Réécriture de contes à la Ghost Whisperer

Chapitre 27 : Melinda Gordon prisonnière

5264 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 12/10/2025 13:17


Voici la référence du conte : « L’âne-salade », dans Jacob et Wilhelm Grimm, Les contes – Kinder – und Hausmärchen, tome II, texte français de présentation par Armel Guerne, Paris, Éditions Flammarion, 1986 [© 1967], d’après l’édition de 1812, p. 187 à 195.




Il y avait une fois un jeune ambulancier, Jim Clancy(1), qui s’en était allé chasser à l’affût dans la forêt. C’était un passe-temps pour lui(2). Le cœur léger, en sifflant avec une herbe, il se rendait à son poste d’affût, quand il vint à rencontrer une brunette ordinaire, âgée vers la quarantaine(3), qui lui parla :

— Bonjour, joyeux chasseur ! Vous êtes jeune et heureux de vivre, mais moi qui suis une pauvre femme, j’ai grand-faim et grand-soif. Montrez-vous généreux et faites-moi l’aumône !

Emu de compassion à la vue de la pauvre femme, Jim Clancy fourra sa main à la poche et lui tendit une pièce, car il n’était pas riche. Il allait poursuivre son chemin, quand la quarantenaire l’arrêta et lui dit :

— Écoutez ce que je vais vous dire, mon brave chasseur !

Il l’interrompit poliment :

— Madame, je ne suis pas un chasseur, mais un simple ambulancier…

— Quel est votre nom, jeune homme ?

— Jim Clancy. Et vous ?

— Elizabeth Gordon(4).

La femme reprit après un silence :

— Vous avez bon cœur et c’est pourquoi je vous ferai un don : continuez à marcher et dans un petit moment, vous serez près d’un arbre sur lequel vous verrez neuf oiseaux perchés, en train de se disputer à grands cris un manteau, qu’ils tiennent dans leurs serres. Épaulez votre fusil et tirez dans le tas, ce qui les fera, à coup sûr, lâcher le manteau ; et en même temps, l’un des oiseaux, mortellement atteint, tombera aussi. Emportez le manteau, qui est un manteau magique : il suffit de l’avoir jeté sur ses épaules pour se trouver instantané au lieu où l’on souhaite se trouver. Vous prendrez aussi le cœur de l’oiseau mort, et vous l’avalerez d’un coup, car ainsi vous aurez chaque matin une pièce d’or sous votre oreiller, quand vous vous lèverez.

Le chasseur remercia la quarantenaire, ignorant qu’elle était une sorcière, tout en se disant Ce serait quand même une bonne chose si ce qu’elle m’a promis se produisait vraiment ! 

Mais Jim n’avait peut-être pas encore fait cent pas en s’éloignant, que déjà il entendait, juste au-dessus de lui, dans les branches d’un arbre, tout un tapage de cris et de pépiements qui lui fit lever la tête. Et que vit-il, sinon de nombreux oiseaux qui tiraient du bec et des pattes sur une pièce d’étoffe, chacun pour soi, essayant de l’arracher aux autres, comme pour l’avoir à soi tout seul ? Ils se bousculaient, se battaient et criaient à qui mieux mieux.

Voilà qui est pour le moindre étrange, pensa le jeune homme, mais en tout cas, c’est exactement ce que la vieille femme a prédit.

Alors, Jim Clancy épaula sa carabine et tira dans le tas. Il vit voler des plumes et toute la troupe s’enfuit à tire-d’aile en poussant des cris affolés ; toute la troupe, sauf un oiseau, tué sur le coup, qui tomba sur le sol en même temps et au même endroit que le manteau lâché par les fuyards. Obéissant à ce que Elizabeth Gordon lui avait dit, Jim Clancy alla ramasser le manteau et l’oiseau, qu’il eut tôt fait d’ouvrir pour lui prendre le cœur et l’avaler d’un coup. Puis il rentra chez lui en emportant le manteau.



Le lendemain matin, en se réveillant, Jim Clancy repensa soudain à ce que lui avait prédit la femme et regarda sous son oreiller, curieux de voir si elle avait dit vrai. La pièce d’or était là, toute brillante dans la lumière du jour ; et le lendemain il y en avait une autre, et tous les jours une autre, quand il se levait. Au bout d’un certain temps, comme il avait tout un monceau de pièces d’or, l’ambulancier-chasseur se dit : A quoi bon avoir autant d’or si je reste à la maison et n’en puis rien faire ? Je vais partir et aller voir du pays !


Il dit adieu à ses parents, Aiden et Faith Clancy(5), prit son fusil, sa gibecière, sa trousse d’ambulancier, et s’en alla voyager dans le monde. Un beau jour, Jim se rendit dans la petite ville de Grandview(6), où il décida d’entreprendre des études en médecine à l’Université locale, l’Université Rockland, études qu’il payait avec les pièces d’or qu’il avait(7). Ensuite, il reprit son voyage.



*****



Puis un beau jour, après avoir traversé une sombre forêt, Jim Clancy se trouva soudain devant un majestueux château qui trônait sur la lande. À l’une des hautes fenêtres se tenaient une quarantenaire et une ravissante jeune fille, qui regardaient en bas. La femme plus âgée, qui n’était rien moins que la sorcière Elizabeth Gordon, disait à la jeune fille en voyant approcher le jeune homme :

— Celui qui sort de la forêt, là-bas, possède un merveilleux trésor dans son corps, et c’est pourquoi nous devons le charmer, Melinda, fillette de mon cœur, parce qu’un tel trésor sera encore mieux avec nous qu’avec lui ! Il a dans son corps le cœur d’un oiseau, ce qui fait que chaque matin, il trouve une pièce d’or sous son oreiller. »

La sorcière raconta alors à sa fille, Melinda Gordon(8), comment la chose s’était faite, puis elle lui dit comment elle devait s’y prendre pour séduire et charmer le jeune homme ; après quoi, elle la menaça, en lui faisant les gros yeux :

— Si tu ne fais pas ce que je te dis et si tu ne m’obéis pas strictement, ce sera ton malheur !


Jim Clancy s’était approché pendant ce temps, et tout en regardant la ravissante jeune fille à la fenêtre, il se disait : Il y a longtemps que je vais de droite et de gauche, il commence à être temps que je m’arrête un peu. Je vais entrer dans ce beau château et y faire séjour pour prendre un peu de repos ; ce n’est pas l’or qui me fera défaut !

Mais la vraie raison, c’était le regard qu’il avait jeté sur la belle et jeune brunette. Cette dernière, par ailleurs, lorsqu’elle croisa son regard, le trouva charmant et pensa en son for intérieur : Comme il est mignon ! Je le veux pour mari, un point c’est tout !

Elle fit une courte pause en songeant, perplexe : Comment déjouer le sordide plan de ma mère(9) ?

Quelques secondes après que Melinda formula cette pensée, une entité apparut dans son champ de vision, près de la fenêtre : Thomas Gordon, son père, qui était défunt depuis une dizaine d’années. Il était un homme vers la trentaine, vêtu d’une chemise bleue royale et d’un pantalon de complet bleu marine, ce qui allait très bien avec ses yeux bleu glacial.

L’esprit dit :

— Melinda, tu peux facilement tromper ta mère…

— Comment ? questionna-t-elle, les sourcils levés d’étonnement.

— Je t’aiderai dès que je sais les plans de ta mère…

Sa fille le remercia d’un signe de tête, puis il passa au travers la fenêtre(10).


Jim Clancy entra dans l’habitation, où il reçut un accueil cordial et où il fut traité avec les plus grands égards : il ne lui fallut pas longtemps pour tomber follement amoureux de Melinda Gordon, si amoureux qu’il ne pensait plus à rien d’autre qu’à plonger ses regards dans ses yeux et à guetter ses moindres désirs, afin de les satisfaire.

— Bon ! dit la sorcière à sa fille, à présent nous allons avoir le cœur de l’oiseau sans même qu’il s’aperçoive qu’il ne l’a plus !

Melinda, terrifiée, pensa : Ah ! Non ! Mais comment faire pour l’empêcher de vomir le cœur de l’oiseau(11) ?


Elizabeth confectionna un breuvage, et des décoctions qui donnèrent un breuvage, elle versa alors dans une coupe, et cette coupe fut confiée à Melinda pour qu’elle la fît boire au chasseur. La coupe en main, la jeune fille la fixa en songeant : Comment faire en sorte que mère ne remarque pas la supercherie ?

Son père apparut devant elle et ordonna : 

— Tu n’as qu’à déverser son contenu dehors ! Donne-lui à boire du thé !

Contente, la brunette extraordinaire confirma silencieusement sa compréhension et aussitôt, elle déversa le breuvage par la fenêtre et prépara un thé de menthe pour le jeune homme(12). La coupe en main, remplie de thé, Melinda invita Jim Clancy à venir boire à sa santé, non sans l’appeler « mon bien-aimé » avec son plus beau sourire. Le jeune homme accourut et but avec avidité le thé, assoiffé. Melinda en but aussi, pour le tenir compagnie, et parce que le thé à la menthe était son préféré. Jim la remercia pour le breuvage et s’allongea sur le canapé, fatigué de sa journée. La femme extraordinaire, perplexe, pensa Mais comment faire en sorte pour que mère ne s’aperçoive pas de la supercherie ? Je ne pourrais pas apporter à chaque nuit une pièce d’or sous mon oreiller… Je ne sais même pas où en trouver !

Elle tourna en rond dans la cuisine, nerveuse. Elle cherchait une solution.

Son père apparut devant elle, la faisant sursauter et lui dit d’une voix douce :

— Ne t’inquiète pas, Melinda ! Je vais m’arranger avec une fée pour qu’elle fasse apparaître une pièce d’or sous ton oreiller chaque matin.

À ce moment précis, une fée apparut à la droite du revenant : une jeune femme vêtue d’une ample robe de lin brodé or et argent. Elle souria à la passeuse d’âmes puis dit d’une voix très douce :

— Mademoiselle Melinda Gordon, ayez confiance en moi. Je vous aiderai du mieux que je peux. Je vous assure que je peux faire apparaître une pièce d’or sous votre oreiller.

— Et bien, fit la fille de Thomas, moue sceptique au visage, prouvez-le moi !

La fée se concentra pendant quelques minutes puis dit :

— Allez voir par vous-même et vous verrez bien que je ne mens point !

Lueur de méfiance dans ses yeux noisettes, Melinda fila aussitôt dans sa chambre, suivie de son père, qui était aussi curieux qu’elle. En effet, sous son oreiller, elle y trouva une pièce d’or qui brillait de mille feux en reflétant les rayons du soleil. Rassurée, la femme extraordinaire revint à sa place initiale et remercia d’un signe de tête son père, qui disparut aussitôt de sa vue. Ainsi, elle affirma à sa mère avoir donné le breuvage et avoir avalé le cœur de l’oiseau. Grâce à la complicité de la fée, Melinda sut que désormais elle eut chaque matin une pièce d’or sous son oreiller. La sorcière, qui ne doutait de rien, venait prendre l’or chaque matin chez sa fille(13), afin d’en constituer sa dot, car elle espérait la marier à Kevin McCall, le fils d’un puissant sorcier de la ville de Grandview(14). Jim Clancy, lui, était si éperdu d’amour qu’il n’avait qu’une seule idée en tête, et c’était de passer son temps avec la demoiselle.

— Bon ! dit alors Elizabeth Gordon, nous possédons le cœur de l’oiseau ; mais il faut que nous le dépossédions du manteau.

— Le manteau, nous devrions le lui laisser, dit Melinda, puisqu’il a déjà été dépossédé de sa richesse.

La sorcière entra en grande colère à cette idée :

— Un manteau pareil ! s’exclama-t-elle, mais tu n’y penses pas ! C’est un manteau magique comme il n’en existe que très rarement au monde ! Je veux l’avoir et il faut que je l’aie.

Alors, elle expliqua à sa fille comment elle devait s’y prendre avec le chasseur, en ajoutant que si elle ne lui obéissait pas point par point, cela irait très mal pour elle. Réduite à l’obéissance par ces menaces, Melinda prit un air triste et songeur en restant plantée, là, dans la cuisine, le regard perdu dans l’ample paysage qu’elle voyait au travers la fenêtre. Elle se demanda Comment faire ? En espérant que papa et la fée m’aideront encore une fois…

À ce moment précis, les deux interpellés apparurent devant elle, tout sourire.

Thomas dit d’une voix chaleureuse, pour rassurer sa fille :

— Ne t’inquiète pas, Melinda, tout est possible pour Mademoiselle la fée…

Cette dernière confirma silencieusement.

Et l’esprit et la fée disparurent après avoir échangé un regard complice, laissant la passeuse d’âmes perplexe. 

Comment pourront-ils bien m’aider avec ce manteau magique dont je ne connaîs même pas les propriétés ? se dit-elle. Ah ! Seigneur ! Que la fée et papa parviennent à déjouer ma mère !

La fée créa une copie du manteau magique, avec les mêmes propriétés et fit en sorte que celui de Jim demeura invisible aux yeux d’Elizabeth Gordon. Évidemment, elle informa Melinda au sujet des pouvoirs du manteau(15).


Les jeunes amoureux profitèrent alors de leurs manteaux magiques pour se rendre à l’insu de Elizabeth Gordon à Grandview pour apprendre à mieux se connaître. C’était ainsi que Jim apprit le don de Melinda. Il l’accepta telle qu’elle était, et affirma l’aider du mieux qu’il le pouvait.



*****



Un jour, alors que les tourtereaux se promenèrent main dans la main au marché de Grandview, la fée, sous l’apparence d’une marchande de salades, leur vanta ses légumes. Affamés, ils s’approchèrent de l’étal et achetèrent quelques salades. La marchande-fée commenta, en désignant d’un geste de sa main droite une salade aux petites feuilles :

— Cette salade est bien spéciale, car elle transforme quiconque la mange en âne.

En faisant un geste de sa main vers une salade qui s’apparente à une iceberg, elle dit :

— Par contre, celle-là fait reprendre la forme humaine…

D’un geste vers une laitue, la marchande-fée murmura, avec un sourire complice :

— Celle-ci est une laitue tout à fait inoffensive…

Jim et Melinda la remercièrent d’un geste de tête puis se rendirent dans le parc de la ville pour déguster la laitue(16)

À peine eurent-ils terminé de manger que Thomas Gordon apparut devant sa fille, mine sérieuse.

Elle murmura :

— Papa ?

— Oui ! 

Il reprit après un court silence, lueur de joie dans ses yeux :

— J’ai une idée…

— Laquelle ? Concernant qui ? demanda-t-elle, les sourcils levés d’étonnement.

— Pour ta mère, fit-t-il d’un ton amer.

La fille de Thomas fit un mouvement rotatif de main pour l’inciter à développer.

Jim lui lança un regard interrogateur, comme s’il disait « Je viens de rater quelque chose… Qu’est-ce qui vient de se passer ? »

Melinda sourit à son bien-aimé, puis murmura : 

— Mon père à une idée concernant ma mère… Et j’attends ses explications.

L’ambulancier confirma d’un geste de tête positif.

La passeuse d’âmes ramena son attention vers son père.

Ce dernier affirma d’un ton sérieux, les yeux brillant d’une joie maligne :

— Tu n’aurais qu’à donner à ta mère la salade pour la transformer en ânesse !

— Pourquoi ? Parce qu’elle voulait que je dépossède Jim de son or et de son manteau ?

— Oui, mais aussi parce qu’elle est une sorcière qui voudrait te marier à Kevin McCall.

— Quoi ? s’exclama Melinda, en serrant la main droite de son bien-aimé entre les siennes.

Celui-ci l’enlaça tendrement.

— Tu as bien entendu, commenta le revenant.

— Que s’est-il passé ? intervint Jim en fixant alternativement la brunette et la direction vers laquelle cette dernière regardait.

Elle répliqua :

— Mon père veut que je donne à ma mère la salade qui la transformera en ânesse, parce qu’il semble…

Thomas corrigea sa fille :

— Je suis en colère…

Elle reprit : 

— Il est en colère contre ma mère… pour le fait qu’elle voulait que je te vole le cœur de l’oiseau et ton manteau magique… En plus de vouloir me marier à Kevin McCall…

Les yeux bleus de Jim lancèrent des éclairs de jalousie.

Melinda s’empressa de le rassurer avec sa voix la plus douce et avec son plus beau sourire :

— Ne t’inquiète pas, mon amour, tu es le seul homme cher à mon cœur…

— Là, je suis d’accord avec ton père, marmonna le jeune homme en serrant la brunette contre lui en un geste possessif.

L’esprit approuva silencieusement puis ajouta :

— Le plus simple sera que Jim se fasse passer pour un messager du roi qui a pour mission d’apporter à la cour la salade la plus exquise qui existe dans le royaume. Et surtout qu’il n’oublie pas de se noircir le visage pour ne pas être reconnu.

Ainsi parla Thomas Gordon, qui disparut de la vue de sa fille. Cette dernière rapporta fidèlement ses propos à Jim. Ce dernier confirma silencieusement sa compréhension.



Le lendemain, l’ambulancier décida de mettre à exécution la vengeance de l’esprit. Il s’empressa de se noircir le visage avec de la poussière pour se rendre méconnaissable, si bien que sa propre mère n’eût pas su le reconnaître. Puis il alla directement au château demander l’hospitalité.

— Je suis fatigué, prétendit-il, que je suis incapable d’aller plus loin !

— Qui êtes-vous, compère, et quel métier avez-vous ? questionna la sorcière.

— Je suis un messager du roi, répondit d’une voix essoufflée le jeune chasseur, et ma mission était de rapporter à la cour la salade la plus exquise qui croisse au monde. J’ai eu assez de chance pour la trouver et j’en rapporte avec moi ; mais avec la chaleur qu’il fait, j’ai bien peur que cette délicate salade ne vienne à se flétrir et je doute de pouvoir la conserver plus longtemps.

Cette allusion à une salade aussi exquise ne pouvait qu’exciter la sorcière, qui en eut l’eau à la bouche.

— Vous devriez me permettre d’en goûter, mon cher ami ! dit-elle.

— Pourquoi pas ? fit-il comme en se laissant faire. J’en ai deux têtes et je peux bien vous en offrir une !

Ouvrant son sac, Jim en tira la salade de la méchante espèce. Impatiente de s’en régaler, Elizabeth Gordon courut elle-même à la cuisine pour la préparer. À peine l’eut-elle fatiguée, ne pouvant attendre de la porter sur la table, elle en prit quelques feuilles avec les doigts et les mangea, perdant aussitôt son apparence humaine pour devenir une ânesse, qui partit galoper dans la cour. Arrivant à son tour dans la cuisine et voyant cette salade prête, la servante l’emporta pour aller la servir, mais sans manquer à ses petites habitudes, tout en l’apportant à la salle à manger, elle en piqua quelques feuilles du bout des doigts. La puissance magique opéra aussitôt, et la servante fut une ânesse qui trotta rejoindre sa compagne dans la cour, cependant que le saladier tombait par terre avec le reste de la salade maléfique(17).


Jim Clancy, pendant ce temps, était resté en compagnie de la jolie Melinda Gordon, dans la grand-salle du château ; ils se doutèrent que la plante eût dû produire déjà son effet sur la vieille. Par ailleurs, l’esprit qu’était Thomas apparut devant sa fille pour s’écrier d’une voix enjouée, les yeux brillant d’une joie quasi enfantine :

— Voilà un bon débarras de Beth et de Ana(18) ! 

— Pourquoi ? questionna-t-elle. Elles sont devenues toutes les deux des ânesses ?

— Oui !

Elle rapporta les propos de son père à Jim, qui confirma silencieusement sa compréhension.


Après un long silence, Thomas dit d’un ton joyeux :

— Tant qu’à avoir deux ânesses, vous pouvez les chevaucher jusqu’à l’église de Grandview où aura lieu votre mariage dans deux mois… Et après, emmenez-les chez le meunier le plus près pour qu’il les administre trois rations de coups et une ration de foin. Qu’en pensez-vous ?

— Papa, tu as vraiment de bonnes idées, murmura la brunette extraordinaire en réprimant à peine un sourire. On avait en effet complètement oublié le transport… Quant aux coups de bâton, on verra…

Elle pensa Beth est quand même ma mère… Je n’ai pas le cœur de lui faire administrer des coups…

Jim, les sourcils levés, demanda à voix basse :

— Mel, qu’est-ce que ton père vient de dire ?

L’interpellée se retourna vers son bien-aimé et lui répéta ce que l’esprit avait dit.

L’ambulancier hocha la tête puis commenta :

— Il a décidément des bonnes idées, ton père… Tant qu’avoir deux ânesses, elles pourront très bien servir de monture. C’est mieux que d’aller à pied. Seulement, je m’oppose aux coups de bâton… Bien que Elizabeth soit une sorcière, elle demeure avant tout ma belle-mère… Je n’ai pas le cœur de la faire ainsi souffrir.

— Moi aussi, approuva la jeune femme.

— Vous êtes trop gentils envers une si méchante femme ! s’écria le revenant.

Melinda rapporta fidèlement ses propos.

Son bien-aimé murmura :

— Dans tous les cas, on verra…

Thomas disparut de la vue de sa fille. Les tourtereaux, main dans la main, se promenèrent dans les bois environnant le château.



*****



Deux mois plus tard, Jim Clancy et Melinda Gordon, vêtus en tenue de mariés, chevauchèrent leurs ânesses pour se rendre jusqu’à l’église de Grandview. Là-bas, ils laissèrent les bêtes à des serviteurs des parents du marié. À l’intérieur, un prêtre les attendait pour bénir leur union. Ils célébrèrent leurs noces en présence des parents et des amis de Jim. 

Quant à Elizabeth Gordon, après le mariage de sa fille, fut conduite par son gendre chez un meunier, en disant qu’il ne voulait plus de cette ânesse. Le meunier accepta le cadeau et il la chargea pour apporter les sacs de farine au marché des villes environnantes. De même pour la servante.



*****



Thomas Gordon, lui, deux semaines après le mariage de Melinda, alors que Jim était à son lieu de travail, apparut devant elle, un large sourire aux lèvres. Il dit avant de quitter définitivement le monde des vivants :

— Melinda, je suis content que tu sois mariée avec un jeune homme qui t’aime ! Il est tout à fait honnête, cela le paraît !

Émue, la passeuse d’âmes sentit des larmes de joie couler, silencieuses, sur ses joues. Elle balbutia :

— Merci de la remarque… C’est pourquoi je suis devenue sa femme…

— Très bien ! Et moi, maintenant que je me suis vengé de ta salope de mère, je n’ai plus aucune raison de rester.

— Excellent ! dit d’un air enjoué la femme.

Il tourna sa tête vers sa droite et murmura : 

— Voilà… Une lumière pure et divine… Elle m’appelle…

— Va-y et bon voyage ! l’encouragea Melinda, les larmes aux yeux.

L’esprit commenta d’un ton doux :

— Merci, tu n’avais pas besoin de me le dire ! Combien de fois ai-je entendu ceci lorsque tu parvenais à convaincre d’autres esprits de partir !

— Désolée, bredouilla-t-elle en baissant sa tête, comme une enfant grondée.

— Ce n’est pas grave ! Je comprends très bien que c’est une remarque par défaut…

Thomas fixa à nouveau la lumière et dit :

— Bon ! Trêve de blagues ! Je pars !

Et il s’avança d’un pas assuré devant lui, jusqu’à ce qu’il disparût dans la Lumière.

Melinda essuya ses larmes en pensant : Ouf ! Dieu soit loué ! Un esprit errant de moins ! Je commençais à douter si papa allait partir…



Lorsque son mari revint du travail, la passeuse d’âmes lui rapporta ce qui s’était passé ; il l’embrassa en signe d’encouragement. Le couple vécut heureux dans une petite maison avec un garage à Grandview jusqu’à leur mort(19).






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(1) Dans Ghost Whisperer, Jim Clancy est un ambulancier. Dans le conte, le personnage principal est un chasseur.


(2) Nous avons ajouté cette phrase afin de faire sens de la transposition du personnage du chasseur dans la série américaine.


(3) Nous avons modifié la description de la sorcière du conte, qui est décrite comme une vieille femme très laide, afin de la faire cadrer avec celle d’Elizabeth Gordon de la série Ghost Whisperer.


(4) Nous avons ajouté cette partie du dialogue, afin que les interlocuteurs se présentent, pour un minimum de politesse.


(5) Les parents de Jim Clancy sont repris de la série. Seulement, Aiden ne meurt pas lorsque son fils eut dix ans.


(6) Grandview est en effet la ville où se passe la série Ghost Whisperer.


(7) Nous avons encore une fois repris le fait que, dans la série, Jim Clancy devient médecin à la cinquième saison. Par ailleurs, l’Université Rockland est celle mentionnée dans la série.


(8) Nous respectons le fait que Elizabeth est la mère de Melinda Gordon.


(9) Nous avons ajouté cette pensée à Melinda, afin de rendre compte de l’amour réciproque des deux jeunes gens, pour respecter Ghost Whisperer, dans laquelle Jim et Melinda forment un couple fidèle.


(10) Nous faisons de Thomas Gordon le père de Melinda, ce qui est une entorse par rapport à sa généalogie telle qu’elle est présentée dans la série américaine. L’intervention de l’esprit errant est un ajout pour le conte, afin de justifier les actions de la jeune fille, ce qui est contraire par rapport au conte, dans lequel elle est complice avec sa mère.


(11) Ajout de cette pensée, absente du conte.


(12) Entorse par rapport au conte, pour respecter l’amour de Melinda pour Jim.


(13) Changement considérable par rapport au conte, puisque le breuvage fit en sorte que le chasseur recracha sans s’apercevoir du cœur de l'oiseau. La jeune fille l’avala alors en cachette, de sorte que la vieille sorcière recueillit chaque matin une pièce d’or. Comme nous faisons de Melinda la complice de Jim, nous avons changé cette partie du conte, en y ajoutant l’intervention de l’esprit qu’est Thomas Gordon, puisque Ghost Whisperer permet une telle interaction. De même, l’ajout de la fée est notre invention, puisqu’elle est une créature des contes. Cependant, nous avons voulu garder le fait que Melinda trouve une pièce d’or sous son oreiller que la sorcière la ramasse.


(14) Nous avons ajouté cette partie, absente du conte, afin d’expliquer pourquoi la sorcière voulait cet argent. Par ailleurs, dans la série Ghost Whisperer, Kevin McCall est le petit copain de Melinda Gordon du temps de ses études. Pour la cause du conte, nous considérons qu’il n’y a eu aucune relation entre eux. C’est pour la cause de notre réécriture que nous le faisons fils de sorcier.


(15) Déviation par rapport au conte, dans lequel la jeune femme feint de vouloir des pierres précieuses du Mont des Grenats, mont accessible aux oiseaux seuls. Elle parvient à convaincre le chasseur de partir avec elle grâce à son manteau. Rendus là-bas, la sorcière use de son art pour endormir l’homme afin que sa fille récupère le manteau et des pierres précieuses. Nous avons ajouté ce développement avec la fée pour expliquer comment la jeune femme a le manteau, mais sans être complice avec sa mère la sorcière.


(16) Changement considérable par rapport au conte, dans lequel le chasseur est abandonné sur le Mont des Grenats, où des géants lui offrent à manger dans leur potager, qui ne contient que des salades. Il en mange une et est transformé en âne. En mangeant une sorte de salade, il reprend sa forme humaine. Étant donné les modifications précédentes, nous avons changé cette partie du conte, par cohérence, en précisant les sortes de salades.


(17) Nous avons remanié la manière dont le chasseur du conte, en se faisant passer pour un messager du roi, donna à la sorcière à manger la salade qui la transforma en ânesse. Nous avons seulement repris le dialogue entre le chasseur et la sorcière dans son intégralité. Comme dans notre réécriture, l’esprit errant qu’est Thomas Gordon aide sa fille, nous profitons de sa présence pour le rendre responsable de la vengeance sur sa femme sorcière.


(18) Nous avons ajouté un prénom à la servante de la sorcière, par réalisme.


(19) Nous avons changé considérablement la fin du conte allemand, dans lequel le chasseur donna aussi à la fille de la sorcière la salade magique, la transformant en ânesse. Il se débarbouilla le visage puis amena les trois ânesses, attachées à la même corde, jusqu’au premier moulin, en disant de donner à la vieille sorcière trois rations de coups et une ration de foin par jour ; pour la servante, trois rations de foin et une ration de coups ; pour la fille de la sorcière, trois rations de foin sans le bâton. Le meunier informa le chasseur que la vieille est morte, tandis que les deux autres sont encore vivantes, mais ne tarderont pas aussi à mourir. Le chasseur les reprit avec lui et leur fit reprendre leur forme humaine. La jeune femme lui demanda pardon et ils se marièrent. Nous avons ajouté le départ de l’esprit errant pour respecter la fin d’un épisode de Ghost Whisperer.

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