S’il échoue à mon test demain, je te renverrai peut-être avec lui.

— Oui, général, répondit le jeune homme en exécutant un salut crispé.

— Et, Cletus, fais tout particulièrement attention à la topographie nécessaire pour monter un camp de campagne.

— A tes ordres, général, dit Cletus. 

Comme il s’en allait, les deux derniers jeunes officiers se détendirent un peu. Sûrement pensaient-ils que deux victimes suffisaient. Reinhard leur accorda quelques moments de répit en inspectant le fossé de défense et le nouveau rempart. L’éclaireur qu’il avait aperçu un peu plus tôt pénétra dans l’enceinte avec son cheval. Reinhard l’observa, remarquant la façon dont il se déplaçait, en parfait équilibre. L’homme le dévisagea, et Reinhard vit qu’il avait des yeux aussi noirs que les siens.

— Est-ce que tu parles le Haut Valyrien ? s’enquit le général.

— Oui, répondit le guerrier.

— Qu’est-il arrivé à ton cheval ?

— Il a marché dans un terrier. Il a de la chance de ne pas s’être brisé la jambe.

Reinhard se détourna de lui et reporta son attention sur les deux jeunes officiers.

— Quelle doit être la largeur du fossé ? éructa-t-il.

— Deux mètres quarante, répondirent-ils à l’unisson. Et un mètre de profondeur, ajouta le premier, ce qui lui valut un regard méprisant de la part de son compagnon.

Leur sentiment de gêne amusa Reinhard. Sa bonne humeur revenait peu à peu.

— Et quelle est la denrée inestimable qu’un général ne peut jamais remplacer ?

Les deux officiers restèrent cois, leur esprit cherchant à toute vitesse une réponse. Reinhard remarqua que le jeune homme était toujours là, et qu’un sourire éclairait son visage.

— Tu trouves la situation amusante ? lui demanda-t-il.

— Non, répondit le guerrier, mais si j’étais toi, je trouverais leur ignorance inquiétante.

Il prit son cheval par les rênes et s’éloigna.

— Peut-être pourrais-tu répondre à la question à leur place, lui lança Reinhard.

— Le temps, déclara le jeune homme. Et, si je dois citer correctement Ser Otto Hightower ; « On peut remplacer les hommes et les chevaux, les épées et les flèches. Mais jamais le temps perdu. »

— Tu as lu L’art de la guerre d’Otto Hightower ?

La question avait été posée d’une voix lasse et neutre, mais le général avait plissé les yeux pour observer attentivement le jeune guerrier.

— Je connais son œuvre par cœur. À présent, si tu veux bien m’excuser, je dois m’occuper de mon cheval. 

Reinhard le regarda partir et se retourna vers ses officiers.

— Trouvez qui il est, et qu’il se présente à ma tente ce soir.

— Je peux vous dire de qui il s’agit, général, déclara le premier des officiers. Son nom est Jon Snow, et il a été recruté par le capitaine Daario Naharis, il y a quatre mois. D’après la rumeur, il aurait assassiné un riche marchand à Pentos.

— Et il vient de Westeros, intervint le second pour ne pas être en reste.

— Il vient du Nord de Westeros, corrigea Reinhard gravement. Snow est un nom qu’on donne aux bâtards du Nord.

— Souhaitez-vous toujours qu’il se présente à votre tente ?

— Ai-je dit le contraire ?

Reinhard s’éloigna pour aller inspecter les remparts. Le soleil se couchait derrière les collines occidentales, et des nuages lourds d’orage arrivaient depuis l’Est.


*








— Si le Sanglant a demandé à te voir, cela signifie que tu seras soit fouetté, soit récompensé, déclara joyeusement Daario Naharis.

Jon referma un peu plus son manteau, car la pluie tombait à travers des trous dans la tente en canevas. Le bout de chandelle gouttait, mais avant qu’il ne meure complètement, Daario s’en servit pour allumer une deuxième bougie. L’espace de quelques instants, deux flammes éclairèrent l’intérieur de la tente détrempée, la rendant bizarrement plus accueillante. La tente faisait un mètre quatre-vingt de long sur un mètre vingt de large, et un mètre cinquante de haut en son centre. Elle tenait debout grâce à une structure en bois. Il y avait des crochets attachés à cette structure où pendaient deux sacs contenant des vêtements.

Quatre tabourets en toile servaient de lit une fois accrochés les uns aux autres. L’un d’entre eux était occupé par un plastron, un heaume, des poignets de force, des jambières, et penchait dangereusement vers le sol.

— Je croyais que tu étais un de ses favoris, grommela Jon. Pourquoi as-tu une tente qui fuit ?

— La faute à Pas de chance, répondit Daario en ignorant les gouttes qui ruisselaient sur lui. Je suis mercenaire. Je ne suis pas issu d’une famille riche. Par conséquent, je n’ai droit qu’à l’équipement réglementaire. La plupart des tentes sont sèches. J’essaierai d’en trouver une meilleure demain.

Son sourire s’agrandit, et Jon aperçut sa dent en or. Le Tyroshi avait une barbe taillée en fourche trifide et teinte du même bleu que ses prunelles, ses cheveux bouclés lui cascadaient jusqu’au col. Mais ce qui le plus choquant en lui, c’était ses ongles émaillés              de bleu.

— Cela amusera certainement Reinhard quand tu entreras dans sa tente, trempé comme une soupe.

— Pourquoi crois-tu que je risque la flagellation ?

Daario haussa les épaules.

— Il n’y a généralement que deux raisons qui poussent le sanglant à recevoir chez lui des mercenaires : pour les récompenser ou pour les punir. Tu n’as rien fait pour mériter une punition, donc j’en déduis que tu as dû l’impressionner.

— Peut-être, fit Jon d’un air sceptique. Mais jusqu’à présent, personne n’a rien fait d’impressionnant, à part marcher et construire d’énormes forteresses que nous abandonnons le lendemain. Quand les Dothraki vont-ils enfin se battre ?

— Quand ils seront prêts, répondit Daario. Le Khal Drogo est le plus puissant chef de guerre de Vaes Dothrak, son Khalasar compte cinquante mille guerriers. C’est la campagne la plus dure de toutes, de la prochaine bataille dépendra le sort de la Triarchie.

Une cloche retentit à l’extérieur. Elle résonna quatre fois.

— Eh bien, mon ami, déclara Daario, il est l’heure que tu ailles voir le général. S’il veut t’offrir une récompense, tu pourrais peut-être demander une tente pour moi. Ou un serviteur.

— Tu en as déjà un. Je l’ai vu monter ta tente.

— Je le partage avec huit autres officiers mercenaires. Et je ne peux pas me permettre de lui donner plus que je le fais déjà. Par conséquent…

Il agita le bras en montrant les filets d’eau qui coulaient le long des parois.

Jon ne dit rien et se leva en douceur. Il passa la tête sous le rabat de la tente et sortit sous l’orage. Un éclair fendit le ciel à l’ouest, suivi quelques secondes plus tard par un violent coup de tonnerre. Il restait encore trois heures avant minuit. D’habitude, par temps clair, il faisait encore jour en cette saison, mais l’orage recouvrait le pays comme un linceul sombre. Jon traversa le camp d’un pas lourd, dépassa les rangées de chevaux attachés à leurs piquets, nez à nez avec les chariots, puis se fraya un chemin entre les tentes qui abritaient les soldats.

Celle de Reinhard faisait douze mètres de long et au moins quatre bons mètres de large. Les parois brillaient comme de l’or à cause de toutes les lanternes qui étaient allumées à l’intérieur. Deux soldats armés de lances se trouvaient devant l’entrée, abrités de la pluie par un rabat de deux mètres de long, supporté par deux perches plantées dans le sol. Comme Jon s’approchait, ils croisèrent leurs lances devant lui.

— Quoi tu veux ? s’enquit le garde de gauche avec un accent westrien haché.

— Je suis convoqué par le général, répondit Jon en valyrien.

Le garde parut surpris.

— Attends ici, fit-il en tendant sa lance à son compagnon et en rentrant sous la tente.

Il ne s’absenta que quelques secondes. Lorsqu’il revint, il demanda à Jon d’attendre un instant, et celui-ci resta sous la pluie ; son humeur s’assombrit quelque peu. Il entendait des voix à l’intérieur, mais le chuintement de l’eau l’empêchait de comprendre les détails de la conversation.

Quelques minutes plus tard, des officiers sortirent de la tente, et se sauvèrent sous l’orage. Pourtant on ne l’invita toujours pas à entrer. Comme la colère commençait à le gagner, il décida de s’en aller. Mais une voix retentit à l’intérieur.

— Tu peux y aller à présent, déclara le garde. Il y a un paillasson. Essuie la boue de tes bottes. Et tu peux laisser ici ton épée et ta dague. Les armes sont interdites.

Jon retira son baudrier et le tendit au garde.

Puis, il pénétra sous la tente. Le contraste entre ces quartiers et ceux de Daario était si marqué que Jon manqua d’éclater de rire. Le sol en mosaïque, composé principalement de petits carrés de pierre blanche, avait été assemblé avec art ; le centre était fait de pierres plus sombres et représentait la tête d’un dragon. Des rideaux dissimulaient le fond de la tente, et Jon en conclut qu’il s’agissait de la chambre à coucher. Sept lanternes allumées pendaient à des crochets à même la structure de la tente, et leur lumière éclairait six chaises en bois avec des coussins, deux divans richement brodés, et une longue table taillée dans du chêne et admirablement décorée. Un brasero en fer rempli de charbon était placé non loin, et plusieurs gros tapis avaient été disposés près des chaises. Le général, vêtu d’une simple tunique était penché sur une table et consultait une carte.

— Approche, dit-il.

Jon essuya ses pieds et avança. Il enleva son manteau détrempé et le laissa tomber sur le sol. Puis, il s’approcha du brasier et profita de sa chaleur soudaine.

— Tu peux t’asseoir, lui dit Reinhard en désignant un divan.

— Mes habits sont mouillés et couverts de boue, répondit Jon. Il vaudrait mieux que je reste debout.

— C’est gentil de ta part, déclara Reinhard. Parle-moi donc de Serala.

— Tu la connaissais ? rétorqua Jon surpris par la question et essayant de gagner du temps pour formuler une réponse.

— Je la connais aussi bien que Rhaegar, lui apprit Reinhard en relevant les yeux de la carte. Et même trop bien.

— Je ne savais pas, dit Jon. Dame Serala parlait souvent de toi, mais elle ne m’a jamais dit que vous étiez amis.

— C’est parce qu’on ne l’était pas, fit Reinhard avec irritation. Evite de faire des suppositions. La communication ne peut fonctionner que si elle est précise. Pourquoi elle t’a envoyé étudier sur Pentos ?

— Disons qu’elle était une sorte de deuxième mère pour moi, elle voulait que je reçoive une bonne éducation.

— Qui était ta vraie mère ?

— Lyanna Stark, répondit Jon sans hésiter.

— Je vois… et pourquoi tu es ici avec les Noirs ?

Jon esquissa un sourire.

— Je ne suis pas un espion, rassure-toi. Je suis ici pour payer une dette de sang.

— Une vengeance, conclut Reinhard en opinant du chef. Tu connais donc le coupable de ton malheur ?

— Oui, je le connais, mais je ne suis pas encore de taille pour le tuer, on m’a dit qu’il était trop fort.

Reinhard remplit une coupe de vin, et l’offrit à Jon.

— Un tueur qui reconnait ses limites ? C’est un homme à surveiller. Serala avait l’œil pour dénicher le talent. C’est pour cela que tu m’intrigues, Jon Snow. Qu’a-t-elle bien pu voir en toi, et pourquoi t’a-t-elle pris sous son aile ? Qui est ton père ?

Jon déposa sa coupe après l’avoir vidée d’un trait, puis regarda le général dans les yeux.

— Je n’en sais rien et je m’en contrefiche. Tout comme je me moque de cette Lyanna Stark. Dame Serala était ma seule famille. Mais maintenant qu’elle est morte, je n’ai aucune attache.

— Un exilé de plus, comme nous tous. Tu l’ignore peut-être, mais tu es un Dragon Noir, et un jour tu n’auras plus besoin d’avoir honte de ton nom.

Jon sourit, amusé.

— Je n’ai pas honte de mon nom. Dame Serala m’a appris que ce sont les actes qui définissent une personne, et non des animaux peints sur des boucliers ou des étendards.

— C’est vrai, reconnut-il d’un ton songeur.

Reinhard se leva et se rendit jusqu’aux rideaux du fond qu’il tira. Derrière se trouvait un petit lit et un présentoir en bois où était suspendue l’armure du général.

— Aide-moi à enfiler mon armure, lui dit-il.

Jon vint aux côtés du général et souleva le plastron en acier. Reinhard l’enfila, et Jon boucla les attaches puis il s’agenouilla devant lui et attacha ses jambières. Il ne demanda pas au général pourquoi il voulait s’habiller pour la guerre à une heure aussi tardive, mais cela l’intriguait.  Puis il souleva le rabat de la tente pour crier un ordre à l’un des gardes. L’homme tendit au général le baudrier de Jon, puis retourna sous la pluie.

Il lui lança ensuite le baudrier en lui demandant de l’enfiler. Puis il sortit de la tente.

L’orage se calmait, mais la pluie continuait à tomber dru. Jon rejoignit le général et vit que des soldats en armure sortaient de leurs tentes. Une fois rassemblés, ils se répartirent silencieusement sur plusieurs rangs et attendirent immobiles au garde-à-vous alors que la pluie éclaboussait leurs armures.

Les nuages se dissipèrent au-dessus du camp, et un rayon de lune éclaira la scène.

Au même moment, l’air fut empli de cris de guerre, puissants et aigus. Une nouvelle pluie, mais de javelots cette fois, tomba sur les remparts. Les tentes, les chariots et les chevaux avaient été installés loin des murs, et la majorité des projectiles ne touchèrent que de la terre. L’un transperça toutefois le dos d’un cheval qui poussa un hennissement de douleur avant de s’écrouler.

— Ils arrivent ! hurla une sentinelle sur le mur nord. Ils sont des milliers !

Un javelot la cueillit à la base du cou, et elle tomba des remparts.

Plusieurs officiers arrivèrent en courant devant Reinhard. Le général les attendit calmement, les mains dans le dos.

— Envoyez une troupe au nord, dit-il. Gardez-en deux en réserve. L’attaque principale aura lieu ailleurs, probablement à l’ouest. Postez des archers derrière les chariots.

Les officiers repartirent en vitesse vers leurs hommes. Reinhard se présenta devant la première ligne de soldats.

— Désolé de vous avoir réveillés si tôt, leur dit-il alors qu’ils s’écartaient pour le laisser passer.

Jon resta à ses côtés, impressionné par son calme. Il se demanda également comment le général avait pu deviner que l’attaque était imminente. Était-il magicien ? Ou y avait-il un indice qui avait échappé à Jon ? Ce problème l’enquiquinait.

Les hurlements des mourants et des blessés résonnèrent à travers tout le camp. Les Dothraki se jetaient vague après vague sur les remparts, les escaladant pour venir taillader et poignarder les défenseurs.

— Je crois que la pluie est en train de s’arrêter, fit remarquer Reinhard.

Le cheval blessé continuait à hennir de douleur et d’effroi. Reinhard tapota sur l’épaule d’un soldat.

— Va achever cette pauvre créature, lui ordonna-t-il. Ses hurlements m’empêchent de me concentrer.

— Oui, seigneur, répondit l’homme en dégainant son épée et en sortant du rang.

Un clairon retentit à l’ouest. Jon regarda dans cette direction et vit deux hommes faire des signaux sur les remparts.

— Et voici l’attaque principale, déclara Reinhard.

Une seconde troupe de trois mille hommes fut dépêchée derrière le mur. Jon vit des milliers d’échelles improvisées apparaître au-dessus des remparts. Il posa la main sur la poignée de son épée.

— Pas tout de suite, l’informa Reinhard. Il faudra encore une bonne heure avant qu’on ait besoin de nous. Lorsque les portes céderont.

Jon regarda dans leur direction : deux structures d’un mètre quatre-vingt de large construites avec des jeunes troncs d’arbres, taillés en pointe, et attachés de façon experte les uns aux autres par des traverses. Il semblait improbable que les Dothraki puissent en venir à bout. À moins qu’ils n’y mettent le feu, pensa-t-il. Des centaines d’archers vêtus de tuniques en cuir et de chapeaux en métal allèrent prendre position devant les chariots d’approvisionnement. Chaque homme avait un arc court incurvé et un carquois de flèches à pennes noires.

— Puis-je poser une question, général ?

— Mais certainement.

— Pourquoi tes archers sont-ils positionnés derrière les murs ? Ils auraient certainement pu tuer des dizaines d’ennemis depuis les remparts.

— Pour tirer de là, ils auraient dû s’élever au-dessus des remparts, ce qui aurait fait d’eux des cibles parfaites. Je n’ai que six cents archers. Ils sont trop précieux pour être gâchés bêtement. Regarde-les et apprends.

Les archers attendirent le signal de Reinhard. Lorsqu’il vint, ils levèrent haut leurs arcs et décochèrent volée après volée. Les traits jaillirent dans le ciel, et retombèrent avec un effet dévastateur sur les guerriers amassés à l’extérieur du camp. Jon ne pouvait qu’imaginer le chaos qui devait régner là.

A ce moment-là, Jon comprit enfin pourquoi ils construisaient des places fortes. Les Dothraki étaient des hommes à cheval. Destructeurs et terribles sur les champs de bataille, mais incapables de soutenir des sièges, ou d’attaquer des fortifications. Reinhard avait tout simplement adopté une stratégie que Drogo lui-même aurait était incapable de contrer. Un vrai jeu de Cyvosse.

Sur les remparts, le combat faisait rage, Jon observait enfin les Immaculés au combat. Dans leurs armures composées de plastrons, de heaumes, et de boucliers ronds et concaves, ils faisaient payer cher à un ennemi trop légèrement armé. Comme le Silure lui avait dit un jour, les épées courtes se révélaient infiniment supérieures dans un petit périmètre. Certains guerriers dothraki, le visage peinturluré en rouge, réussirent une percée. Reinhard détacha trois sections de soixante hommes pour les intercepter et renforcer les défenses.

Un bruit aussi assourdissant que le tonnerre provint des portes à l’ouest, qui frémirent sous l’impact. Jon dévisagea les guerriers autour de lui. Ils étaient tendus et dans l’expectative, mais ne montraient aucun signe de peur, Reinhard restait imperturbable.

Il ôta son heaume et se gratta les cheveux.

— Je suis content que la pluie se soit arrêtée, déclara-t-il. Je n’aime pas me battre dans l’humidité. Bien, allons à leur rencontre.

Au même moment, l’un des troncs se fendit en deux, puis un deuxième. Quelques minutes plus tard, les portes cédèrent et un énorme bélier à tête de cheval passa à travers. Jon tira cette fois son épée. Des centaines de cavaliers pénétrèrent dans l’enceinte en criant de rage, mais furent accueillis par un mur de pointes et d’estocs. Des centaines moururent, mais les Immaculés continuèrent d’avancer en enjambant les cadavres. Tout en marchant, les hommes de la seconde et de la troisième ligne barbouillèrent de sang leurs épées sur les guerriers à terre, plongeant leurs armes dans le corps des Dothraki blessés.

Les assaillants ne manquaient pas de courage, et la bataille se prolongea encore une heure avant que les Immaculés puissent atteindre les portes détruites. À cet instant, un clairon résonna au cœur des lignes dothraki, et les guerriers se retirèrent.


Des ouvriers réparèrent aussitôt les portes, tandis que des soldats portaient les Dothrakis à l’extérieur du camp pour empiler les cadavres. Plus de deux mille dothraki étaient morts, alors que seulement soixante guerriers du Dragon Feunoyr avaient été tués et que cent quatre nécessitaient quelques points de suture.

Comme l’aube arrivait, Jon monta sur les remparts pour regarder trois monticules de cadavres. Des soldats qui n’avaient pas pris part à la bataille avaient creusé de grandes fosses tapissées de bois imbibé d’huile. Ils avaient ensuite jeté les cadavres dans la fosse et rajouté des brindilles.

Lorsque le soleil se leva, des guerriers lancèrent des torches de paille enflammée sur les monticules. Des flammes prirent rapidement. Jon regarda les langues de feu lécher les cadavres.

Bientôt tout ne fut plus qu’un énorme brasier, et une odeur de chair brûlée se répandit dans le camp.

Ma première bataille, pensa Jon, et je n’ai même pas dégainé mon épée.



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