Réinterprétation et autres histoires

Chapitre 4 : Deuxième partie, Journée ordinaire, rencontre inattendue et autres nouvelles

8829 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/02/2024 13:01

4.Journée ordinaire, rencontre inattendue et autres nouvelles




Un jour de septembre 2000, Mélinda, récemment mariée, se rend à sa boutique d'antiquités. Avant d'ouvrir la porte, elle est accueillie non pas par son associée, Andréa Marino, mais par l’esprit errant d’un garçon de six ans. Elle le détaille, très intriguée par sa présence : un petit garçon vêtu d'un chandail rayé et d’un pantalon bleu marine salis avec des traces de sang, aux cheveux brun clair et aux grands yeux marrons enfantins qui brillent d’une lueur de tristesse. Un sentiment de douleur atteint la chuchoteuse d'esprits en le voyant. Elle lui demande, sur un ton maternel, retenant ses larmes :

— Petit garçon, que fais-tu ici ? Pourquoi es-tu si triste ? Quel est ton nom ?

— Je suis Kevin... Je suis triste, ma maman me pleure trop... Et je pleure à la voir, parce qu'elle ne m'aide pas... En plus, elle m'ignore, alors que je ne me suis jamais senti aussi vivant de mon existence...

— Pourquoi as-tu besoin de l'aide pour communiquer avec ta mère ? Quel est ton nom au complet, Kevin ? Mais es-tu conscient que tu n'es plus parmi les vivants ? Tu n'es qu'un esprit, raison pour laquelle ta maman ne te voit pas. Ce n'est pas qu'elle t'ignore...

L'esprit s'évapore en lançant un dernier regard rempli de tristesse et un bref éclair de colère à la jeune femme. Cette dernière est perplexe, ne sachant trop que penser de la situation de l'esprit. Elle ouvre la porte et entre dans sa boutique, saluant son associée. Celle-ci est une jeune Italienne qui travaille depuis quelques mois avec elle, élégante et svelte jeune femme qui la dépasse de vingt-cinq centimètres, qui est toujours enjouée et de bonne humeur. Elle lui lance un regard interrogateur en la voyant.

— Mademoiselle Marino, la rassure la chuchoteuse d'esprits, vous n'avez pas à vous inquiéter pour moi, je parlais avec mon mari... Rien d'étrange, non ?

— D'accord, répond, sceptique, l'associée, fronçant des sourcils.

— Vous me voyez, madame ? ... interroge un esprit errant à la droite d'Andréa.

La chuchoteuse d'esprits le détaille, un vieil homme plutôt obèse est vêtu d'un complet bleu et une chemise blanche, une tête chauve cachée par un béret et une moustache grise et blanche. Il est âgé de quatre-vingt cinq ans aux airs d'un bon viveur et quelque peu sympathique, rien de mauvais ou de perfide dans le regard ou dans l'attitude. Mélinda est rassurée de ses intentions.

— ... Pouvez-vous alors dire à la demoiselle de récupérer la photographie derrière la cuisinière et la donner à mon petit-fils, Albert ? l'interroge l'esprit, rempli d'espoir que quelqu'un puisse enfin l'aider.

— Mademoiselle Marino, venez avec moi dans l'arrière-boutique, je dois vous expliquer une information confidentielle qui ne concerne pas toutes les oreilles.

— Très bien, j'arrive, lui répond sérieusement Andréa, étonnée, mais aussi intriguée.

Aussitôt dit, aussitôt fait, Mélinda fixe son associée et affirme :

— Je ne suis pas une femme ordinaire, je peux interagir avec les âmes des défunts.

— Êtes-vous sérieuse ? lui demande Andréa, petit sourire étonné dans le coin des lèvres.

— Oui.

— Mais, c'est formidable ! Absolument hors de l'ordinaire ! s'exclame-t-elle, manifestement enjouée et sincère.

Rassurée, Mélinda laisse échapper un soupir de joie et continue, sourire radieux au visage.

— J'avais tellement peur d'être tournée en ridicule que me voilà rassurée ! Très bien ! Je voulais vous dire qu'un esprit vous suit... Monsieur ? ...

Elle se tourne vers le vieil esprit errant près d'Andréa et l'observe, attendant sa réponse.

— Je suis Philippe Dupuy, l'ancien locataire de l'appartement.

Elle opine du chef et répète l'information mentionnée par l'esprit.

— ... Et il veut que vous récupérez une photographie derrière la cuisinière pour la donner à son petit-fils, Albert Dupuy. Est-ce exact, monsieur ?

L'esprit confirme d'un geste de la tête et s'en va.

— D'accord, je m'en occuperai dès que je reviendrai chez moi après le travail. ... Et votre discussion devant la porte n'était pas avec votre mari, mais bien avec un esprit errant, non ?

— Oui, effectivement, reconnaît-elle, baissant les yeux comme un enfant surpris à manger de la confiture. C'est un petit garçon.

Tournant la tête à sa droite, elle remarque Kevin.

— Il est à ma droite. Bonjour, Kevin.

L'interpellé la salue.

— Bonjour Kevin, répond Andréa Marino, fixant le vide.

L'esprit se déplace et rit de l'attitude de l'associée.

— Madame, cette femme aveugle est comique... Elle demeure stupidement dans la même position, alors que je ne suis plus dans ce coin. Vous et mon ami êtes normaux, vous avez des yeux, la vision vous est claire... Elle, indiquant d'un geste de la tête Andréa Marino, est aveugle...

— Kevin, le réprimande gentiment Mélinda, ne sois pas méchant avec mon associée. Elle n'a pas ce don, c'est tout.

Le garçon, moue dubitative, s'en va.

— Mademoiselle Marino, revenons au comptoir.

Et les deux femmes attendent qu'un client arrive. La chuchoteuse d'esprits, pour passer le temps, lit les journaux locaux des derniers jours, des derniers mois et des dernières années pour retrouver le cas de l'esprit errant qui l'intéresse, mais en vain.

Soudain, Jim rentre dans la boutique, suivi de sa mère, Fabienne, une élégante femme de cinquante ans, vêtue d'une chemise verte, d'une jupe brune et d'un manteau bleu marine qui agrémente bien ses yeux bleus habituellement pétillants de joie, maintenant un peu ternis depuis son récent veuvage, et sa chevelure blonde. Elle a pour unique bijou son alliance à la main droite et un collier d'or avec un pendentif et l'alliance de son défunt mari. Jim fait les présentations des trois femmes, Mélinda, Andréa et Fabienne. Mélinda, notant l'impatience de l'esprit errant du garçon à sa droite, s'excuse auprès de sa belle-mère et quitte précipitamment le magasin. Jim explique à sa mère, très étonnée du comportement de sa bru, que sa femme est habituellement plus conviviale et sympathique, mais que le travail d'antiquaire l'occupe beaucoup ces derniers temps. Fabienne, guère convaincue de l'explication de son fils, opine du chef par politesse, lui sourit et l'informe :

— Jim, savais-tu que ton frère, Daniel, se mariera le 17 novembre prochain ?

— Je l'ignorais, mère, trop occupé avec mon travail, lui répond-il sourire sincère et yeux brillants de joie d'une si bonne nouvelle. Enfin frérot ne sera plus seul ! ... Et nous sommes invités, ma Mélinda et moi, n'est-ce pas, mère ?

— Bien sûr ! s'offusque faussement la vieille femme. Je suis bien contente qu'il a trouvé femme avec laquelle il souhaite fonder une famille, une certaine Agathe Heymann. Elle a l'air très sympathique et sera une bonne épouse et mère, sans aucun doute ! Parlant de famille, rien de nouveau pour ta femme et toi ? lui demande-t-elle, levant les sourcils.

— Rien de nouveau... lui réplique-t-il d'un ton traînant, comprenant sa pensée. Mais, enchaîne-t-il sur un ton plus sérieux, je te propose de venir t'installer confortablement chez nous. Veux-tu me suivre ?

— Oui, oui, allons-y ! J'aurai suffisamment le temps pour discuter avec ma bru plus tard...

Mère et fils se dirigent vers la maison du jeune couple, cadeau de mariage du père de Jim et du père de Mélinda.


Quelques heures plus tard, revenant chez elle, Mélinda remarque Kevin dans le salon jouant avec la télécommande, alors que sa belle-mère est assise dans la cuisine, discutant avec Jim de son propre mariage avec le feu Aiden Clancy, décédé il y a une semaine.

— Kevin, soupire-t-elle, exaspérée, veux-tu bien décliner ton identité au complet, tu sais bien qu'avec un prénom, je ne peux pas t'aider ? D'ailleurs, veux-tu bien cesser de changer les chaînes de télévision ?

— D'accord, madame, maugrée-t-il.

Il cesse de jouer avec la télécommande.

— ... Je suis Kevin Dumas, fils de Thierry et Florence Dumas, frère de Marine.

— Aussi, peux-tu...

Avant qu'elle ne termine sa phrase, l'esprit reprend son jeu avec la télécommande, augmentant le volume, et part. Mélinda soupire du comportement de l'esprit et remarque dans le cadre de la porte sa belle-mère et son mari, alarmés par le bruit de la télévision, qui l'observent.

— Mélinda, demande Fabienne, que se passe-t-il dans le salon ?

— Euh... Rien, belle-mère, ment-elle, fuyant son regard pour trouver un alibi à la venue de l'esprit errant.

— Mère, ce n'est que la télévision qui a un problème, c'est tout. Je vais essayer de la réparer... ajoute Jim, s'approchant de l'appareil, feignant de l'analyser de tout côté pour trouver la source du problème, sauvant la situation.

Fabienne promène un regard soupçonneux de son fils à sa bru, lorsqu'elle remarque la lueur de soulagement dans le regard de Mélinda, mais ne commente pas, et revient rapidement à sa place, dans la cuisine, continuant à feuilleter les photographies qu'elle a amené, tout en pleurant sur ses souvenirs de vie commune avec son mari. 

Jim sourit à sa femme et lui demande, chuchotant pour que sa mère n'entende rien :

— Encore un esprit errant, Mél ?

— Oui, Jim.

— Celui-là est très technologique pour jouer avec la télécommande ! s'exclame-t-il, éteignant simplement l'appareil.

— Très drôle, monsieur, s'offusque Kevin Dumas, faisant une moue, apparu à sa droite.

— Chéri, l'esprit errant est un petit garçon de six ans, il n'est certainement pas informaticien ou spécialiste dans le domaine à son âge ! rit-elle.

— Ah ! Je l'ignorais... Mes excuses, petit, répond-il embarrassé.

Mélinda sourit à la réponse de son mari, réponse qui satisfait l'esprit errant. Ce dernier, approuvant les paroles de Jim, s'en va.


Un peu plus tard, une fois que son mari et sa belle-mère sont sortis pour une petite promenade dans le parc, elle cherche le plus d'informations possibles sur le garçon en naviguant sur Internet. Elle trouve ainsi qu'il est mort écrasé par une voiture au début du mois, alors qu'il jouait devant la maison sous la surveillance de sa mère. Le conducteur, un certain André-Daniel Colin, jugé au tribunal judiciaire de Reims, est condamné à deux ans de prison et à 45 000 euros d'amende. Éteignant l'ordinateur, elle remarque un élégant et grand homme du même âge que sa belle-mère, aux cheveux bruns avec quelques cheveux gris parsemés autour des tempes et aux yeux bleus qui lancent des éclairs de colère, vêtu d'une chemise bleue salie d'une tache de sang qui se dégoutte sur toute la chemise et le manteau bleu marine, laissant des traces séchées par endroits, et d'un pantalon bleu marine. Aucun doute, cet homme ne peut qu'être Aiden Clancy, pense Mélinda. Les yeux de la chuchoteuse d'esprits s'agrandissent de frayeur à l'apparence de l'esprit, reculant instinctivement de quelques pas, n'ayant jamais vu encore de fin si violente jusqu'à maintenant. Elle lui bredouille :

— Bonjour... monsieur... Aiden Clancy... Mon beau-père ?

Il confirme d'un geste de la tête à sa bru son identité et affirme, essayant de parler posément, malgré la colère qui se lit dans ses yeux et dans le ton de sa voix :

— Je veux que la justice soit rétablie, mon meurtrier ne peut pas se promener impunément dans les rues de notre ville...

— Qui est-il ? Comment puis-je vous aider ?

Aiden Clancy attendrit son regard en fixant sa bru et lui murmure :

— Je trouverai quelqu'un pour m'aider... Mes excuses, je ne voulais pas vous faire peur... Mais retrouvez ma chevalière pour la donner à mon benjamin, Daniel, avant qu'il soit trop tard... Sinon donnez-la à mon aîné, votre mari... Mais faites vite ! s'alarme-t-il, les traits tendus et le regard affligé. Je ne veux pas qu'un autre malheur frappe notre famille !

Et il s'évapore, laissant Mélinda très ébranlée au fond de son âme et attristée. Elle sèche rapidement ses larmes pour que sa belle-mère, qui devrait bientôt revenir, ne doute de rien.


Un peu plus tard, dès qu'elle est seule avec son mari, elle l'informe de la requête de son père. Jim, étonné, commente :

— Mél, je suis assez étonné, intrigué et angoissé de l'empressement de mon père ... Officiellement, il est mort d'une balle perdue sans plus d'informations sur le meurtrier... Et je me demande bien pourquoi il tient tant à sa chevalière. Je sais où elle est, mais il faudrait informer Dan avant...

— Et comment penses-tu lui expliquer que c'est la volonté de ton père, alors qu'il est défunt depuis une semaine ?

— Bonne question... Je tâcherai de trouver une excuse... Au pire, nous lui expliquerons la vérité, au risque qu'il ne veuille plus jamais parler avec moi... J'espère qu'il ne sera pas si incrédule...

Le couple soupire, exaspéré.



Le lendemain matin, passant par le parc pour arriver jusqu'à sa boutique, la chuchoteuse d'esprits remarque un gamin en discussion animée avec Kevin Dumas. Elle s'approche d'eux et les apostrophe :

— Les garçons, que faites-vous ici ?

— Je joue avec mon ami Kevin, répond le vivant, un garçon de sept ans aux cheveux noirs et aux yeux marrons, vêtu d'un chandail bleu marine, d'un manteau bleu et d'un pantalon beige.

— Et quel est ton nom ? lui demande-t-elle poliment.

— Je suis Daniel Tung.

— Le fils de Chang et Sophie Tung ?

— Oui, madame.

— Daniel, veux-tu venir avec moi ? Je te raccompagnerai jusqu'à ta mère et je lui expliquerai ta situation. Ta mère ne comprend certainement pas que tu discernes l'esprit errant qu'est ton ami, alors je clarifierai la situation, puisque je le vois aussi...

Elle lui lance un clin d'œil complice. Le garçon approuve d'un geste de la tête ses paroles et suit Mélinda, rassuré qu'il ne soit pas le seul à discerner son défunt ami. Les deux arrivent jusqu'au salon de coiffure de Sophie Tung. À leur arrivée, celle-ci lance un regard interrogateur à la chuchoteuse d'esprits, ne comprenant pas sa présence. Elle informe la mère de Daniel :

— Madame Tung, je vous ramène votre fils, il jouait dans le parc...

— Ah ! Encore son ami imaginaire, s’exclame-t-elle, exaspérée. Daniel, combien de fois dois-je te répéter de ne pas suivre ton imagination débordante ? Es-tu conscient que la route est dangereuse, avec des voitures qui vont dans les deux sens ? ...

— Je m'excuse de vous interrompre, madame Tung, mais je vous précise que votre fils n'hallucine pas ni qu'il a une imagination enfantine débordante, il peut voir les esprits errants, à mon instar.

La mère du garçon, énervée, attrape son fils par la main et l'entraîne derrière la caisse, au fond du salon de coiffure, ne remerciant même pas la chuchoteuse d'esprits. Cette dernière, étonnée de la réaction, revient dans sa boutique d'antiquités, rangeant des nouvelles acquisitions et aidant Andréa Marino à la caisse avec des clients.


Une heure plus tard, lorsqu'aucun client n'est dans la boutique, l'Italienne informe la chuchoteuse d'esprits :

— Mélinda Gordon-Clancy, j'ai fait comme l'a demandé cet esprit errant et j'ai effectivement trouvé une photographie derrière la cuisinière... Étrange, non ? ...

— Je le sais bien, puisque Philippe Dupuy est à votre droite, ravi.

L'associée tourne sa tête vers sa droite, mais, ne voyant personne, rapporte son attention sur l'autre femme, continuant son discours.

— ... Et j'ai remis ce matin la photographie à son petit-fils... Il habite dans la même ville, quelques quartiers plus loin de mon appartement.

— Merci à vous deux, mesdames, de m'avoir aidé ! s'exclame le vieil esprit errant. Je peux enfin partir et rejoindre ma femme. Marie, j'arrive, mon amour !

— L'esprit errant est très content que nous l'avons aidé. Il va partir dans la Lumière. Bon voyage, monsieur Dupuy !

— Merci, madame !

Et Philippe Dupuy, visage illuminé d'une lueur surnaturelle, va dans la Lumière, quittant définitivement le monde des vivants.

— Un esprit errant de moins, mademoiselle Andréa Marino, s'exclame-t-elle, lâchant une larme de joie qu'elle essuie rapidement.

— C'est bon à savoir !

— Reprenons notre travail maintenant !

Et les deux femmes attendent les prochains clients et rendent de l'ordre dans la présentation de leur boutique et des divers objets à vendre.


Un peu plus tard en après-midi, en passant par les rues qui mènent jusqu'à sa boutique, revenant d'une visite pour l'estimation du prix de certains vieux meubles, la jeune femme discerne un homme un peu plus jeune qu'elle qui la dépasse de vingt-cinq centimètres aux yeux marrons et aux cheveux de jais désordonnés, avec une lueur étrange dans le regard, vêtu d'un complet noir et d'une chemise blanche, dans une petite ruelle en discussion, non pas avec un vivant... mais avec un esprit errant. Elle s'approche d'eux et s'étonne de ce qu'elle capte de la conversation...

— ... Monsieur, murmure le chuchoteur d'esprits, acceptez-vous de venir avec moi ? De prendre une petite halte avant de partir dans la lumière ? Je connais un joli endroit adapté pour vous.

L'esprit errant, un homme de cinquante ans, élégant et bienveillant, vêtu de l'uniforme caractéristique des facteurs, semble hésiter. Il disparaît avant de répondre.

— Voyez-vous les esprits errants, monsieur ? demande Mélinda, intriguée d'apprendre qu'un autre individu à Grandeville ait la même capacité qu'elle.

Le chuchoteur d'esprits inconnu, nul autre que Gabriel Lawrence, se retourne, affichant son sourire le plus affable malgré son étonnement, et répond :

— Oui, je les vois... Vous semblez aussi les discerner, non ?

— Exactement.

— Vous êtes, madame ? ...

— Mélinda Gordon-Clancy.

— Enchanté ! Je suis Gabriel Lawrence. Au revoir, Mélinda Gordon.

— À la prochaine, Gabriel Lawrence.

Les deux chuchoteurs d'esprits se quittent, mais ni Gabriel, ni Mélinda ne remarquent l'âme de leur père les observer de loin, petit sourire aux lèvres. Thomas Gordon s'évapore et attend son fils dans son appartement situé dans une rue perpendiculaire à la boutique d'antiquités.

Il lui ordonne en le fixant de ses yeux bleu glacial :

— Mon fils, tu as rencontré ta demi-sœur... C'est de cette Mélinda que je te mentionnais depuis des années déjà ! C'est elle que tu dois convaincre de s'allier avec nous... Ou que tu dois envoyer un avertissement... Mais ne la tue pas, elle est ma fille néanmoins... Fais ce que tu veux, vole-lui son don, assassine son mari, mais ne touche pas à ma fille, sinon tu devras affronter ma colère !

Sur ces paroles, l'âme regagne son corps, laissant son fils adultérin très perplexe. Personne ne remarque Konstantin Pavlovich Tcherevitchenko qui observe la discussion entre le père et le fils. L'Observateur s'éloigne de l'appartement de Gabriel, regagnant une rue de Grandeville.


Simultanément, Mélinda, étonnée de savoir qu'un autre chuchoteur d'esprits existe dans sa petite ville, s'arrête à sa boutique pour ranger les récentes acquisitions. Elle discerne, dans un coin, Kevin. Elle lui sourit et lui fait signe de venir dans l'arrière-boutique.

— Kevin, que veux-tu ? Pourquoi es-tu là ? interroge-t-elle maternellement l'enfant.

— J'ai vu un jouet similaire à celui-ci dans la voiture...

Il lui montre, dans un coin de l'entrepôt parmi d'autres jouets, un objet en plastique d'une araignée au milieu de sa toile, suspendu par un fil. Intriguée, ne comprenant guère ce que le garçon veut lui dire, la chuchoteuse d'esprits prend le jouet entre ses mains. Transportée dans une vision, elle est devant une maison bien entretenue en briques, comme plusieurs autres du quartier de Grandeville, jouant avec des petites voitures et d'autres jouets. Elle remarque, sans prêter attention, dans le coin de son champ de vision une grande voiture rouge qui a, près du rétroviseur, un objet en plastique suspendu imitant une araignée au milieu de sa toile. L'automobile se dirige dangereusement vers elle, un cri de désespoir de la mère fuse, une douleur à travers tout le corps, puis une soudaine légèreté. Se retournant pour mieux détailler son meurtrier, elle remarque que le conducteur est possédé, son âme est assise sur le siège du co-conducteur, rictus au visage. Le corps possédé et ivre affiche un sourire sardonique.

Mélinda revient de sa vision, le cœur battant à la chamade, effrayée. Elle lâche le jouet qui tombe bruyamment au sol et fixe l'esprit errant qu'est le garçon, tremblante comme une feuille agitée par le vent. Elle lui murmure d'une voix blanche :

— Le jouet n'était pas le vôtre, mais celui de votre meurtrier... Quelle horrible fin ! Écrasé par un conducteur possédé et ivre au volant sous les yeux de sa mère !

Elle éclate en sanglots et pleure à chaudes larmes pendant quelques minutes. Kevin Dumas, faible sourire, tâche de la consoler, mais en vain. Elle se ressaisit, remerciant le garçon de son aide, essuie ses larmes et termine de ranger les antiquités, les mains encore tremblantes.


Un peu plus tard, revenant chez elle, en discutant avec son mari, l'antiquaire l'informe de la présence de Gabriel Lawrence dans la ville. 

Jim commente, sceptique, moue dubitative :

— Mél, je te conseillerai prudence. Ce n'est pas parce qu'il a le même don qu'il est nécessairement bien intentionné et partage le même but que toi.

— Jim, ne sois pas si méchant ! Au contraire, il pourrait être un formidable allié !

— Si tu le dis, soupire-t-il, l'enlaçant tendrement. Mais sache que je t'aiderai toujours, mon amour.

L'ambulancier se penche vers sa femme, lui rendant son bisou et la chatouille gentiment. Le couple s'endort, une nuit sans cauchemar.



Le surlendemain, ne travaillant pas à sa boutique, la chuchoteuse d'esprits, avec sa belle-mère, s'occupe de faire les commissions. Les deux femmes achètent différents fruits, légumes, viandes et poissons. Sur le chemin du retour, Mélinda note la présence de Kevin Dumas près d'une rangée de vêtements pour enfant. Elle s'excuse auprès de sa belle-mère et accourt jusqu'à l'esprit, traversant la rue, et lui demande, chuchotant, feignant d'observer la marchandise :

— Kevin, qu'est-ce que tu veux me dire ?

Sa mine s'assombrit, ses yeux sont au bord des larmes, sa voix enfantine devient étranglée sous l'effet de l'émotion.

— Mon papa pense retrouver mon meurtrier pour le tuer... S'il vous plaît, essayez de le raisonner ! Ce geste ne m'aidera pas. Moi, je suis plus inquiet que maman se néglige... Elle devrait mieux s'occuper de Marine au lieu de toujours pleurer de ma perte... De toute façon, je me sens bien maintenant... Je n'ai jamais été aussi fort et en santé que maintenant, plus rien ne me fait mal... Sauf les larmes de ma maman qui m'attristent.

Et le garçon disparaît. La chuchoteuse d'esprits rejoint sa belle-mère, arborant son plus beau sourire, et la rassure en ces mots :

— Revenons à la maison, belle-mère ! Je n'ai rien vu d'intéressant !

Fabienne ne souffle mot, la regardant d'un air entendu par-dessus ses lunettes solaires, pensant que sa bru est enceinte. Les deux femmes reviennent à la maison du jeune couple.


En après-midi, Jim revient du travail et déambule dans les rues de la ville avec son épouse, laissant sa mère à la maison. Il lui demande :

— Mél, tout est correct avec ma mère ? Aucun incident ?

— Non, aucun incident... Seulement ce petit garçon, l'esprit errant, qui m'alarme avec ses parents. Son père veut retrouver le meurtrier de son fils pour le tuer et sa mère ne cesse de le pleurer, négligeant son autre enfant, une fille. Le meurtrier est en prison, donc je ne sais pas trop comment il pourrait le tuer...

— Et je comprends que tu veux leur rendre visite et que nous tâchons de les raisonner.

— Exactement, Jim.

— Très bien. Nous pouvons y aller maintenant ou demain.

— Maintenant, lui répond-elle en fixant Kevin non loin d'eux qui lui gesticule de se dépêcher.

Le couple presse le pas pour se diriger vers la maison des Dumas, suivant l'esprit errant qui le guide. En passant par une rue, tournant la tête, Mélinda remarque un policier, reconnaissable à son uniforme en discussion animée avec... Aiden Clancy. Le policier, Paul Eastman, note des informations dans un calepin et « éteint » son émetteur-récepteur portatif, remerciant l'esprit errant d'un geste de la tête et continue sa tournée, comme si de rien n'était. La chuchoteuse d'esprits, étonnée, continue à suivre Kevin Dumas, se promettant de discuter avec ce policier bien singulier plus tard.

Jim et Mélinda arrivent chez les Dumas et sonnent à leur porte, attendant que quelqu'un leur ouvre. Florence Dumas, une grande et élégante femme aux yeux marrons rougis de larmes et aux cheveux brun clair, avec la petite Marine entre ses bras, les accueille à l'intérieur, très étonnée. Elle les amène dans le salon, leur donnant de l'eau. Thierry Dumas, un grand homme mince aux yeux bruns avec une touche vert olive et des cheveux noirs, arrive également dans le salon, très fatigué, traits tirés, cernes sous les yeux. Lui et sa femme écoutent la raison de la venue de Mélinda et de son mari. Après les explications, Florence pleure encore plus et Thierry éructe à la chuchoteuse d'esprits :

— Madame Clancy, votre pseudo-don ne nous intéresse pas ! Ne voyez-vous pas dans quel état vous avez mis ma femme ? Savez-vous ce que c'est de perdre un enfant ? De le voir mourir sous ses yeux ? ...

Les deux interrogés tournent négativement la tête, très émus.

— ... Et que la justice condamne le meurtrier pour un comique deux ans de prison et une amende dérisoire ! Et personne ne se soucie de notre Kevin...

— Monsieur Dumas, précise Jim, essayant de demeurer calme, malgré la situation, ses yeux se glacent un peu en percevant le doute de l'interlocuteur, je vous précise que ma femme n'a pas un pseudo-don, mais un don bien réel... Elle a aidé maints défunts à passer dans l'Au-delà, à quitter plus facilement le monde des vivants et à transmettre leur dernier message et leur dernière volonté.

— D'ailleurs, Kevin est à votre droite, monsieur, précise-t-elle.

— Madame Clancy ! s'emporte-t-il, serrant les mains en poing, blanchissant ses jointures. N'augmentez pas notre douleur plus que nécessaire ! Laissez-nous tranquilles ! Sortez de chez moi !

Thierry se lève, enlace brièvement sa femme et sort du salon, suivi de son fils. Ce dernier revient rapidement, très angoissé, et hurle à la chuchoteuse d'esprits :

— Papa est très fâché et désire tuer mon meurtrier ! Faites-lui comprendre, ce geste ne servira à rien !

Mélinda, les yeux agrandis de peur, rapporte à son mari et à Florence les paroles de l'esprit errant. Jim se dépêche de rejoindre Thierry. Heureusement, il est encore dans la maison, plus exactement dans la cuisine, fouillant parmi les couteaux les plus aiguisés. L'ambulancier lui bloque la porte d'entrée, suivi de près par Mélinda et Florence, et lui affirme, sérieusement :

— Monsieur, ne passez pas à l’acte ! Ne tuez surtout pas le meurtrier de votre fils ! Réfléchissez avant de faire le moindre geste. Je comprends bien que la perte de votre fils est très douloureuse et pénible à vivre, mais par votre idée d'acte meurtrier, Kevin ne reviendra pas à la vie et vous serez coupable d'homicide volontaire. Et comment votre femme pourra alors s'occuper de votre petite Marine ? Je comprends bien votre colère, votre frustration, votre désarroi et votre emportement, mais arrêtez-vous deux secondes et réfléchissez !

Sursautant de surprise, lâchant le couteau qu'il tient, le mari de Florence se retourne. Les yeux bruns du père de Kevin rencontrent les yeux bleus de l'ambulancier, un affrontement des regards, mais Thierry s'avoue rapidement vaincu, ne pouvant supporter trop longtemps le combat visuel de son interlocuteur, et fixe ses pieds, hésitant à exécuter son idée. Il fait demi-tour, s'avachissant sur un siège et tenant sa tête entre ses mains. Mélinda chuchote à Florence :

— Voulez-vous venir avec moi à l'extérieur pour que nous discutions entre femmes et laissons nos maris parler entre eux ?

L'interpellée opine du chef et enjoint l'autre de la suivre jusqu'à la cour arrière.

Les deux femmes, assises confortablement sur un siège en osier avec des cousins verts, observent le paysage automnal qui s'offre à elles en silence : des feuilles jaunes, oranges et rouges qui virevoltent au gré du vent, des feuilles brunes, séchées s'envolent un peu partout, les dernières œillets de l'été se dressent encore fièrement dans quelques vases à fleurs sur la belle terrasse en pierre. Ces quelques minutes permettent d'éteindre la tension des récentes confrontations. Kevin aussi est présent, à la droite de sa mère, la fixant avec tristesse et souriant faiblement à sa sœur. Mélinda, se raclant la gorge, informe Florence :

— Madame Dumas, votre défunt fils est à votre droite, il est triste de vous voir si affligé et il sourit à sa sœur.

— Mon petit Kevin, ... Snif... Mon enfant, Snif... mon ange, Snif... Snif ...

Elle sort un mouchoir et s'essuie élégamment le nez et les yeux avant de se ressaisir, les yeux rougis de ses pleurs, continuant d'une voix tremblante.

— ... Kevin, comprends que je me sens fautive de ta mort... Je pouvais faire quelque chose... et je n'ai pas réagi... J'étais restée stupidement prostrée, immobile comme une statue...

— Maman, cesse de te culpabiliser. Tu n’as pas de raison de te considérer fautive de ma mort. Je suis léger. Je suis plus heureux, léger et content que de mon vivant. Ne me pleure pas. J’aime pas ta tristesse et ta négligence de Marine.

— Kevin vous rassure et ne comprend pas la raison de votre culpabilité. Esprit errant, il ne s'est jamais senti aussi vivant, fort, léger et heureux. Il est affligé de constater que vous négligez Marine en le pleurant constamment.

Relevant la tête, Florence murmure entre des larmes :

— Vous ne plaisantez pas...

Mélinda approuve du chef, regard très sérieux.

— ... Si vous le dites. Je vous crois sincère... Et mes excuses pour la réaction de mon mari.

— Pas de problème... Je suis bien habituée à toutes les réactions possibles avec les années, lui répond-elle chaleureusement, sourire sincère. D'ailleurs, le conducteur qui a mis fin à la vie de votre fils était possédé, et non seulement ivre, au moment de l'action.

Étonnée, les yeux écarquillés de frayeur, la mère de l'esprit errant affirme dans un souffle :

— Comment le saviez-vous ?

— Je l'ai vu dans une vision que votre défunt fils m'a montré. Horrible !

Et Mélinda sort un mouchoir, vivement affectée en son âme de la vision.

— Excusez-moi, madame Dumas, je suis très émotive...

— Aucun problème, je comprends très bien votre réaction, lui affirme-t-elle, faible sourire, essuyant une larme dans le coin des yeux qui perle, brillante.

— Merci, Mélinda Gordon-Clancy de bien m'aider, je surmonterai plus facilement mon deuil, maintenant que je sais que mon ange de Kevin va bien.

Le garçon, sourire aux lèvres, brillant de joie, se tourne à la droite de sa mère et affirme :

— Maman, au revoir et dit à papa que je l'aime beaucoup. Et au revoir Marine, j'espère que tu auras plus de chance dans la vie...

Il se penche vers sa sœur et lui donne un bisou fraternel sur la joue droite, arrachant un sourire au bébé de quelques mois. Il se tourne vers Mélinda.

— ... Et merci, madame de m'avoir aidé, mais surtout d'aider papa et maman. Je vais partir au Paradis... Cette Lumière est tellement belle et mamie m'attend ! Au revoir !

— Le départ de Kevin pour la Lumière est imminent. Au revoir Kevin et bon voyage ! Meilleures chances la prochaine fois !

— Au revoir mon enfant, mon Kevin, murmure Florence.

L'esprit errant salue une dernière fois sa mère, sa sœur et l'épouse de Jim avant de partir pour l'Au-Delà.

Florence revient à l'intérieur, suivie de Mélinda. Les deux femmes constatent que leurs maris se tiennent tranquilles, assis l'un en face de l'autre, silencieux. Chacun d'elles s'assoit au siège voisin de leur mari et observe la situation. Thierry se racle la gorge et affirme, d'une voix tremblante, essayant de cacher sa tristesse et ses larmes :

— Monsieur Clancy, vous avez malheureusement raison ! Tuer ce meurtrier est inutile, je ne ramènerai pas à la vie mon fils...

Il baisse les yeux, fixant ses mains. Des larmes coulent le long de ses joues, laissant un sillon qui attriste Florence. Cette dernière intervient.

— Chéri, ne t'inquiète pas, notre petit Kevin ira bien. Il est parti au Ciel, Dieu aura certainement son âme. Au moins, il aura l'éternité pour être insouciant et heureux. Nos larmes l'attristaient. Heureusement, nous avons notre Marine... Et je te promets que je ne laisserai plus les enfants jouer dans la cour avant.

Son mari lui sourit faiblement et l'enlace. Il lâche sa femme et se tourne vers la chuchoteuse d'esprits.

— Madame, j'ai discuté avec votre mari et me suis rendu à son argument... Merci infiniment de nous aider... Je me sens moins coupable... Au moins, mon désir de vengeance est tombé.

— Je suis bien ravie que vous ne vous culpabilisez pas et que vous ne fassiez pas vous-même justice. Votre fils est parti dans la Lumière, ou l'Au-Delà si vous préférez, il y a peu. Il ne s'est jamais senti aussi heureux et léger de son existence que lorsqu'il quitte le monde des vivants. Si personne n'a de mots à ajouter, mon mari et moi allons vous laisser seuls. Au revoir et passez une bonne journée.

— Au revoir, répondent le couple Dumas à l'unisson. Et merci infiniment pour votre aide !

À petits pas, Jim et Mélinda sortent de la maison.


Sur le chemin du retour, Jim commente :

— Mél, je me demande bien comment tu peux travailler ainsi avec autant d'êtres humains, les vivants, si incrédules... Tu es une vraie énigme ma chérie, mais c'est aussi ton charme... J'étais bien touché par les propos de Thierry Dumas lorsqu'il nous avait interrogé, l'idée même de perdre son enfant, de l'enterrer avant son temps est déprimante et très désespérante ! Que Dieu nous protège d'une telle situation ! Mais, je comprends, en un sens, la réaction vengeresse du père... Je ne pense pas que j'aurai réagi autrement, la loi du Talion devient plus forte en des moments difficiles.

— Effectivement, très triste, lui répond-elle, essuyant une larme dans le coin des yeux. Je suis toujours émue du visage rasséréné des esprits errants au moment où ils partent dans la Lumière.

— Je peux difficilement me l'imaginer, mais je te crois bien. Rentrons à la maison ! Ma chérie en premier.

Il débarre la porte d'entrée et la lui ouvre galamment, passant après elle. Le couple salue Fabienne Clancy. À côté de cette dernière, assise sur une chaise en bois, son défunt mari se tient tranquille, l'observant silencieusement. Mélinda rencontre le regard de son beau-père et un frisson la parcourt. Il lui murmure sévèrement :

— N'oubliez pas ma chevalière ! Dépêchez-vous ! Vous avez encore peu de temps !

Et il s'évapore dans les airs, laissant la chuchoteuse d'esprits blême. Fabienne lance un regard interrogateur à sa bru et demande à son fils :

— J'ignore ce qui arrive à ta femme, mon fils, mais je pense comprendre ses agissements des derniers jours... Et j'ai un cadeau pour chacun de vous...

Elle s'éclipse brièvement dans le salon. Le couple s'entr'observe, perplexe, ne comprenant pas la pensée de Fabienne, et s'assoit sur le grand fauteuil qui trône au milieu du salon.

— Voilà ! Voilà ! ... Et félicitations !

Elle donne à son fils une tasse de café portant l'inscription « Le meilleur papa au monde » et, pour sa bru, des vêtements pour bébé blancs. Mélinda se racle la gorge, gênée, et affirme :

— Belle-mère, il y a un sérieux malentendu entre nous...

Elle tourne son regard vers son mari, cherchant un soutien. Fabienne les observe, très confuse.

— ... Je ne suis pas enceinte, belle-mère...

— Ah ! Mais pensez-vous avoir des enfants ?

— Oui, bien sûr, s'offusque le couple à l'unisson.

— Ne vous fâchez pas... Je voulais savoir si mes espoirs d'être grand-mère seront réels, un jour.

— Non, je ne suis pas fâchée, réplique Mélinda, affichant son sourire le plus sincère. Disons que vous avez mal interprétée mon bénévolat...

Intriguée, Fabienne remonte ses lunettes de lecture sur son nez et fixe intensément sa bru, attendant une réponse. La chuchoteuse d'esprits tourne ses yeux vers son mari, l'interrogeant du regard. Jim approuve son idée d'un geste de la tête et répond d'un ton grave et sérieux :

— Mère, ma femme, Mélinda, outre d'être antiquaire, a un autre travail, du bénévolat, plus exactement. Ce bénévolat est possible grâce à son don singulier.

— Lequel ? l'interroge-t-elle, curieuse, les sourcils arqués.

— Celui d'interagir naturellement avec les esprits errants, les défunts qui sont encore sur Terre, complète dans un souffle la jeune femme, fixant ses mains.

L'étonnement se lit sur le visage de Fabienne avant de s'effacer et de céder la place à son sérieux habituel.

— Et qu'est-ce qui vous a effrayé ainsi, ma bru ? lui demande-t-elle, sceptique.

— Mon beau-père, votre défunt mari, Aiden Clancy.

La vieille femme blêmit et murmure :

— Êtes-vous sérieuse ? ... Pourquoi est-il encore là ?

— Il veut se venger de son meurtrier et veut que l'un de vos fils porte sa chevalière. Il préférerait que Daniel la porte. Il est très pressé que cette chevalière soit donnée, parce qu'il a peur que ses fils le rejoignent bientôt.

— Vous n'êtes pas sérieuse ?

— Fab, je suis très sérieux, lui répond Aiden, matérialisé à sa droite, ses yeux lancent des éclairs. Si tu ne veux pas pleurer trop tôt nos fils...

Et il disparaît. La chuchoteuse d'esprits rapporte les paroles du défunt, laissant planer un lourd silence entre eux trois jusqu'au soir. Plus tard, pendant le sommeil de la chuchoteuse d'esprits, Konstantin Pavlovich Tcherevitchenko lui montre, dans un rêve, sa perspective de la rencontre de Gabriel Lawrence et de Thomas Gordon. Mais, en se réveillant, elle doute de la véracité du rêve, le relayant au rang d'affabulation. Mélinda ne peut aucunement concevoir un père si froid et insensible collaborer avec son enfant adultérin... Déjà l'idée d'un père infidèle lui est difficilement acceptable, mais une collaboration avec un tel fils lui est impossible.



Le lendemain matin, Jim appelle son frère, Daniel, mais il ne l'obtient pas et laisse un message à sa boîte vocale, très inquiet. À 14 h 00, Daniel le rappelle et lui demande :

— Bonjour Jim, j'ai vu que tu as laissé un message, alors qu'y-a-t-il de si urgent ?

— Dan, sais-tu où est la chevalière de père ?

— Oui, elle est dans le tiroir de sa table de nuit... C'est ce que m'a dit mère il y a une semaine... En fait, tu voulais qu'on procède enfin au partage des biens, bijoux et autres objets de père, n'est-ce pas ?

— On peut le dire ainsi...

— Très bien ! Ce vendredi, es-tu disponible ?

— Oui, en matinée uniquement.

— Excellent ! Alors à nous cinq, mère, toi, ta femme, ma fiancée et moi, nous irons régler les derniers détails du partage des biens... Ces détails traînent depuis une semaine quand même ! Je suis encore affligé de la perte de notre père, mais la vie continue... On ne peut se laisser aller au désespoir.

— Alors à vendredi Dan.

— À vendredi.

Les frères raccrochent leur téléphone et vaquent à leurs affaires. 

Mélinda remarque la mine inquiète de son beau-père qui écoute toute la conversation de ses fils. Il affirme :

— J'espère qu'il ne sera pas trop tard.

— Trop tard pour quoi ?

— Pour récupérer la bague et qu'elle protège mon fils... Avant que mon meurtrier, son fils ou un semblable psychopathe ne le tue pour marier sa fiancée, ma bru !

— Beau-père, je...

Aiden Clancy disparaît dans les airs, mine très inquiète, rejoignant son fils Daniel. Mélinda résume la conversation avec le défunt à Fabienne et à Jim, les angoissants encore plus. La chuchoteuse d'esprits s'excuse auprès de son mari et de sa belle-mère et part dans sa boutique.


En passant par une rue pour arriver jusqu'à sa boutique, dans une petite ruelle perpendiculaire, Mélinda remarque le même policier de la veille qui discute avec son beau-père. Elle s'approche doucement de Paul Eastman et lui demande poliment :

— Monsieur le policier, vous semblez voir les esprits errants, est-ce exact ?

L'ancien ami d'Élizabeth Maillard, étonné, tournant sa tête à droite et à gauche pour être certain que personne n'écoute leur conversation lui murmure :

— Effectivement, jeune femme, mais si vous me posez la question, c'est parce que vous avez ce même don...

— Exactement, monsieur...

Affichant un sourire plus sympathique à la jeune chuchoteuse d'esprits, il répond, lui montrant sa main droite dans la ferme intention d'une poignée de main polie :

— Paul Eastman, policier extraordinaire qui peut communiquer normalement avec les âmes perdues comme avec les vivants. Vous êtes madame Mélinda Gordon-Clancy, est-ce exact ?

Étonnée, l'interpellée demeure bouche bée, faisant rire le policier.

— Désolé... J'ai oublié de vous préciser que je connais votre identité de votre beau-père, Aiden Clancy.

— Enchantée, monsieur Eastman.

Ils se serrent cordialement la main.

— Enchanté également… Et je mènerai à bien cette enquête pour faire partir Aiden Clancy dans la Lumière, pour qu'il comparaisse devant Dieu. Votre beau-père a été assassiné par un homme aux cheveux bruns clairs et aux yeux marrons brillant d'une étrange lueur, vêtu de noir de la tête aux pieds, des gants gris foncé et d'un chapeau gris pâle... Possédé lors de l'assassinat... Le plus bizarre de toute l'histoire est son arme... Comment est-il parvenu à en obtenir une ? Une arme de fonction ? ... Je ferai mon enquête et vous reviendrai sous peu.

— Merci beaucoup, Paul Eastman, chuchote-t-elle, émue. Mais comment avez-vous accès à autant d'informations ?

— Vous savez les esprits sont des bons alliés et les habitudes du métier ne se perdent pas facilement, jeune femme ! À la prochaine, madame, en espérant se revoir dans de meilleures circonstances !

Les deux chuchoteurs d'esprits se quittent, Paul continuant sa ronde, Mélinda arrivant à sa boutique, encore plus inquiète qu'avant et très confuse à l'idée de rencontrer deux autres chuchoteurs d'esprits en peu de temps.



Vendredi à 14 h 00, dans la maison d'Aiden et Fabienne Clancy à Reims, Mélinda, Jim, Daniel, sa fiancée, Agathe, Fabienne et Aiden sont devant la porte. La mère dirige ses fils dans la chambre pour retrouver la chevalière d'Aiden dans son tiroir. L'esprit errant, lui, est très inquiet et ne cesse de fixer, depuis la fenêtre de sa chambre, la fenêtre de l'immeuble en face. Mélinda l'interroge :

— Pourquoi fixez-vous, beau-père, l'immeuble ? Qu'y-a-t-il là-bas à craindre ?

— Dans cet immeuble habite mon meurtrier... Il me voyait tous les jours... Il remarquait chacun de mes pas et mouvements... Je crains pour mes fils, Dan et Jim.

Et l'esprit disparaît, avant que Mélinda ne l'interroge plus longtemps. Une fenêtre de l'immeuble attire son attention, fenêtre où des rideaux rouge vermeil sont toujours tirés, elle la fixe et se retrouve dans une vision.

Passant devant l'immeuble, elle ressent une paire de yeux la fixer avec insistance depuis la mystérieuse fenêtre. Elle se retourne et rencontre un regard assassin, froid et étrange, possédé dira-t-on, qui la fixe. Un frisson parcourt son échine, mais elle continue son chemin, essayant d'ignorer ces yeux bruns bizarres, possédés. Arrivant près d'une petite ruelle, elle ressent une sourde douleur dans le dos, puis une légèreté soudaine, remarquant que son corps tombe, face contre terre, alors qu'elle continue à marcher. Elle se retourne pour mieux discerner son meurtrier. Ce dernier, un grand homme plutôt élégant, aux cheveux bruns clairs et aux yeux marrons brillant d'une lueur meurtrière et d'un soupçon de folie, vêtu de noir de la tête aux pieds, des gants gris foncé et d'un chapeau gris pâle, est possédé, son âme est spectatrice de l'action de son corps.

Mélinda revient de sa vision, frappant presque la tête contre la vitre, mais son mari la retient, attendant patiemment que son épouse revienne de son voyage. Fabienne, inquiète pour sa bru, promène son regard de son fils à elle, sans dire un mot. La chuchoteuse d'esprits relate la vision et discerne son beau-père qui lui confirme d'un geste de la tête son interprétation, à savoir qu'elle se rapporte à lui, à son dernier moment parmi les vivants. Mère et fils sont très angoissés à l'idée qu'un froid assassin vit près de leur maison. La cinquantenaire affirme d'une voix tremblante :

— Alors la demande... de mon défunt mari est ... très sérieuse...

Elle recule de quelques pas, s'asseyant sur le bord du lit, abasourdie de la récente conclusion de sa bru, encore plus attristée qu'auparavant.

— Alors, Mél, commente Jim, il faut redoubler de prudence et être très vigilant. Je propose de laisser la bague à Dan, il en aura plus besoin que moi.

— Frère, s'immisce Daniel, je préfère que tu la gardes, tu es l'aîné, Jim.

L'épouse de Jim soupire, à l'instar d'Aiden, et affirme :

— Entendez-vous les frères ! Mais dépêchez-vous ! Vous n'avez pas l'éternité pour vous disputer comme des gamins !

— Bien dit, ma bru ! lui lance fièrement l'esprit errant, esquissant un faible sourire. Je n'aurai pas dit mieux !

Les deux frères, penauds, baissent le regard et se taisent pendant quelques minutes. Faith demande à Mélinda :

— Que suggère Aiden ?

— Fab, je préférerai que Dan la porte... Je crains pour son mariage...

— Il suggère Daniel, répond-elle sérieusement, lueur d'inquiétude dans le regard. Mon beau-père est très angoissé pour son mariage.

Tous opinent du chef et Fabienne et ses fils terminent le partage des derniers biens avant de se quitter.



Au début du mois d'octobre, à la station de police de Reims, Paul Eastman, perplexe devant son dossier d'enquête constitué principalement de ses rêves envoyés par les Observateurs, ne sait pas comment procéder à l'arrestation de Boleslas Langowski, né Bolesław Wojno, un ancien militaire de la Légion étrangère, Rémois depuis peu. Il parle le français avec un accent polonais très prononcé et a un fils d'une certaine Lucie Libermann, prénommé Robert. De Lucie Libermann, Boleslas a divorcé lorsque son fils avait dix ans, et vit avec sa maîtresse, une certaine Aurélie Dietrich, depuis plusieurs années. Son arme, avec laquelle il a froidement assassiné Aiden Clancy, est celle qu'il a utilisée lors de son service militaire. Konstantin Pavlovich se matérialise sur la chaise en face de son bureau, poliment assis, et lui conseille :

— Paul Eastman, pour arrêter ce sadique psychopathe, soumettez votre dossier d'enquête à un juge, mais pas à n'importe lequel.

— À qui alors ?

— Au juge Ahmed Bensaid, il est un homme intègre, ce qui est rare dans ce métier... Aussi, je vous suggère d'éviter Thomas Gordon, juge à Grandeville, et le juge Michel Adler, juge dans votre ville.

Et l'Observateur quitte le bureau du policier. Ce dernier s'exécute et demande un mandat d'arrestation de Boleslas Langowski auprès du juge Bensaid, immédiatement accordé. De retour avec le mandat, il salue son collègue Carl Neely. Ce dernier, un homme dans la trentaine, marié et père de deux enfants, aux cheveux et yeux brun foncé qui ajoutent l'autorité de son uniforme et de son imposante taille, est austère, rigoureux et très professionnel au travail. Policier à Grandeville depuis quelques années, il collabore souvent avec Paul Eastman. Ce qui unit les deux policiers est la manifestation d'une capacité hors de l'ordinaire, Paul voit et entend les âmes perdues, Carl les entend.



Le 17 novembre, à 15 h 00, à la mairie de la ville, Daniel Clancy se marie avec Agathe Heymann. Sa mère, son défunt père, très inquiet, son frère et Mélinda sont présents à la cérémonie. La chuchoteuse d'esprits n'apprécie pas que son beau-père ait une mine si angoissée le jour d'un mariage. À ses yeux, cette angoisse augure une tragédie, mais elle essaie de demeurer optimiste pour ne pas gâcher la joie des mariés, de Fabienne et de Jim. Daniel porte la chevalière depuis la mi-septembre, respectant la volonté de son père. Après la fête et les joies du mariage, le jeune marié, tenant son épouse entre ses bras, rejoint son frère. Il lui affirme sérieusement :

— Frère, je te remets la chevalière de père, tu en auras plus besoin que moi.

Il retire la bague de son doigt et la donne à son aîné. Mélinda discerne son beau-père à côté de son fils benjamin qui désapprouve ses paroles.

— Daniel, tu feras mieux de garder cette bague, ton père ne confirme pas tes propos et est très inquiet pour toi... Alors, s'il te plaît, garde la bague.

L'interpellé la fixe, tourne sa tête vers son frère, et murmure :

— Jim, c'est assez particulier que ta femme puisse voir les fantômes, ce que je ne remets pas en doute, mais maintenant que le mariage est officiel, je ne pense pas être en danger. Et frère, tu sais que les chevalières vont toujours à l' aîné.

Et il la lui donne. Jim soupire et l'accepte.

— Daniel, explose la chuchoteuse d'esprits. Si votre père s'inquiète pour vous, ce ne peut être vain ! Gardez la chevalière et c'est tout !

— Non, je la donne à mon frère et il n'y a plus de discussion. Une chevalière est toujours portée par l'aîné ! Je ne me dérobe pas à la tradition !

Daniel, avec Agathe, s'éloignent de son frère, sous le regard inquiet de Mélinda et Aiden. Ce dernier est très angoissé et disparaît de la vue de sa bru.

Un peu plus tard, alors que Mélinda est en robe de nuit, prête à s'endormir au côté de son mari, elle discerne, malgré l'obscurité, une forme familière devant elle : son beau-frère. Daniel est devant elle, vêtu de son complet bleu marine du mariage et sa chemise blanche, avec une immense tache de sang autour du cœur, et lui murmure tristement :

— Je m'excuse de ne pas vous avoir écouté.

Il parle ainsi et s'en va, laissant la chuchoteuse d'esprits horrifiée, l'empêchant de fermer les yeux de la nuit.




À suivre.

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