Réinterprétation et autres histoires

Chapitre 7 : Deuxième partie, Feu froid

2392 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 26/03/2024 13:37

7.Feu froid




Au crépuscule du 15 février, des étudiants et des professeurs, très empressés de retourner chez eux, s’engouffrent dans les couloirs de l’Université de Reims Champagne-Ardenne. Élie James, maître de conférences en Psychologie comportementale, le plus jeune professeur au Département de Psychologie avec ses trente-sept ans, est l’un des professeurs qui ne se soucie pas de rentrer encore plus tard chez lui, préférant laisser les autres passer. Il observe, depuis la fenêtre de sa salle de cours, les derniers rayons du soleil qui jettent une faible lumière. Il espère qu’il n’est pas au crépuscule de sa vie. S’étonnant d’entretenir de telles étranges pensées, il soupire et oriente ses réflexions sur sa dernière patiente qu’il a refusé la veille, lui conseillant de trouver un autre psychologue. Cette charmante femme, France Royer, de laquelle il est devenu amoureux, est attristée d’entendre le refus du professeur, mais il ne pouvait pas lui expliquer plus en détail ses motifs. À la lumière artificielle qui éclaire les couloirs de l’Université, le trentenaire se dirige, d’un pas rapide, à son bureau. Sur le chemin du retour, il capte la dernière strophe d'une chanson russe qu'un étudiant sifflote, à savoir :

« Я здесь, где стынет свет и покой!

Я снова здесь, я слышу имя твоё.

Из вечности лет летит забытый голос,

Чтобы упасть с ночных небес холодным огнём. »*

Zoé Ramos lui traduit en français les paroles, à savoir :

« Je suis là où refroidit la lumière et la paix !

Je suis à nouveau là, j'entends ton nom.

Depuis l'éternité des années vole une voix oubliée,

Pour tomber des cieux nocturnes comme un feu froid. »

Intrigué, ne sachant comment interpréter ces paroles, ni entendant sa défunte ancienne petite-amie, il continue son chemin, laissant Zoé Ramos très angoissée pour lui. Il discerne sa fameuse patiente de la veille qui l'attend impatiemment devant la porte de son bureau. Il la salue et lui demande : 

— France Royer, que faites-vous à une heure si tardive à mon bureau ?

L'élégante femme de vingt-neuf ans aux longs cheveux brun cendré ramassés en une tresse, aux yeux noisette lance un regard interrogateur à son psychologue. Ses traits élégants se durcissent un peu et elle croise ses bras en-dessous de sa poitrine, tambourinant d'impatience le bord de son manteau bleu ciel. Ce geste souligne à merveille sa silhouette féminine, puisque vêtue d'une longue et ample robe bleu nuit.

— Je veux des explications, Monsieur James ! Vous m’annulez la rencontre thérapeutique d’aujourd’hui sans raison !

— Entrez dans mon bureau, je vous expliquerais tout, affirme, sur un ton résigné, le jeune homme, ne se réjouissant pas de prolonger une heure de plus à son bureau, mais il est conscient qu'il n'a guère le choix.

Laissant sa patiente entrer dans le petit bureau au mur gris, il ne remarque pas, derrière son dos, tapi dans l’ombre, une silhouette masculine qui l’observe. Une fois la porte refermée, le mystérieux homme, un grand et svelte gaillard de vingt-neuf ans, aux cheveux noir comme l'ébène et aux yeux marron brillant d'une lueur de folie, possédé par Charlie Luc Wogel, met le feu à la porte et déguerpit, murmurant pour lui-même : 

— Ça vous apprendra, le psy, à trop fouiller dans les affaires des autres... Et à ne pas vous connaître ! Votre problème si vous ignorez votre réelle importance ! Ah ! Ah !

Déposant son sac et ses notes sur son bureau, le psychologue invite sa patiente à s'asseoir, mais une odeur de fumée lui pique le nez.

— Mademoiselle France Royer, l'heure n'est pas à l'explication, mais à la survie ! Sortons d'ici !

Et les deux essaient de passer par la porte, tout en ne se brûlant pas, mais en vain. Ils passent la porte enflammée, et constatent qu'ils ne peuvent guère se sauver : tout brûle autour d'eux. La fumée commence à monter, ils suffoquent et deviennent rapidement inconscients.


Quelques secondes plus tard, un agent de sécurité, qui passe non loin du bureau, dirigé par un Observateur, remarque le feu et appelle les pompiers, les policiers et les ambulanciers. Les équipes de secours arrivent immédiatement. Parmi les ambulanciers, Jim est présent, réveillé par un appel téléphonique de son supérieur qui exige que l'équipe du SAMU de Grandeville prête main-forte à l'équipe du Reims. Mélinda, également sortie des bras de Morphée par la sonnerie du téléphone, guère ravie de se réveiller à une heure si tardive, s’habille convenablement pour arriver sur place, espérant ne pas remarquer beaucoup d'esprits errants. Jim et son équipe amènent Élie James et France Royer à l'écart du feu en sécurité. Le mari de Mélinda, constatant que les deux survivants donnent de faibles signes de vie, voire aucun, se dépêche de les réanimer. L'antiquaire, les paupières encore ensommeillées, grommelant d'être sortie si abruptement de son rêve, suit son mari, ne se réveillant complètement qu'une fois arrivée à l'université.

La patiente du psychologue, morte depuis peu, sourit à Élie James qui est sorti de son corps. Tournant le regard vers le ciel, le professeur entend une voix masculine puissante lui ordonner fermement : 

— Élie James, vous ne pouvez quitter ainsi le monde des vivants ! Vous avez encore beaucoup à apprendre sur ce monde ! Vous aurez un don particulier, mais faites attention pour ne pas l'user à mauvais escient !

L’âme du psychologue se retourne vers la voix, pour détailler l'entité qui vient de parler, à savoir un homme de cinquante ans élégant, aux traits délicats qui inspire confiance et autorité. Mais, avant que le professeur ne dise un mot, Jim continue à le réanimer, forçant son âme à regagner son corps. Montrant des signes de vie, Élie James est transféré d'urgence à l'hôpital. La chuchoteuse d'esprits fixe, intriguée, Zoé Ramos et France Royer qui secondent le professeur. La première a une mine très inquiète; la seconde est confuse. L'antiquaire extraordinaire suit son mari qui s'arrête devant la chambre où est Élie James. Il commente :

— Cet homme, Élie James, un professeur de Psychologie à l'université, a de forte chance de survivre... Je dois te reconnaître que j'ai eu peur qu'il soit défunt...

— Tes craintes n'étaient pas vaines, j'ai vu son âme sortir de son corps... Et, comme tu l'as réanimé, il est revenu...

— Intéressant !

Mélinda observe Élie James à travers la vitre qui les sépare et remarque Zoé Ramos, un peu en retrait dans un coin de la chambre, et France Royer, à la droite du lit du professeur, gesticulant et parlant. L'antiquaire s'étonne de discerner un mouvement des lèvres et des mains d'Élie James... Comme s'il parlait avec la défunte... Peut-il entendre les esprits ? se demande-t-elle en son for intérieur, intriguée.

Rentrant dans la chambre, elle note l'air confus du professeur : son regard semble lui dire « Suis-je devenu fou ? » et l'exaspération de Zoé Ramos.

— Monsieur le professeur...

— Élie James, précise l'interpellé. Professeur de Psychologie et psychologue.

— Enchanté ! Je suis Mélinda Gordon-Clancy, antiquaire à Grandeville et passeuse d'âmes. Je peux vous confirmer qu'une femme est près de vous... Une femme de vingt-neuf ans aux longs cheveux brun cendré ramassés en une tresse, aux yeux noisette et aux traits élégants. Elle porte un manteau bleu ciel par-dessus une robe bleu nuit.

Le professeur se retourne à sa droite, mais ne discernant personne, revient dans sa position première, allongé. Il lance un regard interrogateur à son interlocutrice.

— La femme que vous venez de décrire est mon ancienne patiente, France Royer.

— Élie James... Il y a un détail que je ne vous ai pas dit de mon vivant, et qui me pèse sur mon âme...

— Je deviens fou ! s'exclame-t-il, bloquant le son avec ses mains. Suis-je devenu fou, schizophrène ou que-sais-je encore, pour entendre la voix de ma patiente ? Mon esprit a-t-il déraillé ?

— Monsieur Élie James, vous n'êtes pas fou, votre esprit n'a pas déraillé, continue Mélinda Gordon sur un ton sévère, mais vous pouvez entendre les esprits errants. La sortie de votre âme de votre corps et son retour...

— Une expérience de mort imminente, Madame Gordon, lui précise le psychologue.

— ... Merci pour le détail... Cette expérience a débloqué en vous cette capacité d'entendre les esprits.

— Intriguant et intéressant, ajoute Élie James, soupirant, se massant les tempes.

— D'ailleurs, s'immisce Zoé Ramos, avec les paroles de la chanson, je voulais t'avertir du danger... Je dois encore t'expliquer beaucoup de détails... Mais sache que tu es le Gardien du Livre.

— De quel livre ?

— Le livre convoité par le recteur. Ce dernier t'a reconnu et a voulu te tuer, d'où le feu criminel à ton bureau...

Élie James devient blême, plusieurs idées se succèdent dans sa tête en peu de temps... Un mal de tête se pointe doucement, le forçant à fermer les yeux.

— Zoé, c'est impossible ! Te rends-tu compte des conséquences de tes paroles, ma chère ?

— Commence par régler le cas de Mademoiselle France Royer, puis nous rediscuterons, affirme sèchement Zoé, vexée.

— Mademoiselle Ramos, sachez que je peux vous aider, vous et Élie James...

— Non, Madame, continuez à aider les âmes perdues, moi, je sais ma mission. Je dois préparer mon ancien amour à sa nouvelle tâche, mais, avant, il doit tout saisir. Laissons le temps faire son travail. Je vous conseillerais d'être prudente, autant pour votre mari que pour vous-même, l'avertit la défunte professeur.

— Comment pouvez-vous me dire ces terribles propos ?

— J'ai lu le Livre et vos noms y étaient... Je crains le pire. Que Dieu, le Christ, les Anges et le Destin vous soient cléments, comme qu'ils l'ont été pour Élie James.

Sur ces paroles énigmatiques, elle s'en va, laissant Élie et Mélinda très inquiets.

— Je pense que je vais vous laisser tranquille, mais je vous donnerais une carte professionnelle. Ainsi, si vous voulez que nous discutions plus tard, je serais disponible pour vous aider.

— Merci, Madame Gordon. Il prend la carte et la range dans une poche interne de sa chemise.

Mélinda sort de la chambre et revient chez elle, ne parvenant plus à s'endormir. Elle ne cesse de penser à ce qui vient d'arriver et surtout aux paroles très inquiétantes de la mystérieuse défunte professeur qui se dit gardienne d'un livre. Jim revient dans la salle d'attente de l'hôpital, attendant que ses collègues du SAMU arrivent pour revenir ensemble à Grandeville.




Quelques jours plus tard, Charlie Wogel suit Carl Neely, très intéressé par sa capacité d'entendre les esprits. Il l'observe pour essayer d'évaluer la possibilité de l'influencer. Il l'analyse ainsi pendant deux jours et procède de même pour Élie James et Mélanie Gordon. Il est déçu qu'il ne puisse pas influencer le psychologue, mais il repère une possibilité très intéressante pour le policier et pour la sœur de Mélinda. Sourire machiavélique, il visite l'agent de l'ordre à la tombée de la nuit pour le manipuler lors de son sommeil et en état de semi-conscience, entre le réveil et le sommeil. Il lui instille un doute sournois en son cœur. De sa mauvaise humeur et de son doute de la fidélité de son épouse, il se dispute souvent avec elle, créant un climat invivable pour Catherine, leur fille de douze ans, et pour Samuel, leur fils de dix ans. Les disputes du couple sont tellement fréquentes que Sylvie, son épouse, songe au divorce, mais décide de patienter encore un peu.


Au même moment, Ginette Canacq et Oscar Parmentier continuent à se promener sans but, la première demeure à l'école primaire, le second se rend dans le parc de la ville avoisinant la boutique de Mélinda. Cette dernière, depuis la fenêtre, remarque l'aliéné. Intriguée de sa présence, elle le rejoint et lui demande :

— Qui êtes-vous ? Pourquoi restez-vous encore parmi les vivants ?

Il tourne son regard triste, brièvement étonné, vers elle et lui répond d'une voix atone :

— Je suis Oscar Parmentier... J'ai besoin de votre aide... J'ai peur de mon médecin... Je...

Et l'esprit se tait, déguerpissant, très effrayé. Mélinda se retourne et rencontre Charlie Luc Wogel qui lui affiche son sourire le plus affable.

— Cet homme était mon patient de son vivant ! Mon lieu de travail se situe dans l'actuelle école primaire... Le sous-sol contient encore des objets de l'asile... Sans mentionner mes nombreux patients... Un endroit très intéressant !

— Qui êtes-vous pour effrayer ainsi ce pauvre homme ?

— Je suis médecin de formation, je suis l'homme surnommé de mon vivant l'Ange de la Mort et de la Folie...

— Sachez que vous ne m'empêcherez pas d'aider ces esprits errants ! affirme-t-elle, lueur de détermination dans le regard. Vous ne m'effrayez pas !

— C'est ce que nous verrons, madame ! rétorque-t-il d'un ton hautain.

Sur ces paroles, il s'en va, laissant l'antiquaire très perplexe, mais néanmoins très déterminée à aider ces esprits errants. Elle se rend sur-le-champ près de l'école primaire de la ville.


À Villesûre, dans la maison aux esprits, Gabriel barre la porte pour aller au travail. Derrière son dos, une voix familière ordonne :

— Maintenant, passons au sérieux, Gabriel Lawrence !

— C'est-à-dire ? l'interroge, confus, le chuchoteur d'esprits.

Ce dernier se retourne pour discerner Charlie Luc Wogel visage austère encore plus accentué avec son regard inquisiteur qui le fixe, le transperçant.

— L'attaque fatale, répond sur un ton sépulcral et froid le défunt médecin.

— D'accord, mais j'appellerais du renfort, des amis esprits.

— Je ne refuse pas de l'aide, Monsieur Lawrence ! À la prochaine.

Et il s'évapore sous terre. Gabriel se frotte les mains de joie à l'idée d'éliminer son ennemi, sa demi-sœur, sans qu'elle doute du plan machiavélique de ses alliés esprits.




À suivre


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* Dernière strophe de la chanson « Я здесь » [Je suis là] de Valery Alexandrovich Kipelov.

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