✨ Soho by night ✨
chapitre 2 : You are the reason
toc, toc, toc…
Crowley avait tout de même dormi un peu. Un peu plus de deux heures après le départ de son dernier client. En principe, il ne dormait pas ici, mais les clients de la veille s’étaient montrés fougueux. Ils en avaient eu pour leur argent, cependant ils avaient laissé le démon perclus de courbatures et fatigué comme jamais ! Crowley s’était douché aux dernières heures de la nuit, mais ça n’avait pas duré longtemps. Quelqu’un avait vidé le ballon d’eau chaude avant lui… Pas grave, épuisé comme il était, il en avait été quitte pour s’écrouler dans son lit. Il avait bataillé pour essayer de se couvrir un peu, mais les draps - comme la couette - étaient chiffonnés, à moitié par-terre, et sentaient la sueur et les relents de tous ses clients mélangés. Il s’était donc endormi en rabattant du mieux possible son peignoir en satin sur ses longues jambes, au milieu de ce pot-pourri d’odeurs de bites. Il aurait souhaité pouvoir au moins prendre sa forme serpentine et se cacher en entier dans le peignoir pour avoir plus chaud, mais même un miracle aussi insignifiant aurait pu le mettre en danger…
C’était donc avec la vitalité d’une carotte cuite qu’il s’était réveillé en entendant frapper à sa porte. Il prit le temps de s’étirer longuement et entendit plusieurs craquements dans son enveloppe humaine, qui semblait protester d’être ainsi traitée.
— C’est l’heure du p’tit-déj’ ! Les filles sont déjà presque toutes dans mon salon, magne-toi, trésor, ton café va refroidir… Nina t’en a préparé deux d’ailleurs !
Satan la bénisse, pensa Crowley, en entendant les pas de Donna s’éloigner de derrière sa porte, avant d’être interpellée par une voix d’homme à laquelle il ne prêta aucune attention, car en se tournant, il avait écrasé la télécommande qui venait d’allumer la petite télé, en face du canapé. “Bonjour, Londres ! Ce matin, nous rejoignons notre envoyé spécial Douglas Mackinnon depuis la M25, qui cumule déjà près de trois heures de bouchons ce matin…” annonçait la voix off d’une chaîne info quelconque. Qu’est-ce qu’elle foutait là cette télécommande ? Ah oui. Son dernier client l’avait balancée sur le lit en farfouillant dans le tiroir de la table de chevet à la recherche de lubrifiant ! Un prévenant, celui-là…
Crowley hésita à s'habiller, mais se ravisa. Il n’y avait plus aucun client à cette heure-ci et les filles l’avaient vu en peignoir plus d’une fois ! Certaines l’avaient même déjà vu à poil alors à quoi bon s’emmerder à se contorsionner dans son jean dès le matin ? Non… Il resserra les pans de la robe de chambre, en noua la ceinture et enfila simplement ses lunettes de soleil pour sortir de sa chambre. Tandis qu’il fermait sa porte, il s’aperçut qu’il était pieds-nus. Pas grave, de toute façon, il allait retenter une douche avant de partir !
Il stoppa sur la deuxième marche de l’escalier en se cramponnant à la rampe. Cette odeur… Ça sentait… Ça sentait comme l’eau de Cologne de… Crowley secoua la tête pour se réprimander. Soit son esprit lui jouait des tours (comme souvent), soit un des clients des autres filles portait le même parfum que l’autre abruti, c’était aussi simple que ça, même si une loi devrait l’interdire… Il porta une main à son cœur. Combien de temps encore allait-il souffrir ? Il s’ébroua et grimpa quatre à quatre les marches pour atteindre le dernier palier. Il n’y avait qu’une seule porte ici et il l’ouvrit sans même prendre la peine de s’annoncer.
Une douce moquette réchauffa immédiatement la peau nue de ses pieds en pénétrant dans l’appartement de Donna.
La décoration baroque chic du lieu ne dénotait pas avec celle de sa chambre, mais il y avait bien plus d’espace ici. Une petite cuisine s’ouvrait sur un grand salon dans lequel six des prostituées de la Tour de Passe-Passe le saluèrent chaleureusement depuis les deux canapés recouverts de plaids aux motifs floraux d’inspiration persane. Certaines filles étaient habillées de façon décontractée, mais d’autres ne portaient, tout comme lui, que leur peignoir. Les maquillages avaient coulé et les cheveux étaient défaits, mais des sourires s’épanouissaient sur le visage de tous. La nuit de travail était finie !
Donna s’approcha en portant les cafés tout droit venus du Donne-moi du café ou donne-moi la mort. Elle posa le porte-gobelets, ainsi qu’un panier de viennoiseries, sur la table basse et vint s’asseoir à côté de Crowley, avant de lui tendre ses deux “Sex for the Bitch”.
— Merci, Donna !
La tenancière du bordel/maquerelle le scruta plus longuement que d’habitude, tandis qu’il avalait son premier gobelet cul-sec.
— Qu’est-ce qu’il y a ? T’as vu un fantôme ? se moqua Crowley, un rictus aux lèvres, en reposant le gobelet vide sur la table basse.
Donna s’étrangla au-dessus de son americano avant de répondre lentement :
— Non… Rien… Tu devrais manger quelque chose, A.J, tu es de plus en plus mince ! ajouta-t-elle, préoccupée, en lui tendant un croissant.
— Qui c'est qu’a sifflé toute l’eau chaude cette nuit ? poursuivit le démon, comme s’il n’avait rien entendu. C’est toi, Maddy ? demanda-t-il, en fixant une petite rousse aux formes généreuses, assise en face de lui.
— Non, j’avais autre chose à faire ! Y en a qui bossent, A.J, répondit l’intéressée, avec un sourire sarcastique.
— Ben moi, j’ai voulu me doucher et l’eau était gelée, expliqua Crowley, grognon.
— T’as qu’à pas te faire gicler dessus ! ricana Maddy, en croisant ses jambes sur la table basse.
Crowley lui envoya une poignée de sucre en morceaux à la figure, que Maddy évita en gloussant, se protégeant avec un des coussins du canapé.
— C’est pas un peu fini oui ? intervint Donna, en levant les yeux au ciel. Ça doit être mon nouveau locataire, poursuivit-elle. Il est arrivé dans la nuit.
— C’est une pute ? demanda Crowley, avec intérêt. Je me sentirai moins seul au milieu de toutes ces greluches ! ajouta-t-il, en tirant la langue aux autres filles avec espièglerie.
Donna le dévisagea un instant, hésitante, avant de soupirer :
— Non. C’est juste un locataire… Je lui loue la dernière chambre tant que je ne trouve pas d’autre fille. Il… Ne vous importunera pas, assura-t-elle, le regard fuyant.
— Moi il peut m’importuner quand il veut, il est beaucoup trop mignon, rétorqua Maddy, en léchant sensuellement la corne d’un croissant.
Donna se râcla la gorge :
— Ahem… Bref, faisons les comptes, mes chéris, vous voulez bien ?
— Merde… J’ai laissé le fric dans ma chambre…
— Avec ta dignité ? se moqua Maddy, tandis que les autres filles étalaient consciencieusement des billets sur la table.
Crowley lui envoya un coussin à la figure :
— Non, avec ta virginité, poufiasse !
— Mais vous allez la fermer, tous les deux ? s’impatienta une femme noire d’une trentaine d’années, dont les longs cheveux bouclés tombaient en cascade sur un sweat à capuche rose bonbon.
— Ouais, ce serait une bonne idée ! A.J, t’auras qu’à me donner ta part demain matin, c’est pas grave…
— Ok, Boss, merci pour le café ! Bon ben je vous laisse alors, je vais me doucher, répondit Crowley en se levant dans un tourbillon de satin noir et en plaquant sa main sur la bouche de Maddy.
Il lui posa un bisou sur la joue avant d’ôter sa main et de se diriger vers la porte.
— BONNE IDEE, TU PUES LA BITE ! cria aussitôt Maddy, hilare.
Crowley leva son bras pour lui adresser un doigt d’honneur sans se retourner et, tandis qu’il ouvrait la porte, il entendit Donna ronchonner :
— J’en peux plus de ces rouquines !
Le démon se hâta d’aller prendre une douche (chaude, Satan merci !) et de s'habiller.
Il était déjà huit heures et il avait vingt-cinq minutes de marche pour arriver à son studio de Beaumont Court, sur Beaumont Street, à Marylebone. Il ne prenait le bus qu’en cas de météo capricieuse, car les transports en commun ne lui faisaient gagner que cinq minutes à peine et ce, au prix d’intolérables intéractions sociales. Or ce matin, la pluie avait cessé, il s’agissait donc de faire vite avant qu’elle ne reprenne ! Son jean n’avait pas eu le temps de sécher, mais tant pis. Il le posa directement sur le radiateur, au mépris des règles de sécurité les plus élémentaires, le temps de changer les draps de son lit et de faire le ménage. Les clients de la nuit n’avaient utilisé aucun “accessoire” et il lui restait largement assez de préservatifs et de lubrifiant pour le moment, d’autant que d’ici une semaine, il devrait passer une nuit complète chez… Peu importe. Il ne l’avait pas encore appelé donc Crowley pouvait ignorer ce fardeau encore un peu.
Remettre la chambre en ordre ne lui prit pas plus de dix minutes pour une fois et il avait fini avant même que ses collègues ne descendent du petit déjeuner !
Une fois habillé, il déposa le linge sale sur le palier (Donna faisait appel à un service de lingerie) et verrouilla sa porte avant de s’élancer dans l’escalier en colimaçon. Le froid automnal l’accueillit dans Whickber Street et il resserra sa veste contre lui, mais elle ne le protégea pas plus que la veille. Il referma la porte bleue de la Tour derrière lui et arpenta le trottoir jusqu’à la devanture du Donne-moi du café ou donne-moi la mort. Depuis la caisse, Nina le salua d’un signe de main et le gratifia même d’un sourire, que Crowley lui rendit, avant de s’éloigner. Le chemin fut parcouru en vingt-deux minutes exactement et le démon s’en félicita ! Le hall de son immeuble était désert à cette heure matinale, car le bâtiment n’abritait que de jeunes actifs, dont certains multipliaient les emplois précaires pour réussir à payer les loyers exorbitants de Londres… Le sexe payait mieux ! En tout cas, le commerce de son corps permettait à Crowley de payer le loyer de 475£ par semaine de son studio de vingt-sept mètres carrés sans avoir à cumuler un autre travail.
L’immeuble avait bénéficié d’une restauration, aussi les murs blancs de son studio réverbéraient la lumière du soleil glacial qui s’infiltrait depuis les deux fenêtres contre les meubles, tout aussi blancs, de la kitchenette ouverte sur l’unique pièce de vie. La seule note de chaleur résidait dans le faux parquet de bois clair, qui dénotait de la mode aseptisée de ce triste vingt-et-unième siècle. Crowley n’avait pas décoré son espace. Il n’en n’avait ni les moyens, ni l’envie. Seules quelques plantes - les rescapées de Mayfair - apportaient un peu de vie et une touche de couleur dans le studio. Elles se mirent toutefois à trembler et à rentrer les racines dans leurs pots en voyant le démon refermer la porte derrière lui. Il balança ensuite sa veste sur la commode qui lui servait de meuble à tout faire et se dirigea directement à l’évier de la kitchenette.
Il y remplit un pulvérisateur et s’appliqua à brumiser sans merci ses pauvres victimes :
— C’est quoi cette tronche ? Vous vous l’êtes coulée douce toute la nuit pendant que je me faisais ravager, c’est pas à vous de tirer la gueule, bande de feignasses ! les tança-t-il. Pourquoi vous tremblez ? Vous l’avez bien mérité, poursuivit-il, en les aspergeant avec vigueur. De quoi ? Vous avez froid ? ET MOI ALORS ? hurla-t-il, en mêlant ses postillons à la brume. Le froid, l’humidité, être traité comme de la merde… BIENVENUE DANS MA VIE ! Mais ne vous y trompez pas. On l’a bien mérité, toute cette merde… Si on était restés dans notre coin, peinards, à jouer le jeu de l’Enfer jusqu’à un certain point sans s’enticher d’un CONNARD auréolé, on serait encore comme des princes dans notre bel appart’ ! poursuivit-il, en passant une main dans ses cheveux, désormais mi-longs.
Essoufflé, il repartit poser le brumisateur sur le plan de travail gris souris de la cuisine et revint d’un pas lourd pour soulever une feuille de monstera avec le plat de sa main.
— Regarde-toi… Tu es magnifique… souffla-t-il, perdu dans ses pensées.
Il relâcha lentement la feuille et s’en détourna pour poser ses lunettes de soleil sur sa veste et s’asseoir lourdement au bord du lit, en frottant ses yeux.
— On serait encore comme des princes oui… Ou plutôt des otages, dans une belle cage dorée… Au moins maintenant, on est libres !
Il se pencha pour attraper une bouteille de whisky bon marché, cachée sous le lit. Il fit sauter le bouchon et bu une longue rasade d’alcool qui lui brûla la gorge, sans le réchauffer pour autant.
— Libres de l’oublier… ajouta-t-il, la voix éraillée.
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Aziraphale s’était réveillé en sursaut. Que faisait-il dans un énorme lit, au milieu d’une chambre dans ces teintes rouges et dorées qu’il chérissait ? Ah oui. Le Grand Plan, le Second Avènement, la fuite en avant… Et ses pas, sa vie toute entière, qui semblait le ramener sans cesse à Soho. Nu comme un ver et entortillé dans un peignoir en satin ! Ah, il était beau l’Archange Suprême : cerné par des cravaches, des sex-toys et une quantité astronomique de préservatifs de toutes tailles…
Il se leva d’un bond et passa une main tremblante sur sa courte barbe.
— Seigneur, qu’ai-je fait ? marmonna-t-il.
Passablement désorienté et affolé, l’ange tendit l’oreille et entendit des bruits dans le couloir. Aussitôt, il ouvrit sa porte et se précipita sur le palier. Sur sa gauche, devant la porte voisine de la sienne, se tenait une jeune femme de taille moyenne, dont les formes rebondies étaient enveloppées - comme les siennes - dans un peignoir en satin. Le sien était rouge toutefois, et jurait avec ses longs cheveux roux clairs, remontés en un chignon très approximatif. La jeune femme refermait bruyemment sa porte en chantonnant et tourna vers lui un visage poupin au regard charmeur, malgré de grands yeux clairs fatigués, dès qu’elle le remarqua.
— Oooooh… Bonjour, toi… le salua-t-elle, en s’approchant avec une lenteur mesurée.
— B… Bonjour, bredouilla Aziraphale, en resserrant pudiquement les pans de son peignoir contre lui.
— Comment tu t’appelles, mon joli ? Moi, c’est Maddy !
— En… Enchanté, Mademoiselle… Hum, je… Je suis le nouveau locataire de… De Madame Sandwich et…
Maddy s’arrêta devant lui et caressa lascivement le col de son peignoir en passant sa langue sur ses lèvres charnues.
— Oh, elle t’a donné les tarifs alors ? Sache que pour toi, mon coeur, je ferai moitié prix la première fois ! J’adoooore les blondinets… expliqua-t-elle, en faisant glisser son peignoir en bas de ses épaules, de sorte à dévoiler partiellement son opulente poitrine, dont les tétons durcis se laissaient aisément deviner au travers de la fine étoffe.
— Je… Je ne suis pas… Vous êtes charmante, Mademoiselle Maddy, mais… bafouilla l’ange, les joues en feu.
Des bruits de pas dans l’escalier firent détourner son visage du regard prédateur de la jeune femme pour se poser sur Madame Sandwich, qui s’arrêta sur le palier, un porte-gobelets en carton dans ses mains et un sac en kraft dépassant du large sac à mains qui pendait de son épaule. Elle s’immobilisa un instant pour observer avec malice la scène se jouant devant ses yeux, puis s’en détourna pour aller toquer nonchalamment à la porte d’en face celle d’Aziraphale, abandonnant celui-ci à sa position délicate :
— C’est l’heure du p’tit-déj’ ! Les filles sont déjà presque toutes dans mon salon, magne-toi, trésor, ton café va refroidir… Nina t’en a préparé deux d’ailleurs !
Sans attendre de réponse, elle reprit son chemin vers les marches, mais fut interpellée par Aziraphale :
— Hum… Bonjour Madame Sandwich ! la salua-t-il, en tentant de se dégager de Maddy, qui le tenait en respect contre le mur, en le menaçant avec ses seins.
Madame Sandwich fit semblant de s’apercevoir de leur présence et vint se planter devant eux en soupirant.
— Maddy ? Laisse ton nouveau voisin tranquille, ce n’est pas un client… Si tu as autant d’énergie, j’en déduis que t’as rien foutu de la nuit ?
La jeune prostituée détourna enfin son regard d’Aziraphale :
— Si, Donna ! Mais pour un spécimen comme lui, tout en formes et en poils, j’aurai toujours de l’énergie… répondit-elle, en agrippant les poignées d’amour de l’ange, qui sursauta violemment.
— Mademoiselle Maddy, je vous en prie, un peu de tenue ! la supplia Aziraphale.
— Oui, un peu de tenue, Maddy, tu vois bien que tu incommodes notre nouvel ami, ajouta Donna, en gloussant. Allez, monte ! Le p’tit-déjeuner est servi…
Avec une moue charmante, Maddy se décolla du corps de l’ange et remonta son peignoir sur ses épaules, dissimulant ainsi sa lourde poitrine :
— Une autre fois, peut-être… lui murmura-t-elle, avant de s’élancer dans l'escalier d’un pas guilleret.
Donna l’observa monter les marches avant de reporter son attention sur Aziraphale :
— Vous avez une mine affreuse ! Vous m’excuserez, je ne vous ai pas pris de café, je ne sais pas ce que vous préférez, ajouta-t-elle, sans pour autant avoir l’air désolé le moins du monde.
— Vous aurais-je, hum… Vous aurais-je offensée d’une quelconque manière avant… Avant mon départ ? tenta l’ange, en fronçant ses sourcils.
— Vous êtes parti comme un voleur ! rétorqua Donna avec virulence.
— Mais… Je ne pensais pas devoir vous, hum… Vous saluer avant de partir… se défendit l’ange.
— C’est bien ça le problème ! Vous vous êtes cassé sans réfléchir deux secondes à tous ceux que vous avez laissés derrière, expliqua Donna, avant de lui tourner le dos et de grimper les escaliers sans lui accorder plus d’attention.
Encore plus déboussolé, Aziraphale l’observa disparaître dans les marches avant de retourner dans sa chambre. Il s’adossa un moment à la porte en la refermant, craignant un instant de s’évanouir tant sa tête lui tournait après cet échange lunaire.
Il se raidit en entendant à nouveau une porte s’ouvrir sur le palier et retint son souffle. Hors de question de sortir cette fois, il ne voulait pas risquer de se faire encore aborder et tripoter par une prostituée à moitié nue.
Il attendit que le bruit de pas s’estompe et s’autorisa à respirer à nouveau. Une fois certain que ses jambes pouvaient le porter, il se dirigea mécaniquement vers la bouilloire pour se préparer un thé. Son estomac émit quelques gargouillis sonores. Il avait faim, mais il n’y avait rien à manger ici, si on faisait abstraction du flacon de lubrifiant comestible à la poire, dissimulé dans sa table de nuit… Pendant que son thé infusait, il enfila son costume, encore humide par endroits et frissonna. Il lui fallait de nouveaux vêtements ! Il vérifia la présence de la carte bleue à plafond illimité qu’il s’était miraculé dans la poche intérieure de son smoking, puis s’assit sur le canapé avec son mug. Il n’avait pas eu le loisir de se renseigner avant de partir et en tournant la carte bleue entre ses mains, il se demanda vaguement si le plafond illimité d’une carte était vraiment illimité… Dans le doute, il allait chercher des vêtements bon marché. Il fallait économiser de l’argent pour la nourriture, cela devenait urgent à en croire les protestations de son estomac !
En replaçant la carte dans sa veste, il sentit la surface froide d’une petite fiole contre ses doigts. Avec un sourire tendre, il la sortit de sa poche et observa son contenu, se résumant à quelques mèches brunes. Il porta ensuite le petit flacon à ses lèvres et y posa un baiser, tout en réprimant les larmes qui brouillaient sa vue.
— Je suis désolé, chuchota-t-il contre la surface vitrée, enveloppant les mèches brunes d’une buée chargée de tristesse.