Tombé du Ciel~Le Second Avènement

Chapitre 9 : Celui qui voudra sauver sa vie la perdra

2500 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 23/01/2024 15:08

~ Ile d’Hascosay-Archipel des Shetlands ~


Le vent balayait tellement les cheveux de Crowley qu’il dut se miraculer un élastique pour les attacher en une queue de cheval approximative ! Sur sa droite, Hastur, excédé, finit par enfiler son casque : 


— Saloperie de vent ! Quelle idée de nous invoquer dans les îles les plus reculées de cette saloperie d’Ecosse… Tu mets pas ton casque ? 

— Pour avoir l’air d’un con ? Déjà qu’avec cet accoutrement… 


Le démon aurait voulu se cacher… Pour la Grande Bataille de Tous les Temps, les Légions devaient porter leur tenue de combat traditionnelle, c’est-à-dire comme lors de la Guerre du Paradis ! En d’autres termes, des tenues d’anges guerriers. Il regardait, affligé, les pans de son kilt noir virevolter au gré du vent, sous son plastron en cuir de serpent rouge et noir. Comme tous les Ducs, il portait son écharpe, partiellement dissimulée par son armure d’épaule, maintenue par une large sangle descendant sur son torse et encerclant ses côtes. 

La tenue était complétée par des manchettes en cuir, des bottes et bien sûr, une ceinture en forme de serpent pour son épée… Comme lors de sa Déchéance, Crowley portait deux épées ; une au fourreau de sa ceinture et l’autre dans son dos, glissée à l’intérieur de la gaine fixée à son armure d’épaule.


A sa gauche, Furfur, qui portait une tenue similaire, bien que dans ses couleurs, argent et vert, faisait preuve d’un calme olympien. Se tournant vers son collègue, il demanda poliment : 


— Même maintenant, tu portes tes lunettes ? Tout le monde connaît ta vraie nature ici, mon frère ! Pourquoi t’obstiner à te cacher ? D’aucuns pourraient croire que tu as honte… 


Crowley s’apprêtait à lancer un sarcasme comme de coutume, mais Shax les interrompit ; d’une voix forte, amplifiée par miracle démonique, elle s’adressa à toutes les Légions : 


— L’heure de notre revanche a sonné, fidèles démons ! N’ayez aucune pitié pour ces anges, car souvenez-vous qu’ils n’en ont eu aucune pour nous sur les Plaines du Paradis… GLOIRE A SATAN ! 

— GLOIRE A SATAN ! reprit la foule démonique, en ordre de bataille.


Dagon continua de haranguer les guerriers, de sa voix traînante : 


— Nous avons combattu dans la Glorieuse Révolution et nous sommes de nouveau prêts à nous battre ! NOUS SOMMES PLUS FORTS ! 

— PLUS FORTS !

— PLUS INTELLIGENTS ! poursuivit-elle.

— PLUS INTELLIGENTS !

— ET PLUS DANGEREUX ! conclut Dagon. 

— ET PLUS DANGEREUX ! 


Eric leva une main hésitante, après avoir nerveusement lissé son kilt et Shax, elle, leva les yeux au ciel : 


— QUOI ? 

— Et si, euh… Je veux dire… Ils ont le Messie avec eux… 

— Et nous, nous avons le Vice ! Rejoins ta Légion ! 


Eric leva à nouveau la main et Shax trépigna de plus belle : 


Ouiii

— Vous, euh… Vous ne m’avez pas dit à quelle Légion j’appartenais, Grand Duc… 

— Va avec Crowley, tiens ! le congédia-t-elle, d’un signe de main.


A son signal, les Ducs se répartirent sur l’archipel, à la fois sur les terres et dans les airs ! Hastur et Furfur s’envolèrent, tandis que Crowley demeura où il était entouré par ses guerriers, dont Eric, qui vint se poster juste à côté de lui, avec un timide et craintif sourire.

Il avait déjà été discorporé trois fois depuis leur arrivée… 


— Vous… Vous pensez que nous avons une chance, Duc Crowley ? Je ne suis pas sûr que nous soyons tellement plus intelligents que la dernière fois… 

— Nous ne le sommes pas ! Mais les enjeux ne sont pas les mêmes cette fois.

— Oui ! Au moins, on ne risque pas de subir à nouveau… Ce qu’on a subi la première fois… répondit Eric, parcouru d’un frisson qui ne devait rien au vent implacable des Shetlands. 



Un éclair fendit le ciel et fit taire le brouhaha des Légions qui avaient commencé à entonner un chant de guerre primitif, bien plus vieux que l’Humanité elle-même… Tous levèrent les yeux vers le rayon de lumière divine qui baignait désormais le paysage sauvage d’Hascosay. Un bruit de tonnerre se fit entendre, tandis que l’horizon se nimba d’une lumière crue et impitoyable, obligeant momentanément les démons à détourner le regard. 

Tous, sauf Crowley, dont le champ de vision de ses pupilles, déjà très limité lorsqu’il s’agissait de regarder le ciel, était, de surcroît, protégé par ses lunettes de soleil ! Il fut donc le seul à pouvoir observer l’ineffable spectacle qu’était l’apparition des Cohortes du Paradis, menées par Michael. L’archange portrait la même armure que jadis, lorsqu’elle combattit en duel celui qui, alors, répondait au nom de Lucifer. 


A la vue du plastron étincelant de Michael, la mémoire de Crowley, altérée par sa Chute, lui renvoyait des bribes de souvenirs. Ceux qui lui avaient été arrachés et avaient volé en éclats, en même temps que son auréole… Il revoyait la lutte acharnée des deux archanges au milieu des Plaines du Paradis, rouges du sang des vaincus. Bien sûr, ils n’étaient pas morts alors, bien que leurs corps portaient les stigmates du combat ; mais ils n’étaient déjà plus des anges… Leurs auréoles s’étaient fragmentées, à mesure qu’ils s’étaient éloignés de Dieu.


Dieu qui était sur le point de créer un tout nouveau statut à Ses enfants désobéissants.


Un tout nouveau Royaume pour Celui qui avait mené cette Rébellion…


Elle allait les renier. Les punir. Les bannir. Jamais Elle ne leur pardonnerait !  


Certains, ses préférés, recevraient un châtiment particulier, personnalisé, à hauteur de leur transgression. Ceux-là seraient punis avec la même ardeur qu’ils avaient été aimés. Ils souffriraient comme Elle souffrait de les voir La trahir… Crowley en faisait partie. 

Son Séraphin préféré, son Starmaker, l'Étoile de Dieu, Kokabiel, allait souffrir, sans commune mesure avec le reste des rebelles ! Elle avait un Plan particulier pour sa Chute, mais ça bien sûr, il l’ignorait tandis qu’il attendait de connaître son sort, prostré contre Baraquiel, qui avait combattu à ses côtés. Celui-ci aurait au moins la chance de conserver sa mémoire lorsqu’il deviendrait Furfur… 



Crowley pouvait le voir, une main devant les yeux, l’autre tenant fermement son épée, sur la garde de laquelle il avait enroulé son chapelet. Ses yeux serpentins ne s’attardèrent pas sur lui cependant, il guettait ! Il observait les anges rejoindre le Plan Terrestre par la brèche, bataillon après bataillon ! Si Michael avait été la première à apparaître, c’est bien le Prince du Paradis qui clôtura la parade des Cohortes… 


Aziraphale portrait sa tenue d’apparat et malgré les circonstances, le démon en eut le souffle coupé ! L’Archange Suprême arborait une armure en métal doré sur le kilt en tartan du Paradis. Une élégante cape blanche cousue de fils d’or était maintenue au niveau de ses clavicules par une chaînette ouvragée qui rappelait la couronne de lauriers en feuilles d’or qui ornait ses courts cheveux aux bouclettes platines ! De là où il était, le démon pouvait à peine distinguer les motifs gravés sur le plastron d’Aziraphale, bien qu’il devinait aisément qu’il s’agissait de l’Oeil entouré des ophanim, elles-mêmes encadrées par les trois paires d’ailes des Séraphins. Le tout était certainement ornementé de milliers d’yeux ; peut-être même portait-il des inscriptions en Malakim et en Seraphim (1), se disait distraitement Crowley. L’épée du Prince était rangée au fourreau, car sa main tenait celle d’Issa… 


L’enfant, pour sa part, était vêtu de la plus simple des aubes, toute blanche, sans aucun motif, ni fil d’or. Il était pieds nus et ses cheveux étaient lâchés et surmontés de la même couronne de lauriers qu’Aziraphale. Ses petites ailes étaient aussi immaculées que celles de l’Archange Suprême ! Crowley était trop loin pour distinguer les traits de son visage… Il remarqua en revanche que les deux êtres qui captaient toute son attention étaient entourés de Saraqael, Sandalphon, Uriel et… Muriel !

Le démon émit un grognement sourd…

Aucun des anges ne se posa à terre, ils restèrent tous en vol stationnaire, à distance raisonnable, jusqu’à ce que la brèche se referme et fasse disparaître la lumière aveuglante.


Aziraphale détaillait les Légions et lorsque son regard se fixa, Crowley comprit que c’était lui qu’il cherchait… Le démon ne pouvait déchiffrer l’expression de son visage, mais au bout de longues et interminables minutes, Aziraphale fit un signe de tête à Michael, qui s’avança vers la Horde : 


— Démons ! Avant que la bataille ne commence, et conformément aux clauses de l’Arrangement conclu entre le Seigneur Shax et le Metatron, porte-parole de Satan…

— HAIL, SATAN ! l’interrompirent les Légions, en hurlant.

— Et de Dieu… reprit Michael, en se tournant vers les Cohortes.

— GLOIRE AU SEIGNEUR ! reprirent les Cohortes.

— Le Messie va maintenant procéder à la Résurrection des Âmes de chaque camp ! 


Le silence se fit à nouveau tandis que Michael faisait signe à Issa de la rejoindre. Après un regard appuyé à Aziraphale, celui-ci lâcha sa main et l’enfant s’avança de quelques battements d’ailes. Michael lui dit quelque chose à l’oreille, puis s’inclina, avant de retourner devant les Cohortes. 


Issa se retrouva seul au milieu des deux camps adverses. Lui aussi semblait chercher un point d’ancrage dans les Légions qui lui faisaient face. A côté du démon, Eric était de plus en plus nerveux : 


— C’est lui le Messie, Duc Crowley ? 

— Non, c’est moi… A ton avis ?

— Mais… Ce n’est qu’un enfant… Je m’attendais à un grand guerrier…


Le regard d’Issa se posa enfin sur Crowley et le démon vit clairement son petit visage lui faire un timide sourire crispé. Le Déchu lui adressa en retour un petit signe de tête qu’il voulait rassurant et répondit à Eric à travers ses mâchoires crispées : 


— C’en est un ! 


Issa se retourna une dernière fois en direction d’Aziraphale avant de lever son visage vers le ciel. Crowley fut intimement persuadé que l’enfant récitait l’Acte de Contrition ou n'importe quelle autre connerie de prière ou de supplication et le démon espérait, du plus profond de son âme damnée, que pour une fois, pour une fois, Dieu n’y serait pas insensible… 

Lorsqu’il rebaissa son visage, les yeux d’Issa rayonnèrent d’un éclat lilas inquiétant. La tension était palpable ; aussi, dès que le Messie agita ses doigts de haut en bas, drainant un maximum de pouvoir du Paradis, anges et démons dégainèrent leurs épées, comme un seul homme ! 


Tous, sauf Aziraphale et Crowley. 


Les âmes des défunts, piégées dans des corps d’apparence spectrale, apparurent par milliers au sein de leur camp respectif. Morts-vivants le temps d’une bataille, puis d’un règne de mille ans. Une éternité coincée dans une autre, pions dans la Vie comme dans la Mort…  


Où était-il ce libre-arbitre porté aux nues, se demandait Crowley.


Des questions, il n’eut pas le temps de s’en poser davantage lorsque l’enfant se mit à irradier d’une lumière éclatante, de la même couleur que ses pupilles.

Le miracle aux milliers, aux millions, de Lazarii… 

Le processus ne semblait pas terminé lorsque les rayonnements violets commencèrent à vaciller, avant de perdre en intensité et de s’éteindrent complètement tandis que les ailes d’Issa cessaient de battre et que son petit corps dégringolait vers la mer. Shax et Dagon hurlèrent quelque chose, mais Crowley n’y prêta aucune attention. Il remarqua vaguement que les Légions se lançaient à l’assaut alors qu’il déployait ses propres ailes pour se jeter de la falaise. 



Dans le désordre de la mêlée et le vacarme des armes qui se fracassaient, personne ne fit attention à la dépouille du Messie maintenant qu’il avait accompli Sa volonté. Il semblait que peu importe la vie qu’Elle lui faisait endurer, il n’aurait jamais droit à une mort glorieuse…


Crowley chassa cette idée, et toute la rancœur qu’elle lui inspirait alors qu’il plaquait ses ailes contre son dos pour gagner en vitesse et empêcher Issa de heurter la surface des eaux déchaînées de la Mer du Nord ! 

De la même façon qu’il avait descendu son corps meurtri de la Sainte Croix pour le porter jusqu’au tombeau, Crowley se promit de procéder à nouveau à une inhumation digne de ce nom pour celui qui lui avait montré que les étoiles brillaient toujours du même éclat, même s’il ne les voyait plus… Il l'attrapa à quelques mètres seulement des vagues et serra son petit corps contre lui. Le démon battait lentement ses grandes ailes noires pour maintenir sa position tandis qu’il remontait ses genoux devant lui pour y appuyer Issa. D’une main tremblante, il put ainsi écarter les longues mèches brunes de son front trempé de sueur. Le démon sentit une présence au-dessus de lui tandis qu’il fermait délicatement les paupières d’Issa, restées entrouvertes. Lorsqu’il releva son visage, il croisa le regard indéchiffrable d’Aziraphale, qui tendait une main hésitante vers l’enfant. Crowley resserra son étreinte pour l’empêcher d’atteindre le petit corps inerte avant de grogner une sentence qui balaya, en six mots, ce qui restait du coeur de l’ange : 


— Je ne te le pardonnerai jamais ! 



  1. Les Malachim (équivalents des Vertus) et Seraphim (Les Êtres de Lumière) font partie de la classification angélique de la Kabbale. Leurs alphabets ont été traduits par Agrippa au XVI e siècle. Les Ophanim (les Roues), également présents sur le plastron d’Aziraphale, forment eux aussi un ordre d’Anges de la Kabbale. Ils sont représentés par les fameux anneaux d’or sertis d’yeux. 


 



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