Love Ineffably

Chapitre 3 : We Want Shax Gossipy

2408 mots, Catégorie: M

Dernière mise à jour 11/11/2023 19:33

She's a Killer Queen

Gunpowder, gelatine 

Dynamite with a laser beam Guaranteed to blow your mind

Anytime

Anytime

Killer Queen, Queen


L'orchidaceae plus communément appelée orchidée est une plante herbacée de type autotrophe ou mycohétérotrophe à feuilles réduites, à écailles, terreuses ou épiphytes que l'on retrouve dans les régions tropicales ou tempérées. Elle se plaît davantage dans les milieux mi-ombragés et sa tige doit être taillée à mi-hauteur afin de favoriser sa floraison. S'il est vrai que certaines orchidées lianes peuvent atteindre vingt mètres de long, il est tout à fait peu probable, voire fort improbable, qu'une orchidée se desséchant dans le vestibule d'un bâtiment londonien puisse atteindre cette taille ! Ainsi, notre démon fut bien surpris en regagnant le hall de constater que la fleur en question occupait plus de la moitié de l'espace. La fleur parut s'éveiller à son arrivée et ses feuilles se mirent à frétiller. Il tenta de se frayer un chemin jusqu'à la porte lorsqu'une feuille, plus malicieuse que les autres, vint lui chatouiller les hanches. Il se retourna, fusillant la plante roucoulante d'un regard qu'on pouvait deviner terrible à travers ses lunettes de soleil.


– Laisse-moi passer !


La fleur secoua la tête avant de croiser ses feuilles contre sa tige. La bougresse était plus que têtue et ne comptait pas se laisser impressionner par un démon. Il s'approcha d'elle à coups de grandes enjambées serpentines tout en pointant un index menaçant.


– Je te demande de me laisser sortir ! Je n'ai pas le temps de jouer !

La fleur se pencha en arrière, semant du pollen au passage. Crowley crut l'entendre ricaner.

– Arrête ton fichu cirque, sinon, je te fous dans une benne à ordures !


L'une des feuilles quitta sa posture initiale et sans nulle façon vint s'abattre contre le postérieur du démon. Crowley, goûtant peu à ce type de démonstration affective, se hissa sur la pointe des pieds et attrapa la fleur par un pétale.


– Écoute-moi bien ma grande, si tu ne me fiches pas la paix, je te jure de te retirer chacune de tes feuilles, de tailler ta tige bien plus qu'à mi-hauteur avant de t'abandonner au beau milieu de la M25 !


Ces simples mots suffirent à calmer les ardeurs de l'orchidée. Un de ses lobes latéraux s'inclina sur le côté en signe d'amendement. La feuille taquine tapota la joue de Crowley avant de s'en retourner, toute sage, contre la tige. Le démon parut satisfait par cette petite victoire. Il s'interrogea quelques secondes sur la conduite à tenir – pouvait-il laisser une orchidée géante dans ce hall ? –, avant de décider de l'ajouter à sa collection itinérante. Il claqua des doigts vers la plante et peu à peu, dans un bruissement de contentement, l'orchidée retrouva une taille tout à fait convenable et plus adaptée à la banquette arrière d'une Bentley.


Il s'apprêtait à ramasser sa nouvelle possession lorsque le « cling » de l'ascenseur retentit avant de déverser un trio gloussant : une femme dont les collants avaient disparu ; un homme à la barbe humide et un homme à imperméable qui ne portait plus ni son imperméable, ni son chapeau et ses chaussettes à pois. Ils quittèrent la cabine au miroir couvert de buée et passèrent devant un Crowley ahuri, comme trois gamins de maternelle ayant joué un mauvais tour derrière le dos de l'adorable Miss Honey (mais si, vous vous souvenez de Miss Honey ! L'institutrice si charmante qui vous a appris à faire des bonhommes en pâte à modeler, qui mouchait vos petits nez morveux et qui est actuellement recherchée par Interpol...) .


La porte d'entrée s'ouvrit, permettant à la curieuse odeur contenue dans le hall de se répandre à l'extérieur. Crowley attrapa le pot de l'orchidée et sortit à son tour. Le trio traversa la rue pour rejoindre l'hôtel miteux dont l'enseigne sans équivoque ne laissait guère présager des chambres invitant au repos et à la méditation. La chaleur inhabituelle frappa le démon : l'air était poisseux, comme celle d'une lourde journée d'été irrespirable. Ses narines palpèrent l'atmosphère et y décela à nouveau, cette étrange odeur composée de vin, de sueur et de toute autre chose. Il se dirigea vers sa voiture et aperçut dans un coin de la rue, deux adolescents boutonneux se bécotant tout en se filmant à l'aide de leurs téléphones. Curieuse époque que celle que vous êtes en train de vivre... Je dois bien admettre que cette technologie – brillante idée de l'autre camp –, est tout à fait fascinante, mais vous rend encore moins faciles à comprendre et encore plus désirables à détruire.


Le démon esquissa une grimace (mi-sourire attendri, mi-rictus moqueur) à la vue de cette jeunesse éphémère s'exprimant avec fougue et sans retenue. D'autres gloussements attirèrent son attention et ce qu'il vit, le convainquit que cette journée serait détonante : non loin de l'hôtel miteux, l'honorable Mrs Brown, membre de la paroisse et animatrice du club de tricot, veuve depuis vingt ans et abstinente depuis trente, embrassait à pleine bouche son amie de toujours, la toute aussi respectable Mrs Paddington.


– La ville devient folle, fit une voix non loin de lui.


Il se retourna avec vivacité et aperçut, assise sur le capot de la Bentley, ses pieds fourchus et crochus recroquevillés dans ses escarpins pointus, agrippée à son sac à main de luxe et portant le bibi haut et fier, une Shax qui le fixait d'un œil torve. La nouvelle Représentante de l'Enfer sur Terre et accessoirement voleuse d'appartement, faisait en sorte de limiter leurs interactions ; ce qui convenait tout à fait au démon qui n'avait aucune envie d'avoir des comptes à rendre à sa hiérarchie démoniaque. Sa présence ne pouvait annoncer que de nouveaux ennuis pour notre démon déjà bien dépassé.


– Tu n'as pas répondu à mes appels de ce matin, Crowley.

– Je suis un peu occupé en ce moment, répondit-il en ouvrant la portière arrière afin de placer sa nouvelle acquisition sur la banquette.


Je tiens à vous rassure à ce sujet : l'orchidée reçut un très bon accueil des autres vertes passagères de la Bentley qui étaient ravies de voir une nouvelle venue, sur laquelle leur maître et tortionnaire pourrait passer ses nerfs, rejoindre leur rang réduit à peau de chagrin.


– Comme nous tous, fit Shax dans un petit claquement de langue impatient. Nous devons parler.

– Très bien, mais à condition que tu restes habillée.


Ils prirent chacun place à l'avant de la Bentley. Shax posa son sac sur ses genoux et en sortit un poudrier. Crowley la renifla mais ne perçut aucune odeur étrange émanant d'elle, rien que son odeur habituelle de vomi de vautour et de fruits décomposés. La radio s'alluma et laissa échapper une information qui faisait la une des rédactions du monde entier : la médiation organisée entre deux présidents afin d'éviter une guerre avait tourné court, lorsque le plus agressif des futurs belligérants avait embrassé son ennemi au beau milieu de la réunion. Le porte-parole de (les bruits de la radio grésillante masquent le nom du président en question) n'avait pas encore réagi face à cette façon plus qu'étonnante de résoudre un début de conflit.


– Un coup de notre camp ? s'enquit Crowley en se tournant vers sa collègue infernale.

Celle-ci, armée de sa houpette, se repoudrait le nez.

– Ce n'est pas ce qui était prévu... L'entrevue aurait dû se solder par une déclaration de guerre.

– Quelqu'un n'a pas fait son job, fit Crowley en éteignant la radio qui venait d'annoncer que des températures anormalement élevées pour cette période de l'année, étaient attendues dans tout l'hémisphère nord.

– Il y a du grabuge en Bas, fit Shax en refermant son poudrier d'un coup sec. Personne ne sait vraiment ce qui se passe mais Il est aux abonnés absents.

– Qui ça ? Belzébuth ?

– Non, fit la démone en baissant la voix, il IL.


Le démon s'abstint se répondre que leur Grand Patron devait se terrer dans le neuvième cercle de l'Enfer, ruminant sa rage d'avoir été méprisé par son rejeton diabolique au profit d'un mortel sans grande envergure. Crowley n'avait sans doute pas tort : déjà lorsqu'il était encore sous Mes ordres, le futur Grand Patron n'avait pas très bon caractère et pouvait passer des heures à bouder dans son coin lorsqu'il n'obtenait pas satisfaction. Toujours à contester, à remettre en cause la moindre de Mes décisions ! Et Moi, Je devais toujours Me justifier, défendre Mes actions, alors que Je le considérais comme le plus fidèle de Mes serviteurs.


– Ce qui expliquerait ces petits dérèglements, reprit Shax. Belzébuth tente de contrôler la situation mais iel semble avoir la tête ailleurs en ce moment... Tu parles d'un Prince de l'Enfer ! Iel aurait dû démissionner après l'échec de « tu sais quoi ».


Crowley hésita à lui poser quelques questions au sujet de Kelen, mais il savait que cela attirerait la curiosité de l'ambitieuse démone. Elle qui avait occupé des emplois subalternes dans les cercles les moins reluisants de l'Enfer, ne se contenterait pas de rester Représentante toute son éternité ! Son ambition démesurée, comme son parfum de piètre qualité ne masquant en rien son odeur putride, transpirait à travers chaque pore de son enveloppe charnelle. Elle rêvait, comme bien d'autres, d'éjecter le princier popotin de Belzébuth de son trône et de porter le titre ô combien convoité de presque-associé du Grand Patron. En cela, certains démons ne différaient pas de certains anges poussés par les mêmes aspirations fort peu catholiques.


– Pourquoi m'en parler ? demanda Crowley. Tu ne crois tout de même pas que je l'ai kidnappé et que je l'ai enfermé dans le coffre de ma voiture !?

– Non, mais ton angelot doit avoir quelques informations croustillantes à nous transmettre.

– Ce n'est pas mon angelot ! Tu penses qu'ils sont impliqués Là-Haut ?

Elle se retourna vers lui et la contempla comme si elle faisait face à un enfant profondément stupide.

– Je viens de te dire que des rumeurs prétendent que le Grand Patron a disparu ! Bien sûr qu'il y a un coup fourré de l'entreprise des halos derrière tout ça !


Soudain, une voiture grilla un feu tricolore et s'encastra dans un autre véhicule. Les deux conducteurs sortirent et commencèrent à s'invectiver... avant de tomber dans les bras l'un de l'autre. Crowley doutait des suspicions de Shax : le Paradis et ces pisse-froid hauts placés n'auraient jamais déclenché pareil chaos ! Leur spécialité était plutôt, selon lui, de punir ceux qu'ils considéraient comme « mauvais » ou de tester la foi des hommes à qui, ils n'avaient rien à reprocher. Le démon s'appuya contre le dossier de son siège, tandis que Shax, d'un claquement de doigts impatient, tenta de remplacer cette embrasse amoureuse par une furieuse empoignade à laquelle elle goûterait davantage. La stupeur se peignit sur son visage lorsqu'elle constata que son mauvais tour n'eut aucune incidence !


– Qu'est-ce que ... murmura-t-elle en se tournant, un brin soupçonneuse vers un Crowley levant les mains en signe de défense.

– Je n'y suis pour rien ! Et ne dis pas que tu n'as pas senti l'étrange odeur qui semble déclencher tout ça !

Elle se mit à humer l'air avant de secouer la tête en signe de négation.

– Rien du tout... Je ne sens rien ! Si ce n'est ta sale odeur de traître !

– J'en suis flatté.

Shax eut un petit sourire inquiétant.

– Peut-être que le Grand Patron est sur Terre pour s'amuser un peu avec les humains ! Voilà qui est diabolique ! Oui, c'est sans doute cela ! Cette nuit risque d'être follement passionnante.

Une vilaine grimace se dessina sur ses lèvres mensongères : 

– Comme une certaine nuit de 1941.


L'autoradio de la Bentley s'alluma à nouveau :

That certain night

The night we met

There was magic abroad in the air

There were angels dining at the Ritz

And a nightingale sang in Berkeley square

Crowley s'empressa de couper la chanson.


– Les années 40, soupira Shax avec nostalgie. Un si bon cru ! Nous avions même dépassé notre quota d'admissions prévu !


Je dois admettre qu'elle n'avait pas tort : si l'Enfer avait obtenu de très bons résultats tout au long de ces années 40, nous n'avions pas eu également à rougir de notre chiffre d'affaires au Paradis. Nous avions même passé un accord avec Lui pour offrir une prime de fin de conflit aux employés infernaux et célestes les plus méritants, ceux qui avaient donné de leur temps et de leur personne, au cours de cette guerre. Nous n'avons pas souvent eu de projets communs entre Là-Bas et Là-Haut, mais je dois avouer que cette collaboration, dont l'idée avait germé une décennie plus tôt sur une suggestion du Métraton, avait porté ses fruits et rempli de nouveau nos caisses après quelques années d'âmes maigres durant les Années folles.


Le démon ne répondit pas, refusant d'entamer une conversation au sujet de cette période troublée aussi bien que pour lui que pour sa chère humanité. Il jeta un regard aux promeneurs et autres employés pressés passant près de sa voiture sans le voir : tous avaient troqué leurs manteaux pour des tenues estivales et dans leurs yeux, pour nombre d'entre eux, se lisait cette lueur lubrique rappelant celle qui pétillait dans les yeux de Kelen. Il se tramait quelque chose de pourri dans le royaume de la reine Élisabeth et Crowley était bien décidé à en découvrir la cause. 




Notes et autres blablas:

1. Le titre "We want Shax gossipy" est une référence à la traduction française (We Want sex equality) de l'excellent film "Made in Dagenham". Miranda Richardson alias Mrs Tracy // Shax fait partie du casting de ce film. 


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