Réécriture de contes à la Ghost Whisperer
Chapitre 34 : L'humilité et la pauvreté de Thomas Gordon
5067 mots, Catégorie: M
Dernière mise à jour 28/11/2025 13:22
Voici la référence du conte : « Humilité et pauvreté sont le chemin du Ciel », dans Jacob et Wilhelm Grimm, Les contes – Kinder – und Hausmärchen, tome II, texte français de présentation par Armel Guerne, Paris, Éditions Flammarion, 1986 [© 1967], d’après l’édition de 1812, p. 512-513.
Il était une fois un prince qui était un procureur adjoint à la Cour de Grandview, Thomas Gordon, un jeune homme marié à une fleuriste, Elizabeth Patterson, et père d’une adorable fillette de cinq ans, prénommée Melinda(1) qui s’en était allé dans la campagne, dans les environs de la petite ville de Grandview(2), triste et songeur. Il contemplait le ciel si beau, si pur, si bleu et il dit avec un soupir : « Comme on doit être bien là-haut, dans le ciel ! » Avisant un vieux pauvre qui s’en venait sur son chemin, il s’adressa à lui et lui demanda :
— Comment faire pour aller au ciel ?
— Pauvreté et humilité sont le moyen, répondit le vieil homme. Habille-toi de loques, va-t’en de par le monde durant sept années et apprends à connaître la détresse ; ne reçoit pas d’argent, mais quand tu auras faim, demande aux cœurs charitables un simple morceau de pain : c’est comme cela que tu t’approcheras du ciel.
*****
Le prince revint chez lui et dit à sa femme qu’il partira pour sept ans, pour être certain de pouvoir gagner le ciel. Elizabeth l’implora de rester, mais il se montra inflexible. Le lendemain, Thomas enleva son complet bleu marine et sa chemise blanche de procureur adjoint et ses vêtements opulents de prince(3) et s’habilla des hardes du mendiant, partit à travers le vaste monde et connut bien des misères, qu’il supporta avec patience. Il n’acceptait rien qu’un peu de nourriture, ne parlait pas et priait constamment le Seigneur, qu’Il voulût bien le prendre un jour et le recevoir dans Son ciel.
*****
Au bout des sept années, Thomas Gordon, vers la trentaine, s’en revint au château de son père, à l’extérieur de Grandview, où personne ne le reconnut. Il dit aux serviteurs : « Allez, et dites à mes parents que je suis de retour. » Ce fut un éclat de rire chez les serviteurs ; ils ne le croyaient pas et ils le plantèrent là.
Thomas songea tristement Mais pourquoi ne me croient-ils pas ? Pourtant, je leur dis la vérité ! Le Seigneur m’en est témoin(4) !
Il les rappela et leur dit : « Allez, et dites à mes frères que je suis de retour et que j’aimerais tant les revoir. »
L’un des serviteurs répliqua d’un air dédaigneux :
— On ne dérangera pas les princes Gordon avec un simple mendiant !
Un autre ajouta avec hargne, en pointant la porte d’entrée du palais :
— Mendiant, tu nous as assez fait perdre notre temps ! Dehors !
— Mais, s’il vous plaît ! supplia Thomas. Je suis le prince Thomas Gordon. Et je voudrais voir mes frères.
— Ne nous obligez pas à appeler un garde pour qu’il vous expulse du château ! menaça le premier serviteur.
— En fait, Andrew, fit un autre serviteur jusqu’à là silencieux. Laisse cet homme voir Leurs Altesses Royales Samuel, David et Marc Gordon(5). Peut-être a-t-il quelque chose à leur dire…
Le premier serviteur intervint en fixant le mendiant, sans cacher le dégoût qu’il lui inspirait :
— Que veux-tu dire aux Altesses Royales ?
— Que moi, Thomas Gordon, est de retour. Après sept années de voyages et de misères que j’ai supporté avec patience. En priant chaque jour Notre Seigneur, j’ai compris que toutes les richesses de ce monde sont vaines sans Sa main protectrice.
— Assez parler ! réitéra le premier serviteur. Votre histoire ne nous intéresse pas ! Sortez immédiatement !
Thomas soupira devant ce scepticisme trop évident. Il regarda alternativement les autres serviteurs devant lui, les suppliant de ses yeux bleus de le laisser passer.
L’un d’eux intervint, bouillonnant de colère :
— Martin(6), si tu n’a pas envie d’annoncer cet homme aux Altesses Samuel, David et Marc Gordon, je le ferai.
Les autres serviteurs marmonnèrent quelques vagues protestations, mais celui-ci insista et fit annoncer le mendiant auprès des princes, en répétant mot pour mot ce que celui-ci leur avait dit. Puis le serviteur revint auprès de Thomas pour l’accompagner jusqu’aux appartements de son frère aîné, Samuel. Ce dernier l’invita à s’asseoir sur l’une des chaises en bois plaquées or et lui demanda d’un air sérieux qui allait bien avec ses yeux bleu glacial :
— Monsieur, qui êtes-vous et que voulez-vous me dire ?
Le mendiant répondit :
— Samuel, ne me reconnais-tu pas ? Je suis ton frère, Thomas…
— Impossible ! Mon frère n’est pas un mendiant !
— Pourtant, je t’assure que c’est la vérité ! protesta-t-il. J'ai voyagé pendant sept ans à travers le monde, en vivant très pauvrement et en priant Dieu chaque jour…
— Le pèlerin, ton histoire ne m’intéresse pas !
— Mais je ne suis pas un pèlerin ! Je suis Son Altesse Royale le prince Thomas Gordon et procureur adjoint à la Cour de Grandview.
— Non ! Vous devez être un imposteur ! Veuillez sortir immédiatement !
Thomas n’osa pas se faire répéter deux fois et se rendit dans les appartements de son frère David, mais il reçut un accueil similaire. Il se rendit alors dans les appartements de son benjamin, Marc, mais il refusa même de parler avec lui et lui ferma la porte devant son nez(7). Déçu, l’ancien prince traînait des pieds à l’extérieur du palais paternel.
Être si proche des siens et pourtant, j’ai l’impression d’être un étranger, songea-t-il amèrement. Et si j’écrivais à ma mère lui expliquant ma situation ? Et ma chère Elizabeth ? Bonne idée ! Je suis à-peu-près assuré qu’elle reconnaîtra mon écriture, car personne ne peut la contrefaire(8)…
Thomas écrivit à sa mère puis à sa femme une lettre où il décrivit sa grande misère, mais sans lui révéler qu’il était son fils ou son mari. Dans la lettre à sa femme, il se signa. La reine, en lisant la lettre, pensa N’est-ce pas là l’écriture de mon fils Thomas ? Je ne peux pas le laisser ainsi dans sa misère(9) !
Elle se laissa toucher et lui fit donner, sous l’escalier, un coin pour y dormir, en désignant deux serviteurs pour lui porter chaque jour à manger.
« Qu’est-ce que ce mendiant a besoin de fine cuisine ? », pensa l’un des deux laquais, qui était méchant homme, et qui garda les aliments pour lui, ou les jeta aux chiens plutôt que de les porter à l’affamé, auquel il n’apportait que de l’eau claire. L’autre serviteur, par contre, était un honnête homme, et il lui apportait ponctuellement ce qu’on lui avait donné pour lui. C’était peu, mais cela suffit pourtant à tenir le pauvre Thomas Gordon en vie un certain temps, bien qu’il allât s’affaiblissant de jour en jour ; de plus, lorsqu’il essayait de convaincre l’un d’eux de le laisser discuter avec la reine, personne ne voulait accéder à sa demande, sous prétexte que Sa Majesté n’a pas de temps à perdre avec un mendiant de son espèce. Même le laquais qui lui apportait de la nourriture ne le croyait pas ; il était impossible pour eux que le prince fusse si pauvre(10).
Thomas Gordon, déçu de la négligence des deux laquais, remercia la reine de son accueil et quitta le palais paternel, le cœur serré(11). Il essaya de remonter son moral pour ne pas être désespéré de sa situation.
Au moins, Elizabeth me reconnaîtra ! Et ma petite Melinda, qui a certainement grandi entre-temps ! Elle a peut-être douze ans, si je ne me trompe pas… Heureusement que je peux toujours compter sur ma femme et ma fille ! Tant pis pour mes parents et mes frères !
Content de son idée, il avançait d’un pas léger jusqu’à Grandview. L’ancien prince et procureur adjoint arriva devant la maison où vivait sa femme et sa fille, mais grande fut sa surprise lorsqu’il vit une nouvelle famille y vivre ! Il soupira, pria le Seigneur de l’aider à trouver sa chère épouse et sa fille et chercha dans toute la ville de Grandview. Mais il ne les trouva point, comme si elles avaient disparu. Il était inquiet et priait Dieu de les préserver.
Thomas se dit alors à lui-même qu’elles avaient sans doute déménagé dans une autre ville, mais pourquoi Elizabeth ne voulait pas attendre son retour ? Ne voulait-elle plus le revoir ? Pourquoi ? Qu’avait-il fait de mal ? À ses yeux, il n’avait fait aucun mal. Au contraire, il avait toujours encouragé leur petite Melinda avec son don, celui de voir les esprits, don qu’elle avait sans doute hérité de sa lignée maternelle. Par ailleurs, c’est pourquoi j’avais marié Elizabeth… songea-t-il, nostalgique de leur première rencontre, les yeux fixant le vide. C’est seulement dommage qu’elle ne veuille pas assurer l’éducation de notre fille par rapport à son don et que ce soit ma belle-mère, Mary Ann Patterson, qui le fasse(12)… Je devrais me faire reconnaître par Elizabeth et Melinda…
*****
Thomas parcourut alors les villes environnantes de Grandview, dans l’espoir de trouver les deux femmes chères. Il les retrouva dans une petite maison à Centerville(13). Il vit qu’Elizabeth revint des commissions au marché, où il l’avait repéré. L’ancien procureur adjoint l’eut reconnu entre mille, malgré qu’elle eut un peu vieilli. Pour lui, elle n’avait pas vraiment changé : toujours habillée sobrement, sans aucun bijou à l’exception de son alliance et perchée sur des talons hauts.
Une fois sur le trottoir devant une petite maison en briques au toit bleu, le mendiant apostropha la femme :
— Elizabeth Gordon !
Il se tut, étonné d’entendre sa propre voix après sept années de silence.
J’ai vraiment une voix si sévère ? songea-t-il en son for intérieur. Moi qui pensais qu’elle s’enrouait avec le temps…
Elle le fixa d’un air bizarre et répliqua :
— Qui êtes-vous et que voulez-vous ?
— Je suis Thomas Gordon, ton mari… Ne me reconnais-tu pas ? Je suis de retour de mon voyage de sept ans…
— Non, vous ne pouvez pas être mon mari !
— Je t’assure que c’est moi, en chair et en os !
Elizabeth l’observa attentivement pendant plusieurs minutes en pensant : Impossible que Tom ait aussi maigri ! Ce doit être un double ! Même si par la voix et les yeux, j'aurais peut-être pensé que c’est lui… Mais ce n’est pas possible… Sans doute qu’il a volé l'identité de mon Tom…
Elle s’éclaircit la gorge pour répliquer sévèrement :
— Excusez-moi, Monsieur, mais je n’ai pas le temps de discuter avec vous !
— Elizabeth, je t’avais dit que je reviendrai… supplia-t-il. Pourquoi me fuis-tu ? Pourquoi…
— Monsieur, l’interrompit sèchement son interlocutrice, je n’ai plus de temps à perdre avec vous ! Passez une bonne journée !
L’homme fit un geste vers elle pour prendre les sacs des commissions, mais elle lui ordonna sévèrement :
— Monsieur, je n’ai pas besoin de votre aide !
Il interrompit son geste, surpris de sa froideur puis dit d’une voix enrouée :
— Si tu le dis… S’il te plaît, Elizabeth, crois-moi ! Ma chérie, je suis de retour !
Il fit un geste des bras vers elle en s’exclamant :
— Mon amour, ma douce colombe, c’est moi, ton Thomas !
Elle tourna en un signe négatif et le menaça :
— La prochaine fois que je vous vois, j’appelle la police pour intrusion !
Il baissa les bras, comme foudroyé. Sa femme le laissa planté là et elle entra rapidement dans la maison. Thomas, lui, prit au dépourvu par sa manière d’agir, se retourna et traîna des pieds, le cœur serré, très attristé en son âme. Il plaçait un pied devant l’autre comme un automate, dépassé par ce qu’il venait d’entendre. Il ne pouvait pas croire que sa Elizabeth agissait de la sorte. C’était inconcevable, c’était une réaction tout à fait imprévisible à ses yeux, lui qui s’attendait à de joyeuses retrouvailles. Il songea :
Peut-être qu’Elizabeth s’est trouvé un autre mari… J’espère que non… Mais pourquoi ne veut-elle plus me voir ? Heureusement que le Seigneur n’oublie aucun homme et Il ne m’oubliera pas… Décidément, le jour le plus heureux de ma vie serait celui où je serais rappelé à Lui… Et que doit penser ma petite Melinda de moi ? Pauvre elle ! Avec une telle mère ! Je me demande bien ce qu’elle a pu lui dire de moi…
Le soir, l’ancien prince et procureur adjoint alla assister à la messe de l’église de la ville, puis dormit sur le banc d’un parc.
*****
Dix ans plus tard, alors que Thomas Gordon, âgé de quarante ans, mais en raison de sa maigreur et de ses haillons très déchirés, paraissait plus vieux, allait de ville en ville. Il priait silencieusement le Seigneur d’apporter la paix aux hommes qu’il rencontrait sur son chemin. Ainsi, ses pas l’amenèrent devant une grande maison bien entretenue. Le mendiant arriva devant la porte au moment où le propriétaire, un homme d’à-peu-près son âge, la ferma. Son regard brilla d’une lueur particulière, mais Thomas n’y prêta point attention. Voyant l’indigent, il le questionna sévèrement :
— Qui êtes-vous ?
— Je suis Thomas Gordon, ancien prince et procureur adjoint à la Cour de Grandview…
— Je ne connais aucun homme répondant à ce nom, fit avec mépris son interlocuteur. Depuis quand est-il un mendiant ? Jamais !
— Pourtant, c’est la vérité… Je veux seulement un petit morceau de pain, rien de plus…
— Non ! Je ne veux plus perdre mon temps à discuter avec des gueux de votre espèce !
Thomas, déçu d’un tel accueil, ne remarquant pas la lueur étrange dans le regard de son interlocuteur, se retourna pour descendre le grand escalier, mais l’homme possédé le poussa dans le dos. Le mari d’Elizabeth tomba en bas, complètement meurtri. Son âme sortit de son corps par son nez. S’élevant au-dessus du sol, elle se senta très légère et regarda en bas, pour constater le cadavre qui gisait, privé de vie. Thomas comprit alors qu’il était mort. En observant attentivement autour d’elle, l’âme de Thomas vit que celle de son interlocuteur était en face de lui avec un sourire moqueur. Il se demandait bien comment une âme pouvait être à l’extérieur de son corps avant de mourir. Il eut la réponse à sa question en suivant le corps possédé du propriétaire de la maison : le défunt vit clairement un sombre esprit(14) sortir quelques minutes plus tard du corps et que son âme revint dans celui-ci. Le vivant appela alors la police en disant qu’un mendiant était venu mourir devant sa maison. Sans plus d’histoire, le corps de Thomas Gordon fut enterré à l’extérieur de la ville et une rose poussa d’un côté de sa tombe et un lys de l’autre côté(15).
Thomas, intrigué par le sombre esprit, décida de le suivre discrètement pour mieux comprendre pourquoi celui-ci restait encore auprès des vivants. Il le suivit pendant plusieurs jours et il remarqua que Romano cherchait à recruter d’autres âmes pour bloquer la Lumière, et les convaincre que l’Autre Monde était un néant et que seule la vie dans ce monde-ci comptait. Pour le défunt prince, une telle rhétorique s’opposait à ce qu’il avait entendu de sa femme, qui aidait à faire passer dans la Lumière, nom qu’elle donnait à l’Au-delà. De sorte qu’il voyait une telle activité de la part de Romano d’un mauvais œil. En le suivant discrètement et en s’informant auprès des Observateurs(16), Thomas apprit l’identité du sombre esprit, ce qui l’inquiéta au plus haut point pour sa fille.
*****
Un jour, en se promenant comme s’il était encore vivant, Thomas se dit à lui-même : « Je dois retrouver Melinda ! Ma fille chérie ! Que le Seigneur me pardonne, mais le Ciel attendra ! Je dois l’avertir du danger que représente pour elle Romano ! » À peine formula-t-il cette pensée qu’il apparut devant la passeuse d’âmes alors qu’elle faisait ses commissions au marché de Grandview. Elle était une jeune femme vers la vingtaine, vêtue d’une robe bleu marine et de talons hauts. L’esprit remarqua aussitôt une alliance sur son annulaire gauche, ce qui le réjouit. Il songea en levant les yeux vers le ciel Dieu soit Loué ! Ma petite Melinda s’est mariée ! Comme je serais curieux de connaître mon gendre ! Que le Seigneur les bénisse !
Melinda, étonnée de voir devant elle l’âme d’un mendiant, car elle ne reconnut point son propre père, demanda à voix basse :
— Je suis Melinda Gordon. Et vous, quel est votre nom ?
Le revenant répondit d’une voix étranglée par l’émotion de la joie paternelle :
— Thomas Gordon… Ton père…
— Papa ? fit-t-elle, étonnée(17).
Il confirma silencieusement, d’un air résigné.
— Ma petite Melinda, comme tu as grandi ! Je ne t’ai pas vu depuis dix-sept ans ! s’exclama-t-il d’un air enjoué.
— Moi aussi, je suis contente de revoir…
Des larmes montèrent aux yeux de la jeune médium qui pensa Même si j’aurai préféré te voir vivant, mais heureusement que je vois les esprits…
Elle demanda dans un murmure, après un long silence :
— Papa, pourquoi n’es-tu pas revenu plus tôt ?
Thomas sourit faiblement et répondit d’un ton amer :
— Je suis revenu il y a dix ans…
— Pourtant, je ne me souviens pas de t’avoir vu ! protesta la jeune femme. Maman me disait que tu nous as quitté parce que tu vivais dans une autre ville à cause de ton travail(18)...
Les yeux bleus du revenant lançaient des éclairs de colère et son visage fut déformé par un rictus. Il tonna :
— Quelle mauvaise épouse ai-je marié ! Pauvre de moi !
Incrédule, d’une voix larmoyante, elle murmura :
— C’est ce que j’avais entendu de maman…
— Pourtant, c’est faux ! s’écria-t-il.
— Peux-tu m’expliquer ta version des faits ?
— Bien sûr…
Il inspira et expira profondément pour faire tomber sa colère, puis il dit d’un air calme après une longue pause :
— Lorsque tu avais cinq ans, je voulais savoir comment il est possible de gagner le ciel et un mendiant m’avait dit que l’humilité et la pauvreté étaient les moyens. J’étais parti pour sept ans, sept années au cours desquelles j’avais connu des misères et des privations de toutes sortes…
Remarquant que sa fille commençait à pleurer tellement elle était émue par son récit, Thomas ajouta d’une voix douce :
— Je ne vais pas te conter tous les détails… Passons à l’essentiel…
Il fit une courte pause, puis reprit :
— Après ces sept années que j’avais passé dans le recueillement et la prière, j’étais revenu dans le palais de mon père, mais aucun des serviteurs, ni même mes frères ne m’avaient cru… Ils se sont tous moqués de moi…
Thomas soupira aux souvenirs de ces moments et continua d’un air triste :
— Mais c’est ta mère qui m’avait le plus blessé… Lorsque je suis revenu devant la maison que nous avons occupée à Grandview…
— Quoi ? s’exclama Melinda, les sourcils levés d’étonnement, nous avons vécu dans cette ville ?
Pourtant, je n’en garde aucun souvenir… pensa-t-elle. J’y suis venue depuis mon mariage avec Jim(19).
— Oui, c’est notre ville, c’est ta ville, celle où tu es née, ma petite Melinda…
— Je me souviens seulement d’avoir vécue à Centerville, la ville voisine…
— Où ta mère avait déménagé sans doute pendant mon absence de sept ans… Lorsque je l’ai retrouvé, elle ne voulait plus parler avec moi… J’ai alors repris mes errances et mes prières… Jusqu’à ce que je meure…
— Depuis quand ?
— Depuis quelques jours… Poussé par un monsieur alors que j’ai demandé un morceau de pain…
— Pourquoi ne veux-tu pas partir dans la Lumière ?
— Je veux t’avertir d’un danger, ma petite Melinda…
— Lequel ?
— Fais attention à l’esprit au chapeau noir…
Mine pensive, elle l’interrompit d’une voix douce :
— C’est un esprit vêtu de noir ?
— Oui…
— Je l’ai aperçu, il y a quelques jours, dans la ville et dans ma boutique d’antiquités…
— Tu es propriétaire d’un magasin ? fit Thomas, étonné.
— Oui, The Same It Never Was Antiques(20).
Après une courte pause, le père de Melinda reprit :
— Ce sombre revenant s’appelle Romano… Et il recrute des âmes crédules pour les empêcher de passer dans la Lumière… En bref, un esprit démoniaque et manipulateur…
Les yeux agrandis d’effroi, la fille de Thomas balbutia :
— Sérieux ? Un tel esprit existe ?
— Malheureusement, oui. C’était lui qui avait possédé l’homme qui m’avait poussé en bas des escaliers de sa maison…
— Comment le sais-tu ? questionna-t-elle d’une voix blanche.
— Depuis que j’ai quitté définitivement mon corps, j’ai vu ce sombre esprit sortir du corps de l’homme. Possédé, cet homme m’a tué ! Et en m’informant auprès d’autres esprits et en le filant discrètement, j’ai compris ses intentions.
— On dirait que cet esprit agit par possession, murmura Melinda.
— C’est ce que je conclue également…
— Merci de l’avertissement… Je serais prudente, promit-elle.
— Il n’y a pas de quoi… Mais avant de partir définitivement, je voudrais avoir des nouvelles de ta mère et de toi…
La jeune femme fit un mouvement rotatif du poignet pour l’inciter à développer sa pensée.
Il poursuivit d’un air jaloux :
— Ta mère s'est-elle remariée ?
— Non, elle m’a élevé seule en travaillant comme simple fleuriste à Centerville.
Il s’éclaircit la gorge puis reprit d’une voix douce :
— Je remarque que tu portes une alliance…
Elle lui montra son alliance, qui brillait de tous feux en reflétant les rayons du soleil, et murmura :
— Bien vu… Je suis mariée à l’homme de ma vie, si je peux le dire ainsi…
— Comment s’appelle mon heureux gendre ? questionna le fantôme d’un air intéressé.
— Jim Clancy…
— Quel métier exerce-t-il ?
— Il est ambulancier à l’hôpital Mercy(21).
— Suis-je grand-père ?
Avec son plus beau sourire, le jeune médium répondit à voix basse :
— Oui, car nous avons un fils, Aiden, qui a deux ans(22)…
— Merci de l’information ! Me voilà rassuré ! s’exclama d’un air joyeux l’esprit, ses yeux bleus brillaient d’une joie indescriptible.
Melinda, elle, termina ses commissions, puis demanda à l’esprit :
— Papa, vois-tu la Lumière ?
Thomas tourna sa tête de gauche à droite, puis plissa des yeux, comme s’il fixait un point au loin. Il demeurait silencieux pendant plusieurs minutes, le regard tourné vers la même direction avant de murmurer d’une voix calme :
— Oui, une Lumière… Oh combien divine ! Elle m’attire… Je me sens tellement bien et léger…
— Ce sont les signes du départ définitif, murmura d’une voix émue sa fille en essuyant une larme de joie. Vas-y sans crainte… Et bon voyage !
— Merci et à la prochaine ! Je veux dire, dans une prochaine réincarnation, si Dieu le veut !
Et l’esprit s’avança d’un pas assuré vers cette lumière que lui seul voyait, jusqu’à ce qu’il fut entièrement enveloppé par elle.
La médium revint d’un pas léger chez elle et rapporta à son époux sa rencontre avec l’âme de son père.
———————
(1) Changement considérable par rapport à la série Ghost Whisperer, dans laquelle Thomas n’est que le beau-père de la protagoniste. Nous situons l’âge de Melinda à cinq ans, pour respecter la série, car elle a eu cet âge lorsque Thomas était plus absent que présent à la maison. Cependant, il est vrai qu’il est un procureur adjoint. Et c’est seulement en raison de la transposition du conte que nous faisons de lui un prince.
(2) Grandview est le nom de la ville fictive où se déroule la série américaine.
(3) Dans le conte, il n’est question que des vêtements opulents du prince. C’est en raison du fait que Thomas Gordon est un procureur adjoint que nous ajoutons sa tenue vestimentaire.
(4) Nous avons ajouté cette pensée au prince, par réalisme.
(5) Nous avons inventé des prénoms aux frères du prince, ce qui est absent du conte.
(6) Nous avons inventé un prénom au serviteur sceptique et moqueur.
(7) Nous avons développé sous la forme de dialogue ce qui est rapporté indirectement dans le conte, à savoir la discussion du prince-mendiant avec les serviteurs de son père puis avec ses frères les princes.
(8) Nous avons ajouté cette pensée au prince, par réalisme. Dans le conte, il écrit immédiatement sa lettre après la moquerie de ses frères les princes.
(9) Nous avons ajouté cette pensée pour justifier l’action de la reine du conte, par réalisme.
(10) Ajout par rapport au conte, dans lequel le prince meurt peu après une messe.
(11) Déviation par rapport au conte, dans lequel il n’est aucunement précisé que le prince est marié.
(12) Les informations concernant la transmission générationnelle du don respectent la série américaine, de même pour le rôle que prend la grand-mère maternelle auprès de Melinda Gordon.
(13) Centerville est le nom de l’une des villes aux environs de Grandview dans la série Ghost Whisperer.
(14) Dans Ghost Whisperer, le sombre esprit en question est Romano. Il a été de son vivant le dirigeant d’une secte. Il est manipulateur et est vêtu de noir et d’un chapeau de la même couleur. Il s’oppose à Melinda, la protagoniste de la série, au cours de quelques épisodes de la première et de la deuxième saisons.
(15) C’est une manière de combiner la mort du personnage du prince et celle de Thomas Gordon. Dans le conte, le prince meurt après une messe, en tenant une rose dans une main et un lys dans l’autre, avec une lettre sur laquelle il a écrit son histoire. Lorsque le corps du prince est enterré, d’un côté de sa tombe pousse une rose, de l’autre un lys. Dans la série américaine, au dix-huitième épisode de la troisième saison, Pater familias — Le Visage derrière le masque, deuxième partie, Thomas Gordon meurt d’une chute dans les escaliers de sa maison, possédé par Paul Eastman. Thomas avait l’intention d’étrangler Melinda lorsqu’elle a compris qu’il a tué Paul Eastman, mais ce dernier intervient pour sauver sa fille. Une fois mort, Thomas Gordon reste une âme perdue, car il ne part pas dans la Lumière, au contraire de Paul.
(16) Un Observateur (une Observatrice au féminin) est un esprit qui ne passe pas du tout dans la Lumière et qui regarde tout ce qui se passe. Dans Ghost Whisperer, il y a plusieurs Observateurs non-nommés, sauf Carl Sessick, l’Observateur présent à la fin de la quatrième saison et tout au long de la cinquième saison.
(17) Allusion à l'apparition de l’âme de Thomas Gordon devant Melinda après vingt ans d’absence, au cinquième épisode de la troisième saison, Weight Of What Was — Maladie en sous-sol. Sauf que dans cet épisode, il est possédé par Paul Eastman, c’est pourquoi Melinda a vu son âme.
(18) C’est la raison officielle de l’absence de Thomas auprès de Melinda et de sa famille dans la série Ghost Whisperer.
(19) Jim Clancy, un ambulancier qui travaille à l’hôpital Mercy, est le mari de Melinda, la protagoniste de la série Ghost Whisperer. Et le couple déménage dans cette ville au début de la série, peu après leur mariage.
(20) Dans Ghost Whisperer, Melinda Gordon est la propriétaire de la boutique d’antiquités The Same It Never Was Antiques.
(21) L’hôpital Mercy est le lieu de travail de Jim Clancy dans la série américaine. Il est le seul hôpital dans la ville de Grandview.
(22) Nous avons devancé la naissance d’Aiden, le fils de Jim et de Melinda, par rapport à la série, en raison de notre réécriture.