Réinterprétation et autres histoires

Chapitre 6 : Deuxième partie, Miroir et autres histoires

7126 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 26/03/2024 13:15

6.Miroir et autres histoires




Par un beau jour de janvier 2001, Mélinda se rend dans sa boutique d'antiquités. Elle est derrière la caisse attendant un client. Soudain, un groupe de trois jeunes femmes, suivies d'un esprit errant en colère, entrent dans la boutique. La chuchoteuse d'esprits détaille le nouvel arrivé invisible : une jeune élégante, svelte et grande femme de dix-neuf ans. Vêtue d'une robe blanche ample et longue jusqu'aux chevilles, ses traits délicats, quasi enfantins, lui donnent un air angélique. Ses cheveux qui tombent en cascade sur ses épaules et ses grands yeux renforcent sa naturelle délicatesse et noblesse. Gracieuseté déformée par sa colère qui se reflète dans ses yeux. L'entité invisible est étonnée que l'antiquaire la suit du regard. L'une des vivantes, une petite blonde aux yeux bleus à l'air innocent et incrédule demande d'un ton apeuré :

— Madame l'antiquaire, acceptez-vous de vendre des objets appartenant à l'une de nos amies récemment décédée ?

— Très certainement, mais il faut que j'évalue leur valeur... leur répond-elle d'un ton sérieux.

— Drôle de manière pour se débarrasser de moi ! commente l'esprit errant, croisant ses bras en-dessous de sa poitrine, vexé.

— Puis-je au moins savoir, par curiosité, de qui est-il question ?

Les yeux des trois vivantes s'agrandissent de peur. Une grande brune bredouille :

— Madame...je ne pense pas... qu'il vous soit important de le savoir...

— Elles n'osent pas dire mon nom, s'offusque la jeune femme, esprit errant, faisant la moue et croisant ses bras en-dessous de sa poitrine. Très bien ! Je serais alors leur pire cauchemar !


Les trois jeunes filles sortent en trombe de la boutique, laissant l'antiquaire perplexe et l'esprit errant pensif.

— Jeune femme, l'interroge sérieusement Mélinda, qui êtes-vous ? Déclinez-vous ? Dites-moi la raison pour laquelle vous restez parmi les vivants, suivant ces jeunes femmes ?

Tournant sa tête vers elle, l'esprit errant, ne pouvant pas cacher son étonnement, s'écrie :

— Vous me voyez et vous m'entendez ?

— Exactement.

— Je suis la Dame Blanche ! Et elles doivent payer pour leur crime !

Le fantôme s'en va. L'antiquaire soupire, exaspérée. Elle constate que les trois jeunes femmes ont laissé un morceau de papier sur le comptoir. Elle le lit. Le papier indique l'adresse pour récupérer les objets dignes d'intérêt. Intriguée de l'adresse inconnue, elle fait une rapide recherche pour comprendre qu'il est question de résidences universitaires rattachées à l'un des campus de l'Université de Reims Champagne-Ardenne.



Le lendemain matin, arrivant à l'adresse mentionnée, l'épouse de Jim est accueillie par la jeune fille aux cheveux blonds d'hier. Cette dernière a une mine très effrayée et des larmes qui perlent ses joues. Elle répond au nom de Camille Cazenave.

— La légende est réelle... La légende est réelle..., ne cesse de murmurer cette dernière.

— Je m'excuse de vous interrompre dans vos pensées et votre murmure, mais de quelle légende parlez-vous ? l'interroge, curieuse, Mélinda.

— Euh... Rien, Madame ? ...

— Mélinda Gordon-Clancy, antiquaire à Grandeville, lui répond posément la chuchoteuse d'esprits.

— Enchantée ! ... Venez à l'intérieur ramasser les objets... lui réplique-t-elle avec empressement.

En entrant dans le petit appartement, celle-ci note la présence de la Dame Blanche dans un coin. Elle s'approche de Mélinda et lui éructe :

— Tout le monde veut effacer toute trace de mon existence... Je ne les laisserais pas faire ! ... Il faut qu'elles sachent ce que j'ai vécu !

Sur ces paroles de colère, elle joue avec l'interrupteur de la salle, se rend visible près de Camille et s'en va, la laissant effrayée, les yeux écarquillés de peur, les bras et les jambes tremblants, murmurant pour elle-même :

— La Dame Blanche n'est pas un mythe... Je vais bientôt mourir ! C'est certain ! se lamente-t-elle.

— Mais que racontez-vous ! s'offusque Mélinda. Comment pouvez-vous être si certaine que vous mourrez bientôt ?

Pâle comme linge, Camille s'approche du mur pour appuyer son dos contre celui-ci et se laisse glisser par terre, terrifiée, cachant sa tête entre ses mains.

— Madame l'antiquaire, vous ignorez le sérieux de la situation !

Elle relève péniblement la tête pour regarder brièvement l'expression sérieuse de son interlocutrice avant de continuer.

— La légende ne dit-elle pas que l'apparition de la Dame Blanche est signe de mort imminente ?

— Pour être honnête, j'ignore les légendes urbaines, répond-elle, avec prudence, très intriguée. Mais rien ne nous indique que la légende est réelle... Raisonnez-vous !

— Étrange... Vous devrez vous informer... Et moi, pauvre infortunée ! Je vais bientôt mourir !

Elle éclate en sanglots.

— Mademoiselle, la rassure-t-elle, calmez-vous, reprenez votre sang froid !

Tournant la tête à droite et à gauche, la brunette remarque que la Dame Blanche est derrière Camille, près de la fenêtre, la fixant.

— Pouvez-vous me guider vers ces antiquités pour que je puisse les évaluer ? l'interroge-t-elle, feignant ne pas percevoir l'esprit errant

Ravalant sa tristesse, Camille se relève péniblement, les jambes tremblantes, tournant son regard de chaque côté à intervalles réguliers, se rend dans une salle lui montrant un mobilier richement décoré en bois dans le style de la Renaissance. Une fois les évaluations faites, l'antiquaire extraordinaire déambule devant l'université avant de revenir dans sa boutique. Elle est très perplexe, ne sachant pas trop par où commencer ses recherches, ni comment aider cet esprit errant qui a oublié son nom.


Au même moment, à Villesûre, dans la maison aux esprits de Gabriel, celui-ci, prenant un miroir portatif et une psyché, psalmodie une incantation et appelle deux esprits errants.

— Messieurs De Larochefort et Vasseur, j'ai une mission pour vous...

Les deux esprits errants dardent leur regard sur le chuchoteur d'esprits. Le premier est un petit homme aux cheveux et yeux bruns, vêtu d'un complet bleu marine, aux traits délicats qui trahissent une certaine méchanceté. Le second est un grand et élégant homme, plutôt maigre âgé de soixante-dix ans, vêtu d'un complet noir, d'une chemise blanche et d'un chapeau de même couleur que son complet, lui donnant l'air d'un vieux sorcier avec ses yeux noirs brillant de malice, son visage émacié et son sourire ironique.

— ... à savoir d'épier Mélinda Gordon et son mari à l'aide des miroirs dans sa maison, surtout celui dans la chambre et celui dans la salle de bain.

— Très bien, nous acceptons notre mission ! Mais nous avons une condition.

— Laquelle ?

— Vous devez accepter des possessions temporaires de nous lorsque l'occasion se présente.

Réfléchissant, baissant les yeux, Gabriel hésite d'accepter le marché des esprits, même s'il est conscient qu'il n'a guère le choix.

— Très bien, j'accepte !

— À la prochaine alors !

Et les deux esprits errants s'évaporent pour arriver à destination, à savoir suivre Mélinda et Jim. De Larochefort espionne Jim, Vasseur suit Mélinda, en prenant soin d'être toujours derrière son dos. Et le soir, ils passent par les miroirs de sa maison pour une vue générale de la pièce... Sans oublier qu'ils amènent d'autres esprits perdus avec eux, créant une cacophonie lors du sommeil du couple, les laissant encore plus fatigués qu'avant à leur réveil.


Simultanément, au bureau du recteur de l'Université, Josué Berthelot, assis sur son confortable fauteuil en cuir bien rembourré d'un coussin, vidant son énième verre d'alcool, son unique consolation depuis son second divorce vingt-quatre ans auparavant, réfléchit à ce qui l'obsède le plus depuis qu'il est en fonction trente ans plus tôt : trouver le Livre des Changements, ou Livre de Vie et de Mort. Il est conscient que l'un des professeurs de l'Université en est le gardien, mais qui ? Il cherche et doute constamment. Une certaine Zoé Ramos, professeur de Philosophie, attira son attention, à l'instar d'Élie James et de Richard Payne, mais pour l'instant il n'y a rien qui confirme ses soupçons.

— Commençons par Zoé Ramos, murmure-t-il en agitant le contenu alcoolisé de son verre qu'il fixe... Elle saura nous guider vers l'homme qui nous intéresse.

— Très exactement, lui répondent à l'unisson les Ombres, ses démons. D'ailleurs, elle a le Livre... Il faut le trouver... Et elle semble savoir qui sera le prochain gardien.

— Il faut donc l'arrêter avant qu'elle puisse le trouver !

— Très exactement... Et vous savez comment y parvenir...

Vidant son verre d'un trait, il opine du chef à leur attention.

— Je fouillerai tous les rayons de nos collections et j'irai consulter notre archiviste pour plus de détails... Sinon, les copains de Roger feront le travail...

Sur ces mots, le vieil homme de soixante-cinq ans plutôt obèse, aux cheveux blancs et aux yeux marron myopes se dirige vers le bureau de l'archiviste en chef, un certain Albert De la Rova. Ce dernier est un petit homme maigre de quarante ans aux traits grossiers et à l'air peu avenant. Cet archiviste aux cheveux brillant comme l'ébène et aux yeux sombres, avec son complet noir, sous la lumière artificielle qui illumine son spacieux bureau vide, est même effrayant à voir, lui donnant l'apparence d'un mort-vivant, voire d'un revenant.

— Mon ami, avez-vous trouvé le Livre ?

— Non, répond-il de sa voix grave et sépulcrale. Rien à trouver ! J'ai beau fouiller tous les rayons, mais rien ! s'énerve-t-il.

— Ne vous énervez pas, affirme posément le recteur de sa voix avinée et enrouée par l'âge et l'alcool, ajustant ses lunettes au bout de son nez. Le Livre est dans la demeure de mademoiselle Zoé Ramos... Laissez-moi m'occuper de son cas ! C'est fort simple à régler !

Et le recteur revient à son bureau, cachant une petite fiole d'alcool dans une poche interne de son manteau gris foncé et jette un coup d'œil aux dossiers des employés, retrouvant l'adresse de la professeur. Puis, celui-ci se rend au téléphone public le plus près pour appeler une très bonne connaissance qui a affaire avec des criminels.

— Mon ami, Roger, pouvez-vous envoyer quelqu'un au 871 rue De la Victoire pour récupérer un livre ancien ?

— Oui, aucun problème, Josué... Mais pouvez-vous me décrire plus en détail le livre ?

— Non, il est aisément reconnaissable...

Et le recteur met fin à la conversation d'un geste sec, murmurant pour lui-même une fois qu'il interrompt la conversation téléphonique :

— J'espère qu'il ne se montrera pas incompétent !

Il s'arrête dans le parc, s'assoit sur un banc pour vider sa petite fiole d'alcool tranquillement, mais il devient subitement blême, lorsque des Ombres l'informent de l'état de santé de sa mère qui s'est détérioré depuis quelques jours. Il revient à son bureau, vidant sa énième petite bouteille d'alcool. Soudain, son cellulaire sonne, émettant un bruit étouffé par le manteau. D'une main tremblante, il répond à l'appareil. Ses yeux s'agrandissent d'effroi en remarquant le numéro de l'hôpital et en discernant devant lui, apparaissant sur le miroir avec de plus en plus de netteté, une forme féminine transparente : nulle autre que sa mère, ou plutôt son âme. Le miroir est accroché sur la porte, faisant face à son bureau.

— Monsieur Josué Berthelot, nous vous appelons pour vous informer de la triste nouvelle de l'état critique de votre mère, lui affirme sur un ton froid la secrétaire... Elle frôle la mort...

— Non, ce n'est pas vrai ! s'offusque le recteur, paniqué, la main tremblante, fixant la forme qui apparaît dans le miroir...

— Mon fils, rend-toi à l'évidence, je ne suis plus vivante depuis peu, murmure-t-elle d'une voix d'outre-tombe, laissant un frisson dans le dos du vieil homme... Mes amis te suivront toujours... Et je serais toujours à tes côtés...

— Venez-vous ou non auprès de votre mère ? lui demande la secrétaire.

— Oui, je ne peux pas laisser ma pauvre mère mourir seule à l'hôpital... gémit-il d'un ton cassé.

Chacun raccroche son téléphone et le vieil homme se lève de son siège, fixant toujours le miroir, mais l'âme de sa mère a disparu. Vidant d'un trait son verre d'alcool, il se rend le plus vite qu'il le peut à l'hôpital, très inquiet pour elle.

Arrivé dans sa chambre, il constate que sa mère est vivante, respirant faiblement. Il pousse un soupir de soulagement, comme si un immense poids de ses épaules l'a quitté.

— Est-ce que l'état de santé de Claire Berthelot s'est stabilisé ? demande-t-il, angoissé, au médecin près du lit.

— Oui, depuis quelques minutes déjà, son état est stable, lui répond calmement le professionnel de la santé.

— Il est stable son état, mais, répliquent à l'unisson les Ombres, ne vous faites pas d'illusion ! Elle mourra bientôt ! Nous la tuerons !

Josué Berthelot devient blême comme un linge, tournant sa tête furtivement à gauche et à droite.

— Pourquoi ? leur chuchote le recteur pour que le médecin ne l'interroge pas ou qu'il le prenne pour un fou.

— Parce qu'elle s'est jouée de nous... Nous réclamons sa vie, son souffle, son sang ! Elle est nôtre depuis toujours ! Et nous vous seconderons efficacement, Josué Berthelot.

Le vivant devient blême, recule de quelques pas, remercie le médecin et revient chez lui. Pour se calmer, il vide plusieurs verres de vin, de gin, de vodka, de whisky et d'apéritifs les plus divers, attendant avec impatience l'appel de Roger l'informant qu'il a mené à bien la mission demandée. Il est fort empressé de lire ce Livre et d'accéder à des informations qu'il n'a aucunement accès autrement.




Deux jours plus tard, Mélinda déambule dans les couloirs de l'Université, ne sachant pas vraiment à quel professeur s'adresser pour obtenir plus d'informations concernant la Dame Blanche... Et, au détour de l'un des multiples couloirs blanc et gris, elle capte les mots suivants :

— Sandrine, interroge une puissante voix féminine, connais-tu l'histoire de la Dame Blanche ? Il semble qu'il y existe une version locale dans notre université ! Demande au professeur Richard Payne pour plus de détails. Bien qu'il soit expert en Histoire ancienne, il est un féru des superstitions et autres croyances des plus étranges. Il saura certainement les légendes de la Dame ! Il pourrait être ethnologue avec ces connaissances.

Et la réponse de ladite Sandrine ne parvient pas aux oreilles de la chuchoteuse d'esprits, emportée par la vague d'étudiants empressés.

Quelques détours de couloirs plus loin, Mélinda intercepte un étudiant en discussion avec des amis.

— Jeune homme, pouvez-vous m'informer où se trouve le bureau du professeur Richard Payne ?

— Aucun problème. Il est mon professeur de toute manière... Laissez-moi deux secondes, le temps que je trouve l'information !

— Voilà ! s'exclame-t-il, lui montrant des feuilles glissées entre son cahier de notes. Son bureau est au Bâtiment modulaire 13, bureau 35.

— Merci beaucoup !

Et Mélinda se rend jusqu'au bureau mentionné. Frappant à la porte, elle attend patiemment qu'il l'accueille. Un homme de quarante ans, grand et élégant, aux cheveux brun clair, presque blonds, et aux yeux bleus rieurs et sympathiques, dans lesquels une lueur de curiosité brille en permanence, apparaît dans le cadre de la porte, l'invitant à l'intérieur. Cet homme n'est nul autre que Richard Payne, maître de conférences en Histoire ancienne. Un détail la frappe dans l'austère bureau au mur blanc, à savoir la présence d'un cadran solaire sur une petite table près de la fenêtre.

— Bonjour, Madame. Quelle est la raison de votre visite à mon bureau ? Je ne me rappelle pas vous avoir vu parmi mes étudiants...

— Effectivement, je suis Mélinda Gordon-Clancy et je ne suis pas une étudiante à l'université, mais une simple citoyenne de Grandeville.

Le professeur, toute son attention tournée vers elle, très sérieux et intrigué par sa présence, patiente qu'elle termine sa phrase, malgré son empressement certain. Il jette un rapide coup d'œil à sa montre et à son cadran solaire.

— Je suis venue pour solliciter votre aide avec une histoire d'esprit très bruyant qui dérange des jeunes femmes.

— Voulez-vous dire que vous êtes en présence d'un Poltergeist, ou esprit frappeur ? l'interroge le professeur.

— Non, l'esprit affirme être la Dame Blanche...

— Oh, non ! Ne me demandez pas, comme les cent étudiants avant vous, de connaître les détails de la légende urbaine ! Cherchez, elle est très connue ! s'emporte le professeur. D'ailleurs, je n'ai guère le temps maintenant !

— D'accord, monsieur Payne, je ferai les recherches, lui réplique-t-elle posément, étonnée de la réaction de l'universitaire. Au revoir et à la prochaine.

— Au revoir, Madame Gordon, lui répond poliment le professeur, ajustant ses lunettes sur le nez avant de se lever pour la raccompagner vers la sortie.

Déambulant dans le corridor de l'université pour sortir de l'édifice, elle remarque un homme dans la trentaine, un professeur sans l'ombre d'un doute, d'un mètre quatre-vingt, aux cheveux brun foncé et aux yeux de même couleur qui se dirige d'un pas certain vers une salle de classe située dans l'un des bâtiments modulaires voisins, elle remarque sa mine affligée et un esprit errant féminin qui le suit, gesticulant, visiblement exaspérée d'être ignorée et très inquiète. L'esprit errant s'arrête devant la chuchoteuse d'esprits. Cette dernière détaille l'entité invisible devant elle avec inquiétude : une petite femme de trente ans élégante et svelte, aux traits délicats, aux grands yeux marron et aux longs cheveux brun foncé. Vêtue d'un élégant pull par-dessus une chemise blanche et d'un pantalon bleu marine, le seul détail qui donne un indice de sa mort est l'angle étrange de ses jambes et de sa tête.

— Comment faire comprendre à mon ancien petit-ami le danger auquel il est exposé ? l'interroge-t-elle, angoissée.

— Qui êtes-vous ? Puis-je vous aider ? Que voulez-vous que je dise à ce professeur ?

—Je suis Zoé Ramos... Je ne peux pas m'expliquer plus longtemps... Les murs ont des oreilles et tous les esprits ne sont pas bons ! l'informe-t-elle en fixant Charlie Wogel derrière le dos de la vivante.

L'antiquaire se retourne, mais le médecin est parti avant qu'elle n'ait le temps de le remarquer.

La professeur s'élève dans les airs, disparaissant du champ de vision de celle-ci, rejoignant Élie James.


Revenant à Grandeville, l'antiquaire se rend à la bibliothèque de la ville pour chercher le plus d'informations possibles sur la Dame Blanche.

— Connaissez-vous l'histoire de la Dame Blanche ? l'interroge, soudain, rhétoriquement un esprit errant à ses côtés.

Elle sursaute et se retourne pour faire face à un jeune homme de vingt-huit ans aux grands yeux brun noisette, aux cheveux noirs, aux traits délicats, presqu'irréels, vêtu d'une simple chemise blanche, d'un pantalon bleu marine tellement foncé qu'il semble presque noir. Il tambourine de ses élégants doigts le bord de l'étagère et sourit poliment à la jeune femme qui lui lance un regard interrogateur.

— Ah ! Je m'excuse de vous effrayer, madame... Je suis Serge le bibliothécaire. De mon vivant, je travaillais à cette bibliothèque, un endroit bien sympathique.

— Pour répondre à votre question, l'informe-t-elle à mi-voix pour ne pas attirer l'attention des autres usagers, non, je ne connais pas tout à fait la légende. Pouvez-vous m'éclairer à ce sujet ?

— Oui, aucun problème ! La Dame Blanche est l'esprit d'une femme, de sang royal ou non, qui protège un territoire, qui hante un endroit abandonné, ou qui fait de l'auto-stop pendant la nuit. Elle est tantôt bienveillante, tantôt malveillante. Lorsqu'elle est malveillante, elle annonce une mort imminente à celui qui l'a vu. Elle hante des châteaux ou des endroits abandonnés, morte dans d'horribles souffrances. L'auto-stoppeuse hurle en arrivant à un virage et disparaît mystérieusement, ayant perdue la vie sur la route, tantôt elle avertit le conducteur du danger, tantôt elle lui annonce sa mort imminente. La Dame Blanche est une femme ambiguë.

— Merci beaucoup !

Et le défunt bibliothécaire disparaît, laissant Mélinda perplexe. Celle-ci revient dans sa boutique pour aider son associée et réfléchir aux meilleurs moyens d'aider cet esprit errant qui affirme être la Dame Blanche. Soudain, une idée surgit en son esprit, elle sourit et s'exclame :

— J'ai trouvé comment je pourrais obtenir plus d'informations sur cet esprit !

Andréa Marino, étonnée, lui demande poliment.

— Et quelle est cette idée ?

— J'ai un cas bien particulier d'esprit errant, une jeune femme qui affirme être la Dame Blanche... Et je pense savoir la meilleure manière de l'aider, en revenant dans les résidences universitaires !

— Mais comment pensez-vous y accéder, il y a un agent de sécurité à l'entrée ? ... Et vous n'êtes pas une étudiante...

— De toute manière, je viens pour récupérer des objets ayant appartenu à la défunte...

— Très bien ! commente l'associée.

Et Mélinda revient chez elle, accueillie par la Dame Blanche qui l'observe brièvement et s'en va. La chuchoteuse d'esprits est très intriguée par Zoé Ramos, mais elle ne parvient aucunement à trouver une manière de rencontrer le mystérieux professeur, dont elle ignore l'identité.



Le surlendemain matin, l'épouse de Jim, avec son associée, se rend à la résidence université où Camille Cazenave les attend, angoissée, avec ses deux autres amies, qui répondent au nom de Suzanne Téqui et Aurélie Bergmann. Celles-ci essaient de calmer la peur panique de leur amie, effrayée à l'idée de mourir bientôt.

En s'arrêtant dans une salle, l'antiquaire remarque des cahiers, des notes et des documents officiels sur une table basse en cerisier dans le salon. Elle les prend et les feuillette rapidement, comprenant que la jeune femme confuse qui erre parmi les vivants n'est pas la Dame Blanche, mais Rachel Fayard. Elle s'arrête dans la salle de bain de l'appartement et s'observe dans le miroir, discernant l'esprit errant derrière elle.

— Mademoiselle, vous n'êtes pas la Dame Blanche, mais Rachel Fayard, étudiante à l'Université de Reims Champagne-Ardenne ! lui hurle-t-elle.

Elle se retourne pour faire face à l'entité invisible avant de continuer sur un ton sévère.

— Votre petit jeu est des plus étranges. Pour quelle raison vous faites-vous passer pour une légende urbaine ? Comment êtes-vous morte ? Pourquoi êtes-vous fâchée contre ces trois jeunes femmes, vos amies, n'est-ce pas ?

Rachel Fayard, étonnée de l'interrogatoire de la chuchoteuse d'esprits, le regard fuyant, bredouille :

— Je veux me venger parce qu'elles ont été méchantes avec moi...

— Comment ?

Elle s'approche du miroir et lui répond d'un ton résigné :

— Le miroir et la Dame Blanche ! D'ailleurs, c'est elle qui m'a donné l'idée de reprendre son rôle pour faire peur à Camille, Suzanne et Aurélie... Tout particulièrement à Camille...

Mélinda regarde le miroir, touchant le bord de sa main droite. Elle est aussitôt plongée dans une vision.

Rentrant dans l'appartement faiblement éclairé, elle se dirige vers la salle de bain. Se lavant les mains, elle lance un coup d'œil furtif dans le miroir pour constater une femme de blanc vêtu de la tête au pied, comme une mariée, s'avançant vers elle. Se retournant pour affronter la créature irréelle, elle ressent une douleur à la poitrine, un arrêt cardiaque soudain, puis plus rien. Constatant son cadavre, une sourde colère couve en son âme lorsqu'elle remarque que la Dame Blanche qu'elle a vu n'est pas un esprit, mais une vivante ! Elle la suit, très intriguée et fâchée sur l'identité de la mystérieuse femme. La Dame Blanche retire son voile, inquiète, se penchant vers le cadavre, la suppliant de revenir, essayant une réanimation cardiaque, mais en vain. Cette femme n'est nulle autre que Camille Cazenave.

Revenant de la vision, Mélinda est abasourdie.

— Rachel Fayard, est-ce que vos parents savent que vous êtes morte ?

Baissant les yeux, elle murmure dans un souffle :

— Oui, je suis déjà défunte depuis quelques jours déjà... Mais ils ignorent que la peur est la cause réelle de ma mort...

La chuchoteuse d'esprits sort de la salle, aidant Andréa pour transporter les meubles jusqu'à la boutique d'antiquité. Arrivées dans la boutique, les deux femmes déposent dans l'entrepôt les meubles. Mélinda fait une rapide recherche sur Rachel Fayard depuis l'ordinateur. Elle trouve ainsi que la jeune femme, esprit errant depuis trois jours, a été étudiante à l'Université de Reims Champagne-Ardenne depuis deux ans. Elle est la fille unique de Benjamin et de Louise Fayard. Elle retrouve l'adresse des Fayard.

Le soir, Charlie Wogel observe Mélinda et lui engendre des cauchemars nuit après nuit. Les cauchemars sont toujours les mêmes, une menace, implicite ou explicite, d'assassiner son mari si elle persiste dans son camp, si elle persiste à amener les esprits errants dans la Lumière.


Ces avertissements nocturnes laissent la chuchoteuse d'esprits très épuisée à son réveil et angoissée pour la vie de son mari. Ce dernier essaie de la rassurer du mieux qu'il le peut, mais en vain. Elle ne cesse de vérifier cent fois par jour que son mari porte la chevalière de son père, lui conseille d'être très prudent au travail, de ne jamais exposer sa vie au danger et l'enlace lorsqu'il revient du travail pour être certaine qu'il soit encore vivant, visiblement rassurée. Le médecin errant affiche un sourire satisfait en notant le comportement de la chuchoteuse d'esprits. Il part dans le parc et murmure pour lui-même :

— Mélinda Gordon-Clancy, vous n'avez pas encore fini avec vos cauchemars ! Maintenant, la ville souterraine ! Une folie, un délire, à l'état pur !

Il se déplace jusqu'à la bibliothèque de la ville, près une porte cadenassée, et chante un air ancien, invoquant des esprits perdus depuis plusieurs siècles, dont un homme vêtu de noir de la tête aux pieds, avec un chapeau de même couleur qui cache ses cheveux, ne laissant entrevoir de son visage que ses sombres yeux brillant de folie et d'orgueil.

— Pourquoi voulez-vous me voir, Monsieur Charlie Luc Wogel, médecin des corps et des âmes, mon bras gauche ? l'interroge l'étrange homme d'une voix caverneuse.

— Monsieur Romano, j'ai besoin de votre collaboration pour créer un jeu psychologique, voire une psychose, et une manipulation dans cette ville, pour piéger notre ennemi commun...

— Pensez-vous à la jeune femme qui nous enlève des âmes ? La femme au prénom trompeur ?

— Exactement ! s'exclame le médecin, souriant et le regard brillant.

— Nous l'attirons dans cette ville. Vous l'attirez dans certaines rues et maisons, et je m'occupe de la manipulation des foules défuntes... Ce n'est guère différent des vivants !

— Excellent ! À la prochaine !

Les deux esprits manipulateurs se quittent en bons termes ; Romano revient dans la ville souterraine convaincre des esprits errants pour préparer l'accueil à Mélinda ; Charlie Luc Wogel se rend auprès de la chuchoteuse d'esprits, l'observant discrètement, puis s'en va à l'école primaire de la ville.


Là-bas, il rejoint ses anciens patients, parmi lesquels Ginette Canacq et Oscar Parmentier. La première est une grande, maigre et élégante femme de vingt-neuf ans aux longs cheveux noirs qui tombent en cascade, aux grands yeux marron brillant de tristesse et de culpabilité. Elle flotte dans son ample robe blanche, lui donnant un air de revenant. Le second est un homme de trente-cinq ans, élégant, aux cheveux brun clair et aux yeux bleus brillant d'une lueur de culpabilité et de folie. Vêtu d'une camisole de force et de pantalon beige, cet aliéné, avec des traces d'opérations sur le crâne et son regard éteint, résume toute l'horreur de la psychiatrie du siècle passé.

— Madame Canacq et Monsieur Parmentier, leur murmure doucement le médecin, je vous propose un marché...

Les deux défunts patients tournent leur tête vers lui, regard apeuré et visage assombri de tristesse et de mélancolie, tremblants comme des feuilles au vent en remarquant son sourire mielleux.

— Je sais qu'il existe dans cette petite ville une femme qui peut nous voir. Vous devez la retrouver et lui expliquer vos cas de la manière la plus convaincante... Si elle vous croit, je vous laisse aller où bon vous semble, sinon, vous connaissez les conséquences...

Les deux patients opinent du chef à l'attention du médecin, déglutissant difficilement leur salive de peur, tremblants encore plus qu'auparavant. Ils détournent leur regard de lui, observant plutôt les enfants qui jouent avant de prendre une grande inspiration.

— Nous avons compris votre proposition, affirment-ils à l'unisson d'une petite voix à peine audible.

— Excellent ! Et à la prochaine !

Sur ces paroles qui n'augurent rien de bon, le médecin disparaît pour arriver à la maison aux esprits de Gabriel, laissant les deux défunts patients très confus et perplexes. Ils ne savent guère comment interpréter ces paroles.


Simultanément à la visite de Mélinda de la résidence universitaire, au commissariat de police, Paul Eastman appelle Carl Neely pour solliciter son aide.

— Collègue, je voudrais que tu m'aides en menant enquête sur Paul Gordon, l'oncle de Mélinda Gordon. Tandis que je mènerai l'enquête sur Myriam Berkowitz, mon ancêtre maternel.

— Très bien, j'accepte. À plus tard.

À peine les combinés raccrochés, le policier chuchoteur d'esprits discerne l'Observateur Konstantin Pavlovich Tcherevitchenko debout près de la porte de son bureau.

— Faites attention à l'illégitime et au sombre plan du manipulateur défunt ! Gardez un œil ouvert sur votre collègue et Mélinda. Que Dieu vous protège de leur influence néfaste.

Avant que Paul ne puisse prononcer un mot, le Russe revient à son poste d'observation, le laissant très inquiet.




Deux jours plus tard, Mélinda frappe à la porte des Fayard, qui vivent à Grandeville. Elle est chaleureusement invitée par Benjamin dans le salon, malgré l'incrédulité et la méfiance qui se lisait sur son visage. Assis sur des fauteuils voisins, l'antiquaire constate la présence de Rachel près de son père. Observant l'élégant salon aux murs beiges ornés de photographies de famille, Mélinda remarque qu'au centre de la pièce trône une simple table basse en cerisier sur laquelle repose deux verres de thé. Avec sa grande fenêtre qui laisse entrer les rayons solaires dans la maison, la chuchoteuse d'esprits considère l'endroit fort convivial. Sortant de sa rêverie, elle se racle la gorge.

— Monsieur Fayard, mes condoléances pour votre fille. La pauvre, morte si jeune, murmure-t-elle, très émue... Sinon, continue-t-elle d'une voix plus forte et certaine, je suis Mélinda Gordon-Clancy, antiquaire et chuchoteuse d'esprits... Je peux communiquer naturellement avec les défunts comme vous avec les vivants...

La mine du père de Rachel, qui s'est assombrie en mentionnant sa fille, est maintenant curieuse.

— ... Et votre fille, Rachel, est venue à moi, hantant des amies...

L'étonnement se lit dans les yeux du père, mais aussi une inquiétude.

— Excusez-moi de vous interrompre, demande-t-il d'une voix tremblante, mais ces amies seront-elles responsables de sa mort ?

Il soupire, tenant sa tête entre ses mains.

— Pourtant, j'ai bien avisé mon ange, ma fille, de ne pas trop avoir d'amis, pour éviter les sensations trop fortes...

— Si la question n'est pas indiscrète, interroge l'antiquaire, intriguée, pourquoi voulez-vous qu'elle évite de telles sensations ?

— Simplement, répond avec une pointe de tristesse Louise, qu'elle avait un cœur très fragile. Elle ne pouvait se permettre de vivre des états émotifs trop forts, sinon son cœur pouvait cesser de fonctionner... C'est un problème depuis sa naissance...

Et Louise éclate en sanglot, son mari la console en serrant ses mains entre les siennes, cachant ses propres larmes.

Une fois que la crise de larmes s'est calmée, Mélinda reprend la parole.

— Savez-vous comment est morte votre fille ?

— D'un arrêt cardiaque.

— Exactement... Mais cet arrêt cardiaque est causé par la peur... Peur de rencontrer la Dame Blanche, alors qu'en réalité, ce n'était qu'un déguisement de l'un des ses amies, Camille... Et elle s'acharne à la poursuivre et à prendre le rôle de la Dame Blanche pour la faire peur à son tour...

Le couple est étonné des explications de la chuchoteuse d'esprits.

— Ainsi, notre fille est défunte parce qu'elle a eu trop peur, affirme le couple éploré à l'unisson, d'une mauvaise blague de Camille !

Mélinda et Rachel approuvent d'un geste de la tête.

— Mais, dois-je vous préciser que Camille ignorait pour ce problème de votre fille et était sincèrement désolée, précise l'antiquaire.

— Merci pour vos explications, tout étrange qu'elles paraissent, affirme Benjamin en se levant pour serrer chaleureusement la main de Mélinda.

— J'aimerais bien rencontrer cette jeune fille, cette Camille, demande Louise... Je voudrais au moins lui expliquer la situation... Bien sûr, si vous acceptez de venir avec moi.

— Aucun problème, Madame Fayard.

Sur ces paroles, la jeune femme revient dans sa boutique, ne sachant trop comment rentrer en contact avec Camille Cazenave.


Simultanément à la station de police de Reims, Carl Neely frappe à la porte de Paul Eastman qui l'accueille chaleureusement à l'intérieur.

— Paul, mon collègue, je te soumets mes résultats d'enquête.

Il lui donne un document et s'éclipse pour revenir à Grandeville.

L'ami d'Élizabeth Maillard lit avec intérêt les documents et appelle Mélinda pour l'informer de sa venue à sa boutique.

Aussitôt dit, aussitôt fait, la fille de Thomas Gordon et d'Élizabeth Maillard remercie le policier et lit attentivement les documents.

Ainsi, elle apprend que Paul Gordon, son oncle, mort à trente ans, en 1978, alors qu'elle avait deux ans, d'un arrêt cardiaque soudain. Il est le frère aîné de la fratrie. Marié à Anne Bouazzaoui depuis 1969, il a une fille et un garçon de son union, nés respectivement en 1973 et en 1975. Alors que Myriam Berkowitz, ancêtre maternel de Paul Eastman, plus exactement l'arrière-grand mère d'Irina Pavlovna Vesselovskaïa-Eastman, est née en 1867, mère d'Anastasia en 1887, de Victor en 1888 et d'Esther en 1889 avec Viktor Aleksandrovich Belov. Elle est morte dans son sommeil en 1935.

Soudain, son oncle se manifeste devant elle, lui souriant chaleureusement.

— Paul, mon oncle, pourquoi errez-vous encore parmi les vivants ?

— N'avez-vous rien remarqué d'étrange avec notre famille ? Faites l'enquête... Les photographies de famille sont un premier pas... D'ailleurs, je suis très fâché contre Thomas Gordon... Je ne le lâcherais pas si facilement...

Sur ces paroles amères, son oncle se déplace jusqu'à la maison de Thomas et Élizabeth, laissant Mélinda très perplexe.


Au même moment, dans une rue de la ville, Gabriel continue inlassablement à suivre Mélinda, à photographier discrètement les individus qui sont proches d'elle et à recueillir le plus d'esprits errants dans sa maison. Il se rend à la bibliothèque et, feignant de parler au téléphone, interroge Serge le bibliothécaire :

— Serge le bibliothécaire, je n'aurais qu'une petite question pour vous, avez-vous récemment rencontrer une femme qui vous a demandé votre aide ?

— Oui, une petite brunette.

— Serait-ce Mélinda Gordon ?

Le chuchoteur d'esprits sort une photographie de sa demi-sœur pour la lui montrer. Il approuve d'un geste de la tête.

— Lorsque vous la verrez la prochaine fois, dites-lui qu'il existe un passage vers une ville souterraine. C'est la porte cadenassée qui y donne accès. Dès qu'elle entrera dans ce passage, refermez la porte et essayez d'influencer son mari, Jim Clancy, ambulancier au SAMU de la ville.

Il sort une photographie du mari de sa demi-sœur.

— Et pour quelle raison devrais-je vous aider ?

— Parce qu'elle veut que vous quittiez définitivement le monde des vivants, votre quotidien...

Le défunt bibliothécaire se renfrogne à l'idée de quitter son lieu de travail qu'il apprécie encore plus depuis qu'il n'est plus vivant pour un lieu inconnu. Il a peur de l'inconnu, mais surtout à l'idée d'un jugement post-mortem... Son infidélité lui pèse toujours sur son âme comme les boulets d'un prisonnier à ses pieds. Baissant le regard pour réfléchir, il se rend vite à l'évidence que Gabriel a raison et que Mélinda ne procède pas de la bonne manière avec son don.

— Je me rends à votre avis, soupire-t-il.

— Excellent ! À la prochaine, mon cher bibliothécaire !

Et Gabriel revient chez lui, ravi d'avoir un allié supplémentaire.



Deux jours plus tard, Josué Berthelot invoque les Ombres et leur demande :

— Mes chers, pouvez-vous me confirmer si mes doutes sont exacts concernant le prochain gardien du Livre ? Ne serait-ce pas Élie James ?

— Nous vous confirmons vos propos.... Mais vous avez un immense avantage sur lui.

Vidant son verre de gin d'un trait, le recteur est très intrigué par l'affirmation des Ombres.

— Lequel ?

— Son inconscience... Il ignore qui il est... Il ignore sa réelle nature, son importance....

— Intéressant ! Nous pourrons l'exploiter !

Les Ombres s'approchent dangereusement du recteur et lui éructent à l'unisson :

— Sachez qu'aucun faux pas ne vous sera pardonné ! N'oubliez que nous aussi sommes intéressés par le Livre ! Et nous savons que vous nous guiderez vers lui.

Le vieil homme baisse les yeux sur son verre vide, ses mains tremblent à l'idée d'échouer. Il ne fait qu'approuver d'un geste de la tête à l'attention de ses démons qu'il a compris leur contrat.

L'une des Ombres le possède, donnant à son regard une lueur inhumaine, et dirige le corps possédé jusqu'au bureau d'Élie James. Ce dernier cherche un livre dans son immense bibliothèque, sursautant en entendant les pas du recteur près de lui.

— Monsieur Josué Berthelot, notre recteur depuis plusieurs années, s'exclame poliment le professeur. Quelle est la raison de votre visite ?

Élie James se retourne pour rencontrer le regard possédé de son interlocuteur, lui donnant un frisson dans le dos. Il invite néanmoins le vieil homme à s'asseoir, mais ce dernier décline son invitation et lui murmure :

— Vous êtes-vous toujours demandé la raison du refus de candidature au poste de recteur ?

Le professeur de Psychologie, ébahi de la question qui sort de nulle part, demeure sans mot pendant quelques minutes.

— Votre question est des plus étranges.

Sourire arrogant au visage, regard brillant d'une lueur irréelle et possédée, le recteur s'avance d'un pas certain vers lui et éructe, d'une voix d'outre-tombe, intemporelle et froide :

— La réponse est simple... Elle est en vous, dans votre nature même... Tout est dans les qualités et certaines autres dispositions et affinités que vous n'avez pas. Pour un psychologue, j'avais de meilleure attente !

Tournant le dos au professeur, le recteur quitte le bureau, notant tous les détails de la disposition des meubles et des livres. Le trentenaire est très perplexe de l'attitude étrange du recteur, mais il ne se soucie guère plus longtemps, au grand désarroi de Zoé Ramos, présente dans la salle et qui a compris que son ancien petit-ami sera la prochaine victime du recteur.


Au même moment, Mélinda est parvenue à convaincre la veille Camille Cazenave de rencontrer Louise Fayard, la mère de Rachel. Lors de leur discussion, la chuchoteuse d'esprits remarque l'esprit errant aux côtés de son amie, sincèrement émue qu'elle ne lui voulait aucun mal, qu'elle ne voulait jamais la tuer.

Après la conversation, seules Camille, Rachel et Mélinda sont dans l'appartement universitaire. Rachel s'exclame, soudain :

— Madame, je vois là-bas une lumière telle que je n'ai jamais vu de toute ma vie ! Une merveille à contempler ! Une paix et une harmonie se dégagent d'elle. Est-ce pour moi ?

La chuchoteuse d'esprits opine du chef.

— Camille Cazenave, votre défunte amie est prête à aller dans la Lumière.

— Madame, dites à Camille, que je ne suis plus fâchée contre elle... J'espère uniquement qu'elle ne fera plus ces blagues aux autres... Qu'elle ne s'afflige pas trop pour moi... Au revoir.

Et la défunte rentre dans la Lumière, disparaissant au regard de l'antiquaire qui lâche une larme de joie. Rapportant les paroles de la défunte, les deux femmes se séparent en bons termes, Mélinda regagnant sa boutique; Camille, l'âme légère, rejoignant ses autres amies.



Le surlendemain, Josué Berthelot attend son ami Roger dans le parc de la ville, très impatient : il fait les cent pas depuis plusieurs minutes déjà. Soudain, un petit homme élégant de quarante ans dans son complet noir portant des lunettes solaires malgré la journée pluvieuse et un chapeau noir, les mains dans les poches, lui donnant un air nonchalant, s'avance vers le recteur. Ce dernier reconnaît immédiatement Roger. Les deux hommes se saluent.

— Roger, trouvez-moi quelqu'un pour régler le cas d'Élie James rapidement... Avant qu'il ne réalise son importance et ne mette la main sur le Livre... Aussi, perquisitionnez la maison de Zoé Ramos... Je veux ce Livre ! Comprenez-vous ! s'impatiente le recteur. Si vos sbires sont si incapables de reconnaître le Livre, j'irais le chercher en personne !

Roger sursaute à la colère de l'universitaire, se raclant la gorge pour se laisser le temps de réfléchir, il répond posément :

— Josué, ne te fâche pas inutilement... Je te trouverais quelqu'un pour chercher le Livre... Est-ce un vieux livre ? À quoi ressemble-t-il ?

— Roger, taisez-vous ! J'irais moi-même fouiller la maison !

Sur ces paroles, le recteur quitte son interlocuteur pour rentrer directement dans la demeure de Zoé Ramos. Suant sang et eau, fouillant les moindre recoins et cachettes possibles, Josué Berthelot ne trouve pas le Livre tant convoité... Il commence à suer à grosse goutte lorsqu'il entend la sourde colère de ses démons.

— Attendez encore un peu... les supplie-t-il. Le Livre doit être à quelque part... La patience est une vertu...

— Très bien... Mais vous avez encore peu de temps ! Tout échec ne vous sera pas pardonné !

Le recteur déglutit difficilement sa salive, tremblant de tous ses membres. Il revient chez lui, réfléchissant aux prochains pas à faire.




À suivre

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