Réécriture de contes à la Ghost Whisperer

Chapitre 31 : Les esprits errants royaux

4091 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 09/11/2025 13:31


Voici la référence du conte : « Le vieux Cricrac », dans Jacob et Wilhelm Grimm, Les contes – Kinder – und Hausmärchen, tome II, texte français de présentation par Armel Guerne, Paris, Éditions Flammarion, 1986 [© 1967], d’après l’édition de 1812, p. 481 à 483.




Il était une fois, à Grandview, petite ville aux États-Unis d’Amérique, vivait Melinda Gordon, une jeune passeuse d’âmes, et son mari Jim Clancy, un jeune ambulancier. Elle était la gérante d’une boutique d’antiquités(1)



Par une journée d’octobre 2008, la jeune femme faisait l’inventaire dans l’arrière-boutique. Sur une grande table devant elle, il y avait différents objets : des figurines, des médailles, des livres, entre autres. Melinda prit note des objets, auxquels étaient en règle générale rattachés à des esprits qu’elle aidait afin qu’ils quittent le monde des vivants. C’était par ailleurs, la raison pour laquelle la médium s’était décidé à être la gérante de sa petite boutique d’antiquités. Elle était assistée par Delia Banks, une quarantenaire sceptique, agente immobilière et mère monoparentale d’un adolescent prénommé Ned(2). Celle-ci était à la caisse lorsque l’épouse de Jim était à l’arrière-boutique. Melinda ouvrit l’un des livres et, sous son regard étonné, une forme diaphane en sortit. Un esprit, elle en avait la certitude. Une jeune femme vêtue d’une longue robe en lin bodée or et argent avec pierreries se matérialisa et se matérialisa devant la médium. Peu de temps après, un autre esprit apparut : un jeune homme vêtu de lin brodé argent et se plaça à la gauche de la princesse. 

Perplexe, Melinda pensa On dirait un prince et une princesse… Sans doute un déguisement pour le parc Disney… Autrement dit, je dois comprendre deux histoires, comme l’esprit du jeu vidéo(3)

Elle referma le bouquin en soupirant discrètement, puis les aborda d’une voix douce :

— Ce livre vous a appartenu ?

— Non, répondit le revenant d’un air hautain.

— Si vous lisez attentivement le titre, ce n’est qu’un médiocre conte de fées, commenta l’esprit féminin en faisant un geste de dédain vers le bouquin.

— Alors, pourquoi êtes-vous attachés à ce livre ? Qu’est-ce qu’il a de particulier ?

Le jeune homme haussa les épaules. La jeune femme dit avec mépris :

— Franz et moi n’avons pu venir autrement.

— L’avez-vous lu ?

Le prénommé Franz s’exclama :

— Madame, ce n’est pas à vous de nous poser dix mille questions !

Étonnée d’une telle arrogance, la passeuse d’âmes songea Ces deux-là, ils semblent vraiment très bien prendre le rôle du prince et de la princesse… Je dois comprendre ce qu’ils veulent… Leurs vrais noms… Pourquoi demeurent-ils encore parmi les vivants ?

Après un long silence, la médium reprit :

— Je m’appelle Melinda Gordon. Et vous ?

Le jeune homme répondit en regardant d’hauteur :

— Je suis le Prinz Franz von Bentheim.

— Moi, fit la jeune femme, je suis la Prinzessin Katharina von Fürstenberg(4).

— Enchanté ! murmura la passeuse d’âmes. 

Elle fit une courte pause avant de reprendre :

— Pouvez-vous me dire les dernières choses dont vous vous souvenez ?

Katharina et Franz, la tête haute, soupirent à l’unisson et disparurent de sa vue.


*****


Melinda se dit qu’elle devrait se renseigner auprès de l’organisateur du parc d'attractions de Disney de Grandview pour savoir les noms des comédiens qui jouaient les rôles du prince Franz et de la princesse Katharina. Il lui affirma ne pas connaître les noms des comédiens. 

— Par ailleurs, Madame, ajouta-t-il, voilà longtemps que nous n’avons pas de prince et de princesse dans notre parc d’attractions… 

Il reprit après une courte pause, la main sur le menton, les yeux plissés par l’effort de concentration : 

— La dernière fois, c’était en 2000, avec Cendrillon et son prince. Mais Franz et Katharina ne correspondent à aucun nom de notre liste de personnages… D’où vous est venue cette idée qu’ils sont des personnages de Disney ?

— Ça n’a pas d’importance, juste comme ça… improvisa-t-elle.

— Mais s’il vous plaît, supplia Melinda après une courte pause, voulez-vous vérifier s’il ne s’agirait pas de noms de personnages ?

— Je vérifierai, soupira l’organisateur, mais je vous assure que je vous ai dit la vérité…

Après avoir fouillé dans les documents d’archives de la compagnie, il rapporta à la passeuse d’âmes la même réponse : aucun personnage ne se prénommait ainsi.


*****


En revenant dans sa boutique d’antiquités, Melinda songea À moins que ce soit le prénom des comédiens ? Des comédiens allemands à Grandview ? Jamais entendu ! D’ailleurs, je trouve qu’il parle très bien l’anglais pour des Allemands… Ils n’ont aucun accent… Bizarre….

À ce moment, Franz et Katharina se manifestèrent devant elle. Cette dernière demanda d’une voix douce :

— Madame et Monsieur…

— Vos Altesses Royales, la corrigèrent les deux esprits.

— Pouvez-vous me dire les dernières choses dont vous vous souvenez ? reprit la médium.

— Je me rappelle seulement d’être… morte… répondit Katharina d’une voix triste durant mon sommeil. Dans notre grand lit… Franz qui essaie de me secouer… Qui me fait le bouche-à-bouche… Il appelle ma camériste, mais je flotte au-dessus de mon corps… La sensation est vraiment bizarre…

Au moins, Madame-qui-joue-la-princesse comprend qu’elle est un esprit, pensa Melinda, rassurée. C’est déjà un bon début !

— Moi, je me rappelle, fit Franz, des serviteurs qui entourent mon corps, pour me réanimer, mais j’ai l’impression de me dédoubler…

— C’est que votre âme a quitté votre corps, murmura l’antiquaire d’une voix douce.

— Merci de la remarque ! Mais vous devez savoir que nous ne sommes pas n’importe qui !

— Nous avons du sang bleu dans nos veines ! intervint Katharina. Je suis une princesse, tout comme Franz est un prince !

Leur interlocutrice vivante, les yeux agrandis comme ceux d’une chouette d’étonnement, balbutia :

— Mais les princes et princesses n’existent plus… Seulement dans les contes et les histoires pour enfants… 

Elle fit une courte pause, puis continua d’une voix douce, en regardant alternativement les deux revenants :

— Vous ne pouvez pas ainsi prendre ce rôle… Vous devez vous souvenir de votre véritable identité… N’auriez-vous pas quelque chose de plus à ajouter ? Que puis-je faire pour vous aider ?

— Nous aider ? Pourquoi ? questionna Katharina, moue dédaigneuse au visage.

— Vous aider à quitter le monde ici-bas… Dans l’ordre naturel des choses, les esprits…

— Nous sommes des esprits… Bien sûr que nous le savons ! l’interrompit brusquement Franz.

— Voulez-vous que je retrouve une broche ? soupira la passeuse d’âmes, exaspérée.

— Non, répondit avec hargne la princesse.

— Alors quoi ? Mais avant de continuer, laissez-moi, s’il vous plaît, le temps de comprendre qui vous êtes…

— Voilà Madame qui manifeste un peu trop de curiosité ! s’exclama Franz d’un air théâtral en faisant un grand geste des bras vers l’antiquaire.

— Oui, répliqua posément celle-ci. Je dois chercher des informations afin de mieux comprendre votre histoire…

— Voulez-vous sérieusement la savoir ? l’interrompit Katharina.

— Oui, fit la passeuse d’âmes en l’invitant d’un geste de main à parler.

— Très bien ! reprit la princesse en joignant ses mains devant elle. Je commence ! 

Elle toussota puis débuta ainsi son histoire d’une voix mélodieuse :

— Il était une fois, un roi, mon père, Son Altesse Royale Bernard von Fürstenberg, qui avait une fille, Katharina von Fürstenberg…

— En l’occurrence, vous, l’interrompit Melinda d’une voix douce.

— Oui… reprit l’Allemande. Mon père le roi avait fait bâtir une montagne de verre et avait annoncé que celui qui la gravira sans tomber m’épousera. Or, il y avait à ce moment-là un jeune homme qui m’aimait, le Prinz Franz von Bentheim, et qui s’en vint demander ma main au roi mon père. Ce dernier dit qu’il n'accède à sa demande que si Franz est capable de monter jusqu’au sommet de la montagne sans tomber. Sans quoi, je déclarai que je voulais faire l’ascension avec lui et le retenir, s’il devait tomber. Nous entreprîmes l’ascension et commençâmes à monter, à monter vers le sommet, mais quand nous fûmes à mi-chemin, exactement entre le bas et le haut, voilà que je glissai et tombai de là-haut ; mais, à ma grande surprise, la montagne s’ouvrit et je tombai jusqu’à disparaître au fond de la crevasse.

— Moi, étant son fiancé, intervint Franz, je me suis mis à la chercher partout, mais je ne la vis point, comme si la montagne s’était refermée aussitôt comme avant sa chute. Je pleurai et me lamentai désespérément, et le roi, Son Altesse Royale Bernard von Fürstenberg, lui aussi, fut terriblement triste. Il ordonna qu’on ouvrît la montagne en espérant retrouver Katharina. Mais il fut impossible de découvrir l’endroit où elle avait disparu.

— Moi, pendant ce temps, reprit la princesse, j’étais tombée jusqu’à ce que j’étais arrivée dans une vaste caverne. Survint alors un vieux bonhomme à barbe grise, une excessive longue barbe grise, qui m’avait dit que j’aurai la vie sauve que si j’acceptais d’être sa servante et que je faisais tout ce qu’il me commanderait, sinon, il me tuerait tout de suite.

Devant la moue de dégoût de Melinda, la revenante s’empressa d’ajouter :

— Ne vous inquiétez pas, Madame, je ne vous raconterai pas les détails de ses menaces ni de tout ce que j’avais dû faire…

— Merci, murmura la passeuse d’âmes, rassurée.

— Alors, continua Katharina, je fis tout ce qu’il voulut. À chaque matin, le vieux bonhomme sortait à l’extérieur, là-haut, au sommet de la montagne. J’avais compris une fois, en l’espionnant à son insu, qu’il se servait d’une échelle. Pendant qu’il n’était pas là, je devais lui faire la cuisine, son ménage, le lit, enfin tout le travail…

Melinda confirma silencieusement sa compréhension.

— Ah ! Quelle humiliation ! J’espérais bien cesser d’être sa servante ! s’exclama l’Allemande en faisant un grand geste désespéré des bras.

Elle s’interrompit pendant quelques secondes, puis reprit d’un ton neutre :

— Mais lui, quand il rentrait chez lui, il rapportait toujours des quantités d’or et d’argent… J’y passais des années… Je ne sais plus exactement combien… Mais tellement qu’il était devenu très vieux, vraiment très vieux… 

— Katharina, intervint Franz, dans tous les cas, toi aussi, tu avais vieilli entre-temps… 

— Depuis un certain temps, reprit-elle, il m’appelait Dame Rougehomme, Madame Rougehomme, tandis que moi, je devais l’appeler Vieux Cricrac. Un jour, alors qu’il était parti par en-haut, et alors je lui fis son lit, je lavai sa vaisselle, puis je fermai toutes les portes et les fenêtres bien solidement, à l’exception d’une lucarne par où entrait la lumière, et que je laissai ouverte. Quand le Vieux Cricrac fut de retour, il frappa à la porte et appela : « Dame Rougehomme, ouvre-moi la porte ! »

— Et alors, fit Melinda.

— Je lui répondis « Non, je ne t’ouvrirai pas la porte, Vieux Cricrac. » Il s’était alors plaint… Je ne me rappelle plus de tout ce qu’il avait dit, mais ceci n’a pas d’importance…

La princesse fit une courte pause, puis reprit :

— Ensuite, il m'a demandé si la vaisselle était faite. Je lui répondis que oui, mais je ne l’avais pas plus pour autant laisser entrer. Le Vieux Cricrac poursuivait alors ses jérémiades. Il me demanda ensuite si son lit était fait et je lui dis la même réponse, mais sans plus lui ouvrir la porte. Étant donné le bruit de ses pas, il avait sans doute fait le tour de la maison. Il avait alors certainement remarqué la lucarne. Le Vieux Cricrac introduisit alors sa longue barbe dans la lucarne. Dès qu’elle fut dedans, je referma aussitôt la lucarne, que j’assujettis avec une corde préparée à cet effet.

Elle ricana, une lueur de joie maligne dans ses yeux bruns :

— Alors la barbe était prise dedans et elle y restait bien solidement !

Katharina toussota, puis reprit d’une voix neutre :

— Et dehors, le Vieux Cricrac s’était mis à hurler lamentablement et à se plaindre que cela lui faisait mal. Il m’avait conjuré de bien vouloir le relâcher. Je lui répondis que je ne le ferai pas avant qu’il ne m’ait donné son échelle, celle dont il se servait pour sortir de la montagne, et qu’il me dit où il la mettait. Il me l’avait dit après y avoir insisté plusieurs fois. Et maintenant que j’étais renseignée, je fis un nœud avec la longue barbe autour de la lucarne, puis je dresse l’échelle et je sortis sur le sommet de la montagne. Une fois dehors, je laissai la lucarne s’ouvrir et je revins chez mon père, à qui je raconta tout ce qui m’était arrivé.

— Inutile de dire que son père, Son Altesse Royale Bernard von Fürstenberg, et moi-même étions très heureux de revoir Katharina… intervint Franz. Nous étions alors tous aller à la montagne, l’avions creuser. Nous avions alors découvert le Vieux Cricrac et tout son or et son argent… Son Altesse Royale Bernard von Fürstenberg le fit mettre à mort et ordonna de ramener au palais son or et son argent…

— Qu’avez-vous fait avec cet or et cet argent ? demanda Melinda, les sourcils levés.

— Cette richesse était devenue nôtre, répondit d’un air hautain Katharina. Ensuite, Franz et moi sommes mariés et nous avons vécu dans le luxe et l’abondance(5)...

Elle soupira puis ajouta :

— Seulement, nous n’avions pas d’enfant…

La passeuse d’âmes pensa Dans ce cas, plus de chance pour votre réincarnation prochaine !

Les deux revenants disparurent quelques secondes plus tard.


Melinda, elle, fit une recherche sur son ordinateur, en dactylographiant dans le moteur de recherche « Katharina von Fürstenberg » et « Franz von Bentheim », mais elle ne trouvait aucun résultat, malgré ses diverses tentatives.

Perplexe, elle songea On dirait que ces deux esprits n’ont jamais existé… bizarre… Même pas une notice biographique sur Penthius… Ils n’existent pas comme des noms de comédiens ou des noms de nobles du passé… Leur histoire est des plus étranges… Elle dépasse Lary Jones qui s’était au début présenté sous son avatar de Phoenix… Il a compris qu’il n’était plus dans le jeu vidéo… Mais ceux-là, ils sont vraiment très particuliers… D'excellents comédiens… Ça ne m’étonnera pas qu’un jour, les archives secrètes du FBI diront cinquante ans plus tard que le prince Franz et la princesse Katharina étaient des stars d’Hollywood… Ce que je ne comprends pas, c’est ce qu’ils veulent… Ils regrettent de ne pas avoir eu d'enfants de leur vivant… D’accord, mais comment puis-je les aider ?


*****


Quelques heures plus tard, après la fermeture de sa boutique, alors que Melinda marchait dans la rue pour se rendre jusqu’à sa maison, elle vit clairement les deux esprits allemands devant elle.

Franz dit :

— Madame Gordon, maintenant que vous avez entendu notre histoire, que voulez-vous avoir de plus ?

— C’est plutôt à moi de vous posez la question, répliqua la brune extraordinaire d’un air très doux, avec son sourire le plus aimable.

— Que voulez-vous que nous ajoutons ? questionna Katharina d’un air hautain.

— En fait, fit Melinda après une longue pause, voulez-vous que j’informe vos proches…

— Nous n’avons personne ! s’exclamèrent les deux esprits.

— Bon, alors, voulez-vous que je vous apporte de cet or et de cet argent sur votre tombe ?

— Non !

— Voulez-vous voir des enfants ? Nous avons une école primaire ici…

— Quoi ? Il n’y a pas de précepteur ? s’exclama Franz, sans pouvoir cacher son étonnement.

— Non, car l’éducation est publique, se justifia Melinda. Les précepteurs ne sont pas à la mode pour ainsi dire… Sinon, il y a peut-être l’éducation à la maison …

— Pff ! fit avec dédain Katharina, voir des enfants non-raffinés et sans manières, non merci !

— Bon, alors si vous voulez voir des bébés, nous avons la section natalité dans notre hôpital… suggéra la passeuse d’âmes.

— Un hôpital, quelle horreur ! cria la princesse allemande. Si c’est la bâtisse aux murs blancs que j’ai vu en me promenant dans votre ville, c’est un endroit bien pauvre pour naître !

L’antiquaire soupira, à court d’argument. Les deux esprits disparurent de sa vue. Elle rentra chez elle, où son époux, un grand homme musclé, l’accueillit en l’embrassant sur les lèvres. Elle lui résuma sa rencontre avec Franz et Katharina, sans lui cacher son insuccès à comprendre leur dernière volonté.


*****


Le lendemain, en après-midi, déçue et attristée en son âme de ne pas être parvenue à convaincre les deux esprits errants de partir dans la Lumière, Melinda Gordon réfléchit, assise sur un canapé dans son salon. Elle discutait avec son mari.

— Jim, je ne sais plus, gémit-elle. Que dire de plus ? 

Il haussa les épaules pour toute réponse, puis murmura :

— Veux-tu me rappeler ce que tu leur as dit ?

— Oui… Peut-être qu’ils sont encore attachés à cet or et à cet argent qu’ils avaient de leur vivant… Mais où le cachent-ils ?... C’est comme s’ils n’existaient pas… Comment cela ?  

Elle se tapa la paume de sa main droite sur son front.

— C’est sûr que si Franz et Katharina sont des personnages fictifs, impossible de les trouver ! 

— As-tu cherché ces noms comme des personnages de film ?

— Oui, mais aucun résultat… De sorte que leur histoire est encore plus bizarre…

— Même pas en tant que comédiens ?

— Non…

— À moins qu’ils se soient convaincus qu’ils s’appellent ainsi…

— Probablement… 

— Ça expliquerait pourquoi tu ne trouves rien sur eux…

Melinda tapota l’accoudoir de son canapé en soupirant :

— Pourtant, ils sont vraiment des esprits errants… 

— Je te crois bien… Tu sais que je n’ai jamais douté de toi, Mel, la rassura Jim en serrant sa main dans la sienne.

— Mais ça ne change pas au sujet de leur histoire, à laquelle il manque plusieurs détails… 

— Attends, attends, ne vas pas si vite ! Ces deux esprits, qui ressemblent à un prince et à une princesse, se sont mariés vieux et sont morts sans descendants, mais très riches, c’est ça ?

— Ouais, en résumé.

— Donc, logiquement, continua l’ambulancier, mine pensive, ils voudront avoir un enfant ensemble ?

— Ça fait du sens…

Elle soupira puis s’exclama d’un air exaspéré, en s’accompagnant d’un mouvement des bras : — Ça ne change pas au fait que j’ai passé tous mes arguments qui auront convaincu n’importe quel autre esprit de partir…

Une sensation de nausée l’interrompit.

Quoi ? Serai-je enceinte ? pensa-t-elle.

Son époux câlina doucement sa main et murmura à son oreille, une lueur d’inquiétude dans ses yeux bleus :

— Tout va bien, Mel ?

— Oui, c’est seulement une nausée… Peut-être suis-je enceinte ? murmura-t-elle d’une voix fébrile.

— Veux-tu que je t’accompagne à l’hôpital ?

— Oui, pour que tu saches immédiatement la bonne nouvelle…

Ils s’embarquèrent dans le véhicule de Jim, une simple voiture bleue, qu’il conduisit d’une main assurée. Melinda remarqua du coin de l’œil que les deux esprits étaient sur les sièges arrière. Elle le dit à son mari, qui haussa les épaules pour toute remarque.


*****


Une fois rendue à l’hôpital, l’épouse de l’ambulancier demanda un contrôle par une sage-femme pour confirmer si elle serait enceinte. Le temps qu’elle attendait, les deux esprits allemands apparurent devant elle avec un petit sourire ironique aux lèvres. 

Katharina murmura d’un air froid :

— On verra bien, Madame Gordon, qui rira le dernier !

La passeuse d’âmes fut secouée par une nausée. 

Les deux revenants la fixèrent, mine concentrée, pendant quelques minutes, le temps que la sage-femme fit son écographie. Elle sursauta et s’exclama d’une voix tremblante :

— Tout va bien, Madame ?

— Seulement une nausée et maintenant une crampe au ventre, répondit Melinda. Et alors ?

— Vous êtes enceinte…

— C’est une bonne nouvelle ! s’exclama-t-elle d’un air enjoué, avec un sourire forcé pour cacher son inquiétude des crampes qu’elle ressentait.

— Sauf que vous venez… de faire une fausse-couche… Votre embryon n’a pas pu se fixer…

— Ah ! gémit Melinda en se tordant les mains. Pourquoi ?

— Peut-être en raison d’une incompatibilité entre vous et votre embryon, peut-être en raison de votre corps qui ne peut pas supporter une grossesse… Mais il faudrait effectuer des tests supplémentaires pour le savoir…

— Mais existe-t-il une solution ? Mon mari et moi voudrions bien avoir un enfant…

— Je comprends très bien… J’en discuterai avec le docteur et je vous reviens…


Une fois sortie de la salle de contrôle, Melinda informa Jim du triste résultat. Il serra sa main dans la sienne en signe de soutien et murmura, lueur de détermination dans ses yeux clairs :

— Mel, on essaiera tant qu’il le faudra ! Nous n'abandonnons pas si tôt !

Elle confirma d’un geste positif, les larmes aux yeux tellement elle était émue de son soutien indéfectible.


Aussi, ce qui l’attrista en tant que passeuse d’âmes, c’était de ne pas être parvenue à convaincre les deux esprits de partir dans la Lumière pour une raison inexplicable.



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(1) Ces informations concernant la protagoniste de Ghost Whisperer sont fidèles à la série.


(2) Ces informations sont un résumé du personnage de Delia de la série américaine.


(3) Allusion au troisième épisode de la quatrième saison de Ghost Whisperer, Ghost in the Machine — Esprit virtuel, dans lequel Melinda est confrontée à l’esprit de Larry Jones, un père mort en jouant à un jeu vidéo, qui protège sa fille, Alice, d’un prédateur. La première fois qu’il apparaît devant elle, c’est sous l’aspect de son avatar du jeu vidéo, Phoenix — nom sous lequel il se présente au début. En cherchant un peu, Melinda parvient à trouver sa vraie identité.


(4) Nous avons inventé un nom au prince et à la princesse du conte, pour la cause de notre réécriture. Par ailleurs, les Bentheim et les Fürstenberg sont vraiment des noms de familles princières allemandes.


(5) Nous avons repris ici le conte allemand, raconté de la perspective de la princesse et du prince, en supprimant les passages des plaintes du Vieux Cricrac, puisque nous considérons qu’il est peu probable que la princesse se souvienne mot pour mot de ce qu'il a dit. Nous avons bien sûr, pour la cause, inventé un nom au roi et ajouté plus de dédain à la princesse en plus des réactions de Melinda Gordon.

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