Love Ineffably

Chapitre 8 : Au Bonheur des Anges

4822 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 02/01/2024 15:45

Just one year of love

is better than a lifetime alone

One sentimental moment in your arms

is like a shooting star right through my heart

It’s always a rainy day without you

I’m a prisoner of love inside you

I’m falling apart all around you, yeah


My heart cries out to your heart

I’m lonely, but you can save me

My hand reaches out for your hand

I’m cold, but you light the fire in me

My lips search for your lips

I’m hungry for you touch

There’s so much left unspoken



One year of love , Queen


J’ai toujours préféré Selfridges à Harrods, notamment à l’époque où un jeune vendeur d’origine française prénommé Henri, y faisait ses premières armes ; pourtant, c’était bien dans ce magasin que Belinda avait décidé de traîner son époux afin d’y trouver un cadeau pour leurs mères respectives. Son après-midi en tête-à-tête avec son époux réticent n’incluait sans doute pas la présence d’un ange et de son comparse démoniaque.


La Bentley avait trouvé une place juste devant le grand magasin pris d’assaut par les clients terminant leurs cadeaux en Noël, faisant fi des recommandations données par le gouvernement les invitant à rester cloîtrés chez eux. Azirphale, qui ignorait encore tout du plan imaginé par son compère, lui jeta un regard interrogateur lorsqu’ils firent face à l’imposante bâtisse. Crowley sortit la carte de visite de sa veste et la tendit à l’ange.


– C’est donc lui, Gordon… Qu’est-ce que tu veux faire ?

– Pour le moment, on le suit à la trace, répondit son acolyte tout en esquissant un geste discret vers l’un des deux vigiles chargés de réguler le flux des visiteurs.


Les lacets du plus costaud des deux gorilles, un certain M.Bois à en croire le badge épinglé à son imposante poitrine, s’échappèrent de ses souliers et vinrent s’entremêler sans qu’il ne s’en aperçût, trop occupé à lancer un regard désapprobateur à la tenue de Crowley.


– Kelen finira par se montrer, reprit le démon tout en adressant un rictus provocateur au vigile, s’il croit que je participe à son petit jeu ridicule.


Aziraphale acquiesça, tout en se disant qu’il n’était tout de même guère courtois de prendre en filature un pauvre mortel qui n’avait aucune idée de ce qui se tramait autour de lui. Crowley quant à lui, remerciait intérieurement les humains et leur déplorable manie de se serrer les mains à tout bout de champ pour se saluer ou conclure un accord : par ce geste en apparence anodin, Gordon avait laissé son empreinte sur le démon, ce qui le rendait plus facile à traquer. Crowley était bien déterminé à résoudre ce problème avant la fin de la journée et à s’offrir une cuite monumentale en guise de récompense ! Plus vite Kelen serait renvoyé à Satan, moins il courait le risque de voir les autorités supérieures et inférieures se mêler de cette histoire…


Il s’apprêtait à partager ses inquiétudes à ce sujet avec son compagnon lorsqu’il s’aperçut de son absence à ses côtés. Il tourna la tête et le vit, le nez collé à la vitrine d’une boutique vendant des objets de décoration luxueux. Crowley leva les yeux au ciel en signe d’exaspération avant de rejoindre son partenaire à grandes enjambées impatientes.


– Mon ange, nous ne sommes pas ici pour faire du shopping !

– Tu sais ce qui est tragique ? fit l’ange en question en décollant ses narines de la vitrine embuée.

– Mis à part le fait que nous sommes à la poursuite d’un démon particulièrement vicieux ?

– De ne pas avoir de neige à Noël, soupira Aziraphale en tendant la main vers les boules à neige.


Crowley lança un regard peu amène aux babioles. Ces horreurs décoratives, faisant le bonheur des vendeurs à la sauvette et celui des touristes en mal d’inspiration, avaient beau être une invention de son camp – comme les poupées de porcelaine –, lui filaient de sérieuses crises d’urticaire. Il ne comprenait pas le goût de son compagnon d’éternité pour ces choses inesthétiques au possible, mais il l’aimait ainsi, avec son manque de modernité et ses passions ringardes, son langage châtié et son parfum, si différent de celui de détergeant émanant des autres êtres éthérés (Le Paradis, Je vous prie de Me croire, est un lieu terriblement hygiénique, dépourvu d’odeur, si ce n’est celle, infecte, d’un puissant désinfectant diffusé à travers toutes les salles immaculées.)


Aziraphale se mit à débiter tout un tas de sornettes sur la beauté des boules à neige, admirant le travail accompli par les artisans – des pauvres enfants surexploités dans un bâtiment vétuste et payés à coups de cris et de misères mais cela, les vendeurs ne le précisaient pas –, et saluant la créativité de ces mêmes artisans – qui avaient simplement reproduit à l’infini un même modèle en changeant quelques menus détails. Crowley le regardait s’extasier sur ces maudits objets, un sourire aux lèvres, les narines se gorgeant de son odeur. Soudain, une idée, perceptible à la vue des petits tremblements agitant ses lèvres, traversa l’esprit de l’ange.


– Je pensais à quelque chose, murmura Aziraphale en repliant ses doigts contre la vitrine, maintenant que nous sommes … enfin…

– Aziraphale, singea le démon ravi de lui rendre la pareille, je te prierai de finir tes phrases, c’est une manie tout à fait déplorable !

– Et si on s’offrait un cadeau pour Noël ?

– Pardon !?

– Un cadeau ! répéta l’ange en désignant un petit paquet doré. Tu sais, un objet choisi avec soin pour les personnes qui comptent, que l’on emballe avec du joli papier coloré et orné d’un nœud tout aussi charmant !

– Je sais ce qu’est un cadeau, merci. Nous ne nous sommes jamais offert de cadeaux en six millénaires, pourquoi commencer ?

– Eh bien, fit l’ange un peu déçu de la réaction de son partenaire, comme toi et moi nous ne sommes plus vraiment des ennemis… qu’est-ce qui nous en empêche ? Qu’aimerais-tu avoir pour Noël ?


Le démon l’observa quelques instants, évaluant le sérieux de cette étonnante proposition. Aziraphale suggérait-il réellement qu’ils s’offrent des présents pour « célébrer » … quoi au juste ? La naissance d’un divin morveux – qui avait très mal terminé – d’un Dieu qui l’avait condamné à une cruelle punition ? Je peux comprendre qu’il puisse trouver l’idée saugrenue, Moi-même à vrai dire, Je trouve cette coutume très surprenante…


– Un dîner au Ritz, marmonna-t-il pour lui faire plaisir et ainsi clore la discussion.

– Je veux t’offrir quelque chose d’unique !

– Avec toi.


Le démon s’éloigna de la vitrine, mains dans les poches. Que pouvait-il souhaiter de plus ? Mis à part retrouver un endroit pour y déposer ses plantes et dormir plus de quatre d’heures d’affilée, sans être réveillé par un chien levant la patte contre la roue de sa Bentley ou par d’atroces courbatures. Il se tourna vers Aziraphale venant de le rattraper. Crowley avait beau aimer la vitesse et s’extasier sur l’évolution du monde, il appréciait aussi de se lover dans une confortable routine, comme il aimait à se métamorphoser en serpent pour piquer un roupillon sur le sofa de la librairie. Il lui arrivait, souvent, de feindre le sommeil pour observer l’ange plongé en pleine lecture. Il se surprit à se perdre, encore une fois, dans de plaisantes divagations. Crowley n’avait pas abandonné cette fâcheuse habitude qui lui avait valu quelques déboires, et se prit à imaginer un futur – le seul cadeau qu’il désirait vraiment –, libéré du Paradis et de l’Enfer, fait de longues siestes, de discussions animées et de dîners arrosés, en compagnie de l’ange trottinant à ses côtés.


Ils traversèrent le hall et cette fois-ci, ce fut Crowley qui s’immobilisa pour contempler la décoration imitant un ciel étoilé, suspendue au-dessus de leurs têtes. Les décorateurs s’étaient surpassés et avaient reproduit la voûte céleste avec soin, offrant à la vue du démon privé de ses chères étoiles, son firmament perdu à jamais. Il tendit la main et effleura l’une des étoiles du bout des doigts, se rappelant combien celles qu’il avait créées étaient chaudes et lumineuses lorsqu’elles s’éveillaient au creux de ses doigts d’ange. Il replia sa main sur la petite étoile artificielle, comme désireux de la retenir contre sa peau pour en sentir, à nouveau, toute sa lumière et sa chaleur.


Aziraphale avait perçu la mélancolie de son compagnon et porta la main à son cœur douloureux. Ils n’avaient jamais évoqué leur passé commun, lorsqu’il n’était encore qu’un chérubin et Crowley, un ange inaccessible. Il n’avait jamais osé lui avouer qui l’avait souvent observé, de loin, sans jamais s’approcher de lui, l’être trop occupé par la conception du cosmos pour le remarquer. Aziraphale avait été de suite fasciné par la créativité de cet être qui lui était supérieur en tous points. Il avait longuement hésité avant d’esquisser un pas en sa direction, craignant de façon inconsciente, de se brûler les ailes à son contact. Lorsqu’il avait eu la chance de pouvoir échanger quelques mots avec lui, pour la première fois, il s’en était saisi et chérissait ce précieux souvenir, notamment celui de son sourire, si différent des rictus désabusés de l’être qu’il était devenu. Aziraphale leva les yeux vers Crowley perdu dans sa contemplation. S’il était en son pouvoir de changer les choses, de réécrire le passé, il ferait tout pour permettre à Crowley de retrouver les étoiles, le seul cadeau, selon Aziraphale, qu’il désirait. Une pensée tenace se faufila dans le flot de ses pensées : Crowley serait-il plus heureux s’il redevenait un ange ? S’il regagnait sa place au Paradis ? Ils n’auraient plus à se soucier de leurs natures et ils seraient sans doute libres de s’aimer, unis dans Mon amour, ensemble. Le cœur de l’ange se rétracta : c’était impossible ! Même si Crowley retrouvait son rang et son nom angélique, ils ne pourraient jamais être ensemble, car les lois régissant la hiérarchie céleste étaient ainsi faites : les liens entre les anges étaient découragés, rien ne devait s’interposer entre Moi et leur amour.


– Mon ange, quel est le problème ?

– Rien, mentit Aziraphale en levant les yeux vers le ciel étoilé pour masquer ses larmes. Rien du tout.

Son regard, fuyant la perspicacité du démon, dériva jusqu’à l’escalator. Un petit cri vint chasser sa tristesse :

– Crowley ! C’est Belinda !

Le démon observa la silhouette féminine pointée du doigt par l’ange. Ce n’était pas tant cette femme qui l’intéressait – ainsi, c’était donc elle, l’épouse en détresse à qui Aziraphale avait cédé un livre –, mais l’homme l’accompagnant.

– Gordon … murmura le démon, un brin incrédule face à ce curieux tour de passe-passe du Destin dont Je n’étais en rien responsable…


Ils échangèrent un regard entendu et abandonnant leur discussion, s’engagèrent dans l’escalator. Belinda parlait avec animation, s’attirant seulement des petits hochements de tête indifférents de la part de son époux aux abonnés absents. Lors de leur ascension, Crowley résista à la tentation de modifier la vitesse des marches automatisées.


Parvenus à l’étage, ils continuèrent à suivre le couple à une distance respectable pour éviter de se faire remarquer. Ils passèrent devant un Père Noël et un ange – les humains ne se trompaient guère sur la façon de représenter ces derniers –, essayant de contenir avec peine, l’excitation d’une horde de gamins déguisés. Un lutin tentait de les amadouer en leur offrant des bonbons piochés dans un seau constellé d’étoiles. Un enfant, vêtu d’un costume de démon arborant une queue rouge et des cornes cornues – Crowley se sentit blessé dans son amour-propre : pour l’amour de Satan, il n’avait pas la queue fourchue et encore moins des cornes aussi ridicules ! –, poussa ses pairs et sans façon, bouscula le frêle lutin qu’il remercia d’un coup de pied bien placé, plongea sa main dans le seau à friandises. Le démon – le vrai – claqua des doigts et le bâtonnet sucré se changea en un orvet aux yeux globuleux. Le gamin poussa un cri effrayé.


– Crowley, voyons ! s’offusqua Azirpahale, outré par un tel méfait. Ce n’est pas gentil !

– Je ne suis pas gentil !


Le reptile reprit sa forme première et Aziraphale, à l’origine de ce miracle, se permit même d’ajouter quelques grammes de sucre et de colorants artificiels au bonbon afin de le rendre encore plus savoureux en bouche. Il décrocha un clin d’œil au diablotin.


– Qu’est-ce t’as, pédale !? fit l’adorable garçonnet en arrachant à pleines dents le bout de sa gourmandise. T’veux ma photo ?


Le diablotin fut pris d’une violente quinte de toux. Il recracha le morceau de bonbon et poussa un cri d’horreur lorsqu’il vit un petit paquet d’asticots grouillant au creux de sa paume. Aziraphale esquissa un sourire satisfaisait, avant de saisir le bras de Crowley pour le tirer loin de la foule déchaînée s’amassant autour de l’enfant braillant à pleins poumons et de sa mère hurlant qu’elle porterait plainte contre le magasin.


– Ça, souffla un Crowley admiratif, ce n’était pas du tout gentil.

– En effet, concéda un Aziraphale un brin honteux.


Le démon eut un petit sifflement ravi : la malice d’Aziraphale était un spectacle qui ne manquait jamais de lui plaire ! Lorsque l’ange perdait patience ou usait de diablerie, lui, le démon était aux anges et il ne manquait jamais une occasion de lui montrer combien cela lui plaisait. Aziraphale le lâcha et se mit à grommeler qu’il était inutile de s’appesantir davantage sur son « malheureux » coup d’éclat.


– Mon ange, déclara le démon alors qu’ils pénétraient dans le magasin Lego® où Gordon et Belinda les avaient précédés, tu es mon bâtard favori !


Aziraphale dédaigna répondre à cette déclaration d’amitié et préféra se concentrer sur leur mission du moment. Belinda se tenait près de la caisse et demandait à un jeune vendeur médusé, si à tout hasard, une araignée géante ne se trouvait pas dans leur boutique. Gordon commençait à s’impatienter et marmonna que leur fille pourrait, pour une fois, avoir envie de quelque chose de plus approprié comme le royaume enchanté ou la maison contemporaine.


– Quel connard, grogna Crowley, il ne mérite pas sa mioche… Aziraphale ?


Surpris par l’absence de réprimande concernant son langage, il détourna les yeux du couple débattant sur les goûts étranges de leur fille unique et surprit son partenaire penché au-dessus de l’immense bac rempli de briques colorées trônant au milieu de la boutique. L’ange esquissa un délicat mouvement de la main droite, des briques rouges et vertes s’élevèrent, se mirent à flotter devant son visage quelques instants avant de s’assembler pour former un œillet rouge. L’ange recueillit la fleur fictive au creux de ses doigts.


– Qu’est-ce que tu fabriques encore, siffla Crowley en se glissant à ses côtés.

– N’est-elle pas magnifique ? Je vais faire en sorte que Gordon la voie et l’offre à sa femme.

– Mon ange, je ne pense pas…

– Taratata ! Ne suis-je pas celui qui s’y connaît le mieux en amour ?

– Taratata ? Tu te prends pour qui ? Scarlett O’Hara ? fit un Crowley moqueur tandis qu’Aziraphale effleurait la fleur de briques du bout des lèvres.


Les briques rouges gagnèrent en intensité et de délicats effluves, rappelant ceux d’un œillet véritable, s’échappèrent de la construction florale. Aziraphale chuchota quelques mots doux aux pétales avant de faire disparaître la fleur. L’oeillet quelque modifié apparut sur la caisse, près du bras de Belinda. La mère de famille, qui avait obtenu gain de cause, s’apprêtait à dégainer sa carte de crédit pour payer la mante religieuse à construire dénichée dans la réserve, lorsqu’elle aperçut l’oeillet. Elle complimenta le vendeur qui se gratta la tête, se demandant bien depuis quand, ils vendaient une pareille construction, et se pencha vers la fleur artificielle pour en humer le parfum délicat.


– C’est incroyable ! Tu as vu ça, Gordon ?

Aziraphale décrocha un petit coup de coude victorieux à un Crowley dubitatif.

– C’est rien qu’un jouet pour gosses, grommela l’époux qui ne cessait de regarder sa montre. Pas de quoi s’extasier.


À peine ces quelques mots raisonnables eurent-ils franchi ses lèvres que les briques composant l’œillet se rompirent et la construction se brisa. Les briques ayant perdu de leur éclat s’éparpillèrent au sol. La lèvre supérieure d’Aziraphale se mit à trembler à la vue de sa création réduite en miettes.


– Qu’est-ce que tu croyais, bougonna le démon, ce type a tout du con insensible dépourvu d’imagination.


Belinda se confondit en excuses, Gordon leva les yeux en l’air en signe d’agacement, marmotta qu’elle lui faisait perdre de son précieux temps avec ses sottises. Le vendeur s’empressa de rassurer sa cliente en lui disant qu’il était habitué à ce genre de petits accidents. Elle le remercia d’un petit sourire, lui souhaita de bonnes fêtes ; Gordon ne dit rien et tous deux quittèrent la boutique, le paquet source de conflits bien enveloppé et serré contre le cœur de la mère de famille. Aziraphale et Crowley sortirent à leur tour et les suivirent, toujours à bonne distance. L’ange paraissait affecté par la réaction de l’époux de Belinda et Crowley ne savait comment le consoler de cet échec qui n’en était pas vraiment un compte tenu de la médiocrité de l’individu !


Gordon et Belinda se séparèrent au détour de l’escalator, rendant la filature plus compliquée. Aziraphale prit les devants :

– Je me charge de Gordon !

– Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée…

– Après tout, fit l’ange en redressant son nœud papillon et bien décidé à réparer son erreur, c’est mon rôle de remettre les gens sur le droit chemin !

– Entendu, fit le démon en jetant un regard par-dessus de son épaule. Mais si Kelen se montre, tu ne tentes rien de stupide.

L’ange se hissa sur la pointe des orteils et pointa un index taquin vers le nez de son compère qui faillit en perdre ses lunettes de soleil.

– Ne t’inquiète pas pour moi, vil serpent ! On a déjà affronté bien pire, non ? J’ai survécu à l’Enfer, un maudit démon ne me fait pas peur !


Il s’éloigna de son pas sautillant afin de poursuivre cette aventure qui ne lui déplaisait pas. Crowley le vit monter sur la première marche de l’escalator et tout en s’élevant, Aziraphale lui adressa un petit signe de la main qui se voulait rassurant. Crowley le regarda disparaître, avant de s’élancer à la poursuite de Belinda se dirigeant vers la parfumerie.


♠♠♠


Aziraphale se laissa prendre à ce nouveau jeu de piste improvisé et suivit avec plaisir le mari presque-infidèle, ce qui lui valut un regard suspicieux de l’un des vigiles, un dénommé Mr. Ville, patrouillant dans le grand magasin. Gordon entra dans l’espace bijouterie et fit mine de s’intéresser aux montres de luxe tout en s’approchant de la vitrine où étaient exposés les colliers et autres merveilles de parures. Devinant ses intentions, Aziraphale se glissa derrière le comptoir. Gordon salua le vendeur et jeta un regard un brin coupable par-dessus son épaule. L’ange en profita pour s’approcher du bijoutier et avant que le pauvre vendeur ne pût lui poser la moindre question, il lui souffla au visage. L’homme battit des paupières avant de s’écrouler au sol pour y goûter à un sommeil profond à défaut d’être réparateur. L’ange s’agenouilla, lui déroba son badge qu’il épingla à son manteau et tout en se redressant, passa sa main contre ses lèvres pour la recouvrir d’une barbe du plus bel effet.


– En quoi puis-je vous aider ?

Gordon sursauta à et lança un regard ébahi au vendeur lui faisant face qui n’avait rien à voir avec celui qu’il venait tout juste de saluer.

– Mais vous n’êtes pas… où est votre collègue ?

– Je suis vendeur, fit Aziraphale tout en donnant un coup de pied au bijoutier endormi ronflant comme un bienheureux, et le meilleur de tout Londres, monsieur !

– Bien, grogna Gordon en consultant sa montre, faites vite, je suis pressé.

– Pressé est mon deuxième prénom, monsieur ! fit l’ange devenu bijoutier avec un sourire beaucoup trop large pour être honnête.


Il ouvrit la vitrine par un miracle de son cru, sortit le collier en rubis désigné par Gordon et le déposa devant le client qui ne cessait de jeter des regards inquiets autour de lui, comme s’il craignait de voir sa femme débarquer dans la bijouterie.


– C’est un très beau bijou, mais si je puis me permettre, un diamant conviendrait mieux à votre épouse. Le rubis est une pierre bien trop passionnelle !

Gordon l’assassina du regard avant de dissimuler son alliance en remettant ses gants en cuir.

– Je n’ai que faire de votre avis. Je ne vous paie pas pour vos conseils !

– Je vous fais un paquet ?

– Oui, mais dépêchez-vous !


Aziraphale ouvrit le tiroir se situant sous le comptoir et découvrit avec ravissement un bric-à-brac de boîtes de couleurs et de tailles différentes, de rubans dorés, argentés et étoilés, du papier de soie à foison et de divers petits objets décoratifs qui faisaient le bonheur des amateurs de paquets cadeaux et autres emballages soignés. Il attrapa un écrin, le mesura, le jaugea sous toutes les coutures, le reposa, se saisit d’un autre, l’examina avec soin, le palpa avant de le déclarer de mauvaise qualité et le remit en place. Il recommença son petit manège à cinq reprises et se décida finalement pour une boîte blanche commune.


– Je vous ai pourtant dit que j’étais pressé ! l’apostropha un Gordon qui ne parvenait plus à masquer son agacement. Soyez plus rapide !

– Rapidité ! Rapidité ! C’est entendu, monsieur ! déclara Aziraphale en lui adressant son sourire le plus jovial. Aimez-vous les tours de magie ?

– Je n’ai pas le temps de …


Le pauvre Gordon fut incapable de proférer un mot de plus et fut vaincu par cette fantaisie sans queue ni tête à laquelle il faisait face. Aziraphale dénicha une plume dans le tiroir et se pencha vers le client dépassé. Il renferma la plume dans sa main et souffla sur ses doigts. Il éclata de rire et révéla la rose fanée remplaçant le précédent objet. Il était ravi d’avoir réussi ce modeste tour de passe-passe. Se rappelant qu’il avait promis à Crowley de ne plus s’essayer à l’art délicat de la prestidigitation, il se jura de ne pas lui en toucher un mot lorsqu’ils se remémoreraient cette drôle de journée, autour d’un bon verre de vin.



– Voyons, voyons… que pourrais-je mettre d’autre ? demanda Aziraphale à haute voix tout en déposant la fleur fanée dans l’écrin.

– Je vous demande de me faire un paquet cadeau, pas un pot-pourri !

– Oh, des araignées !

– Des quoi !?


Et sous le regard éberlué de Gordon qui ne maîtrisait plus rien, une perspective ô combien terrifiante pour un homme pragmatique aimant à contrôler tout ce qui se trouvait à portée de main, le bijoutier d’un jour ajouta quelques araignées mortes dans la boîte, de quoi à coup sûr, faire fléchir le cœur d’une jeune maîtresse. Aziraphale qui ne comptait pas s’en tenir à ces quelques petits ornements, se lança dans un soliloque sur l’amour et la fidélité.


Tout en Me maudissant – Je me promis alors de Me rappeler à lui à l’heure de son trépas, plus tôt qu’il ne l’aurait espéré –, Gordon voulut mettre fin à ce qu’il croyait être une mascarade destinée à lui faire perdre son argent, son temps et sa patience. Il se pencha vers la parure pour s’en saisir, criant qu’il voulait un autre vendeur pour le servir ; Aziraphale attrapa le collier par l’autre extrémité et le tira vers lui, en essayant de faire entendre raison à ce client bien difficile à satisfaire. Un combat s’engagea entre le faux bijoutier et le mari presque-infidèle sous les regards médusés des clients présents. Quelques-uns dégainèrent leurs portables pour filmer le duel, croyant à une mise en scène originale pour pimenter leurs courses de Noël. Le collier finit par céder sous la force des deux belligérants, la chaîne se rompit, le rubis se fracassa contre la vitrine qui se fissura sous l’impact du choc.


Le patron de la bijouterie courut vers le comptoir, talonné par un vigile, un certain Mr. Monde, croyant à un début de braquage. Gordon leva les mains en l’air afin de l’assurer de toute absence d’arme fictive ou réelle. Il déclina son identité comprenant qu’il devait faire profil bas pour éviter de devoir rembourser les dégâts causés par ce petit accrochage.


– Qu’avez-vous fait !? hurlait le bijoutier tout en essayant de maintenir d’une main la perruque glissant de son crâne, où est mon employé ?

– Votre imbécile d’employé, cracha Gordon en se retournant vers le comptoir … vide.


Seul un ronflement provenant du sol leur répondit. La surprise se peignit sur la figure déconfite du mari presque-infidèle qui se lança dans des explications fort peu convaincantes pour persuader le bijoutier qu’il n’avait rien à voir avec l’évanouissement de l’employé et qu’il avait été confronté à un vendeur amateur de magie, ne connaissant rien à la confection des paquets cadeaux. L’ange, redevenu imberbe, s’était éclipsé en toute discrétion de l’espace bijouterie. 


Notes et autres blablas


  1. Le titre du chapitre fait référence à un roman d'Emile Zola intitulé Au Bonheur des dames (se déroulant dans un grand magasin) et adapté en period drama sous le titre The Paradise.
  2. La scène du collier est directement inspirée d'une scène du film Love Actually dans laquelle Harry (Alan Rickman) fait face à un bijoutier particulièrement pénible interprété par Rowan Atkinson.
  3. L'auteur de la présente fanfiction adresse ses plus sincères excuses au personnel du magasin Harrods pour la gêne occasionnée.
  4. Ce chapitre est le dernier véritablement "doux" ("gentle" serait le mot, emprunté à Neil Gaiman, le plus approprié)pour Aziraphale et Crowley. L'histoire va s'aventurer sur des chemins plus dangereux pour nos deux protagonistes. Enfin pour l'un des deux en particulier.

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