Les agneaux ont cessé de bêler

Chapitre 3 : Un trajet en voiture enrichissant

1534 mots, Catégorie: T

Dernière mise à jour 29/05/2021 13:07

Nous sommes sur la route, Hannibal a mis un CD dans le vieux lecteur et une douce musique classique dont j'ignore le nom rempli de ses notes la cabine du pick-up.


- J'aurais préféré partir en balade avec votre jaguar Docteur.

- Nous allons faire un pique-nique en forêt Clarice. Le pick-up est plus adapté pour ce type de balade.

- C'est vrai...


Je me comporte comme une enfant depuis que je suis avec le Docteur Lecter. Il fait ressortir la petite fille qui est en moi. Mes propres sauts d'humeur et mon hypersensibilité naissante me donnent du fil à retordre.


- Excusez-moi Docteur. Je ressemble à une adolescente.

- Ne vous en faites pas Clarice. Je suis là pour vous aider à reprendre vos habitudes et trouver ce qui vous aidera au mieux. Nous avons tout notre temps.


Je tourne ma tête que je pose contre la fenêtre du véhicule. Je regarde la bas-côté de la route défiler rapidement devant mes yeux. Le soleil est haut. Ses rayons traversent les arbres plus loin dessinent des rayures sur ce fond vert et marron. Au loin, je distingue trois chevreuils en train de fouiller dans les feuilles mortes. Ils relèvent la tête au moment au l'engin à moteur passe à leur hauteur. Leurs petites queues blanches ne fusent pas comme je l'ai souvent vu. Ils ne bougent pas d'un iota.

Le froid de la fenêtre est agréable. Je me laisse aller à mes pensées. Comme Hannibal, faudra-t-il que je fasse de la chirurgie esthétique ? Pas que je me trouve d'une beauté renversante mais ne plus me reconnaître dans un miroir me semble impossible. Ne plus avoir mes pommettes commence à être étrange. Faudra-t-il que je déclare ma propre mort pour falsifier ensuite une identité quelconque ?


- Clarice ?

- Oui ?

- Je sens votre esprit bouillonner. Racontez-moi.

- Je me demandais si je devais, moi aussi, faire des injections pour ne pas être trouvé par le FBI.

- Hors de question !


Le soudain emportement du Docteur me fige sur mon siège. Je n'ose plus respirer.


- Je veux dire... Pas la peine. Votre visage n'a pas à subir d'altération. Nous allons vous trouver une nouvelle identité sans difficulté. Pas besoin de chirurgie qui viendrait retirer toute votre beauté.

- Ma beauté ? Encore une fois,vous avouez me trouver belle...

- Quand ?


Veut-il tester ma mémoire durant mes jours flous ? Où veut-il s'assurer que j'ai bien entendu ce qu'il m'a dit ? Peut-être qu'il va enfin avouer. À cette étrange pensée, mon corps se cambre avec légèreté l'air de rien. J'imagine qu'il fait glisser le bout de ses doigts sur mon bras. Cette douce caresse imaginaire fait monter le rouge à mes joues.


- Lorsque vous avez fait venir un cuisinier et que vous m'avez offert cette magnifique robe hors de prix.

- Que vous ai-je dis ?

- Que je ne manquais pas de beauté.


Hannibal tourne alors la tête vers moi. Son regard bleu si indéchiffrable laisse alors entrevoir un désir que je ne sais identifier. Un désir charnel ? Est-ce le désir de me tuer ou bien de me manger que je vois passer ? Je décide de reprendre pour tenter de savoir ce qu'il refuse d'avouer.


- Je vous ai dit merci et vous m'avez interdit de dire cela. Pourtant aujourd'hui je vous remercie encore.

- Pourquoi faites-vous ça Clarice ?

- Pourquoi suis-je honnête avec vous ? Parce que vous l'êtes avec moi. J'aime savoir que vous me trouvez belle. Donc je vous en remercie.

Hannibal soupire comme s'il était épuisé par la situation et ses émotions.


- Vous n'êtes pas encore prête...

- Pas prête à quoi Hannibal ?

- Vous dire que je vous trouve belle est un euphémisme...

- Comptez-vous me tuer Docteur ?

- Vous tuer !? En voilà une idée ! Je ne vais pas mentir en vous disant que vous êtes appétissante mais je préfère vous avoir bien vivante avec moi. Vous êtes bien plus qu'une amie. Vous me permettez d'avoir un pied dans la réalité de la brutalité que je trimballe derrière moi. Mes « pulsions » sont toujours là, prêtes à s'abattre sur n'importe qui, sauf vous. Mais vous n'êtes pas encore assez remise pour que cette conversation aille plus loin...

Il n'en a pas après ma vie ni ma chaire ! Je suis assez soulagée de l'entendre dire ces mots. Bien que mon ressenti sur la question était bon. Il m'apprécie. Beaucoup. Au point de me vouloir avec lui. Je sais bien qu'il ne veut pas être sauvé. Et je ne veux pas endosser ce rôle. Non. Il a toujours été comme cela. C'est pour toutes les facettes de sa personne que j'ai un faible.

Je ris de moi-même. Un faible ? Vraiment ? Foncer comme une idiote dans la mêlée pour le sauver n'est pas vraiment la définition d'un faible. Ça me fait mal de reconnaître que Paul Klender avait raison, mais j'aime vraiment Hannibal Lecter.


- Et si j'étais prête ? Et si je voulais que vous le disiez ?


La voiture se gare sur un parking en terre après une heure de route. Je ne porte pas d'importance à où nous sommes. Je veux que cette conversation soit close. Je veux qu'il admette. Je veux lui avouer qu'il n'est pas le seul.

La Clarice d'il y a quelques mois serait ulcérée de se reconnaître que l'homme le plus recherché du monde lui plaît. Elle continuerait à se nier du mieux qu'elle puisse en se concentrant à corps perdu sur son travail. Mais aujourd'hui cette Clarice est morte. Le FBI l'a abandonné, son seul allié est bientôt à la retraite, elle n'a plus de famille, sa seule amie va sûrement quitter la maison pour partir se marier avec son petit-ami. Et qu'est-ce qui me restera ? À part cette impression d'être passé à côté de ma vie. Je ne veux plus lutter contre moi-même. Je suis prête à être avec Hannibal. Quelques soient ses conditions, quelles que soient nos différences, quelques soient ses pulsions, ses vices, ses tendances cannibalismes. Il est le seul à me comprendre, à me faire me sentir spéciale.


- Vous dire quoi ?

- Très bien ! Vous ne voulez pas le dire en premier par pudeur ? Ou par peur de vous l'avouez verbalement ? Mais je peux le dire ...

- Clarice...


Sa voix est lasse.


- Vous n'avez pas conscience que l'avouer vous obligeriez à être ma complice si je me remettais en chasse. Vous savez bien que tuer est un besoin viscéral chez moi. Et vous savez bien que je n'ai aucun regret. Vous savez que je mange mes victimes. Cela ne vous fait pas peur ? Qu'est-ce qui garantit qu'un jour je ne vous mangerai pas ? Qu'est-ce qui peut vous garantir que je vous serez toujours fidèle ?

- Je prends le risque ! Je vous prends tel que vous êtes. Initiez-moi s'il le faut. Apprenez moi. Je peux tout encaisser. Je peux être moi auprès de vous. Peu importe comment vous voulez concevoir cette relation je peux. Je peux Hannibal.

- Vous tueriez et mangerez ceux qui seront passés entre mes doigts ? Vous accepteriez de devenir ma main droite ? Que je vous enseigne ? Vous prendriez le risque ?

- Hannibal... Je ne vous considère pas que comme un ami. Vous le savez. Si je vous affirme que je peux accepter cette part d'ombre, c'est que je le peux. Vous n'êtes pas le monstre que le monde s’obstine à décrire. J'ai passé tant d'heures, de nuits à essayer de vous comprendre que j'ai tissé un lien avec vous. Je n'ai toujours pas compris qui vous étiez. Mais je sais que vous êtes un homme cultivé, intelligent, sûr de lui, avec des convictions et vous possédez un charme évident.

- Un charme évident... C'est bien la première fois que l'on me complimente, moi, le véritable Hannibal, depuis des années !


Je pose alors ma main sur la sienne, encore accrochée au pommeau de vitesse. Sa main est froide, glaciale mais le contact est agréable. Ses yeux évitent de croiser les miens un court instant.


- Rien ne presse Hannibal. Je voulais juste que les choses soient claires. Que nous sachions à quoi nous en tenir.

- Vous êtes incroyable Clarice...

Nous restons en silence, les yeux dans les yeux, à tenter de décrypter ce que l'autre pense. Et dans ce silence j'entends les oiseaux qui chantent autour de nous. Je regarde à travers le pare-brise pour la première fois depuis que nous sommes à l'arrêt.


- Nous sommes dans la Réserve Naturelle où je viens courir !! Comment...


Est-ce vraiment utile de lui demander comment il a su ? Il sait tout !


- Merci.


Je dépose un baiser timide et furtif sur sa joue avant de sortir du véhicule et prendre un bol d'air frais. Hannibal me suit, sort le panier de pique-nique du coffre ainsi qu’un autre sac et vient se poster à côté de moi.


- Allons manger Clarice.

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