Réécriture de contes à la Ghost Whisperer

Chapitre 24 : Paul Eastman, le prince intrépide

4570 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 27/09/2025 13:37


Voici la référence du conte : « Le prince qui n’avait peur de rien », dans Jacob et Wilhelm Grimm, Les contes – Kinder – und Hausmärchen, tome II, texte français de présentation par Armel Guerne, Paris, Éditions Flammarion, 1986 [© 1967], d’après l’édition de 1812, p. 180 à 186.




Il était une fois un prince, Paul Eastman, qui voyait les esprits(1) et qui ne se plaisait pas du tout chez son père, le roi ; et comme il n’avait peur de rien, il se dit : « Je vais m’en aller courir le vaste monde, voir du pays et quantité de choses surprenantes, ainsi le temps ne me durera pas. » Par ailleurs, l’esprit d’une voyante, une certaine Dana Clark(2), lui avait dit qu’il trouverait une princesse dans le vaste monde, dans un château ensorcelé.

Il prit congé de ses parents et s’en alla, avançant sans cesse du matin au soir, suivant Dana Clark, sans se soucier le moindre du monde de l’endroit où son chemin pouvait bien vouloir le mener ; cela lui était complètement égal.


Il lui advint ainsi de s’arrêter devant la maison du procureur adjoint Thomas Gordon, surnommé le géant en raison de ses cent quatre-vingts-quinze centimètres(3). Comme Paul Eastman se sentait fatigué, il s’assit à sa porte pour se reposer. Laissant errer ses regards à la ronde, le prince aperçut dans la cour, le jeu de quilles du géant : quelques énormes boules et des quilles de la taille d’un homme. Au bout d’un moment, l’envie le prit de jouer ; il dressa les quilles en les alignant dans l’ordre voulu, puis il se mit à jeter les grosses boules, criant, riant et s’amusant de tout son cœur chaque fois qu’il réussissait un beau coup ; et les quilles, en s’abattant, ajoutaient au vacarme qu’il faisait lui-même. Surpris, le géant Thomas Gordon passa la tête par la fenêtre en entendant tout ce bruit dont il ne comprenait pas la cause, et sa surprise redoubla quand il vit que c’était un  homme de la taille ordinaire qui menait tout ce tapage et qui jouait, en dépit de sa stature minuscule, avec les quilles de son jeu à lui.

— Espèce de vermisseau, c’est avec mes quilles que tu joues ? lui cria-t-il. D’où prends-tu pareille force ?

Le prince Paul Eastman leva les yeux vers cette voix, vit le géant à sa fenêtre et lui cria :

— Dis donc, espèce de grosse bûche, t’imagines-tu que tu sois le seul à avoir un peu de force dans les bras ? Ce qu’il me plaît de faire, je le fais ; je suis capable de faire tout ce que j’ai envie de faire.

Alors le géant descendit, et quand il vit les quilles renversées jusqu’à la dernière, il en fut grandement étonné.

— Toi, mon petit bonhomme, lui dit Thomas, si tu es de cette espèce-là, tu devrais aller me chercher une pomme de l’Arbre de Vie !

— Qu’est-ce que tu veux en faire ? questionna le prince.

— Ce n’est pas pour moi, mais j’ai une fiancée…

— Comment s’appelle-t-elle ?

— Elizabeth Patterson…


À ce moment précis, un esprit apparut à la droite du géant : un vieil homme vêtu d’un complet beige et d’une chemise blanche. Paul, intrigué, regarda discrètement vers sa direction.

L’entité se présenta : l’Observateur Carl Sessick, pour rapporter tout ce qu’il savait au sujet des vivants, car rien ne lui échappait(4).

Le prince extraordinaire pensa que veut bien me dire cet esprit ?

Son interlocuteur, comme s’il avait lu sa pensée, répondit :

— Je veux seulement vous préciser que la fiancée est une princesse, Son Altesse Elizabeth Patterson, qui est victime d’un sort d’un puissant sorcier pour le compte de Thomas Gordon. Ce dernier désire la marier, mais elle ne se laisse pas faire, car elle ne l’aime pas. Il s’intéresse à elle, en raison de son don bien particulier, à savoir de voir les esprits… de nous voir… Ce don, elle l’a hérité de sa mère, Sa Majesté Mary-Ann Patterson, qui, elle, l’a hérité de sa propre mère, Sa Majesté Julia Lee(5).

Ainsi parla Carl, qui s’évapora dans les airs jusqu’à disparaître complètement de sa vue.

Le prince, le cœur serré, pensa Je dois délivrer cette princesse(6) ! Je ne peux pas demeurer passif devant un mariage forcé !

Mine songeuse, il se dit à lui-même un détail intéressant… Une princesse ensorcelée ? Serait-ce en lien avec les paroles de Dana Clark, qui m’a dit que je trouverais une princesse dans un château ensorcelé ?


Paul sortit de ses pensées par la voix de Thomas Gordon :

— C’est ma fiancée qui voudrait la pomme de l’Arbre de Vie… J’ai parcouru le vaste monde moi-même sans arriver seulement à trouver l’Arbre.

— Je la trouverai sûrement, moi ! répondit le prince, et je ne vois pas qui ou quoi pourrait m’empêcher d’y cueillir une pomme.

— Tu crois peut-être que c’est si facile ? reprit le géant. Le jardin dans lequel se trouve l’Arbre de Vie est entièrement clos d’un mur de fer, gardé lui-même par des bêtes sauvages qui sont couchées devant, côte à côte, et qui ne laissent aucun homme approcher.

Comment peut-il savoir ce détail s’il n’a pas trouvé l’Arbre de Vie ? pensa le prince, étonné, mais sans laisser rien paraître(7).

— Oui, mais moi j’entrerai, affirma Paul.

— Très bien, mais même si tu réussis à pénétrer à l’intérieur du jardin, même si tu vois la pomme devant toi, sur son arbre, tu ne la tiens pas encore ! Il y a un anneau suspendu devant, à travers lequel il faudra que tu passes la main pour atteindre le fruit et le cueillir, et cela, il n’y a encore personne qui y soit arrivé.

— Monsieur le Procureur Thomas Gordon, puis-je vous poser une question ?

— Oui, en espérant pouvoir y répondre.

— Comment pouvez-vous savoir les dangers entourant l’Arbre de Vie alors que vous ne l’avez pas trouvé ?

— Je les avais entendu par ouï-dire.

L’Observateur Carl Sessick apparut aussitôt à la droite du géant et dit :

— Il ment. Il avait entendu les dangers de la bouche de son sorcier, dont le nom n’a pas d’importance pour vous(8).

Ainsi parla l’esprit qui disparut aussitôt.

Paul, interdit, demeura silencieux pendant quelques minutes, le temps de bien assimiler ce qu’il venait d’entendre.

Il finit par dire de son air le plus déterminé :

— C’est possible, mais moi j’y parviendrai bien !



Quittant le géant sur ces paroles, le prince extraordinaire s’en alla dans le vaste monde et chemina par monts et par vaux, jusqu’à ce qu’il fût arrivé au jardin miraculeux, guidé par l’Observateur Carl Sessick(9). Les fauves étaient là, couchés tout alentour, mais ils avaient la tête baissée et ils dormaient ; ils ne se réveillèrent point lorsqu’il approcha, passa outre et s’avança jusqu’au pied du mur, qu’il escalada, puis il se laissa, heureusement, retomber de l’autre côté, dans le jardin. L’Arbre de Vie se dressait en son milieu, reconnaissable au rouge écarlate de ses pommes, qui resplendissaient parmi les branches. Paul grimpa à l’arbre jusqu’en haut, mais quand il voulut tendre la main pour prendre une pomme, il vit qu’en effet, un cercle de fer était interposé : il passa la main à travers, sans aucune difficulté, et il cueillit la pomme ; mais dès qu’il l’eut touchée, l’anneau de fer se serra fermement sur son bras, tandis qu’il sentait en même temps dans ses veines courir une énergie et une force formidables. Redescendu de l’Arbre avec la pomme, Paul Eastman ne voulut pas cette fois escalader le mur d’enceinte et il marcha jusqu’au portail monumental, qu’il n’eut besoin de secouer qu’une seule fois pour le forcer et l’ouvrir devant lui, dans un craquement énorme. Le lion qui était de garde au portail été réveillé quand il sortit, et il le vit bondir vers lui, mais non pas en fureur et sauvagement : au contraire, le fauve était docile et lui obéissait comme à son maître.


En rapportant la pomme au procureur adjoint, comme il le lui avait promis, le prince Paul Eastman lui dit : « Voilà ! je l’ai eue sans grand-peine ni fatigue. » Thomas Gordon, tout heureux de voir son désir aussi vite accompli, courut porter la pomme à sa fiancée. Elizabeth lui dit, ne voyant pas l’anneau à son bras : « Je ne croirai pas que tu aies cueilli la pomme toi-même avant d’avoir vu l’anneau à ton bras ! » Elle pensa que si c'était vraiment lui qui avait cueilli la pomme de l’Arbre de Vie, il aurait eu l’anneau autour de son bras… Cela ressemble à de la fraude… Je ne veux pas me marier à Thomas Gordon, un point c’est tout !


À ce moment précis, l’Observateur Carl Sessick apparut devant la princesse extraordinaire et dit d’un air sérieux : 

— Votre Altesse Elizabeth Patterson, en effet, ce n’est pas Monsieur le Procureur Thomas Gordon qui avait cueilli la pomme de l’Arbre de la Vie, mais Son Altesse le prince Paul Eastman.

La princesse remercia d’un geste de tête son informateur qui disparut aussitôt de sa vue(10).


Le géant, n’ayant pas remarqué le geste discret de sa fiancée, sortit du château dans lequel elle était prisonnière. Il se dit en se frottant les mains, certain de sa future victoire, que je n’aurais qu’à retourner chez moi pour lui rapporter l’anneau, car rien ne serait plus facile que de le prendre de force à une faible créature humaine, si Paul Eastman n’était pas disposé à le lui donner de son plein gré(11).


Thomas revint donc et réclama l’anneau à Paul, qui le lui refusa.

— Qui a eu la pomme a aussi l’anneau ! déclara le prince d’un ton ferme.

— Non ! répliqua le géant, l’anneau doit être où est la pomme ! Si tu ne veux pas me le donner de bonne grâce, nous nous battrons.


Ils engagèrent la lutte et combattirent longtemps sans que le géant parvînt à dominer le prince, dont les forces étaient multipliées et renouvelées par la magie de l’anneau. Thomas Gordon songea alors à user de ruse ; il cessa la lutte et proposa à son adversaire d’aller se rafraîchir en prenant un bain dans la rivière, en ajoutant « car nous avons attrapé chaud tous les deux à lutter comme nous l’avons fait ! Après, nous reprendrons le combat. »

Paul Eastman, ignorant toute duplicité, gagna le bord de la rivière avec Thomas Gordon, se déshabilla et retira aussi l’anneau de son bras, avant de plonger dans l’eau. Le géant, qui n’attendait que ce moment, s’empara de l’anneau et s’enfuit en l’emportant ; mais le lion, influencé par l’Observateur Carl Sessick, avait vu la scène de loin(12). La bête bondit derrière le géant, lui arracha l’anneau et le rapporta à son maître. Furieux, mais ne se tenant pas pour battu, Thomas Gordon se cacha derrière un gros chêne, attendit que le prince sortît de l’eau pour venir se rhabiller, lui sauta dessus par surprise et lui creva les yeux.


Aveugle, le malheureux prince ne savait plus que faire et ne pouvait se défendre. Le fourbe géant revint vers lui comme quelqu’un qui s’offrait à le guider. L’Observateur apparut à la droite du prince extraordinaire et l’avertit d’un ton sérieux :

— Celui qui vous offre son aide, Votre Altesse Paul Eastman, est Thomas Gordon, celui-là même qui est responsable de votre triste situation.

Merci de l’information, pensa-t-il, malgré la colère qui montait en lui. Mais comment puis-je l’éviter ?

— Dites-lui, Votre Altesse, que vous vous débrouillerez à tâtons comme le mari de Raiponce.

Thomas Gordon dit d’une voix mielleuse :

— Mon cher Monsieur, je peux vous guider où vous voulez… Vous faites vraiment pitié… Dites-moi seulement où vous voulez aller…

Paul répliqua fermement :

— C’est gentil, Monsieur, mais je m’arrangerai comme le mari de Raiponce à tâtons…

— Impossible de survivre ! Venez, je vais vous aider…

Le géant prit la main droite du prince et le mena sur le sommet d’un pic rocheux, où il l’abandonna. Le pauvre aveugle avait essayé de se libérer de son emprise, mais il dut abandonner toute tentative de fuite, étant donné qu’il ignorait tout du paysage qui l’entourait(13).

Qu’il fasse un pas ou deux, se disait le perfide Thomas, et il se tuera en tombant ; je n’aurai plus alors qu’à m’emparer de l’anneau

Mais le lion n’avait pas abandonné son maître, qu’il retint fermement par ses basques et qu’il ramena en lieu sûr. Lorsqu’en bas, le géant s’en vint pour dépouiller le cadavre de son anneau, il s’aperçut que sa ruse n’avait rien donné.

Ce faible et minuscule enfant des hommes serait-il donc indestructible ? grogna-t-il plein de rage, tout en s’en revenant prendre la main de Paul Eastman pour le guider, par un autre chemin de nouveau sur le bord de l’abîme. 

Mais le lion, une fois de plus, perça ses mauvaises intentions à jour, possédé par l’Observateur, et sauva son maître du péril. Quand ils furent sur le bord de l’abîme, à l’instant où Thomas lâchait la main de l’aveugle pour l’abandonner à son funeste sort, le lion surgit et précipita le géant dans le vide, l’envoyant se fracasser tout en bas. Le procureur adjoint, devenu maintenant un esprit errant, regarda autour de lui, dans l’espoir de retrouver Paul Eastman, sauf que l’Observateur Carl Sessick le dissuada sévèrement en disant : « Monsieur le Procureur Thomas Gordon, n’essayez surtout pas de toucher à Son Altesse Paul Eastman ! Sinon, vous aurez affaire à moi ! » Pour en ajouter sur la menace, il saisit fermement ses poignets et le poussa devant lui, de manière à l’éloigner. L’esprit, effrayé, s’évapora dans les airs, sans plus jamais s’approcher du prince(14).


Le fidèle animal, qui avait aussitôt retenu le prince, le guida loin du danger et le conduisit jusqu’à un arbre, au pied duquel coulait une source claire. Comme le prince s’était assis contre le tronc de l’arbre, le lion se coucha tout au bord de l’eau et lui aspergea le visage avec sa patte antérieure droite. Une gouttelette, deux gouttelettes peut-être lui effleurèrent les paupières, et aussitôt Paul Eastman put de nouveau voir un peu, quoique très vaguement. Il distingua néanmoins un petit oiseau non loin, qui volait en se heurtant aux branches ; il se posa près de l’eau, s’y baigna en s’ébrouant, puis reprit son vol en se glissant adroitement entre les arbres comme s’il eût recouvré la vue. Comprenant que c’était un signe que Dieu lui donnait, le prince Paul Eastman se pencha aussitôt et se baigna le visage dans cette eau miraculeuse. Lorsqu’il se releva, il avait retrouvé ses yeux et leur clair regard.



Après avoir exprimé toute sa gratitude à Dieu pour cette grâce insigne, le prince reprit sa course errante dans le monde, suivi toujours de son fidèle lion. Il arriva ainsi, un jour, jusqu’à un château ensorcelé : Elizabeth Patterson, la jeune femme qui se tenait sur le seuil, était élégante d’allure et belle de visage, mais entièrement noire.

— Seriez-vous capable de me délivrer du mauvais sort qui m’a été jeté ? demanda-t-elle, parlant la première fois à ce jeune homme qui arrivait. À peine le vit-elle, qu’Elizabeth remarqua Diana Clark à la droite du prince. L’esprit dit à ce dernier :

— Voici, Votre Altesse Paul Eastman, votre fiancée.

Il pensa, étonné, c’est ma future épouse ? Dieu qu’elle est noire ! Je l’imaginais autrement !

La princesse, dont le regard se promena du prince à l’esprit et inversement pensa, contente, enfin un prince qui comprendra mon don ! Dieu soit loué ! Thomas Gordon commençait loyalement à m’ennuyer avec son ton insistant…

D’ailleurs, la princesse fut amoureuse du prince extraordinaire dès le premier regard(15).

— Que faut-il que je fasse ? questionna Paul.

— Il faut que vous passiez trois nuits sans peur dans la grand-salle du château, qui est ensorcelé et hanté, expliqua-t-elle. Quelles que soient les tortures qu’ils puissent vous infliger, si vous les supportez sans mot dire, je serai délivrée. Mais quoi qu’ils fassent, ils ne peuvent pas vous ôter la vie.

— Votre Altesse Elizabeth Patterson, comment savez-vous toutes ces informations ? Ne serait-ce pas un esprit qui vous l'aurait dit ?

La princesse répondit après un long silence :

— En effet, c’est un esprit prophétique, Dana Clark, qui me l’a dit… Je dois vous préciser que je vois les esprits…

— Je le sais, l’interrompit le prince avec son plus beau sourire, car c’est Dana Clark elle-même qui m’avait informé de votre existence.

— Et bien, je ne peux qu'espérer que vous parviendrez à me délivrer du sort, fit-elle d’une voix inquiète(16).

— Je ne suis pas peureux et je vais tenter la chose, avec l’aide de Dieu, dit-il fermement.


Et Paul pénétra joyeusement à l’intérieur du château, sous le regard inquiet d’Elizabeth.

La nuit venue, il alla s’asseoir dans la grand-salle et attendit.

Il ne se passa rien et tout resta silencieux jusqu’à minuit, quand soudain éclata un énorme tumulte avec des petits diables qui sortaient de partout, des coins et des recoins, en menant grand tapage. Ils firent d’abord comme s’ils ne l’avaient pas vu, allumèrent un grand feu et se mirent à jouer. Mais bientôt celui qui avait perdu s’exclama :

— Ce n’est pas juste ! Il y en a un qui n’est pas des nôtres, ici, et c’est de sa faute si j’ai perdu !

— Attends un peu, toi,là-bas ! cria un autre petit diable. J’arrive et je vais m’occuper de toi !

Ils se mirent à crier tous, et si horriblement, si fort, si méchamment que personne n’eût pu les entendre sans trembler. Le prince Paul Eastman, pourtant, demeura assis, ignorant toute crainte ; mais à la fin tous les diables se jetèrent sur lui, en furie, de tous les côtés à la fois, et il y en avait un tel nombre qu’il lui était impossible de s’en défaire ou même de s’en défendre. Tirant, poussant, pinçant, frappant, ils l’abattirent au sol, où ils le tourmentèrent de mille manières, mais sans parvenir à lui arracher un seul mot, ni même un soupir. Quand ils disparurent brusquement, au lever du jour, le prince Paul Eastman avait tant souffert qu’il ne pouvait presque plus bouger ; le jour venu, Elizabeth Patterson entra et s’approcha de lui : elle tenait un flacon dans sa main, et c’était l'élixir de Vie qu’il contenait ; dès qu’elle l’eut frictionné avec cette Eau Vivante, ses courbatures et ses douleurs s’évanouirent comme par enchantements et il sentit une nouvelle vigueur courir dans ses jeunes veines.

— Tu as supporté vaillamment une première nuit, lui dit-elle, mais il t’en reste encore deux à subir. 

Elle le quitta sur ces paroles et gagna la sortie ; comme elle s’en allait, Paul remarqua que ses pieds et ses chevilles étaient redevenus blancs.


La nuit suivante, les démons tourmenteurs arrivèrent de nouveau, recommencèrent leur jeu, puis se ruèrent comme la veille sur le malheureux prince, mais bien plus férocement et avec un acharnement redoublé. Le matin, il était couvert de véritables blessures, cette fois ; mais tout disparut grâce à l’élixir de Vie, à l’aurore, quand la jeune fille noire vint l’en frictionner. Et lorsqu’elle s’éloigna, il vit avec joie qu’elle était déjà blanche jusqu’au bout des doigts.


Il ne lui restait plus à tenir qu’une seule nuit, mais ce fut la pire ! Les diableries recommencèrent de plus belle et les démons exaspérés, dès qu’ils arrivèrent, lui crièrent dessus.

« Quoi ? Tu es encore là ? Tu vas subir de telles tortures, ce coup-ci, que tu en auras le souffle coupé ! »

Le prince fut jeté de côtés et d’autres dans la grand-salle, frappé et malmené, tiré, piqué, tordu, écartelé, tourmenté avec la pire violence, des pieds à la tête et partout à la fois ; mais il ne laissa pas échapper un son et supporta toutes ces tortures. Quand les diables se retirèrent au lever du jour, le prince extraordinaire resta étendu sur le sol sans bouger : il était évanoui et ne vit pas entrer la jeune fille avec son élixir, dont elle le baigna et frictionna délicieusement.

D’un seul coup, comme s’il se réveillait d’un sommeil réparateur, Paul Eastman se sentit plein de fraîche vigueur et d’ardente jeunesse, alerte et heureux dans son corps, sans la moindre trace des douleurs endurées. Ouvrant les yeux alors, il vit devant lui la plus belle jeune femme qui se penchait un peu, et elle était blanche et claire comme le jour.

— Levez-vous, lui dit Elizabeth Patterson tendrement, et faites tournoyer par trois fois votre épée sur le seuil : ainsi tout sera délivré.


Quand il l’eut fait, le château tout entier se trouva délivré de l’ensorcellement, et il sut que la belle était la riche princesse Elizabeth Patterson, fille d’un roi qui était lui-même fils d’un roi. Les serviteurs arrivèrent alors pour dire que la table était dressée dans la grand-salle et le festin servi. Ils s’y rendirent, mangèrent et burent ensemble, en présence du roi et de toute la cour, en heureux fiancés, dont les noces furent célébrées le soir même dans la liesse générale(17).





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(1) Dans Ghost Whisperer, Paul Eastman est le fiancé d’Elizabeth et le père biologique de Melinda. Comme elles, il voit les esprits errants. Par ailleurs, aucune précision n’est donnée concernant le métier qu’il exerce. En raison de la transposition du conte, nous faisons de lui un prince.


(2) Dana Clark est un esprit qui avertit Melinda de certains événements futurs dans Ghost Whisperer. Elle n’apparaît qu’au vingt-deuxième épisode de la deuxième saison, intitulé « The Gathering », « Le 11 mai ». Seulement, pour cette réécriture de conte, nous la faisons intervenir pour faire sens des actions de Paul Eastman.


(3) Dans la série américaine, Thomas Gordon est un procureur adjoint. Seulement, nous avons considérablement exagéré sa taille, afin qu’il corresponde au géant du conte allemand.


(4) Dans Ghost Whisperer, un Observateur (une Observatrice au féminin) est un esprit qui ne passe pas du tout dans la Lumière et qui regarde tout ce qui se passe et qui peut avertir concernant certains événements futurs. Il y a plusieurs Observateurs non-nommés, sauf Carl Sessick, l’Observateur présent à la fin de la quatrième saison et tout au long de la cinquième saison, qui avertit Melinda et son fils Aiden de certains événements.

 

(5) Nous respectons le fait que le don de voir les esprits est transmis de mère en fille. De même, les noms des ancêtres sont repris de la série. Bien évidemment, c’est pour la cause du conte que nous faisons d’Elizabeth une princesse, de sa mère et de sa grand-mère des reines.


(6) Nous faisons ici une entorse par rapport au conte, dans lequel il s’agit de deux princesses différentes — la fiancée du géant n’est pas la princesse ensorcelée. C’est seulement pour la cause de la transposition des personnages de Ghost Whisperer que nous faisons les deux princesses la même.


(7) Nous avons ajouté cette pensée au prince, par réalisme en fonction du contexte.


(8) Nous avons ajouté ces explications, qui sont absentes du conte.


(9) Nous avons ajouté la présence de l’Observateur Carl Sessick auprès de Paul Eastman, afin d’expliquer comment il parvint à trouver l’Arbre de Vie.


(10) Nous avons ajouté cette pensée à la princesse et l’intervention de l’Observateur, puisque Ghost Whisperer permet une interaction entre un passeur d’âmes et un esprit. D’ailleurs, comme nous avons fait en sorte, dans notre transposition du conte, la fiancée du géant et la princesse ensorcelée sont une seule et même personne, de sorte qu’Elizabeth pourrait bien savoir qui avait vraiment cueilli la pomme de l’Arbre de Vie.


(11) Nous avons déplacé cette phrase du conte dans les pensées de Thomas Gordon.


(12) Nous avons ajouté l’influence de l’Observateur pour expliquer le comportement du lion du conte.


(13) Nous avons développé cette partie du conte, en y ajoutant l’intervention de Carl Sessick.


(14) Nous avons ajouté le fait que Thomas Gordon est une âme perdue après son décès, question de respecter Ghost Whisperer. Seulement, dans la série, il meurt, possédé par l’esprit errant qu’est Paul Eastman, d’une chute dans les escaliers. C’est seulement en raison du conte que le procureur adjoint meurt d’une chute du haut de la montagne. Nous avons ajouté les propos très dissuasifs de l’Observateur, pour expliquer pourquoi il ne suit pas Paul Eastman.


(15) Nous avons ajouté l’intervention de l’esprit prophète et du sentiment amoureux d’Elizabeth pour Paul, afin de respecter le fait que ce dernier soit l’amour de sa vie et son ex-fiancé dans la série américaine.


(16) Nous avons ajouté cette partie du dialogue, afin qu’Elizabeth sache pour le don de Paul.


(17) Nous avons repris intégralement la fin du conte.

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