Réécriture de contes à la Ghost Whisperer

Chapitre 17 : La dame prisonnière

5886 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 17/08/2025 13:28




Avertissement 1 : de changements considérables dans la généalogie de Melinda et de Gabriel par rapport à la manière dont elle est présentée dans Ghost Whisperer.

Avertissement 2 : Thomas, Elizabeth et Gabriel Gordon sont out-of-character, en raison du conte.


 




Voici la référence du conte : « Le cercueil de verre », dans Jacob et Wilhelm Grimm, Les contes – Kinder – und Hausmärchen, tome II, texte français de présentation par Armel Guerne, Paris, Éditions Flammarion, 1986 [© 1967], d’après l’édition de 1812, p. 334 à 340.







Que nul ne dise qu’un pauvre ambulancier(1) ne saurait aller bien loin, ni parvenir aux grands honneurs ! Il lui suffit seulement de frapper à la bonne porte et que cela lui réussisse, ce qui est la chose principale.


Un jeune et habile ambulancier, Jim Clancy, honnête et pauvre aussi, qui faisait son tour des États-Unis d’Amérique(2), une fois, s’était enfoncé dans une grande forêt où il se perdit, parce qu’il ne connaissait pas le chemin. Pris par la nuit, il ne lui resta plus qu’à se trouver un gîte dans l’effrayante solitude, où il eut certes pu se faire un douillet lit de mousse si la peur des animaux féroces ne l’avait retenue, si bien qu’il se résolut, finalement, à grimper dans un arbre pour y passer la nuit. Il choisit donc un grand chêne, se hissa jusque tout en haut et n’eut plus qu’à remercier Dieu d’avoir pris avec lui son fer à repasser, sans lequel il eût été emporté à coup sûr par le vent qui courait sur la cime des arbres.


Au bout de quelques heures passées ainsi dans les ténèbres, et non sans crainte et tremblement, Jim Clancy aperçut plus loin une lumière qui brillait ; pensant qu’il devait y avoir là une maison habitée où il serait mieux que dans les branches de son arbre, l’ambulancier descendit prudemment et s’avança vers la lueur, arrivant bientôt dans une cabane de roseaux et de joncs. Prenant courage, il frappa à la porte qui s’ouvrit, et il vit, éclairé par la lumière qui tombait d’en haut, un petit homme très vieux, tout blanc, qui portait un habit fait de chiffons et de morceaux de toutes les couleurs.

— Qui êtes-vous et que voulez-vous ?, questionna le personnage d’une voix glapissante.

— Je suis Jim Clancy, un pauvre ambulancier, répondit-il. La nuit m’a surpris dans cette solitude et je vous demande instamment de bien vouloir m’accueillir dans votre cabane jusqu’au matin.

— Passez votre chemin ! répliqua l’aïeul d’un ton bourru. Les vagabonds, je n’en ai rien à faire ! Allez-vous-en ailleurs vous chercher un abri !

Il allait refermer sa porte après ces paroles, mais l’ambulancier le retint par ses basques et le supplia de façon si attendrissante que le petit vieillard, qui n’était pas aussi méchant qu’il voulait bien le paraître, se laissa toucher finalement et le fit entrer dans sa cabane.

Là, il donna à Jim à manger pour commencer, puis lui prépara une couche très confortable dans un coin.

Fatigué, l’ambulancier n’eut pas besoin d’être bercé. Il dormit délicieusement jusqu’au matin, et l’idée même de se lever ne l’eût pas effleuré, s’il n’avait été réveillé en sursaut par un grand tumulte de rugissements et de mugissements furieux qu’il entendit à travers la mince cloison de la cabane. Avec un courage inattendu, Jim Clancy se leva d’un bond, enfila en toute hâte ses vêtements et se précipita dehors. Il vit alors, tout près de la cabane, un grand taureau noir et un cerf magnifique qui se battaient avec acharnement dans un duel à mort. La terre tremblait sous la violence du choc de leurs puissantes masses et l’air retentissait des hurlements qu’ils poussaient au combat. Longtemps la bataille se prolongea sans laisser deviner lequel pourrait en sortir vainqueur, mais finalement ce fut le cerf qui éventra son adversaire de ses bois et l’étendit, mortellement blessé, sur le sol, où il se débattit encore en poussant un beuglement terrible avant d’être achevé par les derniers coups de son vainqueur.


Jim Clancy, qui avait suivi le dramatique combat avec un intérêt qui frisait la stupeur, se trouvait encore là, immobile, quand le cerf se détourna soudain et arriva sur lui sans lui laisser le temps d’esquisser même un geste, et l’enleva entre ses bois puissants.

L’homme pensa, quelque peu effrayé en son for intérieur. Là, je suis fichu ! Il me tuera sans doute comme il a fait avec le taureau ! Il agrippa fermement les cornes de l’animal pour se jeter lourdement sur son dos. Il le chevaucha, en se tenant fermement aux bois en pensant, perplexe Mais où va-t-il m’amener(3) ? 

Emporté à une vitesse folle avant d’avoir compris ce qui lui arrivait, Jim voyait défiler la forêt et les prés, les pentes et les vallons, les souches et les rochers(4)

Le cerf finit par s’immobiliser devant un mur rocheux et dit d’une voix humaine : 

« Monsieur Clancy, nous sommes arrivés à destination. » 

L’ambulancier descendit de son dos en pensant Un cerf qui parle ? C’est la première fois que j’en vois… Soit c’est une nouvelle espèce, soit j’hallucine… Je me demande ce que le vieil homme m’a donné dans mon verre hier… Ne serait-ce pas du whisky, par hasard(5) ? 

Plus mort que vif, il lui fallut un bon moment pour se remettre et retrouver le fil de sa pensée ; mais quand il se retrouva plus ou moins dans son assiette, le grand cerf jusque-là immobile à côté de lui, dit d’une voix humaine :

— Monsieur Jim Clancy…

L’interpellé sursauta et le fixa, les sourcils levés. Il balbutia :

— Un cerf qui parle ? Ai-je bien entendu ?

— Oui ! Je suis Gabriel Lawrence, un pauvre passeur d’âmes qui a été métamorphosé en cerf par le sorcier qui voulait épouser de force ma sœur Melinda(6)

— Comment vous savez mon nom ? Suis-je si connu dans le pays ?

— Je sais votre nom, parce qu’un Observateur, un esprit qui sait tout ce qui se passe parmi les vivants, me l’a dit. D’ailleurs, il a été il y a quelques secondes à votre droite…

Jim regarda furtivement vers ladite direction, mais comme il ne vit rien, il ramena son attention sur l’animal, en pensant Voilà qu’il veut me dire qu’il voit les esprits… Une catégorie bien particulière de cerf. Ce doit être une espèce indigène de cette forêt ou quoi ?

La bête se tut puis reprit d’un ton impatient en tapant le sol de ses sabots : 

— Allez ! Entrez ! Ne restez pas immobile comme une statue ! Ouvrez la porte dans le mur du rocher !


Jim Clancy regarda le rocher, pour finalement trouver une porte de fer. Il l’ouvrit. Il entendit les bruits de sabots de Gabriel qui s’éloigna de lui(7).

Où aller ? Que faire pour échapper à cette solitude désertique et retrouver la compagnie des hommes ? pensa-t-il, perplexe. Il était toujours là dans son indécision, quand une voix venue du rocher lui dit : « Entrez sans crainte, il ne vous arrivera rien de mal. » 

Jim hésita, bien sûr. On dirait la voix d’une jeune femme… Que fait-elle ici seule, loin de toute présence humaine ? se dit-il à lui-même(8).

À ce moment précis, un esprit apparut silencieusement derrière lui : un vieil homme vêtu d’un complet cravate beige clair et d’une chemise blanche. Nul autre que Carl l’Observateur, qui fit un geste de sa main droite pour le pousser à obéir à la voix féminine. Ainsi influencé par cette force mystérieuse, Jim traversa le seuil(9). Il se trouva dans une immense salle entièrement vide, dont le sol, les murs et le plafond étaient brillants et polis, faits de pierres carrées qui portaient toutes, gravées, de mystérieux signes inconnus. Après avoir contemplé tout cela avec étonnement, l’ambulancier était sur le point de s’en retourner, quand il entendit à nouveau la voix qui lui disait : « Placez-vous sur la pierre au milieu de la salle, votre grande chance vous y attend. »

J’ai vraiment hâte de voir cette demoiselle en détresse ! pensa le jeune homme(10).

Jim se sentait à présent si plein de courage qu’il obéit aussitôt à ce commandement ; la pierre bougea sous ses pieds et s’enfonça lentement dans la profondeur. Lorsqu’elle s’immobilisa de nouveau, l’ambulancier se vit dans une salle aussi vaste et spacieuse que la première, mais où il y avait encore plus à voir et à s’étonner : des cavités avaient été creusées dans les murs, contenant toutes des flacons de verre, qui laissaient voir en transparence les liquides de différentes couleurs ou la vapeur bleutée qui les remplissait. Il y avait aussi sur le sol, se faisant vis-à-vis, deux grands coffres de verre qui éveillèrent immédiatement sa curiosité.

Est-ce le repaire d’une sorcière ? Ou bien une pauvre victime d’une sorcière ? pensa-t-il(11).

Le premier coffre dont il approcha lui laissa voir une magnifique construction semblable à un château entouré de ses dépendances, des écuries, et des granges, des resserres et autres choses de ce genre. Tout était minuscule, mais si minutieusement et si parfaitement exécuté jusqu’au moindre détail, d’un tel fini et d’une précision, qu’on y sentait la main habile d’un véritable artiste.


Jim ne se serait certes pas arraché à la contemplation de ces curiosités admirables, s’il n’eût entendu parler la voix encore une fois, qui lui commandait de faire demi-tour et de regarder dans l’autre coffre de verre. Et quel ne fut pas son émerveillement, quelle ne fut pas sa stupéfaction de voir dans celui-là une jeune brunette d’une rare beauté(12) ! Elle semblait y dormir, les yeux mi-clos, mais la fraîcheur de son teint, le léger battement d’un ruban sous sa douce respiration et le mouvement à peine perceptible de sa robe ne laissaient aucun doute : elle était bien vivante ; et Jim Clancy avait le cœur battant en admirant sa beauté.

Il soupira. Dieu qu’elle est belle ! Quelle finesse! Quelle élégance ! Je voudrais bien faire d’elle mon épouse ! 

Soudain, il la vit qui ouvrait les yeux, posait sur lui un regard heureux et tout surpris à la fois.

Dieu qu’est-ce qu’il est charmant ! Je voudrais bien que ce jeune homme soit mon mari ! pensa-t-elle(13).

En tendant les bras vers le jeune homme, elle s’exclama d’un air enjoué :

— O justice du ciel, voici ma délivrance qui arrive ! Vite, vite, aidez-moi à sortir de ma prison ! 

Il s’approcha d’elle. La brunette toussota puis reprit d’un ton un peu plus calme :

— Il vous suffit de tirer le verrou de ce cercueil de verre, là, et je suis délivrée.

L’ambulancier obéit sans hésitation, et instantanément elle souleva le couvercle du cercueil de verre pour en sortir et s’assit sur une dalle(14). Elle appela le jeune homme auprès d’elle et s’exclama d’un air enjoué, les larmes aux yeux(15) :

— O mon libérateur si longtemps espéré !

Il pensa, rassuré, La demoiselle semble être la victime d’une sorcière… Heureusement pour moi ! En espérant que je ne me trompe pas…

— Pourtant, je n’aurai pu venir sans y être conduit par un cerf qui parle…, protesta Jim en levant les bras en un geste d’impuissance.

— Je le sais… Mais avant de vous raconter mon histoire….

Elle tendit sa main droite devant elle et continua : 

— Je dois me présenter : Melinda Gordon. Et vous ?

En serrant la main de la jeune femme, l’ambulancier répondit : 

— Jim Clancy.

Après s’être serrés la main droite, un silence régna. Chacun était gêné du sentiment qu’il éprouvait envers l’autre. Instinctivement, ayant peur que l’autre ne le lise comme un livre ouvert, Jim et Melinda baissèrent leur tête, n’osant pas regarder l’autre dans les yeux.

La brunette ramassa son courage à deux mains, releva la tête et dit : 

— Monsieur Jim Clancy, la bonté du ciel vous a conduit jusqu’à moi, et met ainsi un terme à mes souffrances. Et le jour même qui marque leur fin marque aussi le commencement de votre bonheur, car vous êtes l’élu… Vous êtes mon mari…

Légèrement rougissante, elle baissa ses grands yeux bruns et cligna des yeux, faisant bouger ses longs cils. 

Jim soupira et murmura, le souffle court : 

— C’est alors aussi votre propre bonheur, Mademoiselle Gordon… 

Elle murmura : 

— C’est vrai, vous avez raison… Au moins, nous serons heureux et comblés en amour et en tous les biens imaginables(16)

Jim, étonné, pensa Mais comment Melinda peut le savoir avec autant de certitude ? Ne serait-elle pas une voyante ou une sorcière ?

Il demanda : 

— Comment pouvez-vous en être si certaine ?

Un petit sourire au visage, elle répondit : 

— Dana Clark, un esprit d’une femme voyante, me l’avait prédit il y a plusieurs années(17)

Notant le regard étonné du jeune ambulancier, la brunette s’éclaircit la gorge puis reprit, en le fixant d’un air assuré :

— Je dois vous préciser quelque chose… J’ai un don bien particulier, que j’ai hérité de ma mère et de ma grand-mère maternelle.

Elle fit une pause, le temps d’observer l’expression de Jim. Rien, aucun changement. Seulement un sourcil levé et un geste rotatif de sa main droite pour l’inciter à développer.

— Ce don est celui de voir les esprits, reprit-elle en un souffle. J’ai remarqué cela depuis mon enfance… 

— Il me semble que le cerf… 

— Mon frère aîné Gabriel, le corrigea-t-elle avec son plus doux sourire.

— Vous avez compris de qui je parlais, grommela Jim. Il m’a dit qu’il était passeur d’âmes…

— Oui, c’est exact… Nous sommes des passeurs d’âmes, ce qui signifie que nous aidons les âmes qui ont encore des choses à régler avec les vivants. Et notre tâche principale est de leur permettre d’accomplir leurs dernières volontés afin qu’elles partent dans la Lumière, dans l’Au-delà, ou l’Autre monde, peu importe le nom. 

— Hmmm, votre explication est vraiment intéressante…

L’ambulancier pensa, en regardant amoureusement Melinda. Elle n’est donc pas une sorcière… Son don la rend encore plus adorable ! Elle a bien dit quand elle m’a dit que je serais comblé ! Comme elle est mignonne ! C’est sans doute pour cela qu’elle est prisonnière ici, mais par qui ? Un peu de patience !

Elle murmura : 

— J’espère que vous avez compris que c’était sérieux ?

— Oui, bien sûr, je vous crois sur parole, répliqua-t-il.

— Très bien ! surenchérit-elle.

Elle s’interrompit elle-même puis reprit : 

— Maintenant, écoutez-moi bien, je vais vous raconter mon histoire.

Elle fit une courte pause, le temps de s’assurer que son interlocuteur la suive.

Et Melinda, les yeux dans le vague, débuta son récit :

— Je suis la fille d’un noble et riche comte, Thomas Gordon, et d’une comtesse, Elizabeth Gordon. J’étais encore dans ma tendre enfance quand mes parents sont morts…

Elle continua d’une voix tremblante, des larmes silencieuses coulaient sur ses joues : 

— Je sais qu’ils sont encore… des esprits errants(18)… Je les ai vu… Sauf que depuis un certain temps, ils semblent invisibles… Mais que je revienne… Par leurs dernières volontés ils me confièrent à mon frère aîné, Gabriel, auprès duquel je fus élevée. Nous nous aimions tant, nous avions tant d’affinités et nous nous entendions si bien en tout, que nous avions tous  deux pris la décision de passer notre existence ensemble jusqu’au mariage de l’un d’entre nous(19). Notre maison ne manquait pas de société et nous y recevions beaucoup : voisins et amis étaient nombreux, qui nous faisaient visite et auxquels nous offrions toujours la plus large hospitalité, l’accueil le plus amical.

Jim fronça des sourcils devant la naïveté de Melinda. Pourtant, Mademoiselle Gordon, je ne suis pas certain que tous ces gens étaient de vrais amis… Et où sont-ils maintenant ? Loin de vous !

La jeune brunette remarqua Carl l’Observateur à la droite de l’ambulancier. L’esprit se tient silencieux.

Elle tourna rapidement son regard vers lui et ramena son attention vers son interlocuteur vivant. 

Jim, intrigué de son attitude, murmura :

— Mademoiselle Gordon…

— Lady Melinda Gordon, corrigea-t-elle d’une voix douce.

— Lady Melinda Gordon, reprit-il, qu’est-ce qui a attiré votre attention tout à l’heure ?

— Un esprit… Un esprit est apparu… D’ailleurs, il est encore là… C’est Carl l’Observateur, mon informateur le plus fiable…

— Pourquoi ? demanda l’ambulancier, les sourcils levés.

— En tant qu’Observateur, il sait tout ce qui se passe parmi les vivants. Rien ne lui échappe.

— D’accord… Je comprends, répliqua Jim avec son sourire le plus chaleureux.

— D’ailleurs, depuis que je suis ici, il est le seul qui me rend visite. Heureusement que je peux le voir…

Puis un silence s’installa entre eux. Jim la prit en pitié.

La pauvre, a être perdue depuis je ne sais combien de temps ici, loin des hommes…, pensa-t-il.

Melinda s’éclaircit la gorge puis reprit :

— Mais que je revienne à mon histoire… Il advint qu’un soir, un inconnu qui voyageait à cheval s’arrêta au château et nous demanda asile pour la nuit…

Jim pensa qu' il n'était pas prudent d’accueillir un inconnu le soir… Surtout qu’on ne sait jamais quelles sont ses intentions…

Il toussota puis demanda d’une voix douce : 

— Avez-vous demander de décliner son nom ?

— Mon frère l’avait demandé… Il s'appelait Kevin McCall(20)… 

Melinda fit une courte pause et murmura, le front plissé, en jouant nerveusement avec le bord de sa robe dorée : 

— Qu’est-ce que je disais ? 

Elle regarda Jim, puis autour d’elle.

Carl l’Observateur commenta : 

— Lady Melinda Gordon, vous parliez de la venue du comte et sorcier Kevin McCall.

La brunette reprit, en ramena son attention sur Jim : 

— Ah, oui ! Le comte Kevin McCall ! Il usait du prétexte qu’il était trop tard pour qu’il pût encore atteindre le prochain bourg. Sa demande fut agréée avec une prévenante courtoisie, et l’inconnu sut si bien agrémenter la conversation à table le soir, il se montra si charmant…

Jim, moue de jalousie à peine contenue, pensa : Autrement dit, il l’a séduit… Dommage !

Elle continua : 

— … Le comte Kevin McCall nous conta des histoires avec un tel brio, que mon frère, enchanté, l’invita à rester quelques jours, ce qu’il finit par accepter après quelques protestations.

Vert de jalousie, l’ambulancier la regarda de travers.

Sans doute qu’elle n’est plus vierge ? Arh ! Comment puis-je être heureux alors ?

Il leva sa main droite et protesta d’un voix forte :

— S’il vous plaît, évitez-moi les détails !

Honteuse, elle baissa la tête en murmurant :

— Ne vous inquiétez pas, monsieur Jim Clancy, je ne vous raconterai pas tout en détail… Je vais à l’essentiel…

Elle se leva pour changer sa position, car la manière dont elle était assise lui semblait maintenant inconfortable.

Melinda releva sa tête et continua son récit, en ajustant sa robe pour cacher ses jambes :

—  Nous nous étions quelque peu attardés à table, ce soir-là, et dès qu’on eût montré sa chambre…

Remarquant la moue de l’ambulancier, elle s’empressa de préciser aussitôt, de sa voix la plus rassurante et avec son doux sourire : 

— C’était une chambre d’invités… Loin de la mienne et de celle de mon frère…

Il confirma silencieusement sa compréhension.

Melinda reprit :

— Moi, j’étais allé dormir dans la mienne, tellement j’étais fatiguée… Je dormais depuis quelques instants, quand je fus réveillée par les accords d’une musique délicieuse… Ne comprenant pas d’où cela pouvait provenir, je m’apprêtais à appeler ma camériste qui dormait dans la chambre voisine, mais à mon grand étonnement…

— … je ne pus articuler… continua-t-elle d’une voix tremblante. en clignant des yeux pour retenir des larmes. Je ne pus articuler le moindre son… J’avais sur la poitrine comme le poids d’une montagne… et un pouvoir inconnu m’empêchait de parler…

La brunette essuya des larmes du dos de ses mains, renifla puis reprit :

— Au même instant, la pâle lueur de la veilleuse m’apprit que l’inconnu était entré dans ma chambre, en dépit des deux portes hermétiquement verrouillées… Il se pencha sur moi et me dit que les puissances occultes sur lesquelles il exerçait sa maîtrise lui avaient permis de me faire entendre cette céleste musique, et que s’il passait à présent à travers les portes fermées, c’était pour m’offrir son cœur et me demander ma main…

Le jeune homme pensa en fronçant les sourcils, jaloux, Alors pourquoi dit-elle que je serais son mari si elle est promise à un autre ?

Elle continua d’une voix exaspérée :

— Je ne daignai pas lui répondre, tellement était grande mon horreur de ces artifices magiques… Et il demeura un bon moment immobile, attendant vraisemblablement le consentement que lui exprimerait ma réponse…

Jim, rassuré, se dit à lui-même en son for intérieur. Heureusement, Lady Melinda Gordon, que vous avez du caractère ! Donc, peut-être qu’elle est vierge ? Hmm, intéressant…

Elle continua d’une voix tremblante :

— Mais comme je continuais obstinément à me taire, il entra en fureur et m’affirma qu’il se vengerait et trouverait moyen de punir mon orgueil… Puis il quitta ma chambre…

Rassuré, il pensa Oh, là, là ! Cela s’annonce terrible ! La vengeance d’un sorcier, c’est à craindre ! Pauvre demoiselle !

Melinda se leva et se servit un verre d’eau qu’elle but lentement. Elle revint s’asseoir en face de Jim et reprit d’une voix inquiète :

— Dès mon réveil, le lendemain matin, je courus chez mon frère pour le mettre au courant, mais je ne le trouvai point dans sa chambre, et son valet m’apprit qu’il était parti dès l’aube à la chasse en compagnie du comte Kevin McCall… Cette nouvelle ne me disait rien de bon et je courus m’habiller dare-dare, fis seller mon cheval favori et m’élançai vers la forêt au triple galop, suivie d’un unique serviteur qui dut bientôt me laisser aller seule… Si je me souviens bien, son cheval avait fait une mauvaise chute et le serviteur s’était cassé une jambe… Je n’eus à galoper que quelques instants encore avant de voir le comte sorcier venir à ma rencontre avec un cerf magnifique qu’il tenait à la laisse. Je lui demandai où il avait laissé mon frère et ce qu’il faisait avec ce cerf, qui avait de grosses larmes dans les yeux ; mais au lieu de me répondre, il éclata d’un rire sonore… Carl l’Observateur m’avait dit que le cerf… était mon frère… La fureur me prit, je saisis mon pistolet et tirai sur le sorcier…

Le jeune homme, par automatisme, recula un peu.

Mademoiselle Gordon est une femme qui n’aime pas être contrariée ! Oh, là, là ! J’espère qu’elle n’est pas aussi capricieuse en tout… Sinon, pauvre moi !

Elle murmura, en faisant un geste de la main vers Jim : 

— Ne fuyez pas… Laissez-moi terminer de vous raconter mon histoire…

Il revint à sa place initiale.

Melinda poursuivit d’une voix quelque peu triste : 

— Mais la balle rebondit sur sa poitrine et vint frapper le sol près de mon cheval, qui se cabra. Tombée sur le sol, je l’entendis qui murmurait des paroles et je perdis conscience… Quand je revins à moi, j’étais dans ce cercueil de verre au fond de ce caveau. Le magicien noir réapparut pour me dire qu’il avait changé mon frère en cerf, réduit le château et ses dépendances à la dimension d’une maquette, qui tenait toute entière dans le second coffre de verre… De plus, il avait transformé tous mes gens en fumée, tels que je pouvais les voir maintenant, prisonniers dans les nombreux flacons. Que je consente à céder à son désir, rien ne lui serait plus facile que de tout rendre à son premier état(21)...

Jim pensa, révolté en son âme, en s’avançant vers elle, comme s’il voulait la réconforter. Quel homme cruel ! S’en prendre ainsi à une demoiselle sans défense !

Melinda continua : 

— Carl l’Observateur m’avait expliqué qu’il fallait seulement ouvrir les prisons de verre pour que tout et tous retrouvent instantané leur forme naturelle. Comme Kevin McCall me pressa d’accepter de devenir sa femme, je ne lui répondis pas plus que la première fois…

L’ambulancier pensa, rassuré. Au moins, elle a du courage pour lui tenir tête… Je ne peux que plus aimer son caractère !

— Et il disparut, poursuivit la jeune brunette d’une voix enjouée, me laissant couchée dans ma prison de verre, où je sombrai dans un sommeil profond. Mais parmi les images éphémères qui passaient néanmoins devant moi, il y avait aussi l’apparition consolante d’un jeune homme venant me délivrer…

Melinda regarda Jim et ajouta : 

— Vous… Un jeune homme aux yeux bleus…

Elle baissa la tête et s’exclama d’un air enjoué : 

— Et aujourd’hui, en ouvrant les yeux, je vous ai vu et mon rêve s’était réalisé !

Jim demanda : 

— J’imagine qu’il faudrait alors délivrer le château pour le ramener dans sa forme initiale ?

La brunette confirma sa question, releva sa tête pour croiser ses yeux bleus et ajouta :

— Nous amenons le coffre de verre qui contient mon château sur cette large dalle, afin de le faire remonter(22).


Elle regarda à la droite de Jim, pour constater que l’Observateur avait disparu. Les deux jeunes gens se levèrent pour déposer le cercueil de verre sur la grande dalle. La dalle, en effet, dès qu’elle reçut sa charge, s’éleva vers les hauteurs en emportant également la jeune comtesse et son jeune sauveteur, traversant verticalement la salle supérieure et atteignit l’air libre en passant par une ouverture pratiquée dans le toit. Une fois dehors, Melinda Gordon ouvrit le coffre de verre en levant son couvercle, et ce fut quelque chose de merveilleux que de voir à quelle vitesse le château et tous les autres bâtiments des annexes et dépendances se déployèrent pour reprendre leur dimension naturelle. 

Cela fait, Melinda et Jim retournèrent dans les profondeurs du caveau souterrain pour rassembler sur la dalle tous les flacons dans lesquels étaient enfermées des fumées, avec lesquels ils remontèrent de nouveau à l’air libre ; et dès que la jeune dame les eut débouchés, la fumée en sortit pour se changer chaque fois en personnages vivants, que Melinda reconnaissait au fur et à mesure comme ses serviteurs des deux sexes : tous les gens employés au château. Mais sa joie fut à son comble, enfin, lorsqu’elle vit sortir son frère de la forêt sous sa véritable forme humaine, retrouvée quand il eut abattu le taureau, qui n’était nul autre que le comte magicien Kevin McCall. Si Melinda et Gabriel ne virent point son âme, c’est parce qu’à peine était-elle sortie de son corps qu’elle était aspirée sous la terre. De sorte que l’âme du sorcier ne vint point les déranger. Le jeune passeur d’âmes enterra le corps du défunt en bonne et dûe forme(23).

Fidèle à sa promesse, Melinda n’attendit pas le lendemain et monta le jour même à l’autel avec l’heureux ambulancier Jim Clancy, auquel elle accorda sa main. Gabriel et les serviteurs du château furent les témoins de leur mariage(24).




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(1) Dans le conte, il est question d’un tailleur.


(2) Comme Ghost Whisperer est une série américaine, nous avons simplement changé le pays, car dans le conte, le tailleur fait le tour de l’Allemagne.


(3) Nous avons ajouté ces pensées à Jim, par réalisme devant la situation dans laquelle il se trouve. De même pour le fait qu’il le chevauche. C’est quand même, à notre avis, une position plus confortable qu’être pris entre les cornes du cerf. Dans tous les cas, même dans le conte, il s’accroche aux bois de la bête. 


(4) Nous avons écourté une partie du conte.


(5) Nous avons ajouté ce propos du cerf et la pensée de Jim Clancy par réalisme.


(6) Nous avons modifié la généalogie de Melinda Gordon, en faisant de Gabriel son frère. Cependant, il est exact que tous les deux voient les esprits errants. Dans la série Ghost Whisperer, Gabriel est le fils de Thomas Gordon et d’une femme non-nommée, tandis que Melinda est la fille de Paul Eastman et d’Elizabeth Gordon. C’est en raison du conte que nous faisons d’eux les enfants de Thomas et d’Elizabeth Gordon.


(7) Nous avons modifié par rapport au conte, dans lequel le cerf ouvrit la porte avec ses cornes puis il disparut dans un écran de flammes et de fumée qui surgit de la porte.


(8) Nous avons ajouté cette pensée du jeune homme, par réalisme.


(9) Dans le conte, il est simplement précisé que le tailleur entra, poussé par une force mystérieuse. En raison de l’existence des Observateurs dans Ghost Whisperer, nous attribuons une telle influence à cette catégorie d’esprits, ce qui respecte aussi la série, puisqu’ils peuvent agir sur les vivants.


(10) Nous avons ajouté cette pensée, absente du conte.


(11) Nous avons ajouté encore une fois cette pensée à Jim, pour rendre compte de son étonnement devant ce qu’il voit.


(12) Nous avons changé la description de la femme, afin qu’elle corresponde davantage à celle de Melinda Gordon dans Ghost Whisperer. Dans le conte, la femme est une blonde.


(13) Nous avons ajouté les pensées amoureuses réciproques de Jim et de Melinda, pour rendre compte de leur amour fidèle et à toutes épreuves dans la série américaine.


(14) Nous avons modifié un peu par rapport au conte, car la femme est nue, enveloppée de ses cheveux. Lorsqu’elle souleva le couvercle du cercueil en verre, elle courut dans un coin de la salle pour s’envelopper dans un grand manteau avant de s’asseoir sur une dalle. Comme nous considérons ceci peu décent, nous la laissons habillée dans le cercueil.


(15) Changement par rapport au conte, dans lequel la jeune fille embrasse tendrement le jeune homme sur les lèvres avant de commencer à parler. Nous considérons qu’un tel comportement compulsif ne convient pas à Melinda, qui est plutôt émotive. C’est pourquoi nous avons remplacé le baiser par des larmes de joie.


(16) Nous avons un peu modifié cette partie du conte, car il s’agit d’un monologue de la jeune femme. Sauf que nous l’avons rendu plus fluide sous forme de dialogue, en insérant des remarques du jeune homme, pour paraître plus naturel.


(17) Dana Clark est un esprit qui avertit Melinda de certains événements futurs dans Ghost Whisperer. Elle n’apparaît qu’au vingt-deuxième épisode de la deuxième saison, intitulé « The Gathering », « Le 11 mai ». Seulement, pour cette réécriture de conte, nous la faisons intervenir pour faire sens de l’affirmation de Melinda.


(18) C’est pour respecter le conte que les deux parents de Melinda sont défunts. Dans Ghost Whisperer, sa mère, Elizabeth, est vivante.


(19) Dans le conte, la dame dit qu’elle et son frère ont pris la décision de ne jamais se marier et de vivre ensemble.


(20) Nous avons ajouté un nom à l’inconnu du conte. Dans la série Ghost Whisperer, Kevin McCall est le petit copain de Melinda Gordon du temps de ses études. Pour la cause du conte, nous considérons qu’il n’y a eu aucune relation entre eux.


(21) Nous avons un peu modifié le conte, en ajoutant l’intervention de Carl l’Observateur, Dans le conte, la jeune femme tira sur le cerf, n’ayant pas compris qu’il s’agit de son frère, sauf que la balle qui sortit de son pistolet rebondit pour toucher le cheval, qui renversa alors la cavalière. Et ce n’est que le lendemain que le sorcier lui a dit qu’il a changé son frère en un cerf.


(22) Nous avons modifié ce monologue de la jeune femme en le rendant sous forme de dialogue, en y ajoutant les répliques et les pensées de Jim, ainsi que les hésitations et les tonalités émotives de Melinda.


(23) Nous avons ajouté le détail au sujet de l’âme et du corps de Kevin McCall, par réalisme. Par ailleurs, dans la série américaine, tout comme les esprits passent dans la Lumière, d’autres, ceux qui restent méchants, sont aspirés par le monde souterrain et semblent plutôt disparaître sous la terre.


(24) Nous avons ajouté les témoins au mariage de Jim et de Melinda, pour mieux correspondre avec le début du premier épisode de la première saison de Ghost Whisperer, qui s’ouvre avec le mariage du jeune couple.

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