Luna Mula
Le professeur Rogue libéra sa classe pour le courrier des hiboux. Tous les élèves de Serpentard et de Gryffondor se rendirent avec une certaine fatigue vers la Grande Salle. Hermione Granger fut une des premières à sortir — non pas parce qu’elle eut terminé la potion la première —, elle avait juste besoin d’air pour se ressaisir. Dans le couloir, elle faillit se heurter au professeur McGonagall qui sortait de sa classe avec les deuxièmes années de Poufsoufle aux talons. Elle lança un regard un peu surpris à l’élève la plus brillante de Poudlard et continua sa route. Hermione Granger s’installa à la table des Gryffondor entre deux élèves de troisième année qui mangeaient tranquillement en lisant la gazette du sorcier.
Sur la première page, Hermione pouvait distinguer deux Gobelins se chuchotant quelque chose devant un grand coffre. L’article semblait parler d’un vol dans un coffre-fort et personne n’avait rien vu. C’était le journal de la semaine dernière, semblait-il. La jeune fille se versa du jus de citrouille dans un verre à pied en tremblant légèrement. La couleur orangée de son breuvage lui rappela la consistance dorée de la potion et elle jeta un sortilège d’Evanesco et se versa du jus de raisin. La consistance mauve la calma et la jeune fille attendit simplement les chouettes pour le courrier. Harry et Ron la rejoignirent après cinq bonnes minutes, le temps qu’ils la trouvèrent au milieu des élèves. Ils se mirent en face d’elle et ne firent — à son plus grand bien — aucun commentaire ou très peu. Ron balbutia un « C’est le stress ! une journée avec Rogue, ça peut faire péter les plombs de tout le monde ». Harry Potter n’écouta pas son ami roux. Ses yeux verts-émeraude s’étaient posés sur l’attrapeuse de Serdaigle qui venait de s’asseoir à la table d’en face.
Les chouettes arrivèrent enfin. Elles volèrent d’une table à l’autre, jetant leur colis ou atterrissant avec un journal ou une lettre accrochés à leur patte. La chouette d’Hermione, belle et blanchâtre, lui apporta une gazette du sorcier. Elle décrocha le journal, paya la chouette. L’oiseau donna un coup d’aile dans le verre de la jeune fille, renversant son contenu sur l’uniforme. Hermione leva les bras légèrement en regardant le pas de sa robe. Voulant aider, Harry sortit sa baguette pour lancer un ‘Récurvite’, le sortilège de nettoyage. Mais la jeune fille était déjà en route vers les toilettes des filles. Celle de Mimi Geignarde entre autres. Le jeune Potter rangea sa baguette, se tourna vers son ami qui engloutissait une pâtisserie :
— On a loupé quelque chose ? dit-il doucement.
— Chais pas, répondit Ron, la bouche remplie. Cha ptete un rapport avec le cours de pochions ?
Harry attribua ça à une mauvaise humeur. Il déplia le journal d’Hermione et commença sa lecture. Fudge faisait la première couverture. Son image faisait de grands gestes comme s’il disait un discours. Il n’eut rien dans le journal qui put attirer l’attention du jeune Potter hormis les résultats des matchs de Quidditch.
— Hé Petit Pote Potter ! lança une voix doucereuse de l’autre côté de la salle, à la table des Serpentard.
Harry ne prit même pas la peine de lever les yeux vers son interlocuteur. Il le connaissait que trop bien : Drago Malefoy. Il était évident que même durant une si courte récréation, le jeune Serpentard n’en raterait pas une pour se moquer d’Hermione. Le jeune Gryffondor n’écouta même pas l’imitation grotesque d’une Granger hurlant à la mort.
Hermione Granger plongea son visage dans l’évier rempli d’eau glaciale. Elle entendait Mimi geindre dans les tuyaux des toilettes. La jeune fille retira son visage de l’eau après deux ou trois secondes. Dégoulinante, elle prit une grande inspiration et sortit sa baguette magique. Elle lança un ‘Récurvite’ sur sa robe avant de se sécher le visage avec le revers de sa manche gauche. Elle se sentit étrangement mieux après ce bain. Elle en avait bien besoin pour remettre ses idées en place. Pour affronter Rogue encore des heures et des heures dans son cachot. À faire cette potion.
Une idée vint à l’esprit de la jeune fille : et si elle ratait délibérément la potion pour empêcher que Rogue la teste sur elle devant tout le monde ? Elle allait avoir un 'D’ pour la première fois de sa vie ou un 'T’ comme diraient les jumeaux Weasley. Un ’T’ pour ‘Troll’. Ses amis Potter et Weasley avaient quelques 'D’ durant l’année et ce n’était pas pour cela qu’ils étaient recalés. Il suffisait de passer aux examens et le tour était joué. Oui, c’était une idée. Mais l’humiliation ? Rogue l’avait bien averti que cette potion était « facile » pour son « je-sais-tout-isme ». Justement ! Peut-être qu’elle pouvait lui montrer qu’elle ne savait pas tout ! Oui. C’était ça. Rater la potion délibérément. Mais comment montrer qu’elle était ratée justement ? Elle prenait une couleur différente selon les personnes qui la préparaient. Les autres potions, c’était assez simple de savoir. Si elle devait être rouge sang, une potion brunâtre voulait dire qu’on avait soit oublié un ingrédient soit trop laissé chauffer. La consistance peut-être ? Une potion avec beaucoup de grumeaux au lieu de bien liquide ? Elle devait trouver le moyen pour que son professeur fasse le sortilège tant redouté de ses amis : ‘Evanesco’. Mais elle devait la rater sans se faire prendre bien sûr. Inutile de jeter tous les ingrédients à la fois dans la marmite ! Elle se ferait prendre à coup sûr. Mais rater à petit feu comme couper grossièrement un ingrédient, tourner la louche dans le mauvais sens, inverser deux ingrédients. Ou simplement regarder comme Londubat arrive à rater sa potion. Quoiqu’elle oublia rapidement cette solution, car Neville avait semblé s’être bonifié en potions depuis quelque temps.
Sûre d’elle, elle regagna le donjon de Rogue, avec un sourire au coin. Les élèves continuaient déjà la préparation de leur potion. Rogue ne semblait pas s’être aperçu de son retard — ce qui lui aurait valu dix points de moins pour Gryffondor. Hermione rejoignit son chaudron avide d’ingrédients. Fredonnant un air sorti d’un album moldu, entendu durant les vacances d’été, elle lut la suite de sa préparation : « Ajouter des ongles d’elfes broyés ». Elle chercha ce qu’il fallait dans l’armoire à ingrédients et se mit au travail. Elle jeta un œil en biais vers les élèves les plus catastrophiques du cours. Goyle coupait à grand geste les ongles d’elfes au lieu de les broyer. Voilà une idée. Hermione se mit à couper les ongles en tranches longitudinales et les ajouta sa préparation.
« Tourner quatre fois dans les aiguilles d’une montre ». La jeune fille tourna quatre fois dans le sens contraire puis fit mine de s’être trompée et tourna non pas quatre fois, mais six fois dans le bon sens. Elle regarda quelques instants sa potion qui semblait avoir pris un gris terne et une consistance pâteuse. Celle d’Harry Potter venait de prendre une teinte verdâtre, comme ses yeux. Sa potion semblait bien limpide et liquide. La jeune fille gloussa avant de replonger dans la préparation de la potion. Rogue passa près des chaudrons vérifiant le bon déroulement des opérations.
La jeune fille n’y prêta pas attention, car il était coutume que son professeur ne s’attardât jamais près d’elle, car il n’y avait rien à critiquer. Elle put donc saboter les trois ingrédients suivants avant de se livrer au dernier ajout au moment où le professeur de potions passait près d’elle.
Elle avait le dos tourné et tranchait délicatement une griffe de dragon des neiges. La griffe était trop molle pour être difficile à couper. La jeune fille ne pouvait donc pas prétexter la rigidité comme facteur de lenteur. Elle se tourna lentement vers son chaudron, sans lever les yeux vers son professeur qui la fixait, les bras croisés. Elle lâcha les griffes fraîchement coupées dans son chaudron. La mixture changea de couleur. Pendant que sa potion se noircissait, le cerveau d’Hermione Granger se mit en alerte. Et si cette potion la tuait ? Et si elle avait le même effet que le sérum de vérité, révélant à toute la salle qu’elle avait délibérément saboté sa mixture par crainte ? La jeune fille se força de ne pas écouter ses neurones pour une fois et touilla quelques instants sa potion. Elle était terminée. Sa couleur était noir-ébène et sa consistance... granuleuse. Elle regarda autour d’elle, en faisant attention de ne pas croiser le regard de son professeur. Neville avait obtenu une potion avec deux couleurs : du jaune avec des traînées vert circulaire. Le maître des potions s’avança doucement vers l’élève :
— Je vois que vous avez réussi à rater cette potion, Mr Londubat. Deux couleurs ? Hé bien. Evanesco ! Cinq points en moins pour Gryffondor !… Oh, mais que vois-je, vous aussi ?...Mr Malefoy.
Hermione sursauta et fit volte-face vers un Drago paniqué. Sa potion avait pris une teinte mauve avec de la fumée rouge. Il essayait par désespoir de touiller sa potion pour qu’elle cesse d’émettre de fumée, mais sans aucun résultat. Rogue fut sans pitié et lança son sortilège :
— Cinq points en moins pour Serpentard, annonça-t-il de sa voix doucereuse.
Hermione pria pour qu’elle subisse le même sort. Le professeur regarda chaque chaudron, lentement, très lentement. Trop lentement. Il émit un rictus en observant une potion d’un élève de Gryffondor. Elle était aussi dure que du goudron. Cinq points de moins. Parkinson avait aussi raté la potion. Elle changeait de couleur toutes les dix secondes. Passant de couleur or à noir quelques fois. Encore cinq points de moins. Il arriva près de Ronald Weasley. Rien d’anormal. Même pas chez Harry. Il passa enfin près d’Hermione. Cette dernière sentit son cœur faire un bond dans sa poitrine quand son professeur examina du bout de sa baguette la consistance de sa potion.
— Elle est ratée, il n’y a aucun doute, pensa-t-elle.
Elle leva les yeux vers son professeur. Leur regard se croisa enfin. La baguette placée à quelques centimètres de la surface de la potion, quelques gouttes glissaient le long du bois ébène. Hermione vit deux yeux sombres, insondables qui la fixaient. Son professeur plissa les sourcils et retira sa baguette de la mixture. Il fit volte-face, faisant voler sa cape.
— Mais professeur, je me suis trompée… quatre ou cinq fois, tenta Hermione tandis que son maître repartait vers son bureau.
— Bien, vous avez réussi la deuxième partie de la potion. Il vous faut maintenant attendre une heure avant de la tester et je me fiche des conséquences. L’infirmerie sera là en cas de problème. Mais je tiens tout de même à dire, que la potion ne fonctionnera pas si la deuxième partie n’est pas correctement préparée ou alors vous plongera dans un sommeil sans rêves pour une durée indéterminée ou vous transformera en plume d’hippogriffe ou que sais-je encore, déclara le maître des potions en ignorant complètement Hermione. En tout cas, elle révélera une nature cachée en vous.
Hermione était proche des larmes. Elle était à deux doigts de lancer elle-même le sortilège ‘Evanesco’.
— Pour ceux qui ont lamentablement échoué, je vous demanderai de me faire un rapport des effets sur vos camarades de classe. Pourtant…
Elle était donc trop douée pour rater ?
—… indéterminée…
Elle allait avoir cette image de Miss-je-sais-tout durant toute sa scolarité ?
—… dents de….
Mais, bien sûr ! il n’y avait aucun mal à être brillant.
—... fin du cours.
La jeune fille ne faisait plus du tout attention à son professeur, ni même à la classe. Trop prise dans ses pensées. Elle ne comprenait pas pourquoi elle avait si peur de la potion. Peut-être, car Rogue lui avait demandé son aide ? Elle devait s’en sentir honorée pourtant. Alors pourquoi tant de crainte ? Car elle ne se souvenait plus de ce qui s’était produit après le donjon ? Elle se souvenait de la préparation, des gestes précis et méticuleux du professeur. Et de cette impression. Cette impression qu’elle avait ressentie en regardant son professeur. Charmant. C’était ce qu’elle s’était dit cette nuit. Le professeur était charmant.
Alors qu’une Gryffondor demandait un flacon de prélèvement au professeur, Hermione trempa sa main droite dans sa potion. Elle était tiède. Elle sortit sa paume remplie du liquide et dans un geste vif, but son contenu. Le goût était âcre. Elle toussa quelques secondes ce qui attira l’attention de la classe — et du maître des potions — sur la plus brillante élève de Poudlard.
Celle-ci sentit des vertiges. Des nausées. La dernière chose qu’elle entendit avant de s’écrouler près du chaudron fut la voix de Severus Rogue :
— Pauvre idiote !