Réécriture de contes à la Ghost Whisperer
Chapitre 7 : Le Roi des Docteurs et de la Montagne d'Or
4956 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 02/08/2025 16:24
Voici la référence du conte : « Le roi de la Montagne d’Or », dans Jacob et Wilhelm Grimm, Les contes – Kinder – und Hausmärchen, tome II, texte français de présentation par Armel Guerne, Paris, Éditions Flammarion, 1986 [© 1967], d’après l’édition de 1812, p. 25 à 32.
Un marchand, Aiden Clancy, avait deux enfants en bas âge, deux garçons, prénommés Daniel et Jim, qui ne marchaient encore ni l’un ni l’autre(1). Il venait d’envoyer sur la mer deux navires avec une lourde cargaison qui représentait tout son avoir, dont il espérait bien tirer un bénéfice énorme ; mais il reçut bientôt la nouvelle que l’un comme l’autre avait sombré corps et biens. De riche qu’il était, le marchand Aiden Clancy se retrouva un homme pauvre car il avait tout perdu, et il ne lui restait pour tout bien qu’un petit bout de terre dans la campagne, hors les murs de la ville. Pour essayer d’oublier un peu son malheur, le marchand s’était rendu dans ce champ, où il se promenait de long en large, quand survint devant lui un petit homme noir qui lui demanda pourquoi il paraissait si triste et quelle était la chose qui lui pesait si lourdement sur le cœur.
— Si vous pouvez m’aider, répondit Aiden Clancy, je vous le dirais volontiers.
— Qui sait ? lui répondit le petit homme noir. Il n’est pas dit que je ne le puisse pas !
Alors le marchand lui raconta que toute sa richesse était perdue au fond des mers et qu’il ne lui restait plus aucun bien, hormis le bout de champ sur lequel ils se trouvaient.
— Pourquoi te tracasser ? dit le petit homme noir. Si tu t’engages à me remettre, dans douze ans d’ici, le premier être qui te touchera la jambe à ton retour chez toi, tout à l’heure, tu auras de l’argent tant que tu en voudras.
Le marchand Aiden Clancy calcula que ce ne pourrait être que son chien, ne songeant nullement à ses enfants, puisqu’ils ne marchaient pas ; aussi donna-t-il son consentement au petit homme, signé et confirmé par un engagement écrit.
Mais quand il s’en revint dans sa demeure, le garçonnet Jim fut si heureux de le revoir qu’il réussit à se cramponner aux chaises et aux bancs pour venir à sa rencontre ; et ce fut lui qui lui toucha la jambe, à laquelle il s’accrocha dans sa joie enfantine. Le père en fut glacé d’horreur, car il pensait à l’engagement qu’il venait de prendre, et maintenant il savait ce qu’il lui en coûterait. Pourtant, quand il trouva que ses coffres et ses cassettes restaient toujours vides, il se dit avec une sorte de soulagement que le petit homme noir s’était tout simplement moqué de lui, et il n’eut plus d’inquiétude au sujet de son fils benjamin.
Un mois passa, et puis un jour Aiden Clancy monta au grenier pour y chercher sa vaisselle d’étain qu’il voulait vendre ; et voilà qu’il trouva là-haut un gros tas d’argent qui le remit à flot et qui lui rendit toute sa bonne humeur : il acheta et vendit avec bonheur et redevint en peu de temps le puissant et riche marchand qu’il avait été naguère, et même, il fut beaucoup plus riche qu’avant. Il ne se faisait plus du tout de tracas. Daniel et Jim, eux, pendant ce temps, avaient grandi en taille et en sagesse(2) ; mais lorsque Jim approcha de ses douze ans, le père devint plus soucieux et plus inquiet de jour en jour, ne réussissant bientôt plus à cacher l’altération de ses traits par l’angoisse. Jim le remarqua et lui demanda ce qu’il avait, qui n’allait pas ; mais Aiden(3) ne voulut pas répondre ; le fils, alors, le pressa tellement de questions et revint si souvent à la charge que, pour finir, il le lui dit : il avoua le serment qu’il avait fait autrefois, sans savoir à quoi il s’engageait, et qui l’obligeait maintenant à le livrer, lui, son fils benjamin, au petit homme noir qui lui avait fourni tant d’argent depuis lors, en échange. Il ajouta même qu’il avait signé un engagement écrit et scellé qui l’obligeait à livrer son enfant quand il aurait atteint ses douze ans.
— O père, que cela ne vous mette pas en pareil état lui dit son jeune fils. Vous verrez que cela ne tournera pas mal, car cet homme noir n’a pas pouvoir sur moi !
Jim se fit bénir par un prêtre et, le moment venu, se rendit avec son père au bout de terre que le père possédait toujours hors de la ville. Une fois là, l’enfant, influencé par un bon esprit qui le posséda temporairement(4), traça un cercle par terre et se plaça à l’intérieur du cercle avec son père. Le petit homme noir arriva et demanda à Aiden Clancy :
— Viens-tu me livrer ce que tu m’as promis ?
Le père resta muet, mais le fils parla et dit à l’homme noir :
— Que voulez-vous ? Que venez-vous faire ici ?
— C’est avec votre père que j’ai à parler, répondit l’homme noir. Pas avec vous.
— Mon père, vous l’avez grugé et trompé ! répliqua le garçon, ses yeux bleus lançant des éclairs de colère(5). Rendez-nous son écrit !
— Non, refusa l’homme, je ne me départirai pas de mes droits.
— Mais, qu’est-ce qui vous le dit, Monsieur, que mon père aurait accepté de faire un pacte avec vous ?
— Le fait, petit, c’est qu’il a accepté, un point c’est tout !
— Pourtant, je n’en suis pas sûr qu’il aurait accepté s’il avait pensé que je sois l’objet du pacte. Il ne m’aurait jamais vendu au Diable ! protesta Jim, possédé par le bon esprit.
— Quoi ? s’offusqua son interlocuteur. Vous êtes vraiment mal élevé pour ainsi parler !
Aiden intervint :
— Pourtant, Monsieur, mon fils a raison…
Il termina sa phrase d’une voix larmoyante, touché en son âme paternelle, en enlaçant son fils d’un geste protecteur :
— Si seulement j’avais pensé à mes fils, je ne serais pas dans la situation dans laquelle je me trouve maintenant…
— Monsieur Clancy, dit l’homme noir, n’oubliez pas que les parjures sont sévèrement punis en Enfer…
Le pauvre marchand lâcha son fils et tomba à terre, les mains jointes devant lui :
— S’il vous plaît ! Ne touchez pas à mon Jim ! Prenez-moi à sa place !
— Non, vous ne m’intéressez pas, c’est votre benjamin qui m’intéresse… C’est lui qui s’était accroché à votre jambe de retour de notre pacte…
Le père fronce des sourcils, perplexe.
Cet homme serait-il un démon pour ainsi tout savoir ?, pensa-t-il.
Il se signa en soupirant. Un silence plana pendant plusieurs minutes, qui semblait une éternité pour le pauvre Aiden, qui regretta de s’être engagé dans un pacte aussi obscur.
Ah, mon Dieu ! Qu’est-ce qui m’a pris pour accepter de donner mon fils en échange de richesses ? Au Diable la gloire ! songea-t-il tristement.
L’homme noir dit d’une voix mieilleuse :
— Monsieur Clancy, donnez-moi votre fils, qui m’appartient en bonne et dûe forme, selon notre entente…
Jim, influencé par le bon esprit, dit d’une voix forte, en fixant d’un air assuré, sans fléchir :
— En réalité, Monsieur, je n’appartiens ni à mon père ni à vous, mais à Dieu. De sorte que je dois monter dans une barque et faire mon chemin par moi-même, où le Seigneur me guidera.
L’homme noir :
— D’accord, j’ai compris ! Vous monterez alors dans un esquif que votre père poussera lui-même du pied au milieu de la rivière la plus près d’ici… Et nous vous laisserons partir… C’est entendu ?
— Oui ! Répondit Jim sans se départir de son sérieux.
— Oui, ajouta Aiden d’une voix hésitante(6).
Le fils fit ses adieux à son père, monta dans une barquette, qu’Aiden poussa en avant avec le pied ; mais le petit esquif se retourna complètement, s’éloignant avec le courant, la quille en l’air. Certain d’avoir perdu Jim, le père rentra chez lui, informa Faith et Daniel de la triste nouvelle et le pleura dans son deuil(7).
Le minuscule canot s’était bien retourné en chavirant, mais n’avait pas sombré du tout, ni le garçon non plus, qui continuaient ensemble à descendre avec le courant et à naviguer sans autre dommage pendant un temps considérable, avant de venir s’échouer sur un rivage inconnu. Jim saisit que plusieurs années étaient sans doute passées puisqu’il avait grandi, comme le témoignait le pantalon qui semblait petit. Il se rendit dans la ville la plus proche, où il trouva des vêtements adéquats à sa taille. Il décida d’apprendre le métier d’ambulancier puis, intéressé à aider les malades, il entreprit des études en médecine. Ainsi, Jim Clancy devint un docteur après plusieurs années de formation.
Une fois sa formation terminée, Jim, devenu un grand et beau jeune homme aux épaules comme une armoire, se rendit dans les villes voisines pour aider les pauvres malades(8). Il arriva ainsi devant un château ; en y pénétrant, il vit que c’était un château enchanté où il n’y avait rien, ni personne. Une après l’autre, Jim en parcourut les pièces, et ce ne fut que dans la toute dernière chambre qu’il vit bouger une couleuvre qui s’enroulait sur elle-même. Ce n’était pas un vrai serpent, mais une jeune fille qui avait été changée en serpent, et qui fut très heureuse en le voyant entrer.
— Est-ce vous, ô mon libérateur ? s’écria-t-elle. Quel est votre nom ?
Étonné d’entendre le serpent parler d’une belle voix mélodieuse, il sursauta puis répondit : — Jim Clancy… Un ambulancier et un docteur généraliste… et vous, mademoiselle ?
— Melinda Gordon, fille du roi Thomas Gordon et de la reine Elizabeth Gordon(9). Je dois vous dire une chose…
— Laquelle ?
— Que j’ai un don bien particulier, celui de voir les esprits.
— Je vous crois bien sincère, dit-il de son air le plus chaleureux(10).
— Et bien, il y a vingt ans(11) que je vous attends ! Tout le royaume a été frappé par un sort, et c’est vous qui devez l’en délivrer.
— Comment pouvez-vous en être si certaine ? demanda Jim, incrédule.
— Un esprit prophète, Dana Clark(12), l’avait dit il y a vingt ans a mes parents.
— Comment ?
— Parce que ma mère voit aussi les esprits, comme moi. C’est d’elle et de ma grand-mère maternelle, Mary-Ann, que j’ai hérité de ce don(13).
— Merci de l’explication…
Jim fit une courte pause, mine pensive. Il se demande bien comment il pourrait la délivrer, car il n’est qu’un docteur, pas un sorcier, pour pouvoir lui faire reprendre sa forme humaine.
Il toussota puis demanda :
— Comment puis-je vous délivrer de ce sort ? Que dois-je faire ?
— Cette nuit même, douze hommes noirs chargés de chaînes vont venir et vous poser des questions pour savoir ce que vous faites ici, mais vous devez vous taire et ne rien leur répondre, quoi qu’ils fassent : ils vont vous tourmenter et vous battre et vous piquer. Qu’ils le fassent, mais surtout ne dites rien. Rien ! À minuit, ils seront partis : ils ne peuvent pas faire autrement. Il en viendra douze autres la seconde nuit, et vingt-quatre la nuit suivante : ceux-là vous couperont la tête, mais à minuit tout leur pouvoir est aboli et si vous avez tout supporté sans dire un mot je serai délivrée ; alors je viendrai à vous avec un flacon d’Eau de la Vie que j’ai : je t’en aspergerai et vous vous retrouverez en vie, aussi sain et vigoureux que jamais.
— Je veux bien vous délivrer ! s'exclama-t-il.
Tout se passa conformément à ce qu’elle avait dit et les hommes noirs n’arrivèrent pas à lui arracher un mot, si bien qu’à la troisième nuit le serpent se changea en une belle princesse qui vint avec son élixir de Vie et le rendit à sa jeunesse bien vivante. Alors la jolie princesse Melinda Gordon sauta au cou de Jim Clancy, son libérateur, et l’embrassa de tout son cœur, tandis que dans tout le château retentissaient les cris de joie et d’allégresse. Avec de grandes réjouissances, on célébra leurs noces, et il devint le Roi des docteurs et de la Montagne d’Or(14).
Leurs jours et leurs nuits se passaient dans le complet bonheur, et la jeune reine Melinda Gordon mit au monde un magnifique garçon, qu’elle prénomma Aiden(15). Huit années s’étaient écoulées ainsi quand, un jour, le jeune roi Jim Clancy songea à son père et s’émeut dans son cœur d’un grand désir de le revoir encore une fois ; mais Melinda ne voulut pas le laisser partir.
— Je sais que cela fera mon malheur, lui dit-elle, exaspérée et attristée.
Jim finit néanmoins, à force d’insistance, par obtenir son consentement, et au moment des adieux elle lui remit un anneau magique.
— Prends cet anneau et mets-le à ton doigt, lui dit Melinda. Tu pourras, grâce à lui, te trouver transporté instantanément à l’endroit où tu voudrais être. Promets-moi seulement de ne point t’en servir pour me faire venir d’ici, moi, chez ton père.
Il lui en fit la promesse, passa l’anneau à son doigt et formula le vœu de se trouver dans son pays et devant le château de son père. Le temps d’un clin d’œil, et il était là-bas, devant la porte de la ville ; mais lorsqu’il voulut passer pour y entrer, la garde s’y opposa : on le trouvait suspect à cause de son costume étranger, trop riche et trop somptueux pour un homme seul. Il gagna la cabane d’un berger, sur une hauteur voisine, et changea de costume avec lui. Vêtu du grand manteau de poil que portent les bergers, il entra alors sans difficulté dans la ville. Mais lorsqu’il se présenta devant son père en lui disant qui il était, jamais son père ne voulut le reconnaître comme son fils benjamin Jim, qui était mort depuis des années, lui affirma-t-il. Mais au pauvre berger qu’il voyait devant lui, le riche marchand voulut offrir une bonne assiette de soupe.
Le berger assura néanmoins à ses parents qu’il était bien leur fils, et il leur demanda s’il ne portait pas sur le corps une marque de naissance à laquelle ils pussent aussi le reconnaître.
— Oui, dit Faith, Jim avait une framboise au-dessous du bras droit.
Il retroussa sa manche, et ils ne doutèrent plus qu’il fût vraiment leur fils quand ils eurent sous les yeux la framboise qui tachait son bras droit. Alors, Jim leur raconta qu’il était le Roi des docteurs et de la Montagne d’Or et qu’il avait une jolie princesse extraordinaire, Melinda Gordon, comme épouse, qui lui avait donné un fils, aujourd’hui âgé de sept ans.
— Je n’en crois pas un mot ! s’exclama le père, incrédule. Cela me fait un fameux roi de carnaval, celui qui se présente sous la défroque d’un misérable berger !
Vexé de ces paroles, les yeux bleus lançant des éclairs, et oubliant complètement sa promesse dans une brusque bouffée de colère, Jim Clancy tourna sa bague et fit le vœu de voir sa femme et son enfant à côté de lui, où ils furent tous deux dans le même instant. Après avoir présenté sa femme et son fils à ses parents, Jim et Melinda se retirèrent dans une chambre d’invités, ayant auparavant laissé leur fils avec les plus vieux(16).
Melinda Gordon pleurait en se plaignant qu’il n’eût pas respecté sa propre parole, et qu’en rompant sa promesse il eût fait son malheur.
— Mais c’est par inattention et sans penser à mal que je l’ai fait, plaida-t-il. J’ai agi dans un élan irréfléchi.
Jim s’expliqua longuement pour se faire pardonner et elle fit mine, en effet, de pardonner ; mais dans son cœur elle ne cessa point de lui en vouloir.
Il l’emmena promener au-dehors de la ville ; il lui montra le champ de son père et l’endroit où il était monté dans l’esquif, qui était parti au gré du courant. Comme Jim se sentait un peu las, il lui demanda de s’asseoir pour qu’il pût s’étendre et dormir, la tête sur ses genoux. Melinda lui caressa doucement le front et quand il fut endormi, elle lui ôta délicatement l’anneau magique du doigt, puis tout doucement, tout doucement glissa sa jambe afin de la dégager sans qu’il se réveillât et réussit ainsi à se relever en ne laissant que son escarpin à talon haut sous lui(17). Debout, elle se rendit auprès d’Aiden, le prit dans ses bras et fit le vœu de se retrouver chez elle, dans son royaume, où elle se retrouva aussitôt.
Lorsque Jim se réveilla, ce fut pour s’apercevoir qu’il était tout seul, abandonné, et que son épouse et leur fils avaient disparu, ainsi que l’anneau magique de son doigt : il ne restait que l’escarpin, comme un témoignage de cet abandon. Il soupira, désespéré et le cœur serré, car il aimait beaucoup Melinda.
Je ne peux pas retourner dans la maison de mes parents, se dit-il ; après ce qui s’est passé, ils m’accuseraient d’être un magicien et un enchanteur diabolique. Tout ce qui me reste à faire c’est de prendre la route et de t’en revenir dans ton royaume, si je le peux jamais.
Jim se mit donc en chemin et finit par atteindre les pentes d’une montagne, où trois géants se querellaient au sujet de l’héritage de leurs parents qu’ils ne savaient pas comment partager. Ils l’appelèrent à la rescousse dès qu’ils le virent, lui disant que les petits d’hommes avaient de bons cerveaux et que, donc, il déciderait pour eux de la manière de partager cet héritage. Il y avait d’abord une épée, et celui qui l’avait en main et prononçait : « Toutes têtes tranchées, la mienne exceptée ! » voyait les têtes rouler à terre ; en second venait un manteau d’invisibilité, qu’il suffisait d’avoir sur les épaules pour n’être vu de personne au monde ; en troisième et dernier lieu, il y avait une paire de bottes, et celui qui les chaussait pouvait se souhaiter n’importe où : il y était aussitôt transporté.
— Donnez-moi les trois choses, leur dit Jim. Il convient avant tout que je vérifie si elles sont toutes en bon état de fonctionnement.
Ils lui tendirent le manteau, et quand il s’en fut couvert il devint invisible et fut lui-même transformé en mouche. Il reprit son apparence vraie et leur dit :
— Le manteau est bon ; maintenant, donnez-moi l’épée.
— Non, non ! pas l’épée ! se récrièrent-ils. Si tu l’avais et que tu dises : « Toutes têtes tranchées, la mienne exceptée ! », nous serions tous les trois décapités et tu serais le seul à garder ta tête. Tu ne peux pas la mettre à l’épreuve !
Ils la lui confièrent néanmoins. Quand il leur eut promis de l’essayer sur un arbre, il fut aussitôt coupé comme un brin de paille. Mais quand Jim réclama les bottes, il essuya encore un refus des trois géants qui lui dirent :
— Si nous te les prêtons, et que tu veuilles te trouver sur le sommet de cette montagne, tu y seras et nous resterons ici en bas, nous autres, et nous aurons perdu les bottes.
— Non, promit-il, je ne ferai jamais cela !
Ils lui donnèrent alors les bottes aussi, et quand il fut en possession des trois objets, sa seule pensée fut pour son épouse, sa chère Melinda, et pour leur enfant, le petit Aiden.
Ah ! Si je pouvais être sur la Montagne d’Or ! soupira-t-il.
Dans l’instant même, Jim avait disparu aux yeux des trois géants, dont l’héritage se trouvait du même coup distribué et partagé. Comme il arrivait non loin du château, il entendit des cris de joie, des violons et des flûtes ; on lui apprit que c’était Melinda Gordon qui célébrait ses noces avec un autre, le docteur Samuel Lucas, qui avait été auparavant l’architecte du royaume(18).
L’hypocrite, qui a profité de mon sommeil pour me tromper et m’abandonner ! pensa Jim Clancy dans une terrible fureur(19).
Il jeta le manteau d’invisibilité sur ses épaules et pénétra ainsi, à l’insu de tous, à l’intérieur du château. Dans la grand-salle, il vit une longue table couverte des mets les plus succulents et variés, et tous les invités étaient là, qui mangeaient et buvaient avec allégresse, plaisantant et riant à ce grand festin. Tenant le haut bout de la table, vêtue de richissimes parures, assise sur un trône d’or et portant la couronne royale, Melinda Gordon présidait à la fête. Invisible toujours, Jim vint se poster derrière elle, enlevant et mangeant à mesure chaque morceau qu’on lui servait sur son assiette, et vidant son verre chaque fois qu’on lui remplissait de vin. Bouleversée et honteuse, la reine se retourna pour voir s’il ne s’agirait pas d’un esprit. Mais ne voyant personne, elle se leva et gagna sa chambre, où elle éclata en sanglots ; et lui, toujours invisible, se tenait derrière elle.
— Comme il ne s’agit pas d’un esprit coquin… Ça doit être le Diable, gémit Melinda, ou alors c’est que jamais n’est venu mon libérateur(20) !
Jim la souffleta.
— Il n’est jamais venu, hein, ton libérateur ? lui lança-t-il. Infidèle et trompeuse femme, tu l’as tout à côté de toi ! Est-ce que je méritais cela ?
Il ôta son manteau et redevint visible pour se rendre dans la grand-salle, suivi par Melinda.
— La fête des noces est terminée ! clama-t-il. Le vrai roi est revenu !
Nobles princes, grandes dames, dignitaires et autres conseillers, tous les hauts personnages qui se trouvaient dans cette belle assemblée, éclatèrent de rire et se moquèrent. Il ne se perdit pas en vains discours.
— Vous sortez, oui ou non ? lança-t-il.
D’un même mouvement, ils se levèrent et se ruèrent sur lui pour l’arrêter ; mais il empoigna son épée en disant : « Toutes têtes tranchées, sauf celle de Melinda, d’Aiden et la mienne(21) ! »
Et toutes les têtes roulèrent à terre, le laissant seul seigneur ; et Jim Clancy fut de nouveau le Roi des docteurs et de la Montagne d’Or.
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(1) Dans le conte, le marchand a un garçon et une fillette. Nous avons simplement ajouté les noms des personnages de Ghost Whisperer. Par ailleurs, aucun détail n’est donné dans la série concernant le métier du père de Jim Clancy.
(2) Nous avons modifié cette phrase du conte, qui n’aborde que le garçonnet. En raison de la transposition du conte, nous avons précisé que les deux fils grandissaient.
(3) En raison du conte, Aiden Clancy, le père de Jim, vit plus longtemps que ce qui est mentionné dans la série, car il meurt lorsque Jim a dix ans.
(4) Nous avons ajouté l’intervention du bon esprit, pour faire sens du geste de Jim. Ceci est absent du conte. La possession est un moyen pour un esprit d’agir sur un vivant. Ceci est clairement présenté dans Ghost Whisperer.
(5) Nous avons cette incise de l’état de Jim. Par ailleurs, ce dernier a les yeux bleus et les cheveux noirs.
(6) Nous avons prolongé le dialogue, car dans le conte, il se termine avec la réplique du garçon. Et ensuite, il est écrit simplement que la discussion se prolongea entre eux et si bien que, pour finir, ils convinrent d’un nouvel accord : puisqu’il fallait admettre que le jeune garçon n’appartenait ni à l’homme noir ni à son père, alors il monterait dans un petit esquif que le père lui-même pousserait du pied au milieu du courant, et il partirait ainsi au fil de l’eau.
(7) Ceci est un ajout par rapport au conte, qui ne précise rien au sujet du fait que les autres membres de la famille sachent pour cette nouvelle. D’ailleurs, Faith Clancy est la mère de Daniel et de Jim dans Ghost Whisperer.
(8) Nous avons fait cet ajout par rapport au conte. Dans ce dernier, le laps de temps n’est aucunement précisé. Nous avons préféré expliquer la formation de Jim Clancy, qui est un ambulancier, puis un docteur dans Ghost Whisperer.
(9) Nous considérons que Thomas Gordon est le père de Melinda, et non le beau-père, comme dans la série. Cependant, nous respectons le fait que Elizabeth soit sa mère. Il faut toutefois préciser que Thomas n’est pas un roi, mais un juge, tandis qu’Elizabeth n’est qu’une fleuriste.
(10) Nous avons ajouté la présentation réciproque du couple et la mention du don de Melinda, pour un minimum de politesse réaliste.
(11) Nous avons modifié le nombre d’années, car dans le conte, la jeune princesse dit l’avoir attendu douze ans.
(12) Dana Clark est un esprit qui avertit Melinda de certains événements futurs dans Ghost Whisperer. Elle n’apparaît qu’au vingt-deuxième épisode de la deuxième saison, intitulé The Gathering (Le 11 mai). Seulement, dans la réécriture du conte, nous avons trouvé plus logique de faire intervenir cet esprit beaucoup plus tôt, puisque la mère de Melinda a le même don que cette dernière.
(13) Nous respectons cette transmission générationnelle du don dans la série américaine. Seulement, nous considérons, en raison du conte, que la mère de Melinda, Elizabeth Gordon, accepte son don, au lieu de le nier.
(14) Nous avons simplement ajouté par plaisanterie que le libérateur de la princesse est aussi le Roi des docteurs, puisque tel est le métier de Jim. Dans le conte, il n’est que le Roi de la Montagne d’Or.
(15) Dans Ghost Whisperer, Aiden est le fils de Jim Clancy et de Melinda Gordon. Seulement, nous avons considérablement devancé sa naissance, pour respecter le conte.
(16) Nous avons ajouté le lieu où discutèrent Jim et Melinda, par réalisme, car il serait impossible qu’ils soient en présence de leur fils et des parents de Jim.
(17) Dans Ghost Whisperer, Melinda porte toujours des talons hauts.
(18) Dans la série Ghost Whisperer, Sam Lucas est le second mari de Melinda Gordon. Il est en effet un architecte, qui est de passage à Grandview. Il meurt dans un accident de la route, son âme passe rapidement dans la Lumière, tandis que son corps reprend vie par l’âme de Jim. C’est dans le corps de Sam Lucas que Jim devient docteur, après avoir retrouvé ses souvenirs — car il lui fallut du temps pour se rappeler de son nom et de sa vie en tant que Jim Clancy. Ici, pour le besoin du conte, nous avons fait de Samuel Lucas un ancien architecte converti en docteur, afin qu’il marie Melinda.
(19) Nous avons déplacé ces propos comme étant des pensées.
(20) Nous avons un peu modifié ce passage du conte, en y ajoutant la possibilité d’un esprit, puisque Melinda les voit.
(21) Nous avons un peu changé les paroles par rapport au conte, car le Roi de la Montagne d’Or dit : « Toutes têtes tranchées, la mienne exceptée ! » Comme nous supposons que Melinda et leur fils sont aussi dans la grand-salle, Jim ne voudrait certainement pas les décapiter.