Réinterprétation et autres histoires

Chapitre 3 : Première partie, Souvenirs d'enfance et de jeunesse épars, troisième partie

5733 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 30/01/2024 16:42

3.Souvenirs d'enfance et de jeunesse épars, troisième partie



À Reims, un jour de novembre 1967, Paul Eastman, un garçon de douze ans, revint de l'école avec son unique amie d'enfance, Élizabeth Maillard, la future épouse de Thomas Gordon. Elle était la seule fille à ne pas le prendre pour un fou, même si elle ignorait son don singulier, similaire au sien. Paul, un garçon plutôt grand pour son âge, aux cheveux brun foncé et aux yeux vifs de même couleur, aux traits délicats qui lui donnèrent un air de candeur enfantine, salua son amie, qui revint chez elle, et rentra à la maison faire ses devoirs.

Une heure plus tard, le garçon continua son devoir de français, peinant à le terminer. Il soupira. Remarquant une entité dans le coin de son champ de vision, il se retourna et détailla le jeune esprit esprit, très intrigué de sa soudaine présence, reculant de trois pas, les yeux agrandis de terreur : un garçon de deux ans son aîné aux cheveux noirs et aux yeux bruns avec une touche vert olive, habillé d'un simple pantalon bleu marine, d'un large chandail blanc et de souliers de course. Ses vêtements étaient salis de traces de sang et de boue, comme s'il était tombé sur des pierres et de la terre. Il lui demanda :

— Qui êtes-vous ? Que faites-vous ici ?

Sourire énigmatique aux lèvres, il lui murmura :

— Je suis le frère aîné de François.

— François Charland ?

— Oui.

— Pourquoi venir à moi ? Que voulez-vous ?

L'esprit soupira, baissa les yeux, puis les releva, et éructa, lueur de colère dans le regard :

— Vous êtes le seul à me voir ! Je vois bien par votre expression faciale que vous me voyez ! Mon frère ne me perçoit pas ni m'entend ! Et même lorsque je veux lui envoyer un avertissement, il m'ignore ! Parler avec lui, c'est comme parler à un sourd-muet ! s'emporta-t-il, créant un jeu de lumière dans sa chambre, allumant et éteignant l'interrupteur du plafonnier et la lampe sur la table de nuit.

— Calmez-vous, Jean ! lui ordonna-il. Dites-moi plutôt pourquoi vous venez à moi ? Je ne connais nullement vos attentes. Les rumeurs que j'ai entendu de votre frère disaient que vous êtes mort par accident.

Se calmant un peu, reprenant son souffle, l'esprit errant lança un regard noir au vivant et continua son explication.

— Mort par accident ! s'offusqua-t-il. Je vais vous dire la vérité ! François m'a tué...

Sur ces sombres paroles, l'esprit disparut, laissant Paul perplexe. Il ne pouvait concevoir en son jeune esprit une si grande cruauté entre frères. D'ailleurs, il avait lui-même un frère benjamin, Luc, et jamais l'idée de le tuer ne lui traversait l'esprit. Troublé, il laissa de côté son devoir et réfléchissait sur les possibilités qui aboutiraient à la mort de Jean, mais il ne parvint à aucune conclusion satisfaisante.


Soudain, le jeune garçon sursauta en entendant sa mère, Irina, l'appeler devant la porte de venir manger. Il sortit de sa chambre et s'attabla. Son père, Matthieu, discernant la mine pensive de son fils aîné, cessa de manger et lui demanda, d'un ton calme et posé, sortant son fils de ses réflexions :

— Paul, mon fils, qu'est-ce qui préoccupe ton esprit ? Rien de mauvais ne t'est arrivé à l'école ? Répond, je t'écoute.

L'interpelé hésita, fixant son assiette, ressentant le regard interrogateur de Luc sur lui, et murmura :

— Père, à l'école tout est correct, rien de mauvais... Disons que c'est Jean, le frère aîné de François, un élève de ma classe, qui me tracasse...

Paul lui lança un regard interrogateur l'incitant à continuer.

— ... Jean affirme être la victime de son frère, il l'accuse d'être son meurtrier.

— Mais, frère, s'immisça Luc, Jean est mort depuis quelques jours déjà...

Le visage de Matthieu s'illumina en entendant ces paroles, lança un regard entendu à son épouse, et ordonna à ses fils :

— Luc, silence ! Tais-toi, lorsque tu ignores la réalité ! Paul, je comprends que tu as le même don que ta mère, celui de communiquer avec les âmes perdues. Il faudrait qu'elle t'explique certains principes et manières de traiter avec ces âmes, mais ce sera ce dimanche.

Le gamin opina du chef et termina de manger en silence. Celui-ci était très intrigué par les conseils maternels. Il attendait avec impatience que dimanche arriva.


Paul revint dans sa chambre terminer son devoir, mais il l'abandonna vite, trop perturbé et intrigué par Jean Charland. Il ne cessa de retourner toutes les possibilités de sa mort, mais il demeura très perplexe et effrayé de la cruauté de François que son frère lui attribuait.



Le lendemain matin, en allant à l'école, il remarqua Jean suivre son frère. Il le fixa intensément en lui murmurant :

— Tiens-toi loin de mon frère... Je règlerai mon compte avec lui... Il ne m'échappera pas...

Il s'évapora pour être au côté de François et le posséda. Paul, en voyant l'action de l'esprit errant, ne put réprimer un mouvement de recul et ses yeux s'agrandirent d'inquiétude et de frayeur. Il essaya de continuer son chemin, comme si de rien n'était, pour ne pas attirer l'attention de François, mais en vain. L'âme de ce dernier le suivit et l'apostropha :

— Paul, Paul, tu sembles me voir, non ? Ne m'ignore pas ! Explique-moi ce qui se passe ! Qui a possédé mon corps ? Pour quelle raison ?

— Très bien, je ne peux t'ignorer, François ! soupira, à contrecœur, baissant les yeux au sol, le jeune chuchoteur d'esprits. Je peux interagir avec les entités invisibles que sont les âmes perdues. Et tu es possédé par ton défunt frère.

L'âme ne pouvait cacher son étonnement, se fâcha et éructa :

— Mais pour quelle raison agit-il ainsi, Jean ? Je ne suis pas responsable de sa mort !

— Je ne le sais pas. La seule information que je sais est que sa mort est plutôt violente et qu'il t'accuse de l'avoir tuer.

— Mais je n'ai pas tué mon frère, s'emporta-t-il, courroucé, pour cacher ses larmes qui montèrent aux yeux.

Paul recule de trois pas, impressionné et effrayé de la réaction de François. Il ne savait plus qui croire entre le vivant et le défunt, perplexe.



Dimanche matin, après le petit-déjeuner, le chuchoteur d'esprits en formation suivit sa mère dans le jardin de la cour arrière de la maison. Soutenu par sa mère, Irina, qui ne fit que l'encourager par un sourire et ses yeux pétillants de fierté, il lui sourit, ravi que quelqu'un le comprenne. Elle affirma fièrement à son fils :

— Mon fils, soit source de fierté de ta famille. Possédant un don singulier, à mon instar, il est de mon devoir de te guider.

L'interpellé opina du chef et devint tout ouïe pour bien graver dans sa mémoire les conseils maternels.

— Le premier conseil que je te donne, aie confiance en tes capacités. Dieu t'a bien donné un don singulier, n'abuse pas de ce don et sache que tu auras tes comptes à rendre devant Lui, Notre Créateur*. Ce don doit aider les défunts à quitter définitivement le monde des vivants, pour qu'ils comparaissent sans crainte devant le Juge suprême, Dieu. Parfois, tu auras à accomplir leur dernière volonté, tantôt, une broche sur un vêtement, tantôt une interrogation plus complexe ou une haine et une colère envers un vivant. Alors le cas est plus complexe à résoudre, puisque vivants et morts peuvent mentir, cacher la vérité et omettre des détails. Mais il y aura toujours un Observateur, ou Veilleur, qui t'informera de la vérité de l'évènement.

— Maman, qui sont ces Veilleurs ?

— Des entités spirituelles que Dieu avait posé depuis le début du monde, depuis la Chute d'Adam et Ève sur Terre pour observer les hommes. Elles notent tout ce qui se passe, toute action ne leur est pas secrète. En un mot, rien ne leur échappe, rien n'échappe à leurs yeux toujours ouverts que le sommeil ne ferme jamais, meilleurs que n'importe quelle caméra de surveillance, meilleurs qu'Argos dans la mythologie grecque... Mais revenons à mon point. La meilleure manière d'aborder un esprit errant est la suivante : dès que tu le vois, c'est-à-dire qu'il se manifeste avec plus d'insistance que les autres, demande-lui poliment et gentiment son identité, son nom, sa fonction, sa raison de rester encore parmi les vivants. Prend-en note pour être certain de ne rien oublier. J'ai un journal exclusivement consacré aux cas d'esprits errants. Le deuxième conseil, ne doute jamais en tes rêves et visions, ils peuvent t'aider à comprendre ces cas d'esprits errants. De même si tu as des visions. Personnellement, et heureusement, il est rare que j'aie des visions au contact des objets, mais si tu as de telles visions, ne soit pas étonné, mon fils.

— Maman, je peux te confirmer que je n'ai pas de telle vision... Pour l'instant.

— D'accord, mais je t'ai averti. Si le cas se présente, sache qu'il faut toujours essayer de comprendre et d'interpréter à partir des informations connues sur l'esprit.

— Parlant d'interprétation, j'ai récemment fait un étrange rêve...

— Je t'écoute mon fils, mais avant, veux-tu m'expliquer l'esprit errant que tu as vu récemment ?

— Oui, c'est le frère d'un élève de ma classe, Jean Charland. Il affirme que son frère, François, est responsable de sa mort.

— Et quel est ce rêve, mon enfant ? interrogea-t-elle maternellement Paul, très intriguée.

— J'ai rêvé que je me disputais avec mon frère, puis Luc, fâché, me pousse par terre. Nous étions dans une forêt que j'ignore. Je tombe, et ma tête heurte des pierres, mon corps roule par terre, se heurtant aux pierres et salissant les vêtements de boue. J'observe d'hauteur mon corps, les vêtements sont sales et couverts de sang. Je ressens une colère froide apparaître en mon âme, colère dirigée vers mon frère. Puis, je me réveille.

— Paul, tu as vu en rêve les derniers moments de cet esprit errant, Jean Charland. Ne crois pas à tout ce que les âmes peuvent te montrer, surtout les errantes fâchées, puisqu'elles peuvent mentir ou avoir une perception faussée de la réalité. Par contre, si un Observateur, ou un Ange du Seigneur, te montre les évènements, alors sache que seule la vérité t'est présentée. Tu le sauras intuitivement, je ne peux te l'expliquer autrement.

— À mon réveil, j'avais l'impression que c'était incomplet...Je ne saurai te le dire...

— Veux-tu que nous allons dans cette forêt maintenant ? Les forêts de la montagne du Reims peuvent très bien être l'endroit de sa mort.

— Pourquoi pas ! Tu veux bien y aller avec moi, maman ? À deux, c'est plus simple ! En plus, nous voyons ces âmes perdues, on se comprend !

— Allons-y ! Mais avant, je vais avertir Matthieu. Je ne veux pas que ton père s'inquiète inutilement pour nous !

Le chuchoteur d'esprits en formation attendit sagement sa mère devant la porte d'entrée.

Sa mère le rejoignit rapidement et les deux remarquèrent Jean Charland à leur droite, très fâché. Mère et fils lui demandèrent à l'unisson :

— Pourquoi êtes-vous fâché, Jean ? Nous ne faisons que vous aider !

— Oui, je sais bien que vous voulez m'aider, mais vous ignorez que mon meurtrier rôde dans cette forêt... Il rôde dans la forêt !

Il parla ainsi et d'en alla.

— Paul, lui conseilla sa mère, ne te laisse pas impressionner par l'attitude de ces âmes égarées, elles ne veulent que t'effrayer et te dissuader de continuer ton enquête et ton aide. N'abandonne jamais tes recherches, sauf si ton intuition ou un Ange t'informe de ne pas continuer plus loin. Grave bien ce conseil en ton âme, continue toujours à aider les âmes errantes, indépendamment de leur tentative de dissuasion, sauf si ton intuition, un Ange ou que sais-je encore quelle autre bonne entité ou un bon esprit te conseille de ne pas mener plus loin ton enquête... Sache que toutes les âmes perdues ne peuvent être aidées, je te le dis d'expériences ! Ne te décourage pas si tu ne peux y parvenir ! C'est normal, nous sommes des hommes avant tout ! Nous avons des capacités limitées et certaines âmes perdues appartiennent définitivement au Mal, aucune aide ne doit leur être donnée, sinon, ton âme même est en danger.

Le garçon, qui écoutait sa mère sans dire un mot, ses yeux agrandis de terreur et de crainte, ses mains tremblèrent un peu, ses jambes flageolèrent, le forçant à s'assoir sur une chaise, afficha un sourire forcé pour ne pas inquiéter sa mère. Irina lui sourit, le consola d'un geste de la main et continua sur un ton réconfortant :

— Paul, ne te fais pas trop de soucis pour ces sombres esprits. Viens, nous irons dans la forêt.

Mère et fils allèrent dans la forêt, retrouvant le lieu du rêve de Paul.


Arrivant dans une forêt, les deux chuchoteurs d'esprits discernèrent Jean non loin d'eux. Irina l'apostropha :

— Jean, est-ce ici que tu trouvas la mort ? Pourquoi y revenir ?

— Mon meurtrier est dans cette forêt... Faites attention à vous !

— Attendez un peu...

Mais l'esprit s'évapora, rejoignant son frère. Soupirant, la mère de Paul commenta la situation :

— Mon fils, le problème est lorsque les âmes perdues sont très entêtées, mais ne te décourage pas à découvrir la vérité.

— Oui, maman.

Se promenant dans une allée, Paul s'exclama :

— C'est l'endroit de mon rêve !

— Où plus exactement ? l'interrogea-t-elle.

Promenant son regard de droite à gauche, il s'arrêta près d'un chemin qui descendait abruptement et affirma :

— Maman, je pense que c'est ici !

— Effectivement, confirma l'âme perdue.

— Paul ? demanda une voix derrière eux.

L'interpellé se retourna et rencontra le regard interrogateur de François. Jean commenta, avec beaucoup d'amertume dans le ton :

— Mon meurtrier revient sur le lieu du crime ! Je me méfierai de lui si j'étais à votre place.

Il s'en alla, agitant des feuilles et des branches dans un tourbillon et dirigea une branche vers son frère, mais celui-ci se déplaça à temps, évitant un coup dangereux. Paul, se raclant la gorge, demanda au frère du défunt :

— François, ton frère, Jean, depuis sa mort, te suit. Il t'accuse de sa mort. Et il est décédé dans cette forêt...

— Oui, il est mort ici, plus exactement, sanglota-t-il en montrant la pente abrupte, essayant de ravaler sa tristesse et ses larmes. ... Mort par ma faute !

— Veux-tu nous expliquer ce qui s'était passé ? lui demanda poliment Irina. Nous pourrons aider ton frère ainsi.

— Comment l'aider ?

— Mon fils, Paul, et moi voyons les âmes perdues, comme ton frère. Il est très fâché, te considérant fautif de sa mort. D'ailleurs, votre frère défunt est à votre droite très énervé...

Le vivant soupira et, séchant ses larmes, affirma à son frère :

— Frère, pourquoi tu es fâché contre moi ? Je ne voulais pas te tuer, je voulais seulement que tu arrêtes de te moquer de moi ! Je n'avais même pas vu la pente abrupte derrière toi. Si je l'aurai vu, je ne t'aurai pas pousser, j'aurai attendu une autre occasion moins dangereuse.

— Et je dois te croire, mon frère ? répondit ironiquement le défunt.

— Et ton frère ne te croit pas sincère, l'informa Paul.

François soupira, exaspéré, hurla :

— Il ne me croit pas ! Que puis-je y faire ? Je ne vous dis que la vérité !

Il s'appuya contre un arbre, loin de la pente abrupte, par peur de son frère. Tenant sa tête entre ses mains, il murmura :

— Que dois-je lui dire pour qu'il me croit ?

— Pour être honnête, je l'ignore, lui rétorqua l'apprenti chuchoteur d'esprits, tout aussi perplexe et confus.

— Je peux vous aider, commenta un homme, apparu soudain de derrière un arbre, un Observateur. Les deux chuchoteurs d'esprits observèrent le nouveau venu : un grand quarantenaire vêtu d'un complet bleu marine, d'une chemise blanche, aux cheveux blonds et aux yeux bleus, traits délicats et nobles qui exprimèrent une bonté naturelle et regard qui inspirait confiance. L'Observateur continua son discours.

— Je suis Konstantin Pavlovich Tcherevitchenko, Observateur par la volonté de Dieu depuis plus de vingt ans. Et je suis témoin de ce qui s'était passé.

— Nous vous écoutons, murmurèrent à l'unisson les chuchoteurs d'esprits et l'âme perdue, laissant François confus de la situation, mais il n'osait pas les interroger.

— François a tué involontairement son frère, violant le Commandement divin. Il est sincèrement désolé, mais le mal est fait. Ce meurtre n'est pas un hasard, une histoire plus longue est en jeu...

Paul et sa mère étaient confus. Jean demanda à l'Observateur :

— Quelle cette histoire, j'ignore tout d'elle ? Pouvez-vous éclairer ce point ?

— Oui. L'histoire plus longue est votre vie passée. Votre frère et vous étiez frères dans cette autre vie et vous l'aviez froidement assassiné... Et pour l'équilibre de vos vies, pour que vous compreniez à votre tour cette sensation, il vous a tué dans cette vie-ci sans raison. N'oubliez pas la loi du talion.

— Donc, je n'ai pas à douter des intentions de mon frère... s'écria l'âme perdue. Il est honnête lorsqu'il se dit désolé de ma mort...

— Exactement, confirma Konstantin Pavlovich.

— Mais comment pouvez-vous affirmer avec certitude concernant cette autre vie passée, alors que je ne garde aucun souvenir ?

— J'ai été témoin de vos deux vies et un Ange du Seigneur me confirma mon présupposé...

Au tour de l'âme perdue d'être étonnée, mais elle comprit l'honnêteté de l'Observateur et le remercia d'un geste de tête poli. Jean se tourna vers François et lui murmura :

— Désolé frère de m'être fâché contre toi, alors que t'es honnête. Ne me pleure pas trop et continue à vivre. Je ne te hanterai plus.

— Votre défunt frère n'est plus fâché contre vous, un autre esprit, témoin de l'évènement, lui a expliqué la situation, l'informa Paul.

— Enfin, frère, tu nous quitteras. Au revoir, mais sache que tu demeuras toujours mon frère.

L'esprit perdu tourna la tête à droite, en direction du sentier, et larmes dans le coin des yeux, murmura :

— Paul, cette lumière divine est pour moi ?

— Votre frère est prêt à partir dans la Lumière, commenta Paul, opinant du chef à l'intention de l'esprit perdu.

— Jeune homme, répondit Irina, émue jusqu'aux larmes, cette Lumière est pour vous... Vous allez enfin dans le repos éternel, comparaître l'âme en paix devant Notre Seigneur. Je vous souhaite meilleure chance dans votre prochaine vie.

Jean sourit une dernière fois à son frère, mine radieuse, et part dans la Lumière.

François, ému, murmura d'une voix étranglée :

— Paul, mon frère est enfin parti dans l'Au-delà, n'est-ce pas ?

— Très justement.

— Il ne me dérangera plus...

— Exactement.

— Et il est vrai que tu vois les défunts ?

— Oui, et l'essentiel est que ton frère se soit libéré de sa colère envers toi. Un esprit observateur, témoin de l'évènement, a expliqué la situation et l'a raisonné.

— Merci infiniment. Je me ressens mieux.

— Au revoir François.

Ce dernier revint chez lui. Irina et son fils terminèrent leur promenade. Paul était ravi qu'une âme perdue de moins soit sur terre et qu'il comprenne son don.




Cinq ans plus tard, âgé de dix-sept ans, par une journée pluvieuse de septembre 1972, Paul décida, pensant au cas de l'âme perdue de Jean Charland, de s'inscrire l'an prochain à l'École nationale supérieure de police pour devenir gardien de la paix. Il est convaincu qu'il lui sera plus facile d'enquêter sur les vivants et les défunts, sans être suspect. Il fut très fébrile, puisque des esprits errants occupaient son esprit depuis quelques jours. Il salua Élizabeth Maillard, son amie d'enfance et sa confidente pour les esprits errants, alors qu'il passa par un parc de la ville. Jeune femme qu'il aimait beaucoup, qu'il aimerait qu'elle devienne sa petite amie, malgré son comportement contradictoire envers les esprits. Il souhaitait l'informer des conseils maternels de la gestion avec les défunts, maintenant qu'il avait acquis au cours de ses cinq ans un peu d'expériences avec les âmes perdues, mais il n'était pas encore parvenu à les lui communiquer. La chuchoteuse d'esprits était toujours fascinée et intriguée par l'aisance de son ami avec les esprits, aisance qu'elle n'avait pas. Élizabeth, ravie pour son ami, lui demanda :

— Paul, veux-tu venir dans le parc discuter en tête à tête ?

— Oui, Élizabeth ! s'exclama-t-il, enjoué, pensant à une toute autre idée.

Les deux jeunes arrivèrent dans le parc, sur un banc et, soudain, une femme apparut devant eux, sans dire un mot. Paul, promenant son regard de la jeune chuchoteuse d'esprits à l'âme perdue, se racla la gorge et demanda à son amie :

— Élizabeth, ma confidente bien-aimée, si tu es intéressée, je peux te donner des conseils de ma mère pour gérer les cas des âmes perdues. Ils sont très utiles. Veux-tu les connaître ?

— Non, répondit-elle sèchement, intimidée par l'esprit errant qui les observait de loin, assis sur le banc voisin. Je les vois, certes, mais j'ai toujours essuyée un lamentable échec... Je ne peux supporter de paraître folle, alors que je ne le suis pas.

— Attend, tu n'es pas folle. Je le sais et tu le sais. Je peux t'aider, ma chère. À deux, il est plus simple d'aider les âmes perdues, les esprits errants, s'il te plaît...

— Non. ...

Elle baissa son regard sur ses pieds, puis releva la tête, les yeux en larmes :

— Paul, tu es un ami très génial, mais je pense que nos voies se séparent... Je ne peux supporter ces murmures méchants et ironiques derrière nos dos... Comme si nous sommes des fous !

— Élizabeth, n'écoute pas les méchantes langues. Je t'expliquerai une manière de gérer notre don. C'est simple, tu n'as qu'à les aider, à élucider leur cas et comprendre leur dernière volonté pour qu'ils partent dans la Lumière !

— Je ne le peux, Paul. Trop d'échecs me dissuadent. ... J'ai déjà essuyé quatre échecs lamentables, en plus de mettre en colère un esprit errant... Je ne le peux...

Elle détourna son regard du visage de Paul avant de continuer.

— ... D'ailleurs, je quitte Reims pour Grandeville dans trois jours.

— Pour quelle raison ? demanda, blessé en son âme, le jeune chuchoteur d'esprits.

— Pour travailler, je suis fleuriste chez une tante.

— D'accord, mais on se contacte par téléphone ou je te rejoins à Grandeville ?

— Ne te fait pas de souci pour moi, mon ami.

— Mais sache que je n'aie aucun problème à venir te voir, ma chère... À t'enseigner ce que je sais sur le monde invisible des esprits... Il serait dommage que tu négliges ton don... Et on pourra s'aider mutuellement, ma chère amie... continua-t-il les yeux pétillants de joie.

— Paul, pour toi, il est facile d'imposer ton autorité auprès des esprits, je ne peux le faire ainsi... Je n'ai aucune autorité...

Elle baissa son regard sur ses genoux.

— ... Au revoir, mais sache que tu demeures toujours un ami d'enfance pour moi.

Elle se leva, lui sourit, lui donna une accolade amicale et s'éloigna de lui. Paul, droit comme une bougie, ne bougeant pas de sa position, était étonné, ébahi, voire déçu, de la décision d'Élizabeth, lui qui avait espéré lui dévoiler son amour. Il pouvait l'oublier maintenant. Elle ignorait son don singulier et refusait d'aider les âmes perdues. Une larme coula, silencieuse et solitaire, sur ses joues.

L'esprit qui les observait depuis le début s'avança devant lui et murmura :

— Jeune homme, ne vous attristez pas trop pour cette jeune femme...

Relevant sa tête, il détailla l'esprit devant lui : un vieille femme de soixante-dix ans vêtue d'une chemise blanche et d'une jupe beige, portant à sa main droite une alliance d'or, aux yeux marrons bienveillants, aux traits délicats, aux cheveux argentés qui inspirait confiance et familiarité au chuchoteur d'esprits.

— Pourquoi ? Qui êtes-vous ? Comment pouvez-vous le savoir ? l'interrogea-t-il, se ressaisissant, attristé et intrigué simultanément.

— Je suis Myriam Berkowitz, l'une de vos ancêtres de votre branche maternelle, Observateur depuis ma mort il y a plusieurs années. J'ai bien remarqué que vous aimiez beaucoup cette jeune femme, Élizabeth Maillard, mais elle est trop semblable et opposée à vous, en un sens. Elle ne vous aurez pas soutenu très longtemps en tant qu'épouse, malheureusement.

Étonné, il lança un regard interrogateur à son ancêtre et lui afficha un faible sourire.

— Comment concluez-vous ainsi sur mon amie qui est si chère à mon cœur ? C'est de ma faute si je n'ai pas le courage de lui avouer mon amour et de lui faire la cour... Vous n'avez pas de raison à être si sévère envers elle.

— J'ai vu suffisamment d'hommes pour être apte à reconnaître son caractère. De toute manière, quelle amie est-elle lorsque Dieu le Puissant, le Vivant, lui octroie un don si singulier de voir les entités invisibles aux autres, et qu'elle l'ignore sciemment ?

— Vous avez raison, Myriam Berkowitz, mais il ne change pas que mon cœur est blessé par les mots d'Élizabeth, soupira-t-il.

L'Observatrice lui sourit gentiment et revint à son poste non loin du parc. Paul retourna à la maison, expliquant à sa mère son aide infructueuse à son amie.



Cinq ans plus tard, en 1977, par une belle journée ensoleillée du mois d'août, le jeune policier de vingt-et-deux ans patrouillait à pieds joyeusement les rues de Reims.

Deux ans plus tôt, il fit son stage à Grandeville, espérant conquérir la main d'Élizabeth, mais il abandonna son entreprise lorsque son amie lui signalait clairement de ne pas lui mentionner le monde des esprits. Déçu de la réaction et de la réponse de la jeune femme, le jeune chuchoteur d'esprits se promit à lui-même qu'il informera rapidement sa femme de son don, avant de la marier.

Se promenant dans les rues, ravi et de très bonne humeur, il salua quelques Observateurs et esprits errants qu'il rencontrait. Dans un coin de la rue, il remarqua une charmante et élégante femme de son âge, aux traits délicats, aux grands yeux brun avec une touche vert olive, aux cheveux brun clair, vêtue d'une longue robe verte à motifs floraux, suivie par une âme errante. Paul était simplement amoureux de la jeune femme, mais il était aussi intrigué de la présence de l'être invisible qui la suivit. Il détailla le défunt : un vieil homme de quatre-vingt deux ans grand et élégant aux traits délicats, malgré son visage ridés par l'âge, vêtu d'un complet bleu marine et d'une chemise blanche, portant une alliance à sa main gauche et un collier d'or autour du cou, qui lui inspirait confiance, mais le policier demeura sur ses gardes. Cette âme errante ne sera pas la première à lui paraître sympathique, alors qu'elle ne l'aidait aucunement, voire l'entravait dans sa tentative de l'aider. Dès que la jeune femme s'éloigna de lui, tournant le coin de la rue pour rentrer dans une boulangerie, l'esprit qui la suivait s'arrêta devant Paul, le faisant sursauter et reculer de deux pas. Il lui demanda :

— Vous semblez me voir, monsieur le policier ?

Prenant son émetteur-récepteur portatif, l'interpellé répondit :

— Effectivement. Dites-moi, monsieur, veuillez bien vous décliner ?

L'esprit errant sourit à la stratégie du policier.

— Mes excuses. Je suis Jacques-Jean Beaumont, le grand-père de la jeune femme.

— Et pour quelle raison êtes-vous encore auprès d'elle ? Que voulez-vous savoir ?

— Je veux qu'elle retrouve ma bague... Je ne me rappelle plus qui l'a récupérée parmi mes descendants et je veux qu'elle appartienne à l'heureux élu du cœur de ma petite-fille.

Il fit un clin d'œil complice au policier, le gênant. Il baissa les yeux avant de se ressaisir.

— Jacques-Jean Beaumont, pouvez-vous me décrire cette bague ? A-t-elle une particularité ?

— Oui, cette bague comporte un chaton aux symboles de la royauté française, les fleurs de lys.

— D'accord, mais vous souvenez-vous où elle peut être cachée ?

— Non, malheureusement.

— Merci, je ferai l'enquête de mon côté.

— Au revoir jeune homme et bonne chance !

— Au revoir et à la prochaine.

Rangeant son émetteur-récepteur, Paul tomba nez à nez avec la jeune femme qui sortit de la boulangerie. Il lui sourit et, galamment, lui céda le passage.


Les jours suivants, en civil, Paul se rapprocha de la jeune femme qui répondait au nom de Marianne Beaumont. Il lui fit la cour, lui envoya maintes lettres et déclarations d'amour. Simultanément à ses tentatives de séduction, il mena son enquête pour retrouver la bague du grand-père de sa bien-aimée. Bien sûr, le temps qu'il s'occupait de son enquête, il refusa de se confier immédiatement à Marianne, même s'il s'était promis de l'informer sous peu de son don et du cas de son grand-père.


Un jour, au début du mois de septembre, Paul invita Marianne au parc de la ville, très nerveux à l'idée qu'elle le refusa. Assis l'un à côté de l'autre, le grand-père était assis sur le banc en face du leur, souriant et encourageant le jeune chuchoteur d'esprits. Ce dernier se racla la gorge et affirma :

— Marianne, femme très chère à mon cœur, je dois t'informer d'un détail important et particulier me concernant. Je ne suis pas un policier ordinaire.

Intriguée, Marianne lui lança un regard interrogateur.

— Que veux-tu dire par « un policier hors de l'ordinaire » ? Je suis très curieuse, Paul.

L'interpellé soupira, jouant nerveusement avec le coin de sa chemise bleue pour essayer de calmer son inquiétude, et murmura :

— Disons que je suis policier de formation et de métier, mais j'ai aussi un don assez singulier. Don que je partage avec ma mère, celui d'interagir avec les âmes errantes. Je peux les voir et parler avec elles. C'est ainsi que je sais que tu es suivie par ton grand-père Jacques-Jean. Il voulait seulement que celui que tu prendras pour mari ait en cadeau, une bague qui l'appartenait, celle aux symboles de la royauté. Menant enquête, je sais où elle est.

Il observa la réaction de Marianne. Cette dernière, qui l'écoutait en silence, ne bougea pas d'un millimètre de sa place, toujours la même expression faciale qu'au début de la conversation, aucune trace d'ironie. Le jeune homme soupira et murmura :

— Ma chère Marianne, je suis bien particulier, mais acceptes-tu de devenir ma femme ? Puis-je demandé ta main ?

Elle sourit à sa dernière question et répondit, sourire aux lèvres et regard brillant d'un éclat qu'il ne lui avait jamais vu auparavant :

— Paul, je n'ai pas de don particulier, mais je te crois. Tu es sincère et être ta femme et ta confidente sera, pour moi, une joie et un privilège, en plus d'être mère de tes enfants.

— Bravo, petite-fille, commenta Jacques-Jean, ravi. Alors futur mari de ma petite-fille, vous pouvez garder la bague. Que Dieu bénisse votre mariage et que vous soyez féconds.

— Marianne, ton grand-père est bien content que je sois ton mari.

— C'est bon à savoir ! Au moins, il ne s'opposera pas à notre union.

Le jeune couple, main dans la main, se levèrent du banc pour se promener dans les rues de la ville. Avant de quitter le parc, le grand-père demanda au chuchoteur d'esprits :

— Paul Eastman, je vois une lumière ô combien belle et merveilleuse, où ma chère et tendre épouse m'attend. Est-ce pour moi ? Dois-je y aller ?

— Oui, Jacques-Jean Beaumont, cette lumière est pour vous... Et ne vous inquiétez pas, je porterai la bague que vous destiniez au mari de votre petite-fille, ma chère Marianne.

L'âme errante opina du chef, ravi, rasséréné, et se dirigea vers la Lumière et quitta définitivement le monde des vivants.

— Marianne, ton grand-père n'est plus parmi les vivants, il est parti enfin comparaître devant Dieu.

La fiancée du chuchoteur d'esprits approuva d'un geste de la tête et lui sourit. Paul, galant, lui offrit son bras pour une petite promenade dans le parc et dans les rues de la ville, pensant que le Destin lui était bien clément à lui envoyer une femme si douce et compréhensive de son don. Son état d'âme était une euphorie et une joie indescriptible que ses yeux ne pouvaient cachés. Il avait tellement hâte d'arriver au mariage.

Paul se maria à Marianne Beaumont à la mairie le 25 novembre 1977. Le couple habitait dans un petit appartement en périphérie de la ville.



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* Citation approximative de la Bible, Lc 12,48, « On exigera beaucoup de celui à qui l’on a beaucoup donné. Plus on a confié à quelqu’un, plus on exigera de lui. »

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