Réinterprétation et autres histoires

Chapitre 8 : Deuxième partie, « Au clair de la lune », ou Course contre la folie, 1re partie

7815 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 07/05/2024 14:32

8.« Au clair de la lune », ou Course contre la folie, 1re partie




Mélinda arrive près de l'école primaire de la ville, prenant un air nonchalant, malgré son inquiétude, pour observer les esprits errants et surtout pour essayer de communiquer avec eux. Elle discerne aisément Oscar Parmentier dans la cour, loin des enfants, et une femme, nulle autre que Ginette Canacq, chantant Au clair de la lune aux enfants, plus exactement les vers suivants :

Au clair de la lune, 

Mon ami Pierrot, 

Prête-moi ta plume 

Pour écrire un mot. 

Ma chandelle est morte, 

Je n'ai plus de feu, 

Ouvre-moi ta porte, 

Pour l'amour de Dieu


Intriguée, la chuchoteuse d'esprits observe la jeune femme. Cette dernière est âgée de vingt-neuf ans, à peu près d'un mètre quatre-vingt-dix. Elle flotte dans une ample robe blanche, ses cheveux noir comme l'ébène cascadant avec grâce sur ses épaules et ses yeux brun foncé sont remplis de tristesse. Tristesse qui afflige Mélinda. Tout son être inspire une mélancolie.

— Qui êtes-vous ? Pourquoi errez-vous encore parmi les vivants ? Pourquoi dérangez-vous les enfants ?

L'interpellée la fixe, intriguée et étonnée que quelqu'un interagit avec elle. Baissant son regard, jouant nerveusement avec le bord de son vêtement, elle répond dans un souffle, comme un enfant coupable :

— Je suis Ginette Canacq... Je demeure encore parmi les vivants pour... réparer mon erreur... Pour protéger les enfants... J'ai peur de mon psychiatre ! ... Je ne veux pas que l'histoire se répète... Je ne veux pas... qu'un mal arrive à ces enfants... Je...

Se taisant soudainement, les yeux encore plus grands de frayeur, les traits figés en une moue de terreur, lèvres pincées, elle s'en va, apeurée au-delà de l'imaginable. Mélinda se retourne pour être accueillie par Charlie Wogel.

— Le bonjour, Madame Mélinda Gordon-Clancy, affirme-t-il d'un ton ironique, large sourire aux lèvres, les yeux perfides rieurs et les mains derrière le dos... Et bienvenue à mon lieu de travail !

Il ramène ses mains devant lui en un geste théâtral, lueur de fierté et de fourberie dans le regard, n'inspirant nullement confiance.

— Bienvenue à l'Asile d'aliénés de Châlons ! Vous verrez toute la réalité du milieu... Toute la réalité de mon travail et des malades... Votre estomac doit être fort, je vous l'avertis !

Le médecin s'évapore. L'antiquaire hésite, ne sachant que faire. Demeurant immobile pendant quelques secondes, elle est sortie de ses réflexions par la douce voix de Myriam Berkowitz.

— Faites attention au plan machiavélique du défunt ! l'avertit l'Observatrice d'une voix claire teintée d'inquiétude.

Sur ces mots, elle s'élève dans les airs, regagnant une rue de la ville. Perplexe et angoissée, Mélinda ne sait guère comment interpréter ces paroles énigmatiques.

— Le moment n'est pas aux grandes réflexions, l'heure est à l'action et à l'aide aux esprits, murmure-t-elle à voix basse pour calmer les centaines d'idées qui se succèdent en son âme. Je pense que Gabriel Lawrence et Paul Eastman pourront m'aider. Nous avons un don similaire, l'entraide n'est pas à rejeter ! Chacun pourra m'aider !


Au même moment, Gabriel quitte Villesûre pour Grandeville. Il s'arrête dans le parc, observant les entités invisibles qui peuplent l'endroit et souriant de l'insouciance des vivants. Quelques minutes plus tard, il se rend dans une petite rue pour essayer de recruter des esprits dans sa maison.

— Gabriel Lawrence, n'avez-vous pas oublié notre pacte ? interroge, soudain, derrière son dos, une voix masculine sépulcrale qui donne un frisson au chuchoteur d'esprits.

L'interpellé se retourne et rencontre face à face les deux esprits errants que sont Jean-François De Larochefort et Luc-André Vasseur. Il déglutit sa salive en notant leur regard malin et ne fait qu'un geste de la tête à leur attention pour leur signifier qu'il n'a pas oublié. Et Luc-André Vasseur le possède, laissant son âme désorientée à côté de son corps. L'âme de Gabriel s'en va chez Thomas Gordon, l'observant; son corps se dirige vers le parc de la ville, attendant Mélinda, assis sur un banc.


L'antiquaire se rend au commissariat de police de Reims et frappe à la porte du policier extraordinaire. Ce dernier l'accueille courtoisement dans son sobre bureau aux murs blancs qui a pour uniques meubles son bureau en noyer, son fauteuil brun foncé et deux chaises en bois avec un confortable coussin. De la fenêtre, des rayons solaires filtrent le store, donnant suffisamment de lumière à la pièce. Le policier l'invite à s'asseoir, très curieux de connaître la raison de sa venue.

— Monsieur Paul Eastman, j'aurais besoin de votre aide concernant un cas bien particulier, à savoir le cas de l'école primaire de Grandeville. Pouvez-vous me seconder ?

Notant sur une feuille vierge la requête de son interlocutrice, l'ancien ami d'Élizabeth Maillard-Gordon lève ses yeux du papier, large sourire aux lèvres, sincèrement heureux d'aider la jeune femme.

— Oui, je vous aiderais volontiers ! mais dois-je vous préciser que je ne peux vous aider que lorsque je ne travaille pas ? ... Soit deux jours seulement, mais je vous aiderai ! Et je vous communiquerai rapidement les résultats de l'enquête. Par contre, pouvez-vous me préciser le cas qui vous intéresse ? À quel type d'esprit avez-vous affaire ?

— Oui, c'est le cas d'un étrange médecin, de Ginette Canacq et d'Oscar Parmentier. Les deux derniers sont des aliénés, patients du premier.

— Que savez-vous de cet étrange médecin ? l'interroge-t-il, très alarmé, sourcils froncés.

— La seule information connue sur lui est qu'il affirme avoir pour surnom l'Ange de la Mort et de la Folie...

Le visage du policier extraordinaire s'assombrit. Il dépose son stylo et prend une gorgée de son verre d'eau près des photographies de ses enfants et de sa femme.

— Je sais son nom... s'exclame-t-il, inquiet. Il s'appelle Charlie Luc Wogel... Mon collègue, Carl, Carl Neely, désolé, a fait des recherches sur ce sombre individu. Et il est un très sinistre manipulateur, un redoutable médecin collaborateur avec les nazis. Il a fait des horribles expériences de stérilisation des cobayes, des inoculations de maladies, des électrochocs sur des aliénés, des vaccins et des pseudo-vaccins contre diverses maladies et encore beaucoup d'autres atrocités inhumaines que je ne vous dirais pas maintenant. Il a travaillé au Camp de concentration de Natzweiler-Struthof en 1942 et il a continué des expériences bien plus horribles à l'Asile d'aliénés de Châlons depuis 1943 jusqu'en 1975, soit un an avant son décès.

Un étonnement se lit dans les grands yeux de l'antiquaire qui sort un calepin pour noter fébrilement les informations mentionnées.

— Merci beaucoup pour votre aide... En connaissant l'identité de ce sadique psychopathe, il me sera plus simple de faire mes recherches... Aussi, puis-je vous donner rendez-vous le surlendemain à ma boutique d'antiquités ? Ainsi, j'aurais le temps de mener enquête de mon côté, et vous du vôtre, avant que nous discutions plus en détails des prochains pas à faire ?

— Oui, j'accepte ! Et je vous donnerais les dossiers sur ce sombre médecin, vous évitant de faire de la recherche. Mon collègue est très sérieux lorsqu'il fait son travail ! D'ailleurs, je devrais vous le présenter un jour... Je lui demanderais s'il pourrait venir après-demain à votre boutique.

— Merci beaucoup, Paul Eastman ! s'exclame-t-elle.

Mélinda revient à sa boutique d'antiquités à Grandeville, rangeant les récentes acquisitions et aidant des clients dans leur achat.


Une fois le travail terminé, elle se rend dans le parc de la ville où elle rencontre Gabriel Lawrence. Étonnée de discerner une lueur étrange dans son regard, lueur de sa possession pour laquelle elle n'a pas encore trouvé le mot, la chuchoteuse d'esprits interpelle son demi-frère d'un ton doux :

— Gabriel Lawrence, puis-je vous déranger un peu ?

Tournant sa tête vers elle, il lui affiche un sourire narquois, lui donnant un frisson dans le dos.

— Oui, il n'y a pas de problème. Dites la raison de votre venue !

Il l'invite, d'un geste, à s'asseoir à côté de lui. Elle obtempère.

— Pouvez-vous m'aider et venir avec moi pour comprendre le cas de Charlie Luc Wogel, de Ginette Canacq et d'Oscar Parmentier à l'école primaire de Grandeville ? N'est-il pas exact que l'union fait la force et que plusieurs individus arrivent à de meilleures conclusions ?

—Oui, très exactement, Madame Gordon-Clancy. Et je suis d'accord avec votre point. Je viendrais vous aider !

— Aussi, puis-je vous donner rendez-vous le surlendemain à ma boutique d'antiquités ? Ainsi, j'aurais le temps de mener enquête de mon côté, et vous de la vôtre, avant que nous discutions plus en détails des prochains pas à faire ?

— Oui, j'accepte !

— Je vous précise que nous sommes quatre, il y a aussi Paul Eastman et son collègue, Carl Neely.

Se rembrunissant brièvement à la mention du premier policier extraordinaire, Gabriel reprend rapidement son air faussement enjoué.

— Excellent ! Alors à bientôt, Mélinda Gordon-Clancy !

— À après-demain !

Personne ne remarque l'âme de Thomas Gordon analyser la situation de loin, sourire narquois aux lèvres et regard inquiet qui regagne rapidement son corps. La chuchoteuse d'esprits revient chez elle, cherchant le plus d'informations possibles sur les deux patients de Wogel et sur le médecin lui-même, mais elle ne trouve rien de fiable. Le corps possédé de Gabriel se promène sans but dans la ville de Grandeville, recrutant le plus d'esprits errants dans sa maison.


Au même moment, au bureau de Carl Neely, l'inspecteur est très irrité en son âme sur son épouse. Depuis quelques jours, il doute même de sa fidélité, créant des disputes incessantes avec Sylvie, le laissant très énervé et de mauvaise humeur. Charlie Luc Wogel, devant le vivant, essaie de l'hypnotiser sans parole, le fixant intensément pour le manipuler, pour observer le tréfonds de son âme... Et une idée lui vient pour provoquer un climat propice au divorce, et, par ricochet, le fragiliser psychologiquement et le rendre plus facile à manipuler... Sourire machiavélique aux lèvres, il se frotte les mains d'anticipation. Il s'approche de l'âme de Gabriel, qui continue toujours à errer dans les rues de la ville, patientant que Luc-André Vasseur cesse de le posséder.

— Gabriel Lawrence, j'ai trouvé la meilleure manière de faire basculer ce policier, Carl Neely, de notre côté, affirme froidement le médecin, les mains derrière le dos, sourire malsain aux lèvres et regard brillant d'une lueur de folie.

Intrigué, et quelque peu effrayé, Gabriel lui demande d'une petite voix :

— Et quelle est votre idée, docteur Wogel ?

Ravi, il lui affiche son sourire le plus carnassier de toute sa vie d'outre-tombe, donnant un frisson à son interlocuteur.

— Une possession pour créer un accident... Je suis conscient que je ne pas peux encore le posséder, puisque nos affinités psychologiques sont inexistantes.... Mais s'il devient fragmenté, divisé, ou qu'il se culpabilise de la mort de ses enfants auxquels il y tient beaucoup, je pourrai plus facilement le contrôler. Simple, n'est-ce pas ?

— Votre raisonnement est juste, répond, avec prudence, soucieux de ne pas provoquer l'ire du redoutable esprit errant, le chuchoteur d'esprits.

— À la prochaine, Gabriel Lawrence... En corps et âme !

Et Charlie se déplace en un clin d'œil près du policier entendeur d'esprits, observant sa maison, sa femme et ses enfants pour évaluer le meilleur moment d'action. Ravi de remarquer une possibilité d'action, il revient à l'école primaire auprès de ses patients.


Simultanément, au bureau de Josué Berthelot, le recteur vide son énième verre d'alcool, réfléchissant au meilleur moyen d'éliminer Élie James.

— Je pense qu'il faudrait un peu patienter, mes amis, affirme-t-il poliment aux entités invisibles avec lesquelles il a commercé depuis son entrée en fonction à l'université.

— Que nenni ! Nous sommes impatients ! lui hurlent les Ombres à l'unisson. Pour votre insuccès, nous avons notre victime...Vous savez de qui il est question !

Le vieil homme lâche son verre, les yeux agrandis de peur, ses mains tremblent et il murmure d'une voix chevrotante :

— Pensez-vous à ma mère, Claire ? les interroge-t-il rhétoriquement, craignant qu'ils confirment ses propos.

— Très exactement ! Et votre prochain pas doit être infaillible, sinon, vous connaissez les conséquences...

Les Ombres fondent sur lui, lui coupant le souffle momentanément, et disparaissent. Josué est très angoissé et sort précipitamment de son bureau dans l'idée d'accourir à l'hôpital. À peine il ferme la porte et met la clé pour démarrer la voiture que dans le miroir, une forme fantomatique devient de plus en plus visible : l'âme de sa mère, Claire. Le vieil homme devient blême comme un linge, ses mains tremblent, son cœur cesse presque de battre sous le choc, ses jambes tressaillent d'une manière incontrôlable pendant quelques minutes.

— Mère ? bredouille-t-il d'un ton hésitant.

— Oui, mon fils, lui répond-elle d'un ton désincarné. Les Ombres m'ont étouffé, me tuant ainsi.

Les yeux encore plus grands, le recteur se dépêche d'arriver à l'hôpital, roulant le plus rapidement qu'il le peut, quitte à outrepasser les limites de vitesse. Arrivant en trombe dans la chambre, Josué s'arrête devant le lit de sa mère. Cette dernière gît, inanimée, morte depuis peu. Il éclate en sanglots, tenant la main froide de la récente défunte et murmure aux entités invisibles démoniaques :

— S'il vous plaît, soyez indulgents !

— Mon fils, lui répond sa mère, apparue sur la vitre de la fenêtre de la chambre, rend-toi à l'évidence ! Je ne suis plus vivante !

Le vieil homme la fixe, sonné, refusant de croire en la situation. Des voix familières lui rient méchamment et répliquent d'une voix caverneuse comme un seul homme :

— Ne nous faites pas rire ! Vous le saviez déjà !

Des sueurs froides perlent le dos et le front du vivant, ses mains sont moites. Il tombe à genoux, pleurant discrètement, dans un geste de supplication désespéré.

— N'oubliez pas un détail, lui hurlent à l'unisson les Ombres, se rapprochant de lui. Vous nous appartenez ! Vous avez passé un pacte avec nous, pacte qui ne peut pas se rompre facilement ! À jouer avec nous, les Ombres, on finit par s'enténébrer... Bientôt, votre vue deviendra noirceur... Pour l'éternité... Ha ! Ha ! Ha !

Le recteur déglutit sa salive, angoissé, ses yeux se promènent de gauche à droite et vice-versa, tremblant de tous ses membres.

— Monsieur Josué Berthelot, l'interroge poliment l'un des médecins qui vient d'entrer dans la chambre, n'entendant pas les Ombres, êtes-vous correct ? Je comprends bien que le décès de votre mère vous affecte, mais comprenez qu'elle a eu un arrêt cardiaque. L'arrêt a été fatal, malheureusement.

Le vieil homme essaie de se ressaisir, mais en vain. Il tousse pour faire bonne contenance devant le professionnel, affichant un faible sourire. Il se relève, les jambes chancelantes.

— Disons que je suis fort affecté par la mort de ma mère, tellement soudain et inattendu ! s'exclame-t-il de sa voix enrouée. Je vous quitte, je dois m'occuper de vendre sa maison, puisque mon père, feu Jean-François Berthelot, est décédé il y a huit ans et je suis leur seul enfant. Au revoir.

Josué tourne le dos, légèrement voûté, au médecin et, d'un pas traînant, regard désintéressé et absent, revient chez lui, accompagné des Ombres qui ont suivi sa mère au cours de sa vie. Le recteur craint pour sa vie, il a peur qu'ils lui réclament son souffle, sa vie; il craint de mourir bientôt s'il rate sa cible. Il décide d'appeler Delphine Banastier, agente immobilière à Grandeville, pour s'occuper le plus rapidement possible de la vente de la maison parentale à Reims.



Le lendemain matin, l'antiquaire rapporte à son mari la situation des patients qui rôdent à l'école primaire.

— Jim, affirme-t-elle, pensive, je pense qu'il serait une bonne idée de visiter l'endroit. Ensemble, c'est moins douteux ! Et je serais plus apte à aider ces esprits, à comprendre leur quotidien.

L'interpellé lui sourit, l'enlace sa main droite en signe de son soutien indéfectible et lui répond chaleureusement :

— Bonne idée, ma chérie ! Nous irons aujourd'hui même faire une visite de l'école sous prétexte que nous pensons inscrire notre enfant ! Bien sûr, tu devras te donner l'air d'une femme enceinte... mais ce n'est qu'un détail... Nous avons suffisamment de coussins...

— Tu es génial, Jim !

Elle l'embrasse et lui saute au cou de joie, ravie du plan. L'ambulancier rit de son comportement spontané quasi enfantin.


Un peu plus tard, en après-midi, Jim et Mélinda se rendent à l'école primaire, saluant la directrice. Cette dernière leur demande la raison de leur venue. Leur prétexte fonctionne à merveille et elle leur propose une visite guidée de l'école. Dès qu'elle a le dos tourné pour chercher des papiers à son bureau, Jim et Mélinda, au détour d'un couloir, se donnent un hight five, trop ravis de la simplicité de leur plan.

Quelques heures plus tard, s'arrêtant près d'une salle, la directrice interpelle l'enseignante :

— Mademoiselle Rebecca Char, voulez-vous terminer la visite guidée à ce jeune couple ? Je veillerais sur les enfants.

— Oui, Madame Sabatier.

L'élégante jeune femme est vêtue d'un complet vert forêt et d'une chemise blanche, aux cheveux brun foncé ramassés en chignon, aux grands yeux marron, au visage ovale et délicat, lui donnant un air enfantin et angélique. Son unique bijou est un collier d'or et un bracelet décoré de demi-lunes dorées. Elle s'avance vers le couple, le salue respectueusement et leur montre certaines classes. Une fois les explications terminées, l'institutrice revient dans sa classe et remarque que les enfants n'y sont plus. Rebecca et Mélinda notent la présence d'Oscar Parmentier près du tableau, immobile, droit comme une bougie. Les yeux des trois vivants s'agrandissent de stupeur lorsqu'ils constatent l'étrange message écrit au tableau.

— Oscar Parmentier, lui demande de sa voix mélodieuse Rebecca, oubliant que le couple est dans le cadre de porte de la salle, sous l'air ébahi de la seconde femme extraordinaire, est-ce vous qui a écrit ces mots étranges « Je serai tranquille une fois dans l'Autre Monde » sur le tableau ?

— Non, Mademoiselle... C'est Ginette ! se défend-il, levant les mains pour signifier son innocence. Moi, je ne fais rien !

— Et, déduit l'antiquaire, c'est elle, Ginette Canacq, qui est partie avec les enfants... Mais où ?

L'aliéné hausse les épaules pour toute réponse, murmure des paroles incompréhensibles et décousues et se déplace jusqu'à l'extérieur en un clin d'œil, laissant les trois vivants inquiets pour les enfants. Rebecca ne peut pas cacher pendant quelques secondes son étonnement de savoir qu'elle n'est pas l'unique femme au don particulier de communiquer avec les défunts.

— Ainsi, Mademoiselle Rebecca Char, vous voyez les esprits errants, les âmes des défunts qui restent encore sur Terre, n'est-ce pas ? Sinon, il vous serait impossible d'interagir avec eux... l'interroge rhétoriquement l'antiquaire.

— Exactement, confirme-t-elle. D'ailleurs, je ne m'attendais pas à rencontrer quelqu'un qui partage un don similaire au mien !

— Je suis Mélinda Gordon-Clancy, antiquaire et chuchoteuse d'esprits, lui déclare-t-elle chaleureusement.

Sourire triomphant au visage, Rebecca l'interroge en ces termes avec une pointe de curiosité dans le ton :

— Votre visite de l'école primaire n'est qu'un prétexte pour aider les esprits des aliénés, ai-je raison ?

— Oui, reconnait son interlocutrice dans un soupir. Mais, avez-vous des informations importantes sur ces esprits errants. Interagissant avec eux, vous avez remarqué des détails, non ?

— Oui...

Mine pensive, Rebecca continue.

— ... Ginette Canacq chante toujours aux enfants Au clair de la Lune et Oscar Parmentier les effraie toujours avec sa camisole de force et les traces d'opérations sur la tête... Les enfants apprécient la femme, tout comme ils craignent l'homme... Je ne saurais vous l'expliquer... Aussi, tous les patients, je pense qu'il y en a dix si je ne me suis pas trompée, ont une frayeur de leur médecin...

— Celui qui se surnomme l'Ange de la Mort et de la Folie... Un fou et sadique médecin ! ajoute Mélinda.

— Oui, mais j'ignore son nom, malheureusement, aucun des patients ne voulait me le dire.

— Mademoiselle, il s'appelle Charlie Luc Wogel, selon Paul Eastman, un policier qui peut interagir avec les esprits errants.

Étonnée, la jeune institutrice s'exclame, heureuse :

— Au moins, nous ne sommes pas seules ! À trois, nous aiderons ces pauvres âmes perdues ! Et tout est plus simple lorsque nous connaissons les identités de chacun !

Mélinda, regard brillant de joie, lui sourit, large sourire sincère au visage, et enlace la main droite de son mari, ravie.

— Jim, il y a plus d'individus extraordinaires que je ne le pensais au début ! C'est fantastique ! Nous sommes quatre maintenant !

Elle dégage sa main droite de l'emprise de son mari.

— Paul Eastman, Gabriel Lawrence, Rebecca Char et moi, énumère-t-elle.

Pour toute réponse, il lui sourit, puis reprend un air sérieux, une lueur d'inquiétude traverse ses yeux bleus.

— Mademoiselle Char, commente l'ambulancier, je pense qu'il faudrait retrouver les enfants, non ? Mais où sont-ils ?

Près de Jim, Myriam Berkowitz se manifeste et le possède.

— Ils sont dans le parc de la ville.

L'Observatrice cesse la possession, sourit aux femmes extraordinaires et revient dans le parc.

— Allons-y ! s'exclame Mélinda.

— Où ? lui demande, confus, son mari.

— Dans le parc.

— Sinon, ajoute l'ambulancier, qui a écrit ces mots au tableau et avec qui parliez-vous ?

— Chéri, l'esprit qui a écrit ces mots au tableau est la patiente, Ginette Canacq, celle qui chante la comptine enfantine que les enfants répètent. L'esprit qui a été dans la classe est l'aliéné, le silencieux esprit, qui porte des marques d'opérations sur la tête... Personnellement, il m'effraie même... Et je crains le pire...

Jim serre tendrement son épouse contre lui pour la rassurer et lui murmure des doux mots pour la calmer.


Et, quelques minutes plus tard, les trois adultes se rendent dans le parc, suivis de la police, appelée par la directrice.

Au milieu du parc, Ginette Canacq, entourée d'enfants, leur chante Au clair de la Lune. Les policiers, observant les enfants, trouvant étrange qu'ils forment un cercle et entonnent une chanson enfantine sans raison, appellent leurs parents pour qu'ils viennent récupérer leurs enfants. Une fois les policiers, les parents et les enfants partis, Mélinda, accompagnée de son mari et de l'institutrice, s'approche de l'esprit errant.

— Madame Ginette Canacq, pourquoi écrire ces étranges mots au tableau « Je serai tranquille une fois dans l'Autre Monde », vous êtes déjà défunte depuis longtemps et pourquoi amener les enfants dans le parc ? Êtes-vous consciente que nous étions tous morts de frayeur pour eux ? l'interroge-t-elle, intriguée et quelque peu confuse et fâchée de l'attitude de l'aliénée.

L'interpellée baisse les yeux, comme un enfant coupable, et dit d'un ton suppliant.

— Comprenez qu'il faut que je les protège des médecins, des sadiques psychopathes... Surtout de l'oiseau... L'oiseau de malheur...

— Pensez-vous à Charlie Luc Wogel ? l'interroge Mélinda.

Ginette opine discrètement du chef, apeurée, les traits tendus, les yeux encore plus grands, tournant sa crinière brune à droite et à gauche, pour vérifier que l'immonde médecin ne soit pas près d'elle.

— Oui, bredouille-t-elle d'un ton éteint.

Elle disparaît, sans dire un mot, laissant les deux chuchoteuses d'esprits très intriguées. Elles s'entr'observent, confuses. Le mari de Mélinda est encore plus embarrassé. L'étonnement se lit dans ses yeux.

— Jim, lui rapporte son épouse, Ginette est celle qui a amené les enfants dans le parc pour les protéger du docteur Wogel.

— Je suis assez intrigué et surtout très inquiet, commente l'ambulancier, par toute cette histoire et les affirmations de la patiente... Qu'est-ce qui peut bien être intéressant chez les enfants pour un médecin ? Leur innocence ou leur simplicité qui facilitent une manipulation sournoise ? Je ne saurais le dire, hormis s'il veut continuer ses sordides expériences...

— À ne pas exclure, lui répond-elle pensivement. Rien qui vaille dans tous les cas.

— Ginette Canacq est fortement préoccupée de la survie des enfants, commente Rebecca. Est-ce que son comportement aurait un rapport avec son internement ? Je ne saurais le dire, j'ignore où sont les archives de cet ancien asile et je doute que je puisse y avoir accès si facilement.

— Qui pourrait nous aider ?

La chuchoteuse d'esprits se tourne vers son mari, regard interrogateur.

— Peut-être Élie James, le professeur à l'Université de Reims Champagne-Ardenne, suggère le mari de Mélinda.

— Nous pouvons toujours lui demander... approuve son épouse d'un ton enjoué, ravie à l'idée de résoudre rapidement et efficacement le cas de ces esprits errants. Je ne doute pas une seconde qu'il sera un allié fiable !

L'ambulancier et son épouse reviennent dans leur maison, très inquiets des mobiles du médecin, mais, en même temps, rassurés qu'Élie James les aidera et que l'institutrice hors de l'ordinaire les secondera.



Le lendemain matin, alors que Jim est au travail, Mélinda décide de revenir à l'école primaire, certaine de la complicité de Rebecca. Cette dernière lui donne accès aux différents locaux et l'antiquaire lui donne une carte professionnelle pour qu'elle puisse la contacter si nécessaire. Remarquant un passage qui mène au sous-sol, la petite brunette, intriguée, emprunte l'escalier et, touchant la porte cadenassée, a une vision.

Une porte de fer s'ouvre, laissant entrevoir des rangées de lits et de sismothères. Allongée dans un lit, Mélinda se débat avec force et énergie, mais en vain, puisque ses bras et ses jambes sont solidement ligotés, l'empêchant tout mouvement. La lumière du plafonnier d'une pièce l'aveugle momentanément alors que le lit, sur lequel elle est attachée, est déplacé, comme sur des roulettes. En passant le couloir du sombre endroit faiblement éclairé, elle remarque, dans le coin de l'œil, des patients en camisole de force, le regard éteint, assis, immobiles, ne réagissant même pas. Ils ressemblent à des statues, plus qu'à des êtres vivants. Arrivé dans la salle, Mélinda entend la voix de Charlie Luc Wogel qui lui murmure :

— Pourquoi vous entêtez-vous dans votre mensonge sur votre enfant ? Cessez de fabuler, il est défunt, par votre faute.... Vous n'êtes pas une bonne mère ! Vous l'avez tué ! Ne persistez pas dans votre mensonge !

— Non ! Non, c'est impossible ! éructe-elle, s'agitant sous les liens. Mon fils est vivant ! Vous m'avez volé mon fils ! Monstre ! Il est vivant ! Je ne peux pas le tuer !

— Mademoiselle Rachel Madray, donnez le courant ! Exécution immédiate !

— Oui, Monsieur Wogel.

L'infirmière approche les électrodes de chaque côté de sa tête, sur ses tempes, et appuie sur un bouton. Un puissant courant passe dans sa tête. Tout son corps est secoué, puis elle retombe dans le lit, fatiguée, épuisée, aucune force en elle ne demeure, hormis pour murmurer quelques vers de la comptine enfantine pour essayer de se calmer.

Mélinda revient de sa vision, très perturbée, et constate que la patiente est à ses côtés, l'observant tristement pendant quelques secondes avant de s'évaporer. Elle explique à Rebecca sa vision et retourne dans sa boutique, derrière le comptoir, aidant Andréa à la présentation et la rotation des diverses antiquités.


Au même moment, à l'hôpital de Reims, Élie James, complètement rétabli, obtient l'accord des médecins pour rentrer chez lui. Il est ravi de s'en sortir si bien du feu criminel, sans séquelles importantes, mais il est bien attristé de la mort de France Royer, son ancienne patiente. De retour dans sa maison, il s'assit sur un fauteuil brun foncé et sursaute en entendant la douce voix de sa défunte patiente à sa droite.

— Professeur Élie James, un lourd secret pèse sur mon âme...

— France Royer, je vous écoute, lui affirme-t-il d'un ton sérieux et professionnel, très intrigué, ses yeux brillent de curiosité.

Au fond de son âme, Élie est ravi d'aider son ancienne patiente, malgré le difficile processus de transfert et de contre-transfert. Il souhaite l'amener à la Lumière pour ne plus penser aux centaines d'idées qui se succèdent dans sa tête depuis qu'il essaie de donner un sens aux paroles de son ancienne petite-amie. Propos qui le laissent très angoissé pour sa vie.

— ... Mais avant de vous livrer mon secret, vous devez m'expliquer la raison d'interrompre mon traitement, serez-vous amoureux de moi ?

Étonné de la question, il réplique immédiatement, sans la moindre hésitation :

— Mademoiselle Royer, sortez-vous cette idée de la tête ! Je ne vous aime pas. Pour moi, vous êtes une patiente comme une autre. La raison de mon arrêt soudain de la thérapie est pour des raisons personnelles, lors du processus de transfert et de contre-transfert, j'avais l'impression de revenir à l'enfance. Mes parents n'ont pas été les meilleurs, j'ai l'impression qu'ils me cachent quelque chose, mais je ne saurais trouver le mot exact... Et je ne pouvais supporter cette pression psychologique qui me ramène à mon enfance... Surtout à certains moments que je trouve insolublement étrange... Désolé, chaque homme a ses limites...

— Je ne comprends pas trop votre histoire d'enfance... J'espère que ce n'est rien de douloureux...

— Non, non... Une longue histoire qui ne vous concerne pas trop... Le seul détail que je vous avouerais est que vous me rappelez ma mère sous un certain angle et une fille de notre voisine que j'affectionnais beaucoup.

— L'avez-vous aimé cette fille ? l'interroge, enthousiaste, France.

— Mademoiselle Royer, vous n'avez pas à le savoir ! s'offusque le psychologue. Dites-moi, continue-t-il sur un ton plus calme, ce que vous aviez à me dire. Je vous écoute, en espérant que vous partirez bientôt dans l'Au-Delà.

— Je dois vous avouer que...

Sa voix devient plus étranglée et larmoyante.

— ... je vous aime... Je voudrais être votre amante, votre épouse... Mais maintenant, c'est impossible ! se lamente-t-elle.

Sur le visage d'Élie se lit un étonnement qu'il ne camoufle même pas pendant une fraction de seconde. Il se ressaisit rapidement et commente ironiquement.

— Et pour le comble, l'amour n'était pas réciproque, Mademoiselle. Alors ne venez pas pleurer autour de mes oreilles. Partez en paix dans l'Au-Delà, et tout sera correct... Voulez-vous que j'informe votre père et votre mère de votre mort ?

— Je pense qu'ils le savent déjà ! Je ne comprends pas pourquoi je ne suis plus parmi les vivants. Pourquoi moi ?

— Il semble que je sois la cible du psychopathe de recteur, Josué Berthelot, selon Zoé Ramos, par l'entremise d'un criminel sans importance... Je dois reconnaître qu'il est bien difficile d'y croire...

— Élie, l'interrompt abruptement Zoé, fâchée, ne doute pas en mes paroles, je te dis la vérité. Josué Berthelot est obsédé de retrouver le prochain Gardien du Livre et il pense que tu l'es. Ce qui est exact par ailleurs. Son obsession maladive l'a amené à commanditer mon meurtre et ta mort, mais, heureusement, Dieu et le Destin sont cléments pour toi, Élie ! Et ta patiente...

— France Royer, lui précise le professeur de Psychologie.

— ... n'est qu'une victime involontaire du tueur à gages. Elle s'est trouvée au mauvais moment et au mauvais endroit... Même si, en réalité, cette mort violente et affreuse est une histoire beaucoup plus complexe, en rapport avec ses vies antérieures.

L'entendeur d'esprits est très étonné de l'explication de son ancienne petite-amie. D'un geste de la main, il l'invite à compléter sa pensée.

— Dans l'une de ses vies antérieures, elle était semblable au tueur à gages maintenant. Tout simplement un remboursement des vieilles dettes de plusieurs siècles... Mentionnant ce fou de recteur, je vous le dis, il mourra dans de terribles souffrances, ses démons le pousseront au moment venu... Je l'ai lu dans le Livre et j'ai eu une vision de son atroce et inhumaine fin...

Les yeux d'Élie s'agrandissent d'étonnement et d'incrédulité. Il joue nerveusement avec son stylo et murmure :

— Zoé, tes paroles sont bien étranges, mais je te crois, un peu... Merci de clarifier mon cas et celui de France Royer, ma patiente. Mademoiselle Royer, je dois vous préciser, malgré nos huit ans de différence, que je ne vous aimais jamais, je voyais en vous une réminiscence de mon enfance et de cette amie d'enfance. Rien de plus, rien d'amoureux. Dit autrement, vos espoirs que je nourrisse un amour pour vous sont vains. Voyez-vous une Lumière accueillante ?

— Oui, je la discerne au loin.

— Allez-y, sans regret ou remords, cette Lumière est le lieu du repos éternel des âmes. Bon voyage Mademoiselle ! Partez sans crainte comparaître devant le Juge suprême. Au revoir !

— Au revoir, Élie James, mais sachez que vous serez toujours cher à mon cœur.

— Et ta patiente est partie dans la Lumière, visage ô combien rasséréné et doux, lui commente Zoé à sa droite.

— Merci, ma chère Zoé... Mais peux-tu m'expliquer quel est le rôle du gardien du Livre ?

N'entendant aucune réponse, le professeur pense que la défunte professeur qu'il aime toujours est partie. Il soupire, regrettant leur séparation vers la fin de leurs études, et sort la carte professionnelle que l'antiquaire extraordinaire lui a remis quelques jours plus tôt, bien décidé à discuter un peu avec cette femme, pour se sentir moins seul avec son nouveau don, et, pour lui demander des détails sur les apparences ou les expressions des esprits qu'il entend... Il n'arrive pas à décrire son angoisse, malgré sa compréhension très intellectuelle et théorique de son don, malgré ses tentatives pour se rassurer, lorsqu'il capte les voix des défunts. Mais, surtout, il veut l'avertir d'un danger qui plane sur sa famille.


Il arrive à la boutique de la jeune femme, remarquant diverses antiquités bien ordonnées et attrayantes. Il sourit en observant les divers vases, meubles et fontaines. Il se dirige vers le comptoir, derrière lequel se tient Mélinda.

— Je voudrais savoir si vous êtes disponible pour une petite discussion en privé... lui demande-t-il poliment. À propos d'un événement récent...

— Oui, il n'y a aucune contrainte de mon côté. Professeur Élie James, attendez-moi dans le parc près de ma boutique, j'arrive dans quelques minutes.

— Merci beaucoup... Et prenez le temps nécessaire pour vous occuper de votre boutique, je n'ai aucune obligation pour la journée. Rien ne presse pour moi, je suis encore en congé de maladie toute la semaine.

— Excellent ! À plus tard.

Et l'entendeur d'esprits attend Mélinda comme prévu. Aussitôt dit aussitôt fait, celle-ci lui demande :

— Pour quelle raison venez-vous à moi ?

— Pour que vous me clarifiez certains cas d'esprits... Je les entends et j'ai convaincu mon ancienne patiente de partir dans la Lumière, une fois que j'ai compris ce qui lui pesait sur l'âme... Je saisis mon don... Mais j'en ai néanmoins peur...

— Il est certain qu'en captant leur voix, accents et tonalité, sans les voir, cela doit être angoissant, mais faites-vous confiance !

— Oui, je le sais bien.... Mais, ma raison de ma visite est tout autre, parce que je sais que je pourrai vous aider...

Très étonnée, yeux encore plus grands, bouche entr'ouverte, Mélinda ne peut cacher son expression pendant quelques secondes. Expression qui n'échappe pas au psychologue.

— Lors de ma période de convalescence, j'ai rêvé d'un Livre où j'ai lu votre nom et celui de votre mari... J'ai eu une vision de certains funestes événements...

La tonalité du psychologue devient plus sombre, angoissée. Mélinda l'observe avec une lueur de peur dans ses grands yeux marron, ses doigts jouant nerveusement avec le bord de son manteau.

— ... Je comprends, partiellement, ce que m'a dit mon ancienne petite-amie, Zoé. Dans ce Livre, j'ai lu vos dates de décès, mais une voix m'a informé que ces jours-ci ne sont pas fixes, déterminés par le Destin inflexible... Mais par une volonté humaine qui a commerce avec les démons...

L'antiquaire est devenue blanche comme linge, son visage s'assombrit, les yeux écarquillés de frayeur et d'inquiétude, ses mains tremblent, tenant convulsivement le bord du banc pour calmer sa nervosité. Ouvrant la bouche pour interroger Élie, aucun son ne sort, hormis un cri primaire de peur.

— Et, continue Élie, une fois la première réaction passée, vous pouvez éviter ces malheureux événements en comprenant à temps les responsables et en s'éloignant de certains endroits...

— Pouvez-vous me préciser votre pensée ? ... De quel événement parlez-vous ? De quel endroit est-il mieux de s'éloigner ? l'interroge-t-elle précipitamment d'une voix brisée.

— Un endroit sombre dans une petite pièce en bois au clair de lune... un chalet, un hangar ou une cabane de jardin... où un homme armé guette votre mari... J'ignore l'existence de cet endroit... Je ne me souviens pas de visiter un tel lieu... Mais soyez prudente ! Très prudente ! ... Aussi, une clairière où trône un étrange objet, une œuvre d'art, je pense, représente un danger pour vous... Des ennemis vous guettent, autant parmi les vivants que les défunts... Malheureusement, j'ignore la localisation exacte de cet endroit... Que ce soit à Grandeville, à Reims ou n'importe où dans notre joli pays ou à l'étranger, soyez prudente ! Vous avez plus d'opposants que vous ne le pensez.

— Merci, j'en tiendrais compte, lui répond-elle d'une voix blanche.

Élie se lève, remercie la jeune femme d'accepter sa visite et revient chez lui, laissant Mélinda abasourdie et très angoissée pour la vie de son mari et la sienne propre.



Le surlendemain, alors que Jim est au travail, Mélinda décide de continuer son enquête sur le mystérieux asile. Pour ce faire, elle se rend à la bibliothèque de la ville. Fouillant parmi les livres historiques depuis deux heures, elle ne trouve rien qui soit digne d'intérêt. Soudain, une voix masculine se manifeste à sa droite.

— Savez-vous qu'il existe un passage dans cette bibliothèque ? l'interroge poliment Serge le bibliothécaire.

— Non, un passage qui débouche vers quel lieu ? lui demande la petite brunette, très intriguée et curieuse.

— Un passage vers la ville souterraine et l'asile... Derrière la porte au cadenas... Et là-bas se cache une partie des archives de l'asile, et, très certainement, les dossiers qui vous intéressent.

— Merci beaucoup, Serge ! Je l'ignorais !

Et elle se dirige vers la porte, perplexe du code du cadenas.

— Le code est 1999, lui répond l'esprit errant.

— Comment le saviez-vous ? l'interroge-t-elle, méfiante.

— Je le sais, tout simplement. J'ai eu le temps d'essayer les diverses combinaisons depuis que je suis défunt en possédant des vivants, ment-il habilement.

— Merci de l'information.

Ouvrant la mystérieuse porte, armée d'une lampe de poche, elle entre dans la ville souterraine. Dès qu'elle s'est éloignée suffisamment pour ne pas entendre le moindre bruit de la bibliothèque, Serge possède son collègue pour qu'il ferme le passage secret, emprisonnant la chuchoteuse d'esprits dans le sinistre endroit. L'esprit errant se rend à la maison à Villesûre de Gabriel et l'informe :

— Mélinda Gordon est prisonnière de la ville souterraine depuis peu.

Étonné, Gabriel sourit et murmure pour lui-même :

— Excellent, tout fonctionne comme prévu ! Merci beaucoup Serge ! Voulez-vous rester dans ma maison, tellement agréable avec une joyeuse et nombreuse compagnie ?

L'interpellé ne refuse pas l'invitation.


La chuchoteuse d'esprits, dans les rues de la ville souterraine, essaie de retrouver l'emplacement de l'asile. Sur son chemin, divers esprits errants la fixent silencieusement, d'autres lui murmurent leurs dernières volontés ou des inepties. L'antiquaire les ignore pour arriver sans encombre à sa destination. Là-bas, elle est accueillie par Oscar et Ginette, ne remarquant pas, derrière son dos, Romano et Charlie Luc Wogel, sourires machiavéliques aux lèvres, regard brillant de joie, certains de leur victoire. Ceux-ci s'évaporent quelques minutes plus tard, non pas sans lancer un regard autoritaire aux aliénés, les effrayant. Le sous-sol de l'asile est sinistre avec ses murs délabrés et détruits par endroits, ses graffitis incohérents, ses lits délaissés et des esprits errants en camisole de force qui errent, regard éteint, dans les couloirs. Des morts-vivants, pense Mélinda, alors qu'un frisson parcourt son échine à la scène lugubre.

— Esprits, les interpelle la femme hors de l'ordinaire, une fois qu'elle prend une grande inspiration, pourquoi ne partez-vous pas dans la Lumière ? Pourquoi errez-vous parmi les vivants ?

Se tournant vers Ginette et Oscar.

— Et vous, quittez enfin le monde des vivants ! Il ne sert à rien de demeurer dans le temps... Vous êtes libres maintenant ! Pourquoi vous enfermez-vous à votre époque ?

— J'ai, commente Oscar d'une voix tremblante, peur... Venez dans la salle à votre droite... Et vous comprendrez tout... Tout sera évident...

— Attendez, Oscar Parmentier, ... crie-t-elle.

Mais en vain, l'aliéné est parti dans la pièce. Ginette ne souffle mot, les yeux agrandis de peur.

— Ginette Canacq, pouvez-vous m'aider ?

Détournant son regard, l'interpellée murmure :

— Je ne sais pas... Je crains pour la sécurité des enfants... Je ne veux pas échouer une seconde fois... J'ai peur de revivre mes traumatismes et tortures... Les pauvres enfants... Je ne peux me pardonner ma faiblesse... Je suis indigne de partir dans cette Lumière... Un poids trop lourd pèse sur mon âme...

L'esprit errant s'en va, laissant Mélinda très perplexe et avec un mal de tête de tous les murmures des esprits.

— Pourquoi vous ne m'aidez pas ? chuchote une voix féminine éteinte dans la foule des esprits.

— Voulez-vous dire à mon épouse, ma chère Judith, que je regrette de ne pas l'avoir écouté ? supplie une voix masculine grave.

— Pourquoi suis-je ici ? Aidez-moi ! ordonne une voix fluette.

— Est-ce que mon médecin est mort ? interroge une voix masculine nasillarde.

— Taisez-vous ! éructe-t-elle aux esprits attroupés devant elle, se massant les tempes.

Elle se rend dans la première salle à sa droite, où elle est attendue par Oscar Parmentier. Une petite cellule délabrée, dans laquelle un lit de fer trône au milieu, un siège en bois et une table sont en retrait, contre le mur. Mur, rempli à hauteur d'homme de phrases et de mots incohérents et étranges, est en très mauvais état.


Alors qu'elle s'approche du mur pour lire les inscriptions, Mélinda constate que plusieurs esprits errants, des aliénés pour la plupart, l'entourent dangereusement, tournant autour d'elle, comme des rapaces autour d'une proie. Elle revient sur ses pas et sort de la cellule, rentrant dans la voisine. Là-bas, cinq esprits errants en camisole de force la pressent de les écouter et de les aider avec leurs demandes :

— Jeune femme, voulez-vous nous aider ? l'interroge un homme de cinquante ans.

Cet esprit errant aux yeux bleu glacial, vêtu d'un complet rayé bleu et blanc trop large pour lui n'inspire nullement confiance à la femme extraordinaire.

— Je veux que le médecin qui s'est occupé de mon cas soit mort ! Quelle atrocité ai-je vécu ! s'exclame un autre.

— Vous devez savoir nos traitements, murmure une autre aliénée aux grands yeux, agitant son unique main valide vers elle.

— Venez dans la salle A25, toutes vos réponses y seront ! s'exclame une femme aux cheveux roux, aux yeux vert émeraude brillant d'une lueur étrange, aux longs bras décharnés, flottant dans son immense camisole de force, au pied bot.

— Non, la salle N19, hurle un homme aveugle et rachitique de trente ans à la voix grave. Il est effrayant à voir avec des traces d'opération sur le corps.

Mélinda a mal à la tête. Toutes les paroles des défunts commencent à lui donner une migraine et un malaise physique, une envie de vomir... Et surtout, elle commence à douter de leur état, sont-ils défunts ou vivants ? Par moments, elle sait qu'ils sont des âmes errantes, sans aucune attache au corps, et, à d'autres, elle pense qu'ils sont bien vivants, en chair et en os, en corps et en âme... Une angoisse sans nom s'empare de ses sens.

— Taisez-vous, esprits errants, âmes perdues ! leur hurle-t-elle, fermant les yeux et bloquant ses oreilles avec ses mains... Un à la fois !

— Nous sommes toujours vivants, s'offusque l'aveugle, s'approchant d'elle, la traversant, lui coupant momentanément le souffle.

Les autres esprits se rapprochent d'elle, cherchant à l'étouffer. L'antiquaire hors de l'ordinaire, ouvrant ses grands yeux dans lesquels se lit une terreur innommable, sort précipitamment de la cellule, alors que le lit, poussé par les esprits, se dirige vers elle, dans le but de l'écraser ou de la blesser, au moins. Elle court, essayant de trouver une sortie de l'asile, mais tous les esprits lui obstruent la vue et lui fournissent des informations contradictoires sur la direction à prendre. Elle se perd ainsi dans les méandres de l'asile, puisque toutes les salles sont semblables, blanches et en mauvais état, sans aucun indice pour s'orienter. Course ponctuée de visions des traitements des aliénés. Visions qui la laissent encore plus fatiguée et terrifiée qu'auparavant, à bout de force.


Soudainement, Ginette Canacq, en retrait de ses semblables, réalisant le plan machiavélique dans lequel les esprits, Oscar et elle-même participent, se déplace en un clin d'œil jusqu'à Rebecca Char, mine très inquiète et coupable.

— Mademoiselle... affirme dans un souffle l'esprit. La jeune femme est en danger...

Seule dans le salon du personnel, Rebecca, lui lance un regard interrogateur et lui demande poliment :

— Pensez-vous à Mélinda Gordon ?

Elle approuve d'un geste de la tête, coupable, et rejoint l'antiquaire en un clin d'œil. Rebecca, angoissée, les yeux agrandis de peur, les mains moites, le cœur battant à un rythme accéléré, ne sait que faire.




À suivre

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