Réécriture de contes à la Ghost Whisperer

Chapitre 22 : Le secret du tailleur

2846 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 10/09/2025 18:00



Voici la référence du conte : « Le clair soleil le révélera au grand jour », dans Jacob et Wilhelm Grimm, Les contes – Kinder – und Hausmärchen, tome II, texte français de présentation par Armel Guerne, Paris, Éditions Flammarion, 1986 [© 1967], d’après l’édition de 1812, p. 158 à 159.




A un compagnon tailleur, John Smith(1), qui s’en allait de-ci, de-là, de par le monde en faisant son métier, il arriva une fois qu’il ne trouva plus de travail et que sa pauvreté fut telle, qu’il n’avait plus un sou vaillant en poche, ni plus rien à manger. Mais voilà qu’il rencontra sur sa route un Juif et, s’imaginant qu’il devait avoir beaucoup d’argent sur lui, le compagnon tailleur chassa Dieu de son cœur et se jeta sur le Juif en lui disant :

— Donne-moi ton argent, ou je te bats à mort !

Le Juif lui répondit :

— Laissez-moi la vie sauve ! De l’argent, je n’en ai point : huit sous, c’est tout ce que je possède !

L’autre lui hurla sous le nez :

— Oh ! que si, tu en as, de l’argent, et il faudrait qu’il apparaisse !

John se jeta sur le Juif, le roua de coups et s’acharna sur lui jusqu’à son dernier souffle.

Sur le point de mourir, le Juif put dire encore : « Le clair soleil le révélera au grand jour ! » puis il expira. Devenu esprit errant, il observa attentivement ce qui faisait John(2). Le compagnon tailleur eut beau lui retourner toutes ses poches, il ne trouva rien de plus que les huit sous qu’il avait dit ; alors il tira le corps derrière un buisson et continua ses voyages en vivant de son métier. 




Longtemps après, quand John Smith eut vu bien du pays, il eut un emploi dans la petite ville de Grandview(3), chez un maître tailleur qui avait une fille fort jolie ; il la courtisa, l’aima, l’épousa et vécut heureux en ménage. Évidemment, il était suivi par l’esprit errant du Juif, qui espérait bien rencontrer quelqu’un qui puisse l’aider. Pour l’instant, les habitants qu’il croisait sur sa route ne semblèrent pas le remarquer.


Bien plus tard, alors que le tailleur, devenu entre-temps maître, et sa femme avaient déjà deux enfants, ils eurent le foyer pour eux seuls, ayant perdu leurs vieux parents. John Smith, un matin, travaillait sur sa table devant la fenêtre, et sa femme lui apporta une tasse de café brûlant ; il but lentement sa tasse, et comme il l’approchait des lèvres, le soleil s’y mira et envoya en réverbération des cercles lumineux qui bougeaient sur le mur, près du plafond. L’esprit s’amusa à pousser un peu la main droite de son meurtrier, de sorte que ce dernier, pensant que sa main trembla à cause du café trop chaud, en déversa un peu sur la soucoupe(4). Le tailleur déposa la tasse sur la soucoupe puis le tout sur une table voisine en remerciant sa femme pour le café, qui se retira discrètement dans la cuisine. Il jeta les yeux sur ces éclats lumineux et mouvants, puis pensa : « Eh oui, il voudrait bien le révéler au grand jour, mais il ne le peut pas »(5). Il était néanmoins gêné, car il lui semblait que les mouvements des rayons lui rappelaient sa rencontre avec le Juif qu’il avait tué. 

Sa femme, remarquant qu’il n’était pas dans son assiette, lui en demandait la raison. Il ne voulut pas lui répondre et répliquant que ceci ne la concernait pas(6).



Par une belle journée ensoleillée, John Smith et sa famille se promenèrent dans le parc de la ville. Ils rencontrèrent, chemin faisant, Melinda Gordon, Jim Clancy et leur fils, Aiden, alors âgé de cinq ans. Melinda était une élégante brunette qui avait un don particulier, à savoir celui de voir les esprits. Son époux, un robuste homme aux yeux bleus(7), serra sa main droite, tout en regardant les arbres et les passants autour d’eux. La femme extraordinaire remarqua la présence du Juif derrière John Smith. Habituée à rencontrer toutes sortes d’esprits, aux aspects plus ou moins présentables selon leur cause de décès, elle cligna à peine des yeux.

Elle pensa Qui est-il ? Pourquoi suit-il cet homme ?

Melinda donna un coup de coude à Jim pour lui faire savoir que l’homme qui était devant eux était suivi par un esprit.

Elle regarda d’un air bienveillant les enfants puis aborda le tailleur en ces termes :

— Vos enfants sont vraiment mignons ! Peuvent-ils jouer avec mon fils ?

— Sans problème ! répliqua d’un air enjoué son interlocuteur.

— D’ailleurs, le module à jeux n’est pas loin, par là-bas, commenta Jim, en pointant de son index droit devant lui.

Les deux familles se rendirent jusqu’à l’endroit en question. Les trois enfants coururent jusqu’au toboggan, tandis que les parents étaient assis sur un banc.

L’épouse de Jim s’éclaircit la gorge puis dit, en se retournant vers le tailleur :

— Les enfants semblent bien s’amuser…

— C’est en effet une excellente manière pour eux de socialiser, commenta-t-il en regardant vers le module à jeux.

— Comment s’appellent-ils ?

— Henry et Daniel, répondit l’épouse de John.

— Le mien s’appelle Aiden, commenta Jim, lueur de fierté dans ses yeux.

Melinda nota la présence de l’esprit devant le couple.

Le Juif affichait un air étonné lorsque la passeuse d’âmes le remarqua.

Il balbutia :

— Vous me voyez ?

Elle opina discrètement, puis lâcha la main de son époux, tourna sa tête vers le tailleur et dit :

— Monsieur, je suis Melinda Gordon, la propriétaire de la boutique d’antiquités The Same It Never Was Antiques(8)… 

En désignant de sa main mon mari, elle ajouta : 

— Mon époux, Jim Clancy, ambulancier et docteur à l’hôpital Mercy(9).

— Moi, c’est John Smith, Maître tailleur.

D’un geste de main vers sa femme, il la présenta :

— Mon épouse, Emma Davidson-Smith(10).

— Enchanté ! répliquèrent à l’unisson Jim et Melinda.

— Pareillement, dit le maître tailleur.


Après un long silence, l’antiquaire extraordinaire affirma d’un air sérieux, en regardant vers le revenant :

— Monsieur Smith, vous êtes suivi par un esprit…

— Quoi ? s’exclama l’interpellé, les sourcils levés.

— J’ai un don depuis mon enfance, que j’ai hérité de ma mère et de ma grand-mère maternelle, ajouta Melinda avec son plus beau sourire.

— Mouais, et alors ? demanda Emma.

— Et bien, reprit la médium, l’esprit est un jeune homme avec une barbe de deux jours, vêtu d’une chemise beige presque blanche et d’un complet brun moyen. Il a des ecchymoses et des égratignures au visage et aux mains. Il semble visiblement en colère contre vous(11)

John pâlit à la description du revenant.

C’est le Juif que j’avais tué au début de ma carrière ! Pensa-t-il, en détournant ses yeux de la jeune femme. J’espère seulement que Madame Gordon ne va pas savoir ce que j’ai fait… Ceci ne la concerne pas !

Il murmura d’un ton sévère :

— Je ne connais aucun homme qui correspond à la description que vous en faites…

Le défunt lui lança un regard noir et s’exclama d’un air courroucé, les mains serrées en poings :

— Menteur !

La passeuse d’âmes ramena son attention vers le vivant et dit :

— Monsieur Smith, l’esprit qui vous suit vient de dire que vous êtes un menteur.

— Madame, tonna le maître tailleur en se levant du banc, j’en ai assez de vos insinuations !

Jim intervint : 

— S’il vous plaît, Monsieur, veuillez être un peu plus compréhensif…

— Pourquoi le serai-je ? fit John en s’asseyant sur le banc.

— Simplement de prendre le temps d’écouter ce que mon épouse a à vous dire, répondit son interlocuteur, mine sérieuse. Elle sait très bien de quoi elle parle. Je suis témoin des nombreux cas d’esprits errants qu’elle a aidés. Le Bon Dieu sait que je dis la vérité.

Melinda approuva ses propos.


Le maître tailleur dit d’une voix neutre, après un long silence :

— Madame Gordon, puisque vous affirmez voir les esprits, savez-vous quel est le nom de l’homme qui me suit ?

L’interpellée haussa les épaules et répondit clairement :

— Je ne le sais pas… C’est ce que je voulais lui demander.

En se retournant vers le revenant, elle demanda d’une voix douce :

— Moi, c’est Melinda Gordon. Et vous ?

La réponse du Juif fut directe :

— David Rosenthal(12).

La passeuse d’âmes se retourna vers son mari, John et Emma et leur communiqua l’identité de l’esprit.

Le maître tailleur affirma :

— Pourtant, je vous assure que je ne connais pas cet homme. Je n’ai jamais entendu ce nom de ma vie.

— Faux ! éructa l’esprit en s’agitant furieusement.

— Excusez-moi, Monsieur Rosenthal, intervint Melinda d’une voix chaleureuse, pourquoi suivez-vous Monsieur Smith ?

— Parce qu’il m’a tué !

— Pouvez-vous préciser ?

— Oui !

— Qu’est-ce qu’il a dit ? questionna John, lueur d’inquiétude dans son regard.

—  Un peu de patience, répliqua la médium. Laissez-moi terminer ma conversation avec Monsieur Rosenthal. Avec votre question, c’est comme si vous coupez la parole à quelqu’un.

— Désolé, dit-il en serrant nerveusement la main gauche d’Emma.

Melinda, petit sourire coupable aux lèvres, murmura au revenant :

— Excusez-moi, Monsieur David Rosenthal, de cette interruption… 

Elle reprit d’un air sérieux, en faisant un geste des bras vers lui :

— Je vous écoute. Ensuite, je rapporterai vos propos à Monsieur et à Madame Smith.

— C’est correct, Madame, murmura son interlocuteur d’un air compatissant.

Il fit une pause, mine pensive puis affirma, en désignant d’un geste John :

— Il m’a tué parce qu’il voulait voler mon argent… Il pensait que j’avais plus de huit sous... Il m’a battu à mort… J’ai eu seulement le temps de dire, avant de mourir « Le clair soleil le révélera au grand jour ! »

Il continua d’un air courroucé, les yeux lançant des éclairs : 

— … Ce salaud a laissé mon corps derrière un buisson ! Sans sépulture ! Rien ! Je veux que la vérité éclate au grand jour ! Et que mon meurtrier soit puni ! Adonaï, que justice soit faite !

Melinda rapporta les propos de l’esprit, ce qui laissa Emma très étonnée. Elle lâcha même la main de son mari qu’elle tenait tendrement.

John s’exclama, indigné :

— Mais comment cet esprit parle ! Êtes-vous certaine, Madame Gordon, de n’avoir rien oublié ? 

— J’ai seulement répété mot pour mot ce que David Rosenthal m’a dit. Rien de plus, rien de moins, se défendit-elle en faisant un geste des mains.

L’antiquaire ajouta après un long silence :

— Bien qu’il n’est pas à exclure que les esprits peuvent oublier des détails, je ne peux pas leur tirer les vers du nez…

Jim intervint :

— Par contre, ma femme peut faire une recherche pour mieux comprendre son cas, l’important étant que l’esprit quitte le monde des vivants.

Melinda approuva silencieusement.

David protesta, en s’avançant vers la femme extraordinaire :

— Madame, je vous ai dit la vérité ! 

Il leva son index droit et termina sa phrase :

— Adonaï m’en est témoin !

Puis il disparut.

Melinda se retourna vers l’autre couple et leur répéta les propos de l’esprit.


John Smith la remercia sèchement puis murmura à l’oreille de sa femme :

« Je ne peux plus entendre cette histoire ! Allons-nous-en ! »

Elle opina du chef.

Il répliqua à l’épouse de Jim :

— Merci, Madame Gordon, merci de m’avoir rapporté ce que Monsieur l’esprit a dit.

Il regarda rapidement sur sa montre et ajouta :

— Nous avons d’autres choses à faire…

Il termina avec un sourire forcé : 

— Sur ce, passez une bonne journée !

— Pareillement pour vous ! fit l’interpellée.

John et Emma appelèrent leurs deux enfants et ils s’éloignèrent d’un pas rapide.

Melinda murmura à son époux :

— Jim, il me semble qu’il y a une partie que personne n’a dit…

— Je le pense bien aussi, approuva-t-il.


Quelques heures plus tard, la faim se fit sentir et la petite famille revint dans leur charmante maison. Là, la mère, le père et le fils s’attablèrent. Après le repas, Melinda chercha sur son ordinateur portable au sujet de David Rosenthal. Elle trouva que l’homme avait été porté disparu depuis vingt ans. La police ne l’avait pas retrouvé. Melinda en informa son père, le procureur adjoint Thomas Gordon(13) qui ouvrit une enquête. 




Une semaine plus tard, les os furent retrouvés par les trois inspecteurs chargés de la mener, à savoir Carl Neely, David Campbell et Sam Blair(14). Une fois la victime identifiée, le tailleur John Smith fut arrêté, jugé puis condamné à trente ans de prison. Les os de David Rosenthal furent enterrés en bonne et due forme dans le cimetière juif de Grandview.


Le lendemain de l'emprisonnement du maître tailleur, l’esprit errant, heureux que la vérité soit découverte, partit dans la Lumière, sous le regard bienveillant de Melinda Gordon(15).



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(1) Nous avons inventé un nom au tailleur du conte.


(2) Dans Ghost Whisperer, les esprits errants peuvent hanter les vivants. Nous avons ajouté cette remarque, par réalisme et compte tenu de la situation du conte.


(3) Dans le conte, la ville n’est pas précisée. Nous avons alors ajouté qu’il s'agit de celle où vit Melinda Gordon, la protagoniste de la série américaine.


(4) Petit changement par rapport au conte, dans lequel le tailleur versa du café sur la soucoupe pour le boire. Comme dans Ghost Whisperer les esprits peuvent agir sur les vivants, nous avons mentionné l’intervention de celui de la victime du tailleur.


(5) Dans le conte, le tailleur dit ces paroles ; nous avons préféré les mettre dans ses pensées.


(6) Nous avons ajouté ce détail, par réalisme.


(7) Dans Ghost Whisperer, Jim Clancy et Melinda Gordon forment le couple central. Leur fils s’appelle Aiden. La description que nous faisons d’eux par la suite est assez fidèle à la série.


(8) Nous avons repris cette information de la série en question.


(9) Nous avons fait un changement par rapport à la série : Jim n’est qu’un ambulancier qui veut devenir docteur. Il ne deviendra docteur que dans la cinquième saison, alors que son âme est dans le corps de Sam Lucas, le second mari de Melinda.


(10) Nous avons ajouté un nom à la femme du tailleur, ce qui est absent du conte.


(11) Nous respectons la transmission intergénérationnelle du don de Melinda du côté maternel. D’ailleurs, la chuchoteuse d’esprits les voit selon la dernière apparence qu’ils avaient au moment de leur mort. 


(12) Nous avons ajouté un nom au Juif du conte.


(13) Changement par rapport à la généalogie de Melinda Gordon, car Thomas n’est que son beau-père. Seulement, pour la nécessité du conte, nous considérons qu’il est son père.


(14) Dans Ghost Whisperer, Carl Neely est un inspecteur qui apparaît brièvement dans quelques épisodes des troisième et quatrième saisons. Sam Blair apparaît brièvement dans quelques épisodes des quatrième et cinquième saison de la série. David Campbell n’apparaît que dans le quatrième épisode de la troisième saison, No Safe Place — Ensemble pour l’éternité.


(15) Nous avons modifié considérablement la fin du conte, dans lequel la vérité sur le crime avait été découverte en raison de l’insistance de la femme du tailleur. Ne pouvant pas tenir sa langue, elle le dit à sa voisine lorsque son mari part au travail. Trois jours plus tard, toute la ville le savait et le tailleurs fut arrêté, jugé puis exécuté. Nous avons ajouté le mandat d’arrêt et le départ de l’esprit errant, afin de respecter la fin d’un épisode de Ghost Whisperer.


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