Tombé du Ciel~Le Second Avènement

Chapitre 10 : Minisode ~ The Star of Bethleem

2884 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 05/02/2024 10:24



~ Etable de la kataluma de Bethléem-2h45 après JC ~


Le calme de la nuit avait enfin succédé à l’agitation de la soirée. La kataluma de Bethléem était pleine à craquer ce soir ! Depuis que l’Empereur Auguste avait ordonné le recensement de la population, chaque homme allait se faire inscrire sur les registres de sa ville d’origine, créant, à cette occasion, un flux continu de voyageurs dans la ville de David… Les commerces ne s’en plaignaient pas, car ce recensement était propice aux affaires. Tellement propice que l’auberge dut refuser l’entrée à un couple de Nazaréens arrivés plus tôt dans la soirée. La femme, enceinte et à terme, avait suscité la compassion du patron, qui les avait laissés s’installer dans l’étable attenante pour la nuit. 


Le travail avait commencé avant même le coucher du soleil…


Aziraphale, assis par terre, le dos appuyé contre un ballot de paille, tenait désormais le nouveau-né, endormi dans ses bras, lorsque la porte en bois s’ouvrit en grinçant. Il se redressa vivement, avant de se détendre à nouveau, à la vue du nouvel arrivant patientant sur le seuil : 


— Aah… C’est toi ! Entre ! 


Crowley jeta un regard au couple parental, endormi sur une paillasse dans un coin de l’étable, puis se rapprocha de l’ange : 


— Ils dorment depuis longtemps ? chuchota-t-il.

— Oh, tu peux parler normalement ! Je les ai endormis à l’aide d’un petit miracle, ils ne se réveilleront que lorsque je l’aurai décidé… Marie était épuisée et Joseph voulait veiller sur le bébé, mais il était aussi fatigué qu’elle ! Ces humains sont fascinants d’abnégation lorsqu’il s’agit de veiller sur leur progéniture ! 


Le démon pencha sa tête légèrement sur le côté, à la fois curieux et circonspect, comme souvent : 


— C’est Lui ? 

— Eh oui… Son fils… 

— C’est étonnant… Elle aurait pu faire une fille, à son image ! 

— Le but est de véhiculer des idées, Crowley, or… Eh bien, les femmes ne sont pas spécialement écoutées… Peut-être un jour ? Qui sait… 

— Si seulement ils savaient… 

— Des fois, je me dis que tu as raison, mais je suppose que tout ceci est…

— Laisse-moi deviner… Ineffable ? 


Aziraphale sourit, puis reporta son attention sur le nouveau-né, enveloppé dans un humble pagne. 


— Je peux ? demanda le démon, en désignant un emplacement au sol, en face de l’ange.

— Je t’en prie, assieds-toi. Tu es toujours le bienvenu !

— C’est bien la première fois qu’on me dit ça…soupira le démon aux longs cheveux roux, dissimulés en partie par un voile noir, en s’installant par terre.

— Qu’est-ce que tu es venu faire au juste ?


La voix d’Aziraphale n’était ni suspicieuse, ni agressive. Crowley le connaissait depuis la nuit des temps, mais il s’étonnait encore et à chacune de leurs rencontres de sa bienveillance à son égard. Il commençait même à se demander si le Gardien de la Porte n’avait pas plaisir à le voir… Aussi séduit qu’effrayé par cette possibilité, il balaya rapidement l’idée malvenue :  


— Mon camp m’a envoyé vérifier la nouvelle… 

— C’est tout ?

— C’est tout ! Apparemment, ils n’ont pas fomenté de tentation avant qu’Il ne soit adulte.

— C’est… C’est toi qui seras en charge de la tentation, je suppose ?

— Pas sûr… Ça dépend de l’endroit où je me trouverai à ce moment-là ! Des fois, je suis retenu en Bas… 

— Je me demande bien ce que tu y fais quand tu descends ! Tu pars si longtemps parfois… répondit évasivement la Principauté en arrangeant inutilement le pagne du bébé.


Ce n’était pas une question. Aziraphale ne voulait pas réellement savoir ce que le démon faisait, ou plutôt ce qu’on lui faisait lors de ses séjours plus ou moins prolongés en Enfer. A vrai dire, il s’en doutait un peu, mais il éprouvait un certain (ré)confort à demeurer dans l’ignorance. La vérité était par trop triste et dérangeante et le démon n’avait pas plus envie de l’exprimer, que l’ange de l’entendre ! 


Crowley inspecta un moment la modeste étable ; elle était de taille moyenne, relativement propre et un éclairage chaleureux était dispensé par quelques lampes à huile. Son regard se porta un instant sur les bêtes qui se reposaient de leur labeur du jour précédent, avant de se reporter sur le bébé : 


— La sage-femme est déjà partie ?

— Non. Elle est devant toi ! sourit l’ange.

— C’est… C’est toi qui as procédé à l’accouchement ? 

— Etant donné l’absence de l’expert en chaussures et en obstétrique un peu plus tôt dans la soirée… ironisa l’ange.

— Bildad est mort et enterré depuis longtemps ! De plus, j’étais du côté de Jéricho hier (1) et le temps de venir à cheval… 

— Oh, ne m’en parle pas ! Je déteste voyager à cheval, j'espère que les humains inventeront un moyen de transport qui ne nécessite pas l’usage d’un animal un jour ! Mais du coup… Où est ton cheval ?

— Je lui ai redonné sa liberté ! Je vais rester par ici quelque temps de toute façon, je me déplacerai autrement.

— Par miracle démonique ? demanda la Principauté, clairement intéressé.

— Ne sois pas jaloux, l’angelot… Tu n’as qu’à suggérer à ton camp l’idée de mettre un terme au quota de miracles frivoles, plaisanta Crowley. 

— Je ne crois pas que Gabriel soit très ouvert aux suggestions…

— Ni lui, ni personne… Beelzebub m’a dit que c’était ce cher Gabriel qui avait appris à la pauvre petite qu’elle était enceinte ? demanda le démon, en se tournant vers Marie.

— En effet ! 

— Mais alors, pourquoi n’est-ce pas Sa Majesté qui a supervisé la naissance ? Ah pour parler y a du monde, mais pour mettre les mains dans le placenta, y a plus personne ! 

— Vu les connaissances de Gabriel en termes de reproduction humaine, c’est peut-être mieux ainsi… 

— Je suppose que oui… Ça s'est bien passé ?

— Bien sûr ! se pressa de répondre l’ange, avec un clin d'œil.

— Tu as agité tes doigts, n’est-ce pas ? demanda le démon, suspicieux.

— Pour m’occuper de Sa naissance, j’ai obtenu une autorisation de miracles illimités pendant une semaine ! se rengorgea l’ange. 

— Tant que ça ? 

— Jusqu’à sa brith-mila (2) ! 

— Tu m’en diras tant… Tu as mangé ? s’enquit Crowley, en cherchant les reliefs d’un repas autour d’eux.

— Je n’en ai pas eu le temps ! Eh puis, je tiens le bébé depuis que j’ai plongé ses parents dans le sommeil, alors… 


Avec l’ombre d’un sourire satisfait, le démon claqua des doigts pour matérialiser un ragoût de mouton aux lentilles, du pain de froment et un pichet de vin aux épices ! Appâté, l’ange gourmand se redressa aussitôt pour coller l’enfant dans les bras du démon, qui ne souriait plus du tout : 


— Mais… Mais qu’est-ce que tu fais, nom de… 

— C’est très gentil de m’inviter à dîner, mais à moins que tu ne me donnes la becquée, je ne vois pas comment je pourrais manger en tenant un nouveau-né dans mes bras, mon cher ! 


Crowley ne cessait de guetter le toit de l’étable, tout en ajustant le bébé maladroitement dans ses bras : 


— Ça m'étonnerait qu’Elle approuve, Aziraphale ! Je vais me faire foudroyer avec tes idées à la…

— C’était ton idée, le ragoût ! rétorqua la Principauté, en croquant avec voracité dans le morceau de pain.

— S’Il me voit tenir le fils de Dieu, ce sera pire, l’angelot…

— La kataluma est devenue une Ambassade du Paradis au moment où nous nous sommes installés à l’intérieur, Il ne peut pas te voir ! Je ne t’aurais jamais fait prendre un tel risque sinon… 


Une nouvelle fois surpris par l’attention de l’ange à son encontre, Crowley l'observa vaguement en train de manger. Il était si enthousiaste ! Aziraphale était un fin gourmet, mais s’il était vrai qu’il appréciait les mets les plus raffinés, il affectionnait également le plus humble des repas. Sa faculté à s’extasier ainsi à parts égales impressionnait le démon au plus profond de son âme damnée. Il se faisait l’impression d'être la plus médiocre compagnie possible et pourtant, Aziraphale l’estimait autant que s’il était Empereur… Le démon se demandait confusément jusqu’à quel point l’ange pouvait être dégradé par ses supérieurs lorsque le nourrisson s’agita dans ses bras et ouvrit laborieusement un œil.


— Aziraphale ! Aziraphale, Il se réveille, qu’est-ce que je fais ? 

— Comment ça, qu’est-ce que tu fais ? Rien de plus, Il ne va pas te mordre, ce n’est qu’un bébé… 

— Comment peux-tu en être sûr ? Tu crois qu’Il peut sentir que je suis… Que je suis un démon ? 


Le bébé commençait à pousser de petits couinements qui inquiétèrent encore davantage Crowley : 


— Il pleure ! Tu vois qu’Il peut sentir le Mal ! 

— Ne sois pas idiot, il a juste besoin d’être bercé, voilà tout.

— Et s’Il avait faim ? 

— Je ne crois pas, il a tété juste avant que Marie ne s’endorme…

— Reprends-Le ! 

— Je n’ai pas fini mes lentilles… Tu te débrouilles très bien, je t'assure ! 

Ngk… 


Le démon changea l’enfant de bras et l’entoura d’un pan de sa tunique afin de le caler contre lui pour le bercer. Le bébé sembla l’observer quelques instants, avant de se rendormir sereinement, blottit contre un Crowley qui ne parvint à détacher son regard de lui qu’en entendant la voix de l’ange : 


— Serait-ce un sourire, mon cher ?

— Un… Un quoi ? Pff, certainement pas ! Tu as déjà vu un démon sourire à un bébé ? Qui plus est, Celui-ci, en particulier…

— Moui, bien sûr… 


Aziraphale posa son assiette et se rapprocha pour mieux voir le bébé, ou peut-être simplement parce que ça lui fournissait une excuse pour se coller au démon ; quoi qu’il en soit, le nourrisson se mit à faire une mimique dans son sommeil, qui ressemblait fortement à un sourire. La Principauté en profita pour écarter légèrement la tunique de Crowley : 


Oh, regarde… Les humains disent que les bébés sourient aux anges dans leur sommeil ! 

— Ça n'aura jamais été aussi vrai… 


Ils restèrent un moment à observer le nouveau-né, eux-mêmes bercés par l’ambiance chaleureuse qui régnait dans l’étable. La quiétude des lieux n’était troublée que par les ronflements de Joseph, des raclements de sabots et parfois, quelques bêlements ou mugissements des animaux regroupés près d’une mangeoire de pierre.

Aziraphale avait toujours une main dans le vêtement du démon ; il l’avait glissée inconsciemment entre la petite tête brune du bébé et la toison auburn du torse de Crowley. Sortant de sa torpeur postprandiale, l’ange fut soudain conscient de l’intimité confortable, mais effrayante de la situation, et s’ébroua, extirpant sa main comme s’il avait été brûlé par l’étincelle d’une émotion qui ne demandait qu’à s’embraser à chacune de ses rencontres avec le démon… 


Heureusement pour Dieu, Aziraphale était le plus tenace de ses soldats ; il faisait toujours passer Ses intérêts avant les siens ! Il chassa donc son trouble aussi vite qu’il s’était insinué dans son esprit :   


— Euh… Et si nous portions un toast ? Autant faire honneur au vin que tu as miraculé… bredouilla l’ange.

— Tu comptes me verser le breuvage dans la bouche ? demanda Crowley, un sourire innocent aux lèvres.

— N… Non, enfin, sauf si… En fait, non… Nous pourrions… Poser le bébé le temps de boire un verre ? Il dort profondément ! 

— Pourquoi pas avec ses parents ? 

— Je ne sais pas… Ils dorment profondément eux aussi, ils pourraient l’écraser dans leur sommeil, il est si petit… 


Crowley scruta l’étable de ses yeux serpentins : 


— La mangeoire ! 

— Quoi, la mangeoire ? 

— On va le mettre dans la mangeoire, l’angelot ! 

— Tu es sûr ?


Ce fut au tour d’Aziraphale de jeter des pans d'œil inquiets vers le toit… 


— Sers-toi de ta permission de miracles frivoles pour la nettoyer et y mettre du foin propre ! 


A moitié convaincu, Aziraphale agita ses doigts pour s’exécuter, puis le démon se leva pour y déposer délicatement l’enfant et en profita pour rajuster sa tunique. 


— Ne risque-t-il pas d’avoir froid ? s’inquiéta l’ange.


Crowley réfléchit, avant de claquer des doigts. Un bœuf et un âne s’approchèrent doucement et penchèrent leurs têtes sur le nourrisson, de sorte à souffler un air chaud sur son corps grâce à leur respiration. Il se saisit ensuite du pichet de vin épicé et en versa dans deux verres en terre cuite. L’ange finit par le rejoindre, sans toutefois quitter le bébé des yeux : 


— Tout de même… Poser Son fils dans une mangeoire, aux bons soins de deux bêtes de somme, n’est-ce pas un peu… Indigne ?  

— Personne n’en saura jamais rien, ne t’inquiète pas mon ange…

— Il n’y a pas que de ça dont je m’inquiète… avoua la Principauté.

— Quoi d’autre ?

— Il y a… Des Rois qui doivent venir rendre hommage à l’enfant, lui présenter des offrandes, ce genre de choses… 

— Eh ben quoi ? Je serai parti avant qu’ils n’arrivent si c’est ça qui t’inquiète ! 

— Ce n’est pas toi le problème, Crowley…

— Alors, quoi ? 

— Gabriel m’a dit que je devais créer une étoile pour les guider jusqu’ici ! 

— La belle affaire ! Agite tes doigts et c’est réglé ! 

— C’est-à-dire que… Ahem… Je n’ai jamais été très doué pour ce genre de choses… Ça n'a jamais fait partie de mes attributions… marmonna-t-il, embarrassé.  

— Je vois… Tu sais que je ne peux plus faire ce genre de choses… Tout au plus, je peux te bricoler une comète… proposa le démon.


Aziraphale écarquilla des yeux admiratifs et impressionnés vers le Déchu, le dévisageant du même regard qu’il avait posé sur lui la toute première fois qu’il le vit, des millions d’années auparavant… Lorsque Crowley était encore un ange et qu’il façonnait le cosmos avec l’aisance propre aux Séraphins ! 


— Une comète ? Ce serait vraiment parfait ! Tu… Tu pourrais faire ça ? Je veux dire… Tu n’auras pas d’ennuis ?


Le démon ferma brièvement ses yeux, avant de rouvrir ses orbes jaunes sur l’ange en lui souriant : 


— C’est fait ! 

— De… De quoi ?

— Ta comète (3) ! Ça y est, elle brille ! Juste au-dessus de Lui ! S’ils ne Le trouvent pas avec ça, c’est vraiment qu’ils ne font aucun effort… 

Oh… Merci Crowley ! Il y a bien… Quelque chose que je pourrais faire pour toi ? Pour te remercier…

— Oublier, tu veux bien ? 

— Entendu… Alors comme ça tu comptes rester un peu dans les parages ? 

— Tu es Son ange gardien, il faut bien contrebalancer ta divine influence par mon aura maléfique… Après tout, je suis ta Némésis ! 

— Oui, bien sûr… Tu viens de créer une comète pour Lui, mais tu l’as créé diaboliquement, ça ne fait aucun doute ! 

— Ce n’est pas pour Lui que je l’ai créé, rectifia le démon.


Conscient du malaise qu’il venait d’engendrer, Crowley lui tendit un verre et leva le sien : 


— Alors… Si je dois veiller sur Lui moi aussi, il faudrait que je connaisse Son nom, tu ne crois pas ? 


Soulagé de se voir offrir une diversion, Aziraphale leva à son tour son verre et proclama fièrement : 


— Jésus ! Il s’appelle Jésus… 

L’Chaim, Jésus ! 




  1. C’est à Jéricho, sur le Mont de la Tentation, que Jésus séjournera avec Crowley pendant 40 jours et 40 nuits dans une grotte (source : moit-moit la Bible et Gaiman)


  1. circoncision


  1. La comète de Halley (je sais, elle est passée 12 ans avant et 66 ans après, mais comme la fiabilité de la date de naissance de JC est discutable hein…)








 



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