Réinterprétation et autres histoires
Chapitre 21 : Deuxième partie, Âmes mortes et Âmes vivantes
7375 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 17/09/2025 13:28
21. Âmes mortes et Âmes vivantes
Février 2006, à la maison des Clancy.
Mélinda est dans la cuisine, préparant le petit-déjeuner pour la famille. En servant le café pour Jim et elle, la médium constate que la fenêtre comporte des traces de givre. Elle s’approche, intriguée. Un courant d’air froid la traverse, s’insinuant dans sa peau jusque dans ses os. Ce qui la force à souffler sur ses doigts engourdis. Charlie Luc Wogel apparaît dans le cadre de porte, dos à la vivante, sourire narquois, et disparaît en se dissolvant dans les airs avant que la jeune mère ne le remarque, ravi de son idée.
Jim, Alexis et Thomas arrivent dans la cuisine. Le mari de la médium commente :
— Mél, j’ai l’impression qu’il fait plus froid dans la cuisine que dans le salon !
Les garçons approuvent.
— Papa, précise Alexis, les Ombres sont là ! Elles sont responsables !
Le garçon prend sa cuillère et renvoie les reflets de la lumière solaire qui filtre depuis les stores redressés partout dans la salle, aveuglant les Ombres. Ces dernières, des sombres entités visibles uniquement aux enfants, prennent la fuite. L’attitude enfantine de son fils fait bouillir le sang de Mélinda dans ses veines et s’emporte, portant sa main à son front :
— Alex ! Veux-tu arrêter ton jeu et manger ! Va, dépêche-toi ! J’ai les commissions à faire, la boutique à gérer et tout et tout ! …
Elle remarque dans le coin de son champ de vision une forme fantomatique féminine.
— … Et un esprit errant à aider ! Ma vie est suffisamment occupée pour que je n’ai pas le temps avec tes enfantillages !
Jim sursaute à la voix de sa femme. Cette dernière boit son café en silence et se rend dans sa chambre. Son mari vide lentement sa tasse de café sans sourciller devant le comportement de Mélinda, bien qu’une lueur s’allume dans ses yeux clairs et que sa main droite se crispe sur sa tasse. Dès qu’elle quitte la pièce, ses muscles se détendent et son souffle reprend son rythme habituel.
Alexis, traits affaissés, suit sa mère du regard sans dire un seul mot avant de baisser la tête, moue qui s'esquisse sur son visage.
« Maman est trop influencée par les Ombres ! Charlène, mon amie, tu peux les chasser avec tes amis… C’est la solution ! Mais comment convaincre Charlène ? » songe le gamin.
— Alex, lui chuchote chaleureusement Jim en esquissant un petit sourire, sortant son fils de ses pensées. Ne sois pas triste pour maman ! Elle est fatiguée ces derniers temps, les esprits errants, toi et ton frère, les tâches domestiques, la boutique et moi, pas facile à gérer !
Il passe ses bras puissants autour des épaules de son fils, le forçant à relever la tête.
— Elle est un peu dépassée, mais tout reviendra bientôt à la normale ! Sois sans crainte ! C’est passager !
Le gamin secoue négativement la tête et commente :
— Les Ombres, papa !
La mine de Jim s’assombrit et ses bras et jambes tressaillent malgré lui.
— Écoute, Alex, je te crois, mais essaie de ne pas trop irriter maman. D’accord ? Ça passera certainement !
Alexis approuve silencieusement et termine son petit-déjeuner.
La médium revient dans le cadre de porte et crie :
— Alex et Tom, venez ! … Et Alex, tu le sais que je ne veux pas que tu te sentes coupable… Tu n’es pas fautif… Je suis fatiguée ces derniers temps…
Les deux garçons se lèvent de leur siège immédiatement et s'approchent de leur mère. Jim la rejoint également, lui déposant un baiser discret sur les joues avant de lui murmurer à l’oreille :
— Mél, si tu veux je peux surveiller nos fils lorsque tu iras faire les commissions, qu’en penses-tu ? Je vois bien que tu es épuisée.
L’interpellée souffle, esquisse un sourire forcé et murmure :
— Quelle bonne idée !
Mélinda lâche les mains des garçons pour leur dire de rester avec leur père, paroles qu’elle accompagne d’un geste. Elle ferme brusquement la porte.
À l’instant où la porte de la demeure des Clancy est refermée, ailleurs, dans la maison aux esprits de Gabriel.
Le fils naturel de Thomas Gordon observe les défunts réunis au salon. Ceux-ci suivent un entraînement militaire strict sous le regard attentif d’un ancien général que le passeur d’âmes a convaincu à la fin du mois passé de s’installer dans sa demeure et d’entraîner les troupes. Soudain le médecin collaborateur se matérialise sous ses yeux, près de la fenêtre.
— L’aliéné ! J’ai trouvé une faille assez intéressante et inattendue à exploiter chez votre demi-sœur.
— Laquelle ?
— Ses enfants, son instinct maternel pour leur sécurité !
Une lueur de joie scintille dans le regard du défunt et du vivant.
— Effectivement une piste digne d’intérêt ! s’exclame le chuchoteur d’esprits. Mais en quoi ce peut être un atout pour notre victoire définitive et prochaine ?
— Elle se soucie du bien-être de ses fils. Si nous nous en prenons à ceux qui lui sont le plus chers, sans nécessairement passer à l’action, elle deviendra manipulable et contrôlable ! Elle pourrait abandonner sa mission pour la sécurité de ses fils.
Gabriel se gratte le menton de sa main droite et chuchote :
— Oui, vous avez raison.
— Entraînez les troupes ! Je me prépare de mon côté. À bientôt !
Et le défunt se dissipe dans une fumée de noirceur.
« C’est très intéressant tout cela », pense Gabriel. « Surtout si Mélinda Gordon abandonne son projet d’aider les âmes errantes à quitter le monde des vivants par souci de la sécurité de ses fils ! Si elle demeure ainsi sage dans son coin, il y aura plus de fantômes que de vivants ! La mort écrasera la vie ! Mon rêve enfin réalisé ! »
***
Quelques heures plus tard, au marché de Grandeville.
Mélinda traverse les allées avant d’arriver devant un étalage, remarquant une activité inhabituelle. En passant près d’une boutique sur la rue principale, elle note la présence de traces de glace et de stalactites sur une vitre. En se retournant, la médium aperçoit la même forme fantomatique que celle entrevue à la maison. Elle la détaille, lueur de curiosité dans le regard : une jeune femme de trente ans vêtue d’une jupe arrivant jusqu’aux genoux et d’une chemise bleue. Ses traits délicats sont ornés de morceaux de glace. Sous le regard insistant de la jeune mère, l’esprit errant demande :
— Me voyez-vous ?
Mélinda approuve d’un signe imperceptible de la tête.
— Il fait froid ! continue le fantôme.
— Je… articule la médium, ressentant ses poils des bras se redressant sur sa peau bien qu’elle soit vêtue adéquatement pour la saison.
La défunte se déplace en un clin d’œil derrière le dos de la médium. Cette dernière se retourne et, grelottante, affirme :
— Je peux… vous aider…
L’esprit errant murmure :
— Il fait froid, très froid !
La défunte se déplace sur le trottoir, un peu à distance du magasin.
— Oui, il fait froid, répète la médium avec un sourire forcé. Mais je peux vous aider.
La jeune femme s’approche du fantôme, laissant des clients sortir du magasin.
— Comment ?
— Je suis Mélinda Gordon et j’ai un don, celui de communiquer, affirme-t-elle à voix basse… avec vous et vos semblables.
— Mais personne ne me veut !
— Qui êtes-vous ?
La défunte baisse son regard sur ses souliers impeccablement cirés.
— Je suis Agathe Faure.
— Et…
Le fantôme quitte définitivement l’endroit. La médium lève ses bras dans les airs et les laissent retomber mollement à ses côtés. Elle laisse s’échapper de ses lèvres un soupir et ajuste ses sacs d’épicerie sur les épaules. Mélinda termine ses commissions.
***
La jeune femme revient chez elle avec les achats. Une fois tout rangé à sa place, elle s’installe derrière l’ordinateur qui dort sagement sur une table au salon. Mélinda commence à chercher des informations sur le mystérieux esprit errant. Par contre, elle trouve beaucoup plus de résultats qu’attendus. Elle soupire :
— Jim, je vais abandonner toutes mes recherches !
Elle fait un geste de la main vers l’écran.
— Impossible de trouver quelque chose dans tout cela ! L’uniforme de la défunte ressemble à celui des hôtesses de l’air…
Elle dactylographie la précision dans le moteur de recherche.
— … Mais même encore là, trop de résultats !
Son mari se penche au-dessus d’elle et lit rapidement la page.
— La patience est une vertu, Mél, lui conseille-t-il en souriant chaleureusement. Ne doute jamais de tes capacités ! Impossible n’est pas Français ! D’ailleurs, demande-la ce qui la retient et tout sera réglé, non ?
Elle éteint l’ordinateur et fixe le vide pendant quelques minutes avant de murmurer :
— Mais j’ai une vague oppression dans mon cœur, j’ai l’impression que tout cela me dépasse !
Son interlocuteur tire une chaise pour être à ses côtés, lui tenant sa main droite entre ses mains fortes.
— … Je ne sais pas trop comment te l’expliquer…
Elle libère sa main de son étreinte pour la porter à son front.
— Je suis fatiguée de tous ces défunts… Je n’en peux plus ! …
En tournant la tête vers la fenêtre, elle remarque Charlie Luc Wogel, sourire narquois. Le fantôme tient une montre ancienne dans sa main droite qu’il lui présente. L’épouse de Jim le fixe et, aussi blanche qu’un drap, affirme :
— Le défunt collaborateur… me menace…
Des larmes perlent ses yeux sombres.
— … Rien qui vaille !
— Quoi ? s’offusque Jim en dardant le vide dans la même direction que son épouse. Ses yeux lancent des éclairs et ses mains se transforment en poings.
— Une montre… Le temps… bredouille-t-elle. Mon temps est compté !
Lueur d’inquiétude, la médium balaye frénétiquement du regard son environnement avant de se lever du siège pour s’écraser sur le canapé.
Devant elle se matérialise le médecin défunt. Il éclate de rire. Un rire qui glace le sang dans les veines de Mélinda. Un souffle glacé s’insinue dans ses vêtements, remontant jusqu’à sa colonne vertébrale, tel un serpent qui étouffe sa proie. Sa respiration se fait plus lourde.
— C’est l’heure pour Alexis ! lui chuchote-t-il.
— Non ! Non ! hurle Mélinda en levant ses mains transformées en poing malgré le tremblement qui l’a pris et en se relevant, faisant face à son interlocuteur fantomatique.
Le cri aigu d’une mère, comme un fauve blessé qui continue de défendre sa progéniture du chasseur, sort de sa gorge. Jim ne dit rien, mais suit ce qui se passe, lueur d’inquiétude dans son regard.
— Non ! Jamais ! Jamais ! répète la médium.
Le sinistre défunt se dissipe dans une fumée noire. Elle se rassoit et frappe d’impuissance ses mains sur le canapé. Jim attend que son épouse se calme pour lui demander :
— Ce médecin menace qui ? Toi ou nos fils ?
— Alex, chuchote-t-elle. Et l’heure qu’il m’a montrée, c’est midi moins cinq ou minuit moins cinq… C’est ambigu…
L’ambulancier cligne des yeux, incertain de bien comprendre l'avertissement sous-jacent.
— Mél, j’ignore si sa menace est sérieuse ou non… Il ne faut pas oublier qu’il est manipulateur…
— Oui et ? Qu’est-ce cela change ! Il ose s’en prendre à Alex !
Un lourd silence plane entre le couple.
— Je veux protéger nos enfants ! continue-t-elle. Qu’ils aient une tranquillité d’esprit qu’il convient à leur âge… Je ne veux pas qu’ils soient mêlés aux cas des esprits errants que j’aide ! Et encore moins la cible d’attaque de défunts maléfiques ! Qu’ont fait nos anges pour être ainsi sujet à un tel acharnement du monde invisible ?
— Mél, le meilleur est de réfléchir à tout cela et de tirer des conclusions plus tard. Maintenant, nous sommes trop influencés par des centaines de facteurs inexplicables et, je l’espère, erronés. Fais une chose à la fois Mél et tout reviendra dans l’ordre !
Il enlace son épouse qui tremble de froid.
Des bruits feutrés de pas parviennent jusqu’à eux. Le couple tourne la tête vers la direction du son pour constater leur fils Alexis près de l’escalier.
— Papa et maman, une méchante femme est venue. Elle veut m’étouffer… Je l’ai chassé avec mon ami Lumineux ! Elle est méchante ! Vraiment méchante !
— De qui parles-tu, Alex ? l’interroge Mélinda.
— Une femme en uniforme bleu.
Jim lâche son épouse pour s’agenouiller et soulever Alexis entre ses bras pour l’asseoir à côté de Mélinda.
— Est-elle partie ? lui demande son père.
— Oui ! s’exclame le garçon.
— Est-elle un esprit errant ? ajoute sa mère, traits inexpressifs.
Il approuve d’un signe de tête avant de préciser :
— Mais elle est entourée des Ombres !
— Va jouer Alex avec ta grand-mère ! lui ordonne-t-elle. Je vais bientôt revenir !
— Fais attention, maman !
Jim lance un regard compatissant à son fils et accompagne son épouse jusqu’à la porte.
***
Quelques minutes plus tard, à l’extérieur.
En passant dans le parc qui juxtapose sa boutique, la médium, toujours au côté de son mari s’arrête et affirme tête tournée vers sa droite :
— Jim, je pense que tu as du travail !
Intrigué, l'interpellé observe la même direction, plissant des yeux. Le banc est vide.
— Qu’est-ce qu’il y a ? Un esprit errant ?
— Non ! Un vivant, là-bas !
— Je ne vois rien pourtant !
Elle avance avec détermination vers un banc pour s’arrêter devant un homme qui est debout. Son mari la suit, puis commente :
— Mél, c’est un fantôme, il n’y a personne ! Vide !
L’interpellée s’arrête dans sa marche, figée, lorsque l’homme disparaît sous ses yeux. Elle soupire et murmure :
— Tu as… raison… Celui que je prenais pour un vivant… n’en était pas un…
Elle resserre son manteau contre elle, un frisson parcourt son échine.
— Mais qu’est-ce qu’il m’arrive ? murmure-t-elle pour elle-même.
Elle se retourne pour constater que le défunt est à côté de Jim. Elle le détaille : un homme de quarante ans avec un uniforme composé de chemise blanche et de pantalon bleu marine. Des traces de givre ornent sa barbe et son visage. La médium lui demande :
— Je peux vous aider à quitter le monde des vivants.
Les yeux sombres du fantôme s’agrandissent. Il bredouille :
— Vous… me voyez ?
— Oui… C’est un don … que peu ont… Je suis Mélinda Gordon.
— Je suis Kevin Navarre !
— Que voulez-vous que je fasse pour que vous quittiez le monde des vivants ?
— Pouvez-vous convaincre les 225 victimes du crash d’avion qui errent encore sur le site de ne plus être fâchées envers moi ? Elles me considèrent fautif de la chute ! Comment leur expliquer ?
— Pouvez-vous me donner plus de détails ?
— Oui.
L’esprit errant a une mine pensive avant de répondre.
— J’étais à bord du Airbus A340 lorsque je remarque une dépression de l’air soudaine. J’ai contacté le centre de contrôle, mais aucune directive. J’ai fait ce que j’ai pu, en vain. Déjà dans les airs, nous étions tous morts ! L’avion s’est écrasé non loin de votre ville, à quelques kilomètres dans un champ.
Mélinda sort un petit calepin pour noter l’avion et le nom du pilote et retient ses larmes avec difficulté, émue d’entendre une telle fin. Son écriture, habituelle claire et lisible, devient incompréhensible par le mouvement brusque de sa main. Elle lui demande :
— Est-ce que Agathe Faure serait une hôtesse de l’air dans le même avion que vous, par hasard ?
Une lueur de tristesse traverse le regard du pilote avant d’approuver d’un signe affirmatif.
— Oui, malheureusement ! Elle est une amie d’enfance.
Le pilote s’élève dans les airs, disparaissant définitivement du parc.
Mélinda demeure silencieuse pendant plusieurs minutes avant de rapporter à son mari la conversation. Jim commente :
— Cet accident d’avion a été le mois passé, si je me rappelle bien ! J’y suis allé sur place avec toute l’équipe pour dégager les corps ! Quelle tragédie ! Et les défunts hantent en plus l’endroit, c’est bien malheureux !
Mélinda porte sa main au front et s’exclame :
— Tu as raison ! Comment je n’y ai pas pensé ? Comment je n’ai pas fait le rapport évident ? Alors on sait où aller !
— Pas maintenant ? s’enquiert-il en l’observant attentivement, figé.
— Non, demain ! Il faut aider ces esprits errants désorientés. Mais je suis trop fatiguée pour aujourd’hui, regrette-t-elle.
— Je viens avec toi !
Le couple rentre dans la boutique.
Mélinda salue son associée qui est derrière le comptoir et se rend avec son mari dans l’entrepôt pour déplacer plusieurs meubles. En soulevant une lourde armoire dans le style de la Restauration, une voix caverneuse apostrophe la médium derrière son dos.
— Jeune femme, Mélinda Gordon !
L’interpellée fait un signe de déposer le meuble et se retourne sous le regard étonné de Jim. Elle tombe nez-à-nez avec Charlie Luc Wogel et Romano. Elle devient blême et son corps est pris d’une agitation incontrôlable.
— Je vous conseillerais de faire attention à votre chère progéniture, lui affirme d’un ton glacial le médecin collaborateur.
L’esprit errant de noir vêtu agite son chapeau et s’approche de Mélinda. Jim se rapproche de son épouse, soucieux de sa sécurité. Romano murmure à la passeuse d’âmes :
— Si vous souhaitez délivrer ces 225 défunts, il y a un prix : votre fils Alexis !
Elle frémit et crie d’une voix suraiguë, mère blessée en son âme :
— Non ! Non !
Elle serre ses mains en poing, geste ultime de désespoir. Son mari l’observe avec inquiétude, traits crispés, mais silencieux, conscient qu’elle est en conversation avec un fantôme.
— Ne touchez pas à Alex ! Il n’en est pas question !
— C’est ce que nous verrons !
Romano se déplace au sommet des escaliers et disparaît. Le médecin collaborateur lui ordonne :
— Venez ! Observez depuis la fenêtre de votre boutique ! Vous comprendrez tout le sérieux de votre situation !
La jeune mère, sourcils relevés et traits tirés, sort de l’entrepôt pour regarder par la fenêtre de la boutique, suivie de son mari confus et perplexe, mais bien déterminé à protéger son épouse ou à la retenir d’une mauvaise chute.
« Peu importe ce que ces démons veulent m’envoyer comme message, je dois demeurer forte, pour Alex et Tom ! Personne ne peut lever la main sur mes anges ! » pense Mélinda en boutonnant son manteau. Sa respiration lui semble plus difficile que d’habitude, mais elle ne laisse rien paraître.
Elle sursaute et recule de quelques pas lorsque, sous ses yeux, Alexis court pour traverser la rue. Une voiture rouge surgit et le frappe. Du choc, le garçon s’effondre, inanimé ; l’automobile poursuit sa route, indifférente.
— Non ! Non ! se tord de douleur la médium, déversant toutes les larmes de son corps. Elle est soutenue par son mari qui l’empêche de sortir. La médium détourne son attention de la fenêtre et s’écrase sur un siège, immobile, guidée par Jim. Delphine accourt depuis le comptoir et demeure silencieuse, perplexe de la réaction disproportionnée de la propriétaire. Elle se penche à droite et à gauche et plisse des yeux pour discerner ce qui se passe à l’extérieur, mais ne comprend guère. L’associée fronce des sourcils.
« Mais qu’est-ce qui vient d’arriver à Mélinda Gordon ? Son comportement est bien étrange », pense Delphine.
— C’est ainsi que vous donnerez votre fils, si vous désirez aider ces défunts ! commente la voix sépulcrale de Romano apparut devant l’antiquaire. Prenez au sérieux l’avertissement !
Il disparaît dans une fumée noire, laissant l’antiquaire muette et mouillée malgré la morsure d’un vent glacial sur sa peau.
Après un silence qui semble éternel, Jim prend la parole :
— Mél, qu’as-tu vu pour que tu sois ainsi terrifiée ?
L’interpellée inspire et expire plusieurs fois l’air avant de demander, haletante :
— La réalité ou une vision ?
— Une vision, parce que je n’ai rien remarqué d’effrayant par la fenêtre.
La jeune femme ferme les yeux et s’accroche fermement aux bras de son mari.
— Je… J’ai… J’ai peur ! ... Pour Alex !
— Calme-toi… Respire et expire, un, deux, trois. Un, deux, trois et un, deux, trois.
Elle obtempère, ce qui calme quelque peu son rythme cardiaque accéléré.
— Qu’as-tu vu de si horrible ?
— Que se passe-t-il pour une telle agitation ? demande l’associée près de la porte, une main en visière pour mieux observer l’extérieur et l’autre main sur la hanche, intriguée.
— Rien qui ne vous concerne, réplique sèchement le mari de la médium en se retournant pour lui faire face. Delphine revient derrière le comptoir.
Mélinda explique à Jim la vision menaçante que lui a présenté son ennemi du monde des esprits. Une lueur d’angoisse traverse les yeux clairs de l’ambulancier.
— Mél, c’est très inquiétant ! J’ose espérer que ce n’est qu’un avertissement sans possibilité d’exécution !
— Oublie pas le dessin d’Alex ! L’arbre sanglant présent sur le dessin !
L’imposant homme vacille en reculant.
— Je n’y avais pas pensé ! Mais là, il faut faire quelque chose ! Je ne peux tolérer qu’un défunt menace notre famille ainsi !
— Que faire ?
— Nous verrons demain !
Et le couple retourne à leur domicile où Mélinda recherche plus d’informations sur l'écrasement du Airbus A340.
***
Quelques heures plus tard, chez Gabriel.
Le passeur d’âmes rentre du travail, exténué par sa journée. Il salue brièvement le général de ses troupes et prépare son repas. Lorsqu’il met au four son quiche lorraine, une voix familière derrière son dos déclare :
— Monsieur Lawrence, vous devez être prêt pour demain !
L’interpellé se retourne et un sourire s’esquisse sur son austère visage lorsqu’il croise le regard de Charlie Luc Wogel.
— De nouvelles recrues ?
Gabriel devient tout oreille.
— Exactement, lui répondit le médecin collaborateur. Vous ne serez pas seul ! …
Le médecin lève sa main droite au plafond et le sermonne :
— Il faut agir avant que votre demi-sœur fasse son joli discours. Cette fois-ci, impossible que nous perdions la bataille comme la dernière fois ! Il ne faut pas rater ce moment !
Et le défunt quitte la salle en s’estompant graduellement.
— Très bien, affirme Gabriel à voix haute en portant sa main à sa hanche en observant le salon, visible depuis la cuisine. Je ne rate pas l’occasion ! Plus il y a de défunts dans mes rangs, plus Mélinda Gordon est faible ! Plus je me rapproche de la réalisation de mes désirs les plus secrets !
Il se frotte les mains avec jubilation. Il part se servir un verre d’alcool pour trinquer sa future victoire, sans se soucier des morts qui l’entourent.
***
Le lendemain matin, à la maison de Jim et Mélinda.
La jeune femme se réveille de mauvaise humeur, sa nuit n’a été qu’une longue suite de cauchemars. Après le petit-déjeuner, Mélinda demande à son mari :
— Jim, on y va ou non ? J’ai tellement peur pour Alex, mais mon cœur saigne à constater des esprits errants qui sont encore sur Terre, alors que je peux les aider ! C’est déchirant !
Elle sanglote. Ses épaules frémissent.
— Je ne sais que faire !
L’ambulancier l’enlace tendrement et lui murmure à l’oreille :
— Mél, tu n’as rien à craindre ! Prends la meilleure décision. Je t’approuve ! Suis ton cœur !
Elle soupire.
— Que dit le Livre ? Peux-tu le consulter ?
Le regard de Jim balaie la pièce et détache ses mains de son épouse. Ses doigts jouent nerveusement avec le pan de sa chemise, la froissant.
« Et si à le consulter sur cette question, je provoque un arrêt du Destin pour nos fils ? » pense-t-il. « Ce serait cruel ! »
— Mél, je doute que ce soit une bonne idée de déranger le Livre pour un événement potentiel… Surtout que je crains…
Il baisse le ton de sa voix, jusqu’à devenir un murmure, et fixe son épouse dans les yeux, une lueur de douleur qu’il ne cherche pas à dissimuler.
— … Je crains de sceller le destin d’Alex par la curiosité…
Les yeux agrandis, elle balbutie :
— Effectivement à craindre ! … Alors on y va sur place !
Et le couple se prépare pour arriver dans le champ, lieu de l’écrasement de l’avion, Jim n’oublie pas d’amener le Livre des Changements, certain qu’il pourrait lui être nécessaire.
***
Quelque part dans un champ en périphérie de Grandeville.
Jim et Mélinda arrivent sur place. L’endroit est dégagé et semble libre de présence humaine, rien ne laisse penser qu’une tragédie a eu lieu. Seuls des esprits errants se promènent sans but, désorientés, de long en large l’attestent. La médium ressent un frisson en notant les morceaux de glace sur les vêtements et les visages des défunts. Kevin arrive devant elle et la supplie du regard de l’aider. Jim fronce des sourcils en remarquant qu’une autre silhouette se dessine au loin : Gabriel Lawrence.
— Mél, je doute que la présence de ton demi-frère soit un bon signe !
Tournant la tête vers la silhouette qui se précise, la médium murmure en baissant la tête :
— Je n’ai guère le choix !
Elle redresse la tête, lueur de détermination, et s’exclame :
— Jim, part ! Va veiller sur nos fils ! Je ne veux pas qu’un malheur leur arrive ! Je suis prête ! Je sais ce que j’ai à faire !
Elle lâche le bras de son mari pour faire un pas en avant.
— En es-tu certaine ?
Elle se retourne et le fixe dans les yeux.
— Oui, parce que c’est notre combat ! Guerre entre chuchoteurs d’esprits, pas la tienne ! Veille plutôt sur nos fils…
Sa voix s’éteint en un bruissement à peine audible.
— Je… ne veux pas… qu’un… malheur… leur arrive !
Son mari opine du chef et enlace brièvement la jeune femme par les épaules et recule, mais ne quitte pas encore le champ. Il a un vague sentiment qu’il pourrait l’aider. Mélinda l’observe pendant quelques minutes, puis se retourne. Elle se sermonne en pensée :
« Bon ! Il faut y aller maintenant ! Affronter Gabriel et convaincre les esprits errants de partir dans la Lumière tout en déjouant Romano et le médecin collaborateur. Pas facile ! »
Mélinda s’avance vers la foule des défunts en face d'elle, affiche un air sérieux, nécessaire à la situation. Elle prend son courage à deux mains.
— Que faites-vous à errer ? affirme-t-elle d’une voix puissante. Vous devez passer dans la Lumière maintenant que vous n’êtes plus vivants. Vous n’avez rien à faire parmi eux. Si vous avez une dernière volonté, je peux vous aider !
— Pourtant, ajoute Agathe à la droite de Kevin, cet homme là-bas et ces deux acolytes…
Elle pointe vers le trio qui arrive : Gabriel, Charlie et Romano.
— … nous ont dit que nous pouvions rester parmi les êtres incarnés ! Ils nous ont fait des promesses… Et nous voulons des explications sur notre mort !
— Mais, Agathe, proteste le pilote, je n’en sais rien ! … En fait un peu…
— Kevin Navarre, vous n’avez pas à vous sentir coupable de la mort de ces passagers, le rassure la médium, vous ne pouvez pas en être l’unique responsable !
— Comment ? Si une valve fermée est une négligence évidente. Une négligence que je n’ai pas remarquée lors du contrôle routinier avant le décollage. Je suis fautif !
— En êtes-vous certain ? insiste-t-elle.
— Mélinda Gordon, l’apostrophe Romano en possédant le corps de Gabriel. Que savez-vous de cet événement ? Rien, n’est-ce pas ?
Déstabilisée, la médium promène son regard sur les défunts.
— Oui, bredouille-t-elle. Je ne sais rien de… cette tragédie… Hormis ce que j’ai pu trouver dans les articles de presse…
L’âme de Gabriel, spectatrice, affiche un petit sourire narquois, bras croisés sous la poitrine, semblable à un amateur de cinéma qui mange des pop corns au milieu d’une pièce théâtrale.
— Et donc du coupable, conclut la voix caverneuse du défunt par la bouche du demi-frère de la médium.
— Oui, concède Mélinda, mais cela ne devrait pas empêcher ces défunts de partir dans la Lumière !
Elle ignore Gabriel et se tourne vers les fantômes attroupés.
— Vos morts sont le résultat d’un accident, d’un oubli, mais ce n’est pas une raison de garder rancune et de rester prisonniers de ce monde ! L’erreur est technique et le pilote n’est pas fautif, en dehors de ses capacités !
— Attendez un peu ! s’exclame Jim en brandissant le précieux ouvrage qu’il a amené alors que l’Observateur Konstantin Pavlovitch Tcherevitchenko se manifeste à la droite de l’ambulancier. Je sais la vérité !
— Quoi ! s’exclament les défunts, observant attentivement Jim.
Le mari de Mélinda sort le Livre et le consulte, fronçant des sourcils, avant d’affirmer d’une voix de stentor :
— Le Livre des Changements, livre véridique, vous informe du réel coupable, à savoir que ce n’est pas le pilote, ni une erreur technique, mais Romano, un défunt.
— Oui, je sais tout, confirme l’Observateur. Et je ne peux qu’approuver les paroles de ce Gardien. Romano est ce fantôme de noir vêtu ! C’est la vérité absolue ! Lors de la vérification, tout a été en règle, jusqu’à la perturbation par ce sombre individu.
— Mais vous racontez n’importe quoi ! s’exclame Agathe, moue au visage et bras croisés en dessous de la poitrine, fixant le mari de la médium, nullement impressionnée par la révélation.
L’Observateur demeure toujours à côté du Gardien du Livre et dévisage l’hôtesse de l’air.
— Non, s’emporte Konstantin. Ma parole est vérité ! Je suis Observateur, incorruptible et témoin de toutes les activités humaines. Mes collègues en mission pour les voies aériennes m’ont tout dit. Aucun secret ne peut exister !
Et le Russe se tait et se déplace en un clin d’œil à côté de Jim.
— Maintenant, la paix est pour vous, partez dans la Lumière, leur recommande chaleureusement la médium avec un sourire sincère.
— Mais que savez-vous de cet au-delà ? De cette Lumière ? intervient le médecin collaborateur. Y avez-vous été ?
— Non, je ne l’ai pas traversé, sinon je ne serais pas vivante, réplique posément Mélinda, mais je sais que c’est l’endroit des défunts !
Un petit sourire narquois se dessine sur le visage du manipulateur qui harangue la foule.
— N’est-ce pas que même mort, le libre arbitre existe toujours ? Pouvons-nous rester sur Terre une fois mort ?
— Oui, mais ce n’est pas souhaitable, lui rétorque la médium.
Le fantôme aux vêtements noirs cesse de posséder le demi-frère de Mélinda, avant de s’exclamer :
— C’est un horrible mensonge, Madame Gordon !
Romano se tourne vers la foule et affirme :
— N’est-il pas exact que vos familles sont ici ?
Tous approuvent d’un signe de tête, sauf les vivants.
— Que vos maisons et biens sont là ? continue le défunt manipulateur. Que tout ce qui vous est cher et adorable est sur terre ?
Les esprits errants demeurent cois, promenant leur regard de Romano à Mélinda et de la médium à Gabriel.
— Donc pourquoi pas rester ?
Il fait le geste universel pour se désigner, main sur le cœur.
— Moi, je suis encore ici depuis très longtemps et c’est très plaisant ! Je m’amuse bien ! Tous les avantages sans les inconvénients de la chair, ce corps qui nous limite !
— D’ailleurs, susurre Gabriel avec un petit sourire, j’ai un joli endroit pour ceux qui n’ont nulle part où aller ! Vous pouvez me suivre !
— Ne les écoutez pas, s’insurge Mélinda. Il n’est pas bon de rester trop longtemps parmi les vivants, ceci vous rend plus aigres. Et même si vous restez, vous ne pouvez continuer comme avant, vous êtes passé dans une autre phase de l’existence. Une phase inévitable, bien que ce ne soit nullement souhaitable de terminer ainsi sa vie dans un accident. Il faut suivre le cycle de la vie et partir définitivement ! Particulièrement maintenant, alors que vous connaissez le réel responsable de l’accident ! Vous avez réponse à ce qui vous retenez sur Terre, maintenant, cessez de hanter ce lieu qui ne peut que vous rendre plus amer.
Un mouvement de masse se met en branle. Kevin se manifeste à la droite de Mélinda et tourne sa tête vers un point lumineux. La glace fond de son visage et de ses vêtements. Un large sourire illumine son visage sévère, ses yeux scintillent comme des joyaux. Il lève les bras au ciel et, pleurant de joie, crie :
— Je discerne une lumière là-bas ! Tellement belle, brillante, pure et époustouflante… Plus éclatante que tous les nuages blancs vus lors de mes centaines heures de vol ! …
Il tourne son regard mouillé vers la femme extraordinaire et murmure :
— Est-ce pour moi ?
Des larmes perlent le coin des yeux de Mélinda qui répond dans un souffle :
— Oui ! Cette Lumière est pour vous ! Bon voyage !
— Si vous n’êtes pas prêts pour la lumière, hurle Gabriel. Vous pouvez me suivre. Je connaîs un joli coin parmi ceux d’en-bas ! Un endroit adapté pour vous !
Le pilote se tourne vers les passagers et, d’un ton sérieux, affirme :
— Ici, votre pilote Kevin Navarre, bienvenue à bord du Airbus A340. Nous allons bientôt décoller en destination vers l’au-delà. J’y vais ! Agathe et vous, les passagers, venez ! Il n’y a rien à craindre !
Il tourne son dos aux autres fantômes pour marcher doucement vers sa droite, yeux rivés sur la Lumière que les fantômes seuls discernent.
***
Simultanément au discours du défunt pilote, dans le salon de la maison des Clancy.
Alexis cesse son jeu et appelle d’une voix forte :
— Charlène ? Tu es là ?
Il se retourne pour rencontrer son amie, une Lumineuse depuis peu. Fabienne ne souffle mot, songeant que c’est l’imagination enfantine de son petit-fils.
— Oui, que veux-tu ? lui demande-t-elle en observant son entourage avec des yeux aussi grands que ceux de la chouette.
— Je sais comment vaincre nos ennemis, les Ombres ! s’enthousiasme-t-il en applaudissant. Il ne faut pas avoir peur d’eux ! Veux-tu m’aider ?
— Pourquoi pas, mais comment ? s’étonne-t-elle, agitant sa robe blanche qui scintille à chaque mouvement.
— Les Ombres ont peur de la lumière ! Elles aiment le noir et la nuit, lui explique-t-il. On les chasse avec la lumière du soleil et tout ce qui brille ! On fait une tournée, mon amie !
— Oui, mon général ! répond Charlène en se mettant au garde-à-vous avant de le suivre.
Le garçon parcourt toute la maison sous le regard intrigué de sa grand-mère, sauf la chambre de ses parents.
— Alexis, lui demande Fabienne, que fais-tu ? C’est quoi ce jeu ?
— Je joue avec mon amie. Il faut le faire.
Fabienne hausse les épaules et veille au loin le moindre pas du gamin. Ce dernier a pour arme un bracelet en or et une cuillère à thé. Il lance des éclats lumineux à droite et à gauche. Ce qui chasse instantanément les Ombres des coins dans lesquels elles se sont tapies.
***
Quelques minutes plus tard, dans le champ aux environs de Grandeville.
Agathe demeure à côté de Gabriel, petite larme dans le coin des yeux, immobile. Bien qu’elle remarque cette merveille indicible, elle ne veut pas y entrer, se considérant indigne, incapable de mériter la paix. Certains défunts tournent leur regard vers la Lumière et saluent d’un signe de tête l’Observateur pour suivre le pilote. La glace qui orne leur vêtement et visage s’évapore et leur visage n’est plus morne, mais empreint d’une douce sérénité. Seuls quelques esprits errants et l’hôtesse de l’air suivent Gabriel qui s’éclipse rapidement, conscient que la victoire absolue est impossible et qu’il ne peut pas convaincre plus d’âmes.
— Mélinda Gordon, l’informe l’Observateur dès le départ de Gabriel, n’oubliez pas qu’il y a dans l’au-delà deux types d’esprits errants : les uns des âmes vivantes ; les autres des âmes mortes. Seules les premières peuvent passer dans la Lumière, les autres, appartenant au monde souterrain et ténébreux, errent sans fin et élisent domicile dans la ville souterraine jusqu’au Grand Jour ! De ce dernier type d’âmes relèvent Romano et Charlie Luc Wogel, entre autres. Parfois, des âmes vivantes savent être prisonnières sous la terre, contre leur gré, tel est le cas de Charlène Petit et de Paul Gordon. C’est le résultat d’un art magique que je ne vais pas vous expliquer maintenant.
Le Russe regagne son poste d’observation, avant que la médium ne puisse lui demander plus d’explications sur ces paroles énigmatiques. Romano et le médecin collaborateur apparaissent de chaque côté de Mélinda et Romano lui chuchote :
— Vous connaissez le prix de la délivrance de ces âmes !
— Nous ne lésinerons pas sur les moyens ! renchérit Charlie Luc Wogel.
L’air devient glace à ces mots, un courant froid envahit l’espace. Des morsures glaciales que Jim ressent sur sa peau. La médium tremble de tous ses membres. Sa gorge est nouée, l’empêchant de prononcer un seul mot ou même de pousser un cri primaire. Son mari l’enlace pour la réchauffer et la rassurer. Il lui murmure à l’oreille droite :
— Ces démons ne peuvent pas intimider nos fils ! Je ferai tout pour qu’aucun malheur ne leur arrive !
Le couple ainsi enlacé demeure silencieux pendant plusieurs minutes, voire des heures. Jim entraîne doucement son épouse pour qu’elle détourne son regard du champ. Mélinda, voix étranglée, se libère de son étreinte. Elle crie d’une voix plus aiguë que voulue :
— Rentrons… à la maison ! … Vite ! Nos fils !
Le couple prend le chemin du retour dans un silence oppressant, chargé des dangers et des non-dits.
À l’entrée de la ville, Mélinda gémit :
— Jim, j’ai peur… Nos enfants… La pression de ces deux psychopathes… Je crains que … la vision... devienne … réalité…
Les yeux clairs de son interlocuteur s’assombrissent d’inquiétude et sa main tremblante glisse sur celle de sa femme en guise de soutien.
— Mél, je comprends ton angoisse… Le souci pour nos fils…
Une lueur de détermination s’allume dans son regard. Sa mâchoire se crispe.
— Mais je te promets que rien ne leur arrivera ! Je veillerai au grain sur eux. Sans faute !
Elle détourne son regard de celui de son mari pour fixer le vide.
— Mais comment se protéger contre des défunts si sombres et aux intentions les plus étranges !
Ses mains tressaillent, mouvement imperceptible qui n’échappe pas à Jim.
— Je ne sais pas quoi te conseiller, affirme-t-il en passant ses bras autour des épaules de son épouse. Mais essaie de voir le bon côté de la situation, des esprits errants sont en moins sur Terre !
— Ouais, tu as raison. Je suis bien ravie que des fantômes soient partis dans la Lumière, mais le danger qui guette Alex me laisse un goût amer à cette réussite.
Jim serre son épouse contre lui, lui apportant un peu de chaleur et de sécurité.
— Je sais que tu tiendras parole, Jim !
Et le couple continue de traverser les rues pour se rendre jusqu’à leur maison, indifférent à l’agitation festive et joyeuse qui les entoure, trop absorbé par leur sombre pensée.
***
Au domicile des Clancy.
Romano est déjà dans la chambre du couple, réfléchissant à la meilleure occasion pour entraîner Alexis de l’autre côté de l’existence. Un sourire s’étire sur son visage et murmure à son comparse à ses côtés, toujours aussi sérieux :
— Nous verrons qui aura raison ! J’ai plus d’un tour dans ma poche !
Et il disparaît dans une fumée noire, telle une seiche effrayée qui lâche son encre pour fuir, avant la venue du couple devant leur demeure. Le médecin collaborateur promène son regard froidement calculateur dans la petite pièce et, bras levés, entonne :
— Nous verrons Mélinda Gordon comment les larmes peuvent être amères ! Très amères !
Il quitte l’endroit laissant une lourdeur dans l’air.
***
À la maison aux esprits de Gabriel, peu de temps après la visite de Romano et de Charlie Luc Wogel chez les Clancy.
Les esprits errants s’entraînent avec sérieux sous le regard amusé du propriétaire. Soudain, à sa droite, se matérialise le médecin collaborateur.
— La grande finale arrive ! L’ultime combat est à nos portes ! s’exclame froidement Charlie Luc Wogel en se frottant les mains d’anticipation avec un large sourire qui s’étire sur son austère visage.
Gabriel approuve d’un signe de tête et sourit, certain de gagner le dernier combat.
— Et non seulement le dernier combat, mais la principale faiblesse de votre ennemie préférée, son fils, est entre nos mains ! Il ne manque que l’exécution qui est imminente !
À suivre