Love Ineffably

Chapitre 12 : Ce que savait Buddy Holly

4096 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 04/02/2024 13:37

If you change your mind, I'm the first in line

Honey, I'm still free

Take a chance on me

If you need me, let me know, gonna be around

If you've got no place to go, if you're feeling down

If you're all alone when the pretty birds have flown

Honey, I'm still free

Take a chance on me

Gonna do my very best and it ain't no lie

If you put me to the test, if you let me try

Take a chance on me

(That's all I ask of you, honey)

Take a chance on me

We can go dancing, we can go walking, as long as we're together

Listen to some music, maybe just talking, get to know you better

'Cause you know I've got

So much that I wanna do, when I dream I'm alone with you

It's magic...

Take a chance on Me, ABBA


Le Résurrectionniste était un pub typiquement écossais : un lieu convivial où l'on pouvait en toute impunité se moquer de ces « maudits Anglais » ou des oreilles du Prince – pas celui de l'Enfer – , sans craindre les représailles. Ce tripot, coincé entre la boutique d'une fleuriste et un petit local abritant les activités d'un astrologue le week-end et d'homme de réconfort la semaine, était devenu le lieu des rencontres clandestines de Mon Archange Suprême et du Prince de l'Enfer. Ils s'étaient retrouvés quelques jours après l'exécution ratée des deux traîtres afin de convenir de la suite à donner à cette fâcheuse affaire. Ils étaient finalement tombés d'accord sur le fait qu'aucune poursuite ne serait engagée contre le démon et l'ange. Ils avaient suffisamment eu leur dose d'humiliation suite à l'échec – le non fonctionnement – de l'Apocalypse. Cette discussion s'étant révélée plutôt plaisante, contrairement à la dernière qui avait eu lieu en 1944, ils avaient décidé d'un autre rendez-vous qui s'était davantage éternisé... et ainsi de suite, jusqu'à ce jour de décembre ensoleillé, alors qu'un démon répandait un parfum de désir sur la moitié de l'Europe et qu'une épidémie commençait à pointer le bout de son nez de pangolin.


J'aurais pu mettre fin à ces rendez-vous clandestins qui n'avaient, à Mon avis, plus rien de professionnels, mais la curiosité de savoir jusqu'où les perdrait cette curieuse affaire, Me poussait à les observer, et à couvrir les trop nombreuses descentes sur Terre de Gabriel. Ce jour-là, il avait échappé de justesse au Métatron que J'avais « par erreur » enfermé dans une salle vide. Je redoutais le jour où Je ne pourrais plus les suivre à Ma guise et où ils se libéreraient de Mon oeil. Je sentais Mon pouvoir faiblir et petit à petit, ce que J'avais créé – les mortels comme les êtres surnaturels – commençaient à M'échapper, troublant ce petit jeu de cartes dont Moi seule connaissait les règles et auquel Je Me livrais depuis le Commencement. J'étais lasse, Je dois le confesser, de sévir, d'exercer une quelconque autorité sur ces êtres nés de Mon imagination. Ainsi, ce fut avec une certaine résignation, que Je laissai Gabriel quitter le Paradis pour rejoindre ce pub où se nouerait son destin et celui de Belzébuth. Un destin sur lequel Je n'avais plus aucune emprise.


Gabriel pénétra dans le pub. Si lors de leur première entrevue, le «temple sacré » qu'était son enveloppe charnelle avait été agressé par les émanations d'alcool et de tabac, il avait pourtant fini par s'y habituer, et il franchit sans crainte le nuage de fumée flottant dans les airs. Il salua même les quelques habitués entamant une partie de Whist, avant de s'avancer jusqu'au comptoir. Le propriétaire des lieux qui le reconnaissait à présent, lui désigna le fond de la salle avec un sourire entendu :

– Votre ami(e) vous attend à la place habituelle.


Gabriel se surprit à le remercier et se dirigea vers la petite table où le démon était déjà installé. Iel était occupé(e) à regarder les informations défilant sur le petit écran accroché au-dessus de la porte des toilettes. L'Archange resserra ses doigts autour du bouquet de fleurs desséchées qu'il avait prises sur une tombe du cimetière situé non loin du pub. Il ne parvenait pas à s'expliquer son geste impulsif mais lorsqu'il avait traversé le lieu sacré, il s'était dit que ce petit bouquet ne pourrait que plaire au Prince de l'Enfer. Il prit une profonde inspiration et franchit les quelques mètres le séparant de son ennemi(e)) héréditaire. À son passage, et au grand malheur des habitués, le jukebox s'alluma et entama une chanson qu'ils ne supportaient plus et que le patron ne parvenait plus à changer :

Everyday, it's a gettin' closer,

Goin' faster than a roller coaster,

Love like yours will surely come my way, (hey, hey, hey)

Everyday, it's a gettin' faster,

Everyone says go ahead and ask her,

Love like yours will surely come my way, (hey, hey, hey)


Le respectable Archange Suprême se posta près de la petite table et toussota pour marquer sa présence. Belzébuth détourna ses yeux du vieux poste crachouillant et lui adressa un sourire qui suffit à lui faire perdre encore un peu plus de sa digne prestance. Iel avait retiré sa veste et portait un pull en tout point semblable à celui de l'Archange, à l'exception que le sien était noir, troué et que le Père Noël dirigeait ses lèvres quémandant un baiser vers la droite. Gabriel lui tendit le bouquet, qui laissa échapper quelques pétales, et marmonna un vague bonsoir auquel iel répondit par un petit hochement de tête. Iel approcha les fleurs fanées de ses narines et les huma avec une joie non dissimulée. Des mouches jaillirent de ses lèvres et vinrent se poser sur la rose aux pétales décolorés.


Gabriel s'assit, retira son manteau, dévoilant le pull de Noël qui faisant tant horreur à Michael. Le Prince de l'Enfer déposa le bouquet à présent recouvert de mouches sur la table.

– Mon cadeau te plaît toujours autant ? demanda-t-iel avec une pointe d'inquiétude tout en tendant sa petite main aux ongles rongés vers le vêtement de mauvais goût.


Iel l'avait trouvé lors d'une déambulation, quelques minutes de liberté qu'iel s'était octroyé avant de regagner l'Enfer, dans les rues délicieusement hantées d'Edimbourg. Belzébuth avait profité de sa petite escapade pour échanger quelques mots amicaux avec les spectres des sorcières de Royal Mile et accomplir un ou deux méfaits frivoles dans les passages souterrains de la ville. Les touristes, ce jour-là, se souviendraient toute leur vie des poupées offertes au fantôme de la légendaire Annie s'animant et se mettant à fredonner en chœur le plus grand hit de Holly Buddy ! Le démon avait terminé sa petite visite en « empruntant » deux pulls de Noël semblables dans une petite boutique de la place du Marché. Lorsqu'iel était revenu(e) au cimetière pour prendre l'une des portes infernales, située comme chacun le sait, derrière la tombe de McKenzie l'infâme, iel s'était arrêté(e) quelques secondes pour observer la statue représentant l'Archange Suprême. Le démon avait serré l'un des pulls moches contre sa poitrine et s'était promis de le lui offrir lors de leur prochaine rencontre.


La voix de son ennemi héréditaire chassa cet agréable souvenir :

– Oui, répondit Gabriel en passant une main nerveuse dans ses cheveux.


C'était la première fois qu'on lui avait offert un cadeau et dans une éternité, cela ne pouvait que compter ! Il n'avait jamais fait grand cas de ses inférieurs, n'attendait rien des autres Archanges et M'obéissait et Me respectait à défaut de véritablement M'aimer. Les sentiments qu'il commençait à découvrir lorsqu'il se trouvait près du Prince de l'Enfer lui étaient inconnus et il avait beau chercher dans sa maudite cervelle, il ne connaissait aucun mot capable de les exprimer. Ce qu'il ressentait était tout simplement « ineffable ». C'était tout de même bien étrange de se sentir « toléré » par un être qui était votre adversaire depuis tant de millénaires !


Cette simple pensée le ramena au but de cette unième entrevue secrète. Avec un brin de répugnance, craignant de briser ce moment d'amitié, il tira un épais dossier de sa serviette et le fit glisser vers le Prince de l'Enfer. Le sourire de Belzébuth disparut et iel reprit son air de profond ennui, comme s'iel faisait face à un collaborateur particulièrement pénible. Le démon jeta un coup d'œil aux trop nombreuses pages, déchiffra avec peine les paragraphes écrits en Comic Sans MS en taille 6, ce qui lui arracha des grognements agacés.


– La « fameuse » épidémie, marmonna-t-iel en refermant le dossier. Le sursis avant le round 2. Je croyais que tous les détails avaient été réglés... D'ailleurs, elle n'a pas déjà commencé ?

– Ce n'est qu'un prétexte, confessa Gabriel en déposant sa main sur le dossier. Pour te voir. La situation commence à les inquiéter Là-Haut. Ils sont au courant pour le démon qui s'est échappé de l'Enfer et Tu-Sais-Qui.

Belzébuth écarta sa main de la sienne.

– J'ai envoyé un démon mener son enquête mais j'ai bien l'impression qu'elle se fiche de moi !

– Michael a chargé un ange de cette mission. Je ne pouvais pas le lui refuser, iel aurait soupçonné quelque chose si je l'avais informé(e) que j'avais déjà mandaté Aziraphale pour le faire.

– Le traître ?! Il a accepté de t'aider ?!

– Aziraphale est un benêt de première catégorie et il craint mon autorité, se rengorgea l'Archange Suprême. J'ai bien insisté sur le caractère secret de cette mission d'importance capitale !

– Un incompétent qui a tout de même fait échouer l'Apocalypse et qui a échappé au feu infernal...

– Détails sans importance !

– Mais s'il tombe sur l'ange envoyé par Michael ?

– Ce n'est pas mon problème ! rétorqua Gabriel. Le plus important c'est que toi, tu restes à ton poste. Je n'ai nullement envie de préparer le Second Commencement avec un autre Prince de l'Enfer.


Belzébuth le remercia en pressant sa main avec affection. Ses petits doigts recouvraient à peine ceux de l'Archange mais possédaient une vigueur qui ne permirent pas à ceux de Gabriel de s'en échapper. Ils échangèrent quelques propos au sujet du grabuge provoqué par Kelen, conscients qu'ils trahissaient leurs camps respectifs en échangeant ces informations, tandis que sur l'écran de télévision, le Premier ministre décrétait l'état d'urgence pour la nuit et, afin d'éviter tout ennui, imposait un couvre-feu à l'ensemble du territoire. L'un des habitués siffla allégrement le ministre et son étrangeté capillaire, avant de l'apostropher dans un écossais prononcé. Ses compagnons de jeux l'applaudirent avant d'entamer en chœur une chanson célébrant le courage de leurs lointains ancêtres en kilt qui avaient su résister à la racaille anglaise.


Belzébuth, grisé(e) par cette folie ambiante, se mit à chanter à son tour, vilipendant les maudits « Anglois » et leur orgueil. Gabriel lui décrocha un regard surpris avant de murmurer, d'un ton non dénué d'admiration :

– C'était un joli coup de votre part, 1297... Très joli coup.

– Wallace était soutenu par notre camp, déclara le Prince de l'Enfer, le vôtre y a laissé quelques plumes !


À cet instant, le propriétaire des lieux déposa face à eux deux verres de whisky et une soucoupe contenant des cacahuètes.

– Cadeau de la maison, les tourtereaux ! Faut bien se rincer le gosier d'temps en temps !


Il repartit en sifflotant, le cœur léger et avec la certitude d'avoir œuvré pour réunir deux âmes solitaires. Cela faisait plusieurs semaines qu'il les observait ces deux-là, à se tourner autour, sans jamais commander quoi que ce soit, discutant jusqu'à pas d'heure ; des gens importants à en croire la serviette en cuir que le grand bêta se trimballait. Il en avait touché un mot à sa femme Martha. Celle-ci lui avait alors flanqué un grand coup de louche sur la tronche et lui avait ordonné – en bonne lectrice de Barbara Cartland qu'elle était – de tout faire pour aider ces deux-là à se déclarer leur flamme. Elle l'avait même menacé de ne plus lui préparer son Haggis s'il échouait dans cette mission. Il s'en retourna à son comptoir et ne put s'empêcher d'écraser la petite larme se nichant au coin d'une de ses paupières. Martha allait être si fière de lui ! Il aurait droit à une double ration de son plat favori et elle le laisserait même remuer le gigot tandis que la tambouille serait sur le feu.


Gabriel se saisit d'une cacahuète et l'ausculta avec minutie avant la porter à ses lèvres. Il ferma les yeux et croqua un morceau... qu'il recracha tout aussi sec :

– Je ne sais pas comment fait Aziraphale pour s'empiffrer autant et souiller son enveloppe charnelle de façon aussi vile !

– Il est étonnant, fit Belzébuth en plongeant son doigt dans la mousse de sa bière, cet Assis-la-falafel.

– Aziraphale, corrigea Gabriel d'un petit ton supérieur.

– Aussi-la-fève ?

L'Archange reposa l'infâme pitance dans la soucoupe et se pencha vers le démon afin de lui donner un cours de diction. Il ouvrit la bouche avec exagération et, empruntant le ton dictatorial d'un professeur de mathématiques particulièrement rébarbatif, détacha chaque syllabe composant le prénom angélique :

– A.

– A.

– Azi.

– Azi.

– A-zi-ra.

– A-zi-ra.

– A-zi-ra-phale.

– Il est à Raphaël. 


En d'autres circonstances, Gabriel aurait déjà perdu patience et aurait succombé à ce péché capital qu'est la colère, mais il ne parvenait pas à éprouver ne serait-ce qu'une pointe d'irritation envers Belzébuth. Il esquissa un sourire qu'on pourrait qualifier de « tendre » si on pouvait concevoir qu'un pareil adjectif pût être accolé à l'Archange Suprême, et reprit sa juste leçon de prononciation. Le démon éclata de rire et réitéra l'expérience, butant sur quelques syllabes, laissa échapper un « Araphaël » avant de parvenir à la prononciation tant espérée :

– Aziraphale.


Le regard du Prince de l'Enfer s'assombrit. Il se mit à tapoter le verre. Son front se plissa, comme s'iel se retrouvait confronté(e) à un souvenir désagréable.

– N'est-ce pas étrange pour un être céleste d'avoir le mot « chuter » contenu dans son prénom ?


Gabriel fut incapable de lui répondre, tout en comprenant son interrogation : à croire que dès le départ, cet ange portait en lui les germes de sa future trahison ! Aziraphale, aussi loin que remontaient ses souvenirs confus, avait toujours été un être à part. Il se rappelait vaguement de leurs premiers pas, lui était déjà un être céleste de rang supérieur alors qu'Aziraphale était un Chérubin anonyme parmi d'autres. Il se mit à réfléchir, cherchant dans les recoins les plus sombres de sa mémoire, – combien cela était difficile ! –, et une image, fugace, lui revint. Celle de la parodie de procès intenté aux futurs Déchus. Il releva le menton et observa Belzébuth qui le regardait sans le voir, jouant avec l'une de ses mouches. Il se souvint du regard dédaigneux qu'iel lui avait lancé quand la sentence avait été prononcée. Iel avait accepté son sort sans broncher et n'avait pas tenté d'implorer Mon pardon comme certains l'avaient fait. Gabriel se détourna de ce souvenir et en dénicha un autre, encore plus troublant. Celui d'un Chérubin, la tête basse, masquant à grand peine ses larmes. Une fois, une seule fois, il le vit darder ses yeux clairs vers l'ange – quel était son nom déjà ? – qui tentait de se défendre face à ses accusateurs. Pourquoi le Chérubin pleurait-il ? se demanda alors Gabriel, n'était-ce pas lui, qui les avait mis au courant des doutes assaillant le Faiseur d'étoiles trop curieux ?


– Il m'arrive de plus en plus souvent de me souvenir, confessa le Prince de l'Enfer comme s'iel lisait dans les pensées de l'ange. C'est une sensation très étrange, tu ne trouves pas ?

Le démon se tapota la tempe de son index. Une mouche s'envola de son doigt et vint se nicher au coin de sa paupière.

– J'ai longtemps été qu'une cruche vide mais depuis que je viens ici, j'ai l'impression que les souvenirs reviennent...


Gabriel blêmit, croyant à une ruse – après tout, iel était l'ennemi(e) héréditaire – destinée à le faire chuter à son tour pour se venger de l'attitude qu'il avait pu avoir à son égard, jadis. Il s'apprêtait à détourner la conversation mais quelque chose dans son regard suffit à éteindre ses soupçons. Belzébuth était sincère et ne cherchait pas à le piéger, iel voulait juste se confier. Devait-il lui avouer que lui aussi, était soumis à ce curieux tour de passe-passe mémoriel depuis qu'ils avaient pris l'habitude de se rejoindre dans ce pub ? Cela avait commencé, Je le savais pour l'avoir ressenti, lorsqu'ils s'étaient promenés dans le cimetière et qu'il lui avait montré la prétentieuse statue censée le représenter dans toute sa gloire. Belzébuth lui avait donné un petit coup de coude avant de pouffer avec malice qu'iel préférait, de loin, l'original à cette sculpture exécutée sans grand talent. Il avait été flatté par cette remarque... Et c'était à ce moment-là, alors que la nuit tombait sur Édimbourg, qu'il s'était rappelé ce petit visage mutin appartenant à un ange aux grands yeux noirs.


– Moi aussi, avoua-t-il comme un enfant craignant d'être pris en faute par sa mère. Il m'arrive de me souvenir...

– Qu'est-ce que cela signifie ? demanda le Prince de l'Enfer avec une pointe angoisse.

– Je ne sais pas.


La raison, Mes pauvres créatures ? Je commençais à perdre le contrôle sur Ma création qui était devenue de moins en moins inspirée au fil des millénaires. J'étais effrayée par ce changement et n'avais qu'une hâte : anéantir cette œuvre qui était la Mienne pour tenter d'en récrire une autre afin de me rassurer sur Mes propres capacités. J'étais l'Origine et le Verbe, ce monde ne pouvait qu'obéir à Ma volonté ! Et puisqu'il désirait s'y soustraire, alors Je Me devais de l'effacer dans son intégralité pour recommencer à zéro une nouvelle histoire qui corrigerait tous les défauts de celle-ci, afin de faire renaître Mon imagination.


Le Prince de l'Enfer, imitant un geste qu'iel avait vu exécuté à de nombreuses reprises au Résurrectionniste, leva son verre et le tendit vers l'Archange Suprême. Il mit quelques minutes à comprendre ce que le démon désirait et brandit son verre à son tour, tout en prenant garde de ne pas laisser tomber quelques gouttes de l'impur breuvage sur sa main sacrée. Ils trinquèrent à cette curieuse « camaraderie » née après des siècles de rivalité et d'affrontements à coups de tentations et de bénédictions. En portant son verre à ses lèvres afin d'aspirer un peu d'alcool – Belzébuth n'avait pas eu l'occasion de goûter à ce divin breuvage depuis qu'iel avait trinqué avec le flamboyant Guy Fawkes, un certain soir de novembre.–, une pensée frappa son esprit : iel ne désirait pas ce Second Commencement et tout ce qu'il impliquait, notamment cette guerre fratricide qui opposerait à nouveau les serviteurs de Dieu et ceux de Satan. Une guerre qui ne verrait le triomphe que d'un seul vainqueur : l'Enfer ou le Paradis pour l'éternité. En cas de victoire des anges, iel et ses semblables seraient anéantis.


Belzébuth but une longue rasade de whisky. Le démon savoura sa gorgée : cela n'avait rien à voir avec l'infecte piquette que pouvait parfois vous refiler Béhémot ! La chaleur du whisky se répandit dans son enveloppe charnelle, activant le sang dans ses veines et fit entendre dans sa poitrine, le chant de son cœur habituellement muet. Le démon redéposa son verre et poussa celui de Gabriel vers lui. 

– Tu devrais y goûter, murmura-t-iel avec douceur.


Gabriel répondit que la consommation éthylique était un péché aux yeux du Très-Haut et qu'il ne pouvait souiller son corps en se livrant à pareille dépravation ! Belzéthuh esquissa un sourire en lui rappelant, avec une pointe de malice, que l'ivresse ne faisait pas partie des sept péchés capitaux. Sa petite main aux ongles rongés serpenta jusqu'à son avant-bras et s'y déposa, comme pour l'inviter à succomber à la tentation. De son autre main, Gabriel se saisit de son verre et y déposa ses lèvres . Il le fit pencher un peu et aspira quelques gouttes d'alcool. L'effet fut immédiat. Le cœur de l'Archange Suprême se mit à se mouvoir avec lenteur, pompant le sang figé dans ses veines. Il s'accorda une nouvelle gorgée du dangereux breuvage, se délectant de cette brûlure éthylique réchauffant son enveloppe charnelle. Il reposa son verre et jeta un regard étonné au démon lui faisant face. Il était incapable de comprendre l'expérience qu'il venait de vivre. Belzébuth fit glisser sa main le long de son avant-bras et se saisit de ses doigts. Il ne se déroba pas à son étreinte et s'inclina vers iel, pour mieux s'imprégner des effluves alcooliques s'échappant de sa bouche où s'ébattaient quelques mouches.


Ils ne pouvaient savoir où les conduirait cette idylle naissante. De longs mois et plusieurs rencontres clandestines, ainsi que des relectures régulières d'Orgueil et préjugés de la part de Gabriel, seraient nécessaires pour que le démon et l'ange pussent enfin mettre un mot, le seul qui convenait, sur ce sentiment qu'ils venaient tout juste de découvrir et qui avait déjà fait le malheur de nombreux mortels et de quelques anges... 


Notes et autres blablas: 


1. Le titre du chapitre est une référence à la fois à un roman de Henry James Ce que savait Maisie (racontant l'histoire d'une jeune adolescente observant ses parents en plein divorce et qui tente de comprendre le monde des adultes) et au chanteur Buddy Holly et sa chanson "Everyday".


2. Pour les clins d'oeil à l'Ecosse : il existe à Edimbourg des passages souterrains qui abriteraient le fantôme d'une petite fille nommée Annie et les touristes visitant ces souterrains ont pris l'habitude de déposer des poupées dans un coin du souterrain pour rendre hommage à la petite fille. L'infâme McKenzie est un fantôme qui hante l'un des cimetières d'Edimbourg. Le Haggis est un plat écossais et Wallace est un chevalier écossais ayant lutté contre l'envahisseur anglais. 


Pour les clins d'oeil à l'Angleterre: Guy Fawkes est l'homme qui a tenté, le 5 novembre, de faire exploser la Chambre des Lords. J'ai découvert cette histoire, il y a de cela quelques années, avec le film V pour Vendetta: "Remember, remember the Fifth of November, the Gunpowder Treason and Plot". 


3. En écrivant le passage où Belzébuth prend une leçon de prononciation avec Gabriel, j'ai repensé à la scène de My fair Lady dans laquelle Eliza (Audrey Hepburn) prend un cours de diction avec le très pédant professeur Higg. 


4. Je présente toutes mes excuses au peuple anglais, un peu malmené par les habitués du Résurrectionniste. 


5. L'arc narratif de Gabriel et Belzébuth est achevé dans cette fanfiction. J'ai eu envie de leur donner la trame la plus "douce, romantique et calme" de cette histoire. Ils sont un peu les "Jack et Judy" de cette fanfiction. Dans Love Actually, Jack (Martin Freeman) et Judy sont des doublures "nues" de deux acteurs et se rencontrent sur un plateau de tournage. Très timides l'un et l'autre, ils apprennent à se connaître tout au long du film... 





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