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Chapitre 5 : I want to break free

1884 mots, Catégorie: G

Dernière mise à jour 29/08/2023 15:12

Je vous préviens loyalement que c'est le dernier chapitre que j'ai en réserve. La suite n'est pas encore écrite. Cela dit, j'ai eu des idées et vous m'en avez soufflé d'autres, donc je pense qu'un chapitre 6 arrivera dans le courant du mois de septembre... et si ce n'est pas le cas, please, ne m'en veuillez pas trop !



Chapitre 5 - I want to break free [1]


Le silence, le calme et la sérénité des lieux furent brutalement rompus alors que l’ange et le démon, épuisés et au bord de l’évanouissement, arrivaient, au détour d’un rocher, en face d’un paysage que même Crowley ne put s’empêcher de trouver magnifique. Il anticipait la pause bien méritée qu’ils allaient prendre tous les deux, assis sur une pierre plate, à contempler les pentes d’un vert tendre parsemé de jaune et de violet, qui allaient se jeter dans un ruisseau d’un blanc laiteux dont le chant mélodieux montait dans l’air pur.

C’est alors que le groupe arriva, annoncé par un cri perçant :

– Jean-Clauôôôôôde ! Frédériiiiiiiiiic ! Attendez-nous !

Le démon se retourna, immédiatement imité par son compagnon. A une vingtaine de mètres derrière eux, sur le sentier désert quelques minutes auparavant, venaient d’apparaître deux femmes, la soixantaine bien tassée, qui faisaient de grands signes dans leur direction. Aziraphale fronça les sourcils :

– Penses-tu que ces deux randonneuses soient en danger ?

Crowley haussa les épaules. Elles pouvaient bien être poursuivies par un troupeau de babouins en rut, il s’en moquait éperdument. La large pierre plate au bord du ruisseau lui faisait de l’œil.

– Jean-Claude ! Youhou !

Il se laissa tomber tout près de l’eau, qui faisait toujours entendre son murmure apaisant, et reprit haleine. Aziraphale le rejoignait lorsque, pour la troisième fois, la femme les héla :

– Mais attendez-nous !

Elle sembla soudain se rendre compte de sa méprise et éclata de rire.

– Oh, pardon, nous vous avons pris pour quelqu’un d’autre. Mireille, où sont les garçons ? Je vais les appeler.

Pour la première fois de son existence éprise de modernité, Crowley regretta l’invention du téléphone portable. La voix de la femme résonna sur les murs de pierre du cirque où étaient péniblement arrivés les randonneurs amateurs.

– Allô, Jean-Claude ? Où êtes-vous ? Nous sommes au ruisseau, vous êtes déjà à la passerelle ?

Silence relatif. A l’autre bout du fil, le dénommé Jean-Claude parlait suffisamment fort pour gâcher le paysage, mais pas assez pour que le sens de ses paroles soit perceptible.

– Ah, mais on croyait que vous étiez devant ! Bon, bon, dans ce cas on vous attend au ruisseau ! Oui, on pourra pique-niquer là, quelle bonne idée ! A tout à l’heure !

La femme raccrocha et se tourna vers son amie.

– Tu ne vas pas le croire : ils sont derrière nous ! On les a dépassés à la croix !

La dénommée Mireille se mit à glousser de concert avec la première gêneuse. Le démon, qui essayait, sur les conseils d’Aziraphale, de profiter du paysage, lança en direction des deux rombières un regard meurtrier qu’elles ne virent évidemment pas, à cause des lunettes.

– Tu ne sais pas ce que m’a raconté Patricia l’autre jour ? Tu vas bien rire…

.

– Je te jure que si elles ne se taisent pas, je vais les étrangler.

Aziraphale ferma brièvement les yeux. Lui aussi avait beaucoup de mal à faire abstraction des caquètements agaçants qu’émettaient leurs deux voisines. Elles s’étaient installées non loin d’eux et racontaient… tout un tas de choses absolument sans intérêt, ponctuées de ricanements et de gloussements qui amenaient à chaque minute sur le visage de Crowley un tic nerveux que l’ange connaissait bien.

– Pas question, intima-t-il en étendant la main pour empêcher son compagnon d’infortune de claquer des doigts. Nous sommes en vacances. Y compris en vacances de miracles, surtout si c’est pour tourmenter ces pauvres femmes.

– Et d’une, ça te dérangeait moins ce matin lorsque tu as fait apparaître cet énorme pot de confiture de myrtilles, et de deux, ces femmes ne sont sûrement pas pauvres, et de trois, je ne suis pas même certain que ce soient des femmes. Je pense que c’est Belzébub qui les a envoyées ici dans le seul but de nous torturer.

Aziraphale soupira. Parfois, Crowley avait des arguments recevables. Le bavardage inane de Mireille au rire perçant et de Monique à la voix de fausset commençait à lui taper sur les nerfs qu’il n’avait pas. Parfois – souvent – le corps qu’il empruntait lui jouait des tours en lui faisant éprouver des émotions et des sensations typiquement humaines.

– Qu’est-ce que tu comptais faire ?

Un sourire retors se dessina sur les lèvres du démon.

– Tu n’as pas confiance en mon inventivité, mon ange ?

Aziraphale leva les yeux au ciel. Il s’apprêtait à répondre quelque chose du genre « j’aurais plutôt tendance à m’en méfier » lorsque Monique se mit à gesticuler de manière complètement frénétique :

– Une marmotte ! Regarde, regarde, une marmotte là-bas !!!!!

Machinalement, l’ange et le démon se retournèrent pour regarder le petit animal qui s’approchait en trottinant, inconscient du danger, vers les deux femmes assises non loin du ruisseau. La plus âgée des deux tendit la main en bêtifiant :

– Viens, mon trésor, viens voir Maman !

Aziraphale ne comprit pas immédiatement pour quelle raison la marmotte, au lieu d’écouter l’instinct de survie profondément ancré dans chacun de ses gênes, continuait à se diriger vers les deux randonneuses, sans ralentir ni changer de direction ni même paraître vaguement inquiète. Ce ne fut qu’au moment où Monique abaissa lentement sa main, extatique, pour caresser l’animal, qu’un éclair de lucidité le traversa – mais il était trop tard.

Les dents aiguës du rongeur se refermèrent sauvagement sur le majeur et l’auriculaire de la randonneuse, qui poussa un cri strident et commença à secouer avec force sa main droite pour en détacher la créature qui y demeurait fermement accrochée, comme aimantée sur la deuxième phalange par une force surnaturelle…

.

Bert [2] avait, jusqu’ici, profité avec le plus grand plaisir de son séjour dans les Alpes françaises. Parti depuis une semaine de Los Angeles, il avait suivi avec bonheur plusieurs conférences au centre géologique de Sallanches (une chance, il maîtrisait plutôt bien le français) et avait décidé de compléter ses connaissances par une petite randonnée en montagne. Malgré sa forte corpulence, il était bon marcheur, et avait déjà parcouru une quinzaine de kilomètres le long du mont Vorassey lorsqu’il arriva aux chalets de l’Are, où l’attendait un spectacle étonnant : au beau milieu du chemin, une femme d’une soixantaine d’années, aux cheveux gris et frisés, vêtue d’un t-shirt rose fluo, agitait désespérément la main droite en faisant des bonds de cabri et en hurlant comme une damnée. A côté d’elle, une autre dame, entre deux âges, tentait de lui venir en aide en vaporisant sur ses doigts quelque chose qui ressemblait à du parfum.

Il pressa le pas pour proposer ses services aux deux randonneuses, mais s’arrêta net lorsqu’il aperçut la petite marmotte suspendue aux doigts de la femme et le sang qui coulait sur son poignet. Jamais de sa vie il n’avait été confronté à aucun mammifère enragé, et il ignorait ce qu’il convenait de faire dans ce genre de cas. La randonneuse, cessant ses contorsions, commença à frapper la bestiole à coups de bâtons de marche, ce qui fit naître une exclamation outrée sur les lèvres d’un homme tout de noir vêtu qui, tranquillement assis non loin de là, semblait regarder la scène avec un amusement non dissimulé.

– Dites donc, s’écria l’homme avec un accent britannique à couper au couteau, vous n’êtes pas au courant qu’il s’agit d’une espèce protégée, en voie de disparition ? Cessez immédiatement de taper cette marmotte ou je vous dénonce aux autorités !

– N’en fais pas trop non plus, grommela en anglais un drôle de bonhomme tout rondouillard assis aux côtés du premier, et habillé d’une façon que même le géologue, pourtant insensible à la mode, trouva parfaitement ridicule.

Aucun des deux, à aucun moment, ne manifesta la moindre intention de proposer son aide à ces deux braves femmes. Bert s’approcha, pas très rassuré, et regarda le petit mammifère qui grognait et bavait, solidement cramponné aux doigts de la femme qui ne cessait de hurler.

– Allez, ça suffit, continua l’Anglais joufflu, toujours dans sa langue, tu t’es assez amusé comme ça. En plus, tu n’as pas réussi à la faire taire.

L’autre fit un petit hochement de tête pensif et claqua dans ses doigts. Presque immédiatement, la marmotte desserra ses mâchoires, se laissa tomber à terre et disparut dans un buisson voisin avec un couinement dégoûté.

Etrange, songea Bert.

Puis il aperçut, entre les deux sommets qui lui faisaient face, une magnifique abrasion morainique [3] à faire pâlir n’importe quel géologue digne de ce nom, qui lui fit oublier tout le reste.

.

– Crowley…

– Quoi ?

– Tu exagères.

– Ne te plains pas trop. Au début, je voulais reprendre l’idée du lapin tueur des Monty Python. [4]



[1] Le problème avec les titres de Queen, c'est que je me les grille pour d'éventuelles futures fanfics...


[2] Bert est un personnage secondaire de la série The Big Bang Theory, un géologue que Sheldon méprise (parce qu'il est géologue et non physicien) tout en l'enviant. J'avais envie de lui offrir de petites vacances en France...


[3] L'abrasion morainique est un phénomène d'érosion glaciaire que je serais bien en peine de vous expliquer (car je ne suis pas géologue). Il s'agit d'une private joke avec mon conjoint : dans le tramway du Mont Blanc, un homme nous a bassinés pendant tout le trajet avec des remarques prononcées à voix très hautes adressées à sa femme sur toutes sortes de sujet, notamment la "magnifique abrasion morainique" qu'on pouvait voir je ne sais où. Ca sonnait très pédant et c'est resté dans ma mémoire.


[4] Dans Sacré Graal. Si vous n'avez pas vu cette scène, elle est trouvable sur Internet. J'ai réalisé en regardant la saison 2 qu'il y avait dans Good Omens plusieurs références aux Monty Python, je conserve donc mon petit clin d'œil...

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