Réécriture de contes à la Ghost Whisperer

Chapitre 9 : Mariage

6297 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 09/08/2025 13:17


Voici la référence du conte : « La véritable fiancée », dans Jacob et Wilhelm Grimm, Les contes – Kinder – und Hausmärchen, tome II, texte français de présentation par Armel Guerne, Paris, Éditions Flammarion, 1986 [© 1967], d’après l’édition de 1812, p. 428 à 436.




Il y avait une fois une demoiselle qui était jeune et belle brunette, une certaine Melinda Gordon, mais elle avait perdu sa mère Elizabeth depuis des années déjà(1) ; et la belle-mère qu’elle avait ne cherchait qu’à lui faire toutes sortes de misères. Et pourtant, quelle que fût la besogne que la marâtre réclamait d’elle, aussi pénible fût-elle, elle s’y mettait de bon cœur et faisait tout ce qu’elle avait la force de faire ; mais jamais elle ne parvenait à attendrir tant soit peu le cœur dur de la méchante femme, qui n’était jamais satisfaite et qui trouvait toujours qu’elle n’en avait pas fait assez. Plus la jeune Melinda y mettait d’ardeur, plus l’autre lui en donnait à faire ; son unique pensée était de l’accabler toujours plus lourdement et de lui rendre la vie impossible.

— Tu as là douze livres de plumes à ébarber, lui dit-elle un jour, et si ce soir tu n’as pas fini, c’est une volée de coups de bâton qui t’attend ! Tu ne t’imagines tout de même pas que tu vas passer ta journée à ne rien faire, non !

La malheureuse jeune fille se mit à la tâche, mais elle avait de grosses larmes qui roulaient sur ses joues, car elle voyait bien qu’elle n’aurait jamais fini un tel travail en une seule journée. Et puis, dès qu’elle avait devant elle un petit tas de plumes légères, soit elle poussât un soupir, soit que dans son angoisse elle joignit les mains, tout s’envolait et se mélangeait de nouveau, les plumes ébarbées avec les autres, et il lui fallait recommencer à les trier encore ! C’était si décourageant qu’elle en vint à se prendre le visage dans les mains, les coudes sur la table, et à soupirer tout haut : « N’y aura-t-il pas personne au monde, personne sur la terre du bon Dieu pour avoir compassion de moi ? »

— Console-toi, mon enfant, lui répondit soudain une voix douce, je suis venue pour t’aider !

Étonnée, Melinda pensa. Est-ce un esprit ?(2)

Elle se redressa et vit à côté d’elle une vieille femme qui se pencha un peu, lui prit affectueusement la main. Hors de doute, elle est bien vivante. 

La jeune femme remarqua que derrière elle, un peu en retrait, se tenait un esprit errant, qu’elle reconnu aussitôt à sa stature et aux vêtements : sa propre mère.

La vieille femme lui dit : « Je suis une fée(3). Quelle est ta peine ? Confie-toi à moi. »

Elizabeth approuva silencieusement les propos puis disparut de sa vue(4).

Melinda comprit qu’elle pouvait faire confiance à la fée. D’ailleurs, elle trouvait qu’il y avait dans sa voix quelque chose de si cordial que la jeune passeuse d’âmes lui raconta la triste existence qu’elle avait, accablée sans cesse de tâches écrasantes, dont elle ne pouvait plus venir à bout. « Si je n’en ai pas terminé ce soir avec ces plumes, ajouta-t-elle, ma belle-mère m’a promis de me battre, et je sais qu’elle tiendra parole ! » De grosses larmes, de nouveau, roulèrent sur ses joues, mais la douce vieille lui dit avec bonté : « Ne te tracasse plus de cela, mon enfant, tu n’as qu’à te reposer et je m’occuperai de ton ouvrage. »

Melinda la remercia d’un signe de tête, émue d’une telle aide inattendue, puis alla s’étendre sur son lit et ne tarda pas à s’endormir. La vieille fée, installée à la table, semblait n’avoir qu’à effleurer les plumes de ses vieilles mains dures, et hop ! le duvet volait comme par enchantement. Il ne lui fallut pas longtemps pour en avoir fini avec les douze livres, et lorsque Melinda Gordon se réveilla, il y avait là tout un entassement de monticules duveteux, blancs comme neige, dans la chambre, où tout était parfaitement propre et bien rangé ; mais la vieille femme avait disparu.

Remerciant Dieu, la jeune Melinda Gordon s’assit et attendit le soir, sans bruit. Alors la marâtre entra et fut bien étonnée en voyant le travail achevé, ce qui ne l’empêcha pas de s’exclamer : « Tu vois, pécore, ce qu’on peut arriver à faire avec de l’application ? Et puis, qu’est-ce que tu fais là, les bras ballants ? Est-ce que tu n’aurais pas pu commencer autre chose ? » Elle tourna les talons ; mais une fois dehors, elle se dit en elle-même : « Cette créature est capable de mieux que son pain manger ! Il faut que je lui donne à faire quelque chose de plus difficile. »


Le lendemain matin, elle appela Melinda et lui dit d’un ton autoritaire : 

— Prends cette louche ! Tu vas me vider le grand étang à côté du jardin. Et si tu n’en as pas terminé ce soir, tu sais ce qui t’attend !

C’était une toute petite louche que la jeune fille emporta, non sans s’apercevoir bien vite qu’elle était percée, au surplus ; mais même sans trous, jamais elle n’eût pu vider tout un étang avec cet instrument ridicule ! Elle se mit néanmoins à la besogne, s’agenouilla au bord de l’étang et entreprit, tout en versant force larmes, de vider l’eau. Par bonheur, la bonne vieille fée réapparut cette fois encore, et quand elle sut la raison de son chagrin, elle lui dit avec douceur :

« Va te reposer près du buisson là-bas », dit-elle en désignant une potentille frutescente un peu à l’écart de l’étang(5). « Dors tranquillement, mon enfant, je me charge de ton ouvrage. »

Restée seule, la vieille se contenta de toucher l’étang, dont toute l’eau s’évapora pour aller se confondre avec les nuages, asséchant petit à petit son contenu entier. Au coucher du soleil, quand Melinda se réveilla et s’approcha, elle n’en vit plus que les poissons qui frétillaient dans le vase : l’étang était à sec. Vite, elle courut chercher sa marâtre et lui montra que le travail était fini.

— Tu peux dire que tu as mis le temps ! siffla la mauvaise femme, qui enrageait de dépit et qui inventa tout de suite autre chose.



Le lendemain matin, elle dit à la jeune fille (et c’était donc le troisième jour) :

— Tu vas aller là-bas, dans le fond de la plaine, me bâtir un château qui devra être terminé ce soir !

— Mais comment pourrai-je venir à bout d’un si formidable ouvrage ? fit Melinda, épouvantée.

— Je n’admets pas que tu répondes ! trancha la marâtre. Si tu es capable de vider un étang avec une louche percée, tu peux également construire un château ! 

Melinda pensa tristement Pourtant ce n’est pas moi qui a vidé l’étang, mais la gentille fée qui a tout fait pour moi(6)...

— Et c’est aujourd’hui même que je veux m’y installer, poursuivit sa belle-mère, s’il y manque quoi que ce soit, fût-ce  dans le matériel de cave ou dans la batterie de cuisine, tu sais d’avance ce que cela veut dire pour toi !

Sur quoi elle la mit dehors ; et lorsque la jeune fille extraordinaire fut arrivée là-bas, dans la vallée, ce fut pour y trouver un entassement de rocs et de rochers dans le pire désordre, dont le moindre était encore trop lourd pour qu’elle pût seulement le faire bouger en y mettant toutes ses forces. Accablée, elle se laissa tomber sur le sol et pleura, n’ayant plus d’autre espoir qu’en le secours de la bonne fée. Son espoir ne fut pas déçu, car elle ne tarda guère à la consoler. « Va te coucher à l’ombre et dormir paisiblement, lui dit-elle, je m’occuperai bien de te le bâtir, ce château. Tu pourras même y habiter, si cela te plaît. »

Dès que Melinda se fut éloignée, la vieille fée toucha d’un doigt les blocs de pierre, qui se mirent aussitôt à se mouvoir et à se déplacer d’eux-mêmes, pour ériger des murailles qui paraissaient avoir été dressées par les gens ; puis tout le bâtiment intérieur se fit et monta comme s’il y avait des milliers de mains invisibles pour travailler et manipuler les pierres. On entendait gronder le sol, cependant que d’énormes pilastres se levaient d’eux-mêmes et se posaient en colonnades ordonnées ; et les tuiles sur le toit s’arrangèrent toutes seules comme par enchantement. À midi, la grande girouette était déjà à la pointe du donjon, telle une vierge d’or en robe à traîne qui flottait au vent. L’ameublement fut achevé avant le soir ; les murs étaient tapissés de velours et de soie, des beaux meubles étaient en place, avec des chaises aux broderies chatoyantes un peu partout, et de magnifiques fauteuils sculptés autour des tables de marbre, et des lustres de cristal qui scintillaient sous les hauts plafonds, se reflétant sur le poli brillant et luisant des parquets. Il y avaient des perroquets verts dans leurs cages d’or, et quantités d’oiseaux chanteurs des terres exotiques, qui faisaient un concert merveilleux. Dans le château entier, jusqu’au moindre détail, tout était d’un tel luxe et d’une telle splendeur qu’on l’eût dit préparé pour être le palais d’un roi. Le soleil était près à se coucher quand la jeune fille se réveilla et fut éblouie, en ouvrant les yeux, par un reflet éclatant comme de mille lumières. Elle y courut et pénétra dans le château par la grand-porte largement ouverte, emprunta le grand escalier, dont les marches étaient recouvertes d’un tapis vert(7) et dont la rampe d’or s’agrémentait d’arbres en fleurs. Le luxe des salons, la splendeur des appartements la laissa interdite, pétrifiée d’admiration. Dieu sait combien de temps elle eût pu rester là, si elle n’en avait pas été arrachée par la pensée de sa belle-mère, qui devait l’attendre déjà.

Oh ! pensa Melinda, si seulement elle voulait être contente pour une fois et ne plus me faire un supplice de l’existence !

Vite, elle alla la rejoindre et lui apprit que le château était achevé.

— Je vais aller l’habiter tout de suite ! déclara la marâtre en se levant aussitôt.

Tout était si étincelant, quand elle entra dans le château, qu’elle dut d’abord se protéger les yeux de la main.

— Tu vois bien que c’était facile ! dit-elle à la jeune fille. J’aurai dû te donner une plus dure tâche.

Elle passa de salle en salle, visita chaque chambre, fureta dans tous les coins pour voir s’il manquait quelque chose, ou bien si ne trouvait pas un défaut quelque part ; mais non, elle ne put redire à rien.

« Descendons à présent ! », fit-elle avec un mauvais regard. « Il reste encore à visiter la cuisine et la cave : s’il y a quelque chose qui manque, tu n’échapperas pas à ta correction ! »

Or le feu pétillait dans l’âtre et le souper, dans les marmites, mitonnait ; le soufflet, les pincettes et la pelle à feu étaient à leur place, comme au mur la batterie de cuivre qui brillait. Il y avait décidément tout ce qu’il fallait, jusqu’au coffre à charbon et au seau à eau.

— Où est l’entrée de la cave ? s’impatienta la marâtre. Si elle n’est pas richement garnie de tonneaux de vin, gare à toi !

Elle leva elle-même la trappe et se glissa dans l’escalier. Mais elle avait à peine descendu une ou deux marches que la lourde trappe retomba violemment sur elle. Melinda entendit un hurlement, rouvrit bien vite et se précipita à son secours. C’était trop tard ; la marâtre avait été projetée au bas de l’escalier et gisait morte sur le sol. D’ailleurs, son âme était à la gauche de son corps. La jeune femme la fixa d’un air effrayé en pensant Ce n’est pas moi la responsable de votre mort, je vous en assure ! L’esprit errant lui lança un regard noir puis disparut aussitôt, comme aspiré par la terre. Un autre esprit apparut devant la jeune femme : Elizabeth, avec un large sourire aux lèvres. Sa fille le fixa d’un air étonné. 

L’esprit s’exclama :

— Elle a eu ce qu’elle a mérité ! Et oui, c’est moi qui l’a poussé en bas des escaliers !

Les yeux agrandis par la peur, Melinda balbutia : 

— Que dira papa ?... Il pensera sans doute que je suis responsable de la mort de…

D’une voix douce, sa mère répliqua : 

— Ma chère Melinda, ne crains pas ton père… Tu n’auras qu’à lui dire la vérité(8)...

Le père de Melinda, le juge Thomas Gordon, revint de son travail. Étonné de ne pas trouver sa seconde épouse à la maison, la chercha partout, mais ne la trouva nulle part. Il questionna sa fille du premier mariage qui lui expliqua que sa belle-mère avait exigé qu’elle construise un château, ce qu’une gentille fée l’avait fait et que sa belle-mère avait visité toutes les pièces du château et c’était en descendant dans la cave que celle-ci mourut, poussée par l’esprit errant qu’était sa mère. 

« D’ailleurs », précisa Melinda, « c’est de maman que j’ai su ce détail. Je t’assure que ce n’est pas moi qui l’a poussé, puisqu’elle a elle-même ouvert la trappe qui mène à la cave. Moi, je ne l’ai pas suivi. » 

Comme Thomas savait que sa fille avait hérité de sa mère le don de voir les esprits errants(9) et qu’elle était très gentille et douce, il ne doutait jamais de son honnêteté. Elle le mena jusqu’au corps de sa seconde épouse et Thomas exigea qu’elle fut enterrée en bonne et dûe forme dans le cimetière de la ville. Après la période de deuil, il décida que sa fille habitera dans le château, car il le trouvait trop luxueux à son goût(10).


Le magnifique château n’avait plus maintenant, pour unique propriétaire, que la jeune Melinda Gordon, qui n’arrivait pas à se faire à son bonheur : ses armoires regorgeaient de belles robes, ses coffres étaient pleins d’or et d’argent, d’autres emplis de perles, de diamants, de pierres précieuses ; elle ne pouvait avoir un désir qui ne fût satisfait et comblé. Il ne fallut pas longtemps, non plus, pour que le monde entier parlât de la beauté et de la richesse de cette demoiselle ; et chaque jour lui amenait quelque nouveau prétendant, sans toutefois qu’elle en eût trouvé un à son goût. Mais il y eut un prince, Jim Clancy, finalement, qui sut toucher son cœur ; c’était le coup de foudre au premier regard ; et ils se fiancèrent(11). Il y avait dans le parc du château un vert tilleul, sous lequel ils étaient assis, un jour, dans une tendre intimité, quand il lui dit : « Je vais retourner chez moi et obtenir de mon père son consentement pour le mariage. Ne bouge pas, je t’en prie, et attends-moi sous ce tilleul : je serai de retour dans quelques heures. »

Melinda déposa un baiser sur sa joue gauche en lui disant : « Sois-moi fidèle et ne laisse personne t’embrasser sur cette joue. Pour moi, je reste jusqu’à ton retour sous le tilleul. »

Elle y resta et l’attendit jusqu’au coucher du soleil, mais Jim ne revint point. Trois jours de suite elle alla l’y attendre, mais en vain, et le quatrième jour, ne le voyant toujours pas revenir, elle fut convaincue qu’il lui était arrivé quelque malheur.

Je vais partir à sa recherche, se dit-elle, et je ne rentrerai pas avant de l’avoir retrouvé

Au moment où elle se leva du banc près du tilleul, un esprit apparut devant elle, la faisant sursauter. La jeune brunette le détailla : un jeune homme qui ressembla à son fiancé, avec les mêmes cheveux noirs et yeux bleus, vêtu de soie verte et de velours de même couleur.

Elle demanda d’une voix douce : 

— Monsieur, je suis Melinda Gordon. Et vous ?

Sans doute que ce pauvre homme est de la famille de Jim, étant donné leur air de famille, pensa la passeuse d’âmes.

Le fantôme, avec son plus beau sourire, répondit d’une voix triste : 

— Daniel Clancy, le frère de Jim…

Il fit une courte pause, comme s’il tempéra l’annonce d’une nouvelle. Daniel reprit :

— Je comprends que vous vous inquiétez pour Jim…

Melinda demanda d’une voix blanche : 

— Avez-vous des nouvelles ?

— Oui ! C’est pourquoi je suis venu à vous !

Le frère de Jim continua d’un air sérieux : 

— Et bien, lorsqu’il a demandé, il y a… quatre jours, à notre père, Sa Majesté Aiden Clancy(12), son approbation pour son mariage avec vous… Il s’y est opposé, sous prétexte que vous n’êtes pas assez digne pour lui…

— Quoi ? J’espère que ce n’est pas sérieux ?

— Malheureusement, c’est sérieux, très sérieux même…

— Pourtant, Jim m’aime et je l’aime ! protesta Melinda en se tordant les mains, n’est-ce pas une condition suffisante pour approuver notre union ?

Daniel secoua sa tête puis ajouta d’un air triste : 

— Il semble que non… Il vous juge indigne de marier mon frère, car vous n’êtes pas la fille d’un roi illustre…

— Mon père est juge, et quoi alors ? l’interrompit brusquement la jeune femme.

— Et bien, pour mon père, un juge est apparemment inférieur à un roi… Il craint alors que vous n'ayez rien en dot… 

— Pourtant, je peux avoir tout ce que je veux dans mon château ! s’exclama la passeuse d’âmes, moue boudeuse au visage, les bras croisés sous sa poitrine. Si mon beau-père veut que j’aie une dot des plus riches, qu’il en soit ainsi !

Un silence plana entre Melinda et Daniel, le temps que celle-ci se calma et décroisa ses bras.

L’esprit reprit d’une voix mi-sérieuse mi-attristée : 

— Que je reviens à ce que je disais… Non seulement mon père n’apprécie pas votre statut social, pour ainsi dire, mais en plus, il pense que vous êtes… comment le dire poliment…

— S’il vous plaît, supplia-t-elle, dites-moi tout sans détours…

— D’accord… Donc, il pense que vous êtes un charlatan ou une sorcière qui prétend voir les esprits…

— Mais, je n’ai jamais vu mon beau-père ! Comment peut-il se permettre de me juger ainsi ? C’est vraiment vexant ! s’écria son interlocutrice. S’il aurait confirmé l’information auprès de père ou qu’il m’aurait lui-même rencontré en personne, il en serait convaincu !

D’une voix douce, Daniel dit : 

— Je comprends très bien votre réaction. C’est vrai que ce n’est pas gentil de parler ainsi d’une demoiselle qu’on n’a jamais vu…

Il s’interrompit lui-même puis reprit : 

— Par conséquent, Jim a tenté pendant trois jours de le faire changer d’idées, mais rien n’y faisait…

— Ah, non ! lâcha involontairement Melinda.

— Et aujourd’hui, le quatrième jour, mon père a annoncé à Jim qu’il le mariera à une princesse, une certaine Stephanie du Connecticut(13)

Melinda regarda l’esprit, les yeux grands ouverts d’effroi à la pensée que son fiancé soit avec une autre femme. Verte de jalousie, elle s’exclama d’un air résolu : 

— Alors, là, je dois retrouver mon Jim !

Son interlocuteur approuva silencieusement ses propos. Il ajouta : 

— Un conseil : apportez avec vous des robes au moyen desquelles mon père pourrait être convaincu que vous êtes digne de marier Jim.

Elle murmura : — Merci du conseil(14)

Melinda fit une courte pause puis enchaîna d’une voix douce : 

— Maintenant que vous m’avez aidé, Daniel Clancy, que puis-je faire pour vous aider à quitter définitivement le monde des vivants ?

— Mariez-vous avec mon frère ! s’exclama-t-il d’un air enjoué. J’ai bien remarqué à quel point il vous aime… 

Il continua d’un air un peu triste : 

— D’ailleurs, l’opposition de notre père à votre mariage l’a attristé, je peux le témoigner… Je l’ai vu moi-même et j’ai sondé ses pensées les plus secrètes. Et je vous assure qu’il se languit de vous(15)

Touchée par les propos de Daniel, des larmes coulèrent sur les joues de la jeune brunette, telles des perles.

L’esprit lui sourit d’un air gentil puis disparut de sa vue.

Melinda se ressaisit et elle choisit trois de ses plus belles robes pour les emporter, l’une brodée de scintillantes étoiles, la seconde brodée de lunes d’argent, et la troisième brodée de soleils d’or ; elle prit aussi une poignée de pierres précieuses qu’elle serra dans son fichu, puis elle se mit en route, guidée par l’esprit qu’était Daniel. Ainsi, Melinda Gordon se rendit directement devant l’immense château du roi Aiden Clancy. Avant d’y entrer, elle se cacha derrière un arbre pour changer sa robe de voyage — une simple robe en lin blanc brodée d’or et d’argent — pour celle aux soleils d’or et entra au palais. 

Jim la reconnut aussitôt et s’écria d’un air enjoué, ses yeux bleus brillant d’une lueur indescriptible : « Voilà, père, la femme à laquelle je veux me marier ! Melinda Gordon, venez à mes côtés ! Mon cœur se réjouit de vous voir ! » 

La passeuse d’âmes s’inclina devant Aiden et Faith Clancy, qui la regardèrent d’un air hautain puis s’assit à la gauche de Jim, car elle remarqua aussitôt que Daniel était à sa droite. Le roi et la reine scrutèrent la jeune femme en pensant que sans doute qu’elle a dû voler pour avoir une si belle robe… Un juge ne peut pas payer une robe de princesse à sa fille ! 

Daniel dit : 

— Madame Gordon, mes parents sont vraiment mal intentionnés à votre égard… Ils pensent que vous avez peut-être triché pour avoir une telle robe…

L’interpellée confirma sa compréhension d’un mouvement positif.

Jim chuchota à son oreille : 

— Mel, un esprit ?

— Oui, répondit-elle dans un murmure. Ton frère…

Aiden intervint d’une voix sévère : 

— Qu’est ce que vous vous chuchotez ?

Jim répondit d’une voix claire : 

— Père, tous mes respects, mais comme je vous ai déjà dit il y a trois ou quatre jours, Mademoiselle Melinda Gordon a un don bien particulier, celui de voir les esprits… D’ailleurs, elle en voit un en ce moment…

La passeuse d’âmes précisa : 

— En effet, Daniel Clancy se trouve à la droite de Jim…

Faith intervint : 

— Pouvez-vous le décrire ?

— Oui, bien sûr ! Il ressemble à Jim, avec les mêmes cheveux noirs et yeux bleus, seulement il est vêtu d’une chemise de soie et de velours vert, ainsi que d’un pantalon de la même couleur.

— Pourtant, c’est exactement la description de Daniel peu avant de mourir… dit d’une voix blanche Faith.

Melinda demanda : 

— Votre Altesse, si ma question n’est pas trop indiscrète, comment est-il… mort ?

— Une méchante fée l’a tué en jetant un puissant sort(16), répondit d’une voix émue la reine.

Aiden intervint : 

— Et quoi s’il n’y a pas d’esprit ? Si ce n’est pas de Jim qu’elle a entendu l’histoire…

Jim, dont les yeux lancèrent des éclairs de colère, s’écria : 

— Ainsi, père, vous osez insinuer… Pourtant, je n’ai rien dit des histoires de famille à Melinda…

Il regarda d’un air insistant sa fiancée et ajouta :

 — N’est-ce pas que vous ne savez pas la cause de décès de mon frère ?

— En effet, je l’ignore, confirma la brunette. C’est seulement maintenant que je viens de l’apprendre.

Faith commenta en faisant un geste vers son mari : 

— Aiden, n’est-ce pas la preuve que cette jeune femme ne ment pas ? Et qu’elle voit vraiment les esprits, comme elle l’affirme ?

Aiden maugréa : 

— Si vous le dites…

Jim ajouta d’une voix songeuse : 

— Le don de Melinda la rend encore plus charmante et unique… En tous cas, pour moi seul, et c’est suffisant…

Le roi fit une courte pause puis demanda, en fixant la petite brunette d’un regard insistant : — Mademoiselle Gordon, comment êtes-vous parvenue à vous procurer la robe que vous avez sur vous ?

— C’est simplement l’une des plus belles robes que j’ai dans le garde-robe du château que la gentille fée qui veille sur moi a construit… J’en ai apporté deux autres afin que vous soyez convaincu du fait que mes coffres sont bien garnis…

Le roi déposa ses mains sur les accoudoirs de son trône en pensant que si la demoiselle a volé à une princesse d’une contrée inconnue de moi… D’ailleurs, comment pourrais-je bien croire qu’une fée la protège, alors que c’est précisément une telle entité qui a tué Daniel ?

L’esprit errant, qui avait saisi les pensées de son père, s’exclama d’un air courroucé, les yeux bleus lançant des éclairs et les mains serrées en poings : 

— Père, comment osez-vous imaginer une telle chose ?

Melinda, étonnée de sa réaction, tourna sa tête vers sa direction et demanda d’une voix douce : 

— Monsieur Daniel Clancy, quelle est la cause de votre ire ?

— Mon père ose insinuer que vous aurez volé la robe à une princesse d’une autre contrée ! Il doute aussi de la gentillesse de votre fée !

Aiden, Faith et Jim s’exclamèrent à l’unisson : 

— Qu’est-ce qui vient de se passer ?

La passeuse d’âmes s’éclaircit la gorge puis répondit : 

— Daniel est en colère contre Sa Majesté Aiden Clancy en raison des pensées que ce dernier a…

Elle tourna son regard vers le père de son fiancé et continua : 

— Vous pensez que j’ai volé cette robe, dit-elle en désignant par un geste sa robe, en plus que vous osez insinuer que la fée qui me protège serait méchante…

À ce moment précis, la vieille femme apparut devant sa protégée. Étonnés, tous la regardèrent d’un air étonné. Elle dit d’une voix douce : 

— Bonjour Vos Altesses royales, je suis venue, car j’ai entendu que vous parlez de moi…

— C’est exact, confirma Aiden.

— Et bien, pour vous montrez que je ne suis pas une méchante fée, voici la dot que je donne à Mademoiselle Melinda Gordon si vous la marierez à votre fils…

Elle claqua des doigts et plusieurs gros sacs apparurent dans la salle du trône.

La vieille fée précisa : 

— Ces sacs contiennent de l’or, de l’argent et des pierres précieuses…

Aiden demanda : 

— Quelle est la quantité ?

Un petit sourire au coin des lèvres, elle répondit : 

— Incalculable… Disons, le plus grand chiffre que vous parvenez à écrire sur un parchemin. Ces sacs sont inépuisables. Garantie assurée jusqu’à la fin des jours de Mademoiselle Melinda Gordon !

Elle s’approcha du trône et toucha légèrement le roi et la reine de sa baguette puis s’envola dans les airs.

Une fois la fée partie, Aiden et Faith Clancy, comme s’ils revenaient d’un sommeil, regardèrent autour d’eux et, lorsqu’ils virent leur fils et Melinda l’un à côté de l’autre, ils dirent à l’unisson d’un ton sérieux, sans cligner des yeux :

— Jim, mariez Mademoiselle Melinda Gordon si vous vous aimez ! Et mariez-vous où vous voulez !

Le prince, n’en croyant pas de ses oreilles, demanda à ses parents de répéter. Comme ils ne changèrent point d’avis, il serra tendrement les délicates mains de sa fiancée entre les siennes et dit : 

— Désolé, père, au risque de vous décevoir, je ne voudrais pas me marier à votre cour, mais discrètement dans le château de ma Melinda. Ma place n’est pas ici une seconde de plus !

Aiden fit un geste de bénédiction vers les deux jeunes et murmura : 

— Allez-y librement, mes enfants ! Que Dieu et les bonnes fées vous protègent ! 

Et Jim Clancy prit la main de Melinda Gordon pour la mener à son carrosse, dont les chevaux galopèrent comme le vent jusqu’au château merveilleux De loin déjà, ils en voyaient resplendir les fenêtres illuminées ; et quand ils passèrent près du tilleul qui agitait ses branches et répandait sur eux son doux parfum ; les fleurs, sur l’escalier, étaient épanouies ; des appartements, montait le merveilleux concert des oiseaux chanteurs ; mais c’était dans le grand salon que le prêtre les attendait pour bénir leur union. Aux côtés des mariés, Daniel Clancy et la vieille fée furent les témoins de leur mariage. Peu après la cérémonie, l’esprit errant fit ses adieux à Jim et à Melinda puis, léger comme la plume d’un oiseau, partit dans la Lumière. Depuis ce jour, le couple vit heureux jusqu’à la fin de leurs jours(17).




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(1) Petite entorse par rapport à la série Ghost Whisperer. Bien qu’il est exact qu’Elizabeth est la mère de Melinda, mais elle est vivante. C’est seulement pour respecter le conte qu’elle est défunte. D’ailleurs, il est exact que Melinda est une brunette.


(2) Melinda Gordon, la protagoniste de Ghost Whisperer, a un don bien particulier, à savoir de voir les esprits errants. Elle les aide à accomplir leur dernière volonté et à quitter définitivement le monde des vivants.


(3) Dans le conte, il n’est aucunement précisé que la vieille femme est une fée. C’est notre ajout, en raison de la manière qu’elle aidera la jeune fille.


(4) Nous avons ajouté la présence de l’esprit errant, qui est absent du conte.


(5) Nous avons ajouté le détail de l’arbuste, qui est une espèce indigène en Amérique du Nord.


(6) Nous avons ajouté, par réalisme, cette pensée de Melinda. 


(7) Nous avons modifié le couleur du tapis qui recouvre les marches, car dans le conte, il est de couleur rouge.


(8) Nous avons ajouté la pensée et la réaction de Melinda, ainsi que la présence de l’âme de la belle-mère et de l’esprit errant qu’est Elizabeth Gordon. Par contre, dans la série Ghost Whisperer, c’est Thomas Gordon qui meurt d’une chute dans un escalier. alors qu’il était possédé par l’esprit errant qu’était Paul Eastman.


(9) Nous respectons la transmission de génération en génération, de mère en fille, le don de Melinda, qu’elle hérite de sa mère et de sa grand-mère maternelle.


(10) Nous avons ajouté ce détail, par réalisme, puisqu’il serait impossible que le père de la jeune fille ne soit pas étonné de la mort de sa seconde épouse. De même pour l’enterrement du corps de la défunte.


(11) Nous avons ajouté un nom au prince qui a conquis le cœur de la demoiselle. Dans la série Ghost Whisperer, Jim Clancy est le mari de Melinda Gordon.


(12) Dans la série américaine, Daniel est le frère aîné de Jim et Aiden est son père. Cependant, nous faisons une entorse au sujet de la longévité du père, car il meurt alors que Jim à dix ans. Pour la cause du conte, il faut qu’il soit vivant pour pouvoir approuver le mariage de son fils benjamin.


(13) Dans Ghost Whisperer,  Stephanie du Connecticut est l’ancienne copine de Jim Clancy. Elle est divorcée et mère monoparentale de deux fils. Elle n’est qu’une avocate de la ville de Danbury. Ce n’est que dans notre réécriture que nous faisons de Stephanie une princesse.


(14) Nous avons ajouté ce dialogue entre Melinda et l’esprit errant, afin d’expliquer pourquoi Jim ne revient pas rapidement auprès de sa fiancée.


(15) Nous considérons que les esprits peuvent lire les pensées des vivants, en tant qu’ils sont des entités immatérielles. Cependant, cet aspect n’est aucunement présent dans la série américaine.


(16) Dans la série, la cause du décès de Daniel Clancy n’est pas clairement expliquée, de sorte que nous nous permettons de la présenter d’une manière totalement différente.


(17) Changement important par rapport au conte, dans lequel la jeune femme partit en route avec les trois robes mentionnées. Elle demanda des nouvelles de son fiancé, mais elle n’en obtint aucune information et ne le trouva pas. Elle se fit alors bergère dans un petit village et cacha ses robes précieuses sous une pierre. Elle se confia à un veau familier qui lui venait manger dans la main. Ce n’était que plusieurs années plus tard qu’elle entendit la nouvelle que son fiancé allait se marier avec la fille du roi de la contrée. D’ailleurs, elle vit même son fiancé arrivé sur son cheval près d’elle. Elle le reconnut aussitôt, mais pas lui,  ce qui l’attrista encore plus. À la cour du roi, les festivités devaient durer trois jours. La jeune femme comprit que c’était sa dernière chance pour ravoir son fiancé. Le soir, elle se présenta au bal, la première fois avec sa robe aux soleils d’or et dansa avec lui jusqu’à la fin de la soirée. Elle lui échappa et reprit ses vêtements de bergère. Le lendemain soir, elle se présenta à nouveau au bal, cette fois vêtue de la robe de lunes et posa sur ses cheveux une demie-lune de brillants. Le prince n’en était que plus amoureux d’elle, sauf qu’elle lui échappa encore une fois. Le troisième soir, elle arriva vêtue de la troisième robe qu’elle avait apportée avec elle. C’était seulement à ce moment-là que le prince reconnut sa vraie fiancée. Ils s’enfuièrent alors pour se rendre dans le salon du château, où la cour au complet et un prêtre les attendait et bénit leur union. À notre avis, il serait impossible que Jim Clancy oublie à ce point Melinda Gordon, ce serait carrément out-of-character pour lui, puisqu’il l’aime d’un amour inconditionnel, plus fort même que la mort. C’est par amour pour sa femme qu’il revient auprès d’elle dans le corps de Sam Lucas. En conséquence, nous avons modifié la fin du conte. Par ailleurs, le mariage discret en présence du seul prêtre et de deux témoins, Delia Banks et Elie James, fait allusion au remariage de Jim-Sam et Melinda dans la série.

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